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Le blocage s’ancre au Havre
Ces articles de la rubrique « Ailleurs sur le web » sont publiés à titre d'information et n'engagent pas la Tendance CLAIRE.
(Mediapart) Depuis mardi 12 mai, les dockers, les portuaires, les pétroliers et les cheminots sont entrés dans la danse au Havre, l’un des points les plus névralgiques de l’économie française. Manuel Valls se dit prêt à faire intervenir les forces de l’ordre pour lever les blocages.
En contrebas du pont de Tancarville, on aperçoit leurs silhouettes massives dans l’aube naissante. Plusieurs dizaines de semi-remorques squattent depuis mardi les voies d’accès au Havre, confinant dans une sorte d’atmosphère ouatée le premier port commercial français. Les ronds-points de l’entrée du centre-ville portent également les stigmates des actions qui secouent la ville depuis trois jours. Troncs d’arbres calcinés fumant encore sur les pelouses, « 49.3 » tracé à la bombe sur les panneaux de signalisation, et autocollants anti-loi sur le travail, semés ici ou là. Pas de doute, au Havre, la contestation est montée d’un cran.
Blocage du port, au Havre, contre la loi sur le travail, le 19 mai 2016 © MG
À mesure que le jour se lève, se dévoilent dans le ciel clair les panaches de fumée noire, comme autant de routes momentanément transformées en impasses, à coups de pneus ou de palettes brûlés. Sur le port, dès 5 h 30, les militants CGT sont sur place. « C’est parti, et on n’a pas l’intention de s’arrêter, prévient Reynald Kubecki, responsable de l’union locale CGT. On a déjà bloqué 8 ou 9 jours depuis le début du mouvement mais désormais, les journées s’enchaînent et ça, le Medef et l’IUMM détestent. Ils appellent la sous-préfecture pour se plaindre… » Reynald Kubecki liste les premiers effets de cette grève reconductible : « Chez Renault, les véhicules ne sortent pas des ateliers, toute la métallurgie manque de pièces, Total commence aussi à être en difficulté. Le port fonctionne, mais ce n’est pas terrible, on peut décharger les bateaux, mais aucun camion ne circule, le trafic fluvial est au point mort depuis mardi. »
Adrien, Aymeric et Maïté discutent, l’immeuble bleu de la cité portuaire barrant dans leur dos l’accès à la mer. Le premier est à la CGT, le deuxième est non syndiqué, la troisième à la FSU. « Je suis prof, confie la jeune femme, aujourd’hui je suis gréviste mais sinon j’essaie de passer avant d’aller bosser. Clairement, on a beaucoup fait grève depuis la rentrée sur la réforme du collège, et dans l’éducation nationale, le mouvement a tendance à s’essouffler. » Adrien est encore en formation d’officier de marine marchande, pas question de faire grève pour donner du grain à moudre à son « futur patron ». « Mais ici, grève et blocage ont tendance à se confondre, dit-il. Tout le monde sait bien que si on bloque correctