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Présidentielle: ce n’est plus l’économie qui compte, imbécile!

Lien publiée le 18 mai 2016

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Ces articles de la rubrique « Ailleurs sur le web » sont publiés à titre d'information et n'engagent pas la Tendance CLAIRE.

http://www.slate.fr/story/117917/presidentielle-economie

Les questions économiques pourraient bien ne pas être la clef du scrutin de 2017.

L’élection présidentielle, pierre angulaire de notre système politique, aura lieu dans un an. On sent déjà monter, chez nombre des candidats avérés, attendus ou putatifs, la pression de la «course de petits chevaux», nourrie par les sondages et commentée par les médias matin, midi et soir. Il n’est pas certain en revanche que cela passionne nos concitoyens, encore bien loin de l’échéance et tout à des préoccupations autrement plus immédiates. Des préoccupations économiques notamment, au moment où l’annonce tonitruante par le président de la République que «ça va mieux» ne correspond à rien de ce qui est vécu par l’immense majorité de la population. Nombre de ces candidats à la candidature, à gauche en particulier, semblent persuadés que c’est sur cet enjeu économique que se jouera l’élection: dans le sens de la poursuite des «indispensables réformes dont le pays a besoin» pour les uns; dans celui de la «réorientation à gauche de la politique économique» pour les autres. Il se pourrait toutefois que compte tenu du contexte dans lequel se déroulera cette élection, l’enjeu économique et les orientations dans telle ou telle direction de la politique économique promise aux Français, ne soient pas aussi déterminants qu’attendus.

En 1992, James Carville, conseiller du candidat démocrate à la présidentielle, Bill Clinton, avait fait afficher dans la war room de la campagne la devise suivante, «The economy, stupid!», afin de rappeler à chacun qu’il fallait focaliser son attention, et les interventions du candidat, sur les enjeux économiques face à un George Bush (père) qui comptait surtout sur son bilan en politique internationale après une séquence historique (de la chute du mur de Berlin à la guerre du Golfe en passant par la fin de l’URSS). Clinton avait compris à l’époque qu’il ne pourrait pas lutter sur un tel terrain, lui qui n’avait même jamais servi dans les forces armées ou eu d’expérience internationale. Il promettait finalement une meilleure répartition des fruits de la prospérité revenue après la crise de 1987 et la prise en compte des plus démunis, notamment en termes d’assurance-maladie (déjà!). Sa stratégie était pertinente dans le contexte de l’époque et devait lui permettre de l’emporter.

Depuis, «It’s the economy, stupid!»[1] sert de mantra à tous ceux, en France et à gauche tout spécialement, qui sont convaincus qu’une élection se gagne sur des propositions économiques, sur un programme et des mesures qui permettent de se différencier de l’adversaire, quelles que soient les circonstances, les conditions et les candidats d’une élection. Cette facilité est à la fois un réconfort stratégique et une manière d’inscrire son rattachement aux grandes doctrines historiques –qu’il s’agisse du marxisme, du keynésianisme ou du libéralisme.

Il en va malheureusement autrement dans la réalité politique d’une élection, a fortiori quand celle-ci est le moment-clef d’un système politique, comme c’est le cas en France de la présidentielle. Les déterminants économiques du vote ont certes leur importance et jouent un plus ou moins grand rôle selon le moment et les circonstances mais ils ne sont jamais les seuls bien évidemment et, surtout, peuvent être contrebalancés par d’autres enjeux qui vont influencer très fortement le comportement électoral. L’an prochain, la présidentielle française pourrait se jouer bien moins sur le plan économique qu’autour de questions dites «culturelles» ou «identitaires». Et ce principalement pour trois raisons: un contexte d’ensemble bouleversé, une défiance exceptionnellement haute vis-à-vis des politiques en matière de capacité d’action économique et l’installation du FN dans le paysage politique.

Un changement de contexte historique mettant en avant des enjeux non économiques

Le moment historique particulier que nous vivons s’inscrit dans un contexte très largement inédit, en tout cas très différent de celui des élections présidentielles précédentes. On se rappelle notamment qu’en 2012, l’impact de la crise financière de 2008 et ses conséquences, notamment en matière budgétaire, avait été au cœur de la campagne. On peut d’ailleurs faire l’hypothèse que l’échec de Nicolas Sarkozy est d’abord lié au fait qu’il ait orienté sa campagne suivant la fameuse «ligne Buisson» –celle d’une (re)conquête des électeurs FN sur la base d’un durcissement de la ligne identitaire du président sortant– en occultant largement sa gestion de la sortie de crise.

Aujourd’hui, le contexte général dans lequel se déroulera la prochaine élection présidentielle est tout autre. Même si la crise économique continue de faire sentir ses effets et, surtout, que les choix effectuées par François Hollande depuis 2012 peuvent être débattus quant à leur efficacité pour les contenir, l’inquiétude liée aux bouleversements de l’ordre du monde et à ses conséquences directes sur la France et l’Europe (des attentats de 2015 à la «crise des migrants») est devenue primordiale. Les débats sur le redressement économique, l’évolution des formes du travail ou la préservation d’une protection sociale digne de ce nom sont en effet tributaires de l’existence même d’un cadre politique commun sûr, stable et légitime, dans lequel les choix économiques et sociaux peuvent avoir lieu sereinement. On a vu, par exemple, combien, depuis novembre dernier, une situation tendue pouvait brouiller et rendre inaudible tout le débat démocratique habituel, de la «déchéance de la nationalité» à la «loi El Khomri» en passant par l’état d’urgence ou la «Nuit Debout».

Au-delà des conséquences du terrorisme lui-même, la menace islamiste qui s’est répandue au Proche-Orient comme en Afrique ou en Europe a fait prendre conscience à l’ensemble de nos concitoyens que l’on avait changé d’époque; et que s’il est certes difficile de qualifier celle-ci de «guerre» tant le mot est connoté dans la conscience collective de gens qui n’en n’ont vécu aucune historiquement, l’affrontement idéologique, sécuritaire et militaire engagé contre cette menace y ressemble fortement –depuis sa forme propagandiste quotidienne à sa forme terroriste la plus violente.

La prise en compte du caractère historique du bouleversement que l’on vit aujourd’hui, de l’interpénétration entre ce qui se passe «là-bas» et ce qui se passe ici, des conséquences des événements sur notre vie quotidienne comme sur notre manière de voir le monde et la société, devrait nous conduire à mieux intégrer ces éléments non économiques dans l’équation politique en vue de la présidentielle. Et à considérer avec davantage d’attention les inquiétudes affichées par nos concitoyens.

On constate d’ailleurs, dans ce sens, qu’au sein de la gauche elle-même, le clivage économique traditionnel s’est doublé ces derniers mois d’un clivage sur le statut de l’islamisme politique, perçu soit comme une continuité certes radicalisée mais tout à fait acceptable de l’islam car séparable dans son ambition comme dans ses modalités d’action du djihadisme et du terrorisme, soit comme une idéologie de combat, et donc à combattre, en ce qu’elle voue tout ce qui n’est pas en accord avec elle à la destruction ou à la soumission, qu’il s’agisse de sociétés majoritairement musulmanes ou non. Cette interprétation divergente, que l’on retrouve déclinée dans le débat sur les causes du terrorisme comme dans celui sur les mesures à prendre contre les conséquences de celui-ci, partage désormais aussi profondément la gauche que les divergences économiques; sans d’ailleurs que ces lignes de clivage ne se recoupent totalement.

L’un des enjeux fondamentaux de la prochaine élection présidentielle pour la gauche –dans la sélection des candidats comme dans l’élaboration des projets– sera de savoir quel clivage sera privilégié par rapport à l’autre. Ceux qui mettront en avant le clivage économique, comme c’est le cas habituellement, quelle que soit l’orientation qu’ils proposent, sous une forme business as usual, pourraient en effet connaître quelques déconvenues. Alors que des candidats qui seront capables de mettre en perspective les bouleversements historiques que nous connaissons en proposant une réponse appuyée sur des valeurs républicaines –laïcité, démocratrie, solidarité…– contre les dérives identitaires et communautaristes de tous poils, pourraient eux regagner terrain et électeurs, contre l’abstention et contre le FN notamment.

Un niveau de défiance élevé, mais pas sur tous les sujets

Si les préoccupations économiques et sociales (chômage, précarité, pouvoir d’achat, impôts, avenir des enfants…) restent primordiales au quotidien, elles ne sont plus reliées par la majorité de nos concitoyens aux offres politiques telles qu’elle se présentent à l’élection. Les réponses aux enquêtes d’opinion à propos des principales préoccupations des Français ne suffisent pas en effet à déterminer l’ordre des préoccupations électorales si elles ne sont pas croisées avec les baromètres de la confiance et les instruments de mesure de la crédibilité des élus, responsables et institutions, plus largement, politiques.Or, ceux-ci montrent un niveau de défiance exceptionnel envers les élites, en particulier politiques.

Celles-ci sont considérées comme tout à fait incapables désormais de répondre aux préoccupations quotidiennes d’ordre économique et social par les électeurs. Soit parce que ceux-ci considèrent les politiques comme impotents (les forces économiques auraient pris le pouvoir sur le politique en raison notamment de la mondialisation et de la financiarisation du capitalisme) malgré leur discours et même leur bonne volonté, soit parce que ces mêmes élites politiques sont considérées comme converties à la domination du marché et de ses forces (elles sont vues comme «libérales»). Il apparaît donc comme illusoire, pour la gauche, et encore une fois quelle que soit l’orientation économique choisie, de penser convaincre des électeurs en mettant en avant tel ou tel programme économique, détaillé et technique, ou même de faire de marqueurs forts dans ce domaine le coeur d’un projet de campagne. Et ce d’autant plus que les frontières entre droite et gauche sont totalement brouillées en la matière depuis des années.

Sur d’autres terrains, en revanche, le volontarisme et la capacité d’action des politiques reste non seulement visible mais crédible de la part des électeurs. C’est le cas à propos des enjeux régaliens (sécurité intérieure, action militaire extérieure, mobilisation de la population…). C’est ce que révèle, en particulier, la «crise des migrants» au niveau européen. Depuis l’été 2015, les décisions prises par les dirigeants politiques nationaux et même européens en matière de frontière et d’accueil des migrants produisent des effets tangibles. Qu’il s’agisse de l’ouverture et de l’accueil, comme l’a proposé Angela Merkel à l’Allemagne et à l’Europe, ou de la fermeture et du rejet, comme on le voit de la part de certains gouvernements nationaux, tel celui de Viktor Orban en Hongrie par exemple. Dans les deux cas, les décisions politiques ont des effets immédiats, visibles et tangibles. Le contraste avec les discours et décisions en matière économique et sociale est frappant, à court et moyen terme du moins –qu’il s’agisse, en France,  par exemple, du discours présidentiel sur «l’inversion de la courbe du chômage» ou sur l’incantation depuis des années à «l'autre Europe» tenu par certaines forces de gauche.

Une place désormais proéminente du FN dans le paysage politique

La campagne présidentielle qui s’annonce se jouera dans une configuration politique  inédite, au sein de laquelle le Front national apparaît d’ores et déjà comme un acteur majeur de la compétition. Une telle configuration renforce de manière très sensible le décalage de l’électorat dans son ensemble, et bien évidemment les thématiques de campagne, par rapport aux questions économiques puisque les électeurs qui déclarent avoir déjà voté au moins une fois pour le FN dans le passé ou ceux qui se disent prêts à le faire (soit au total aujourd’hui environ 40% du corps électoral) placent aux premiers rangs de leurs préoccupations des items d’ordre «culturel» ou «identitaire» (immigration, islam, frontière, identité nationale…) qu’économique ou social (chômage, pouvoir d’achat…). On peut d’ailleurs faire également l’hypothèse que les mesures récentes de l’évolution de la perception, fortement négative, de l’islam dans l’opinion tendent à conforter, au sein de l’ensemble de la population, cette tendance à valoriser les questions dites «culturelles» ou «identitaires».

Le FN a parfaitement intégré, depuis des années, cette spécificité de son électorat, et bien sûr l’évolution récente de la population dans son ensemble, sur de telles questions, en élaborant une «offre» politique marquée par l’articulation entre les thématiques de souveraineté et d’identité, l’une rendant possible l’autre et vice versa. C’est le retour à la souveraineté du peuple dans ses frontières (contre l’Union européenne) qui rend possible à nouveau une identité nationale forte (et donc une solidarité plus efficace entre nationaux). Et c’est par l’exaltation d’une identité française sur le mode de la fermeture ethnocentrée que l’on légitime le besoin d’une souveraineté qui la recoupe très précisément, afin d’aligner l’organisation politique contemporaine sur cette identité présentée comme «permanente» de ce qu’est la France. Cette double circulation entre souveraineté et identité permet d’ailleurs de maintenir ensemble, électoralement, au niveau national, les deux ailes marchantes du FN: une aile plus identitaire dans le sud-est et une aile plus souverainiste dans le nord-est. Dans un tel cadre, les questions économiques sont très largement relayées au second plan même si elles servent de justification au discours souverainiste.

Si une telle thématique identitaro-souverainiste a avant tout bénéficié au FN ces dernières années malgré la tentative d’accaparement de la droite sarkozyste, on constate qu’elle déborde désormais dans l’ensemble du débat politique, à la fois compte tenu du poids électoral du FN et des bouleversements du contexte général que nous mentionnions plus haut. Les événements de l’an dernier venant renforcer le poids de préoccupations qui sont de longue date celles des électeurs frontistes (frontières nationales, radicalisation islamiste) au sein de l’ensemble de la population, ce qui permet de placer le parti lepéniste en position favorable face aux autres partis, par ailleurs fortement discrédités par leur impuissance à juguler les effets de la crise économique.

Refuser, aujourd’hui, d’affronter le FN sur ce terrain qu’il occupe de manière quasi-hégémonique –en lui opposant bien évidemment des valeurs et des solutions différentes des siennes!–, c’est prendre le risque pour les partis traditionnels de se voir une nouvelle fois distancés et surtout de perdre encore un peu plus de leur légitimité auprès de l’électorat. C’est le danger qu’il y a notamment à tout miser sur un programme économique dans une élection comme la présidentielle. Pour la gauche, accepter de porter le combat politique sur ce terrain «culturel» et «identitaire» contre le FN, et une partie de la droite, permettrait également de rassembler, au-delà des divergences sur l’orientation économique, les forces qui en son sein se reconnaissent dans une conception républicaine de ce que doit être la société française plutôt que dans des formes communautaristes et différentialistes. Cela permettrait en particulier de neutraliser les effets délétères sur une partie de la gauche de tentations identitaires liées notamment à une complaisance voire à une complicité avec l’islamisme politique. Combattre les dérives identitaires d’où qu’elles viennent, sur deux fronts si l’on peut dire, permettant outre d’en éviter les effets destructeurs sur l’unité nationale, de ne pas prêter le flanc à l’accusation d’un deux poids deux mesures en la matière.

L’élection présidentielle de 2017 présente en tout cas, d’ores et déjà, un caractère paradoxal: d’un côté, les candidats qui entendent s’y présenter apparaissent pour la quasi-totalité d’entre eux comme «déjà vus», sans nouveauté ni originalité (nombre d’entre eux ayant même déjà été candidats); de l’autre, cette élection se jouera dans un contexte et des conditions profondément différents des précédentes, autour d’enjeux inédits sinon dans leur existence du moins dans l’importance qui leur est accordée par nos concitoyens. Il est donc indispensable de ne pas «passer à côté». Pas tant pour savoir si tel candidat peut l’emporter ou non à l’élection que pour la suite. Car comme toujours avec le système présidentiel français, les circonstances et les conditions de l’élection déterminent très largement celles du quinquennat qui la suit.

1 — Formule qu'a détournée en décembre le journaliste du Los Angeles Times Doyle McManus dans un article auquel nous empruntons son titre. Retourner à l'article

Laurent Bouvet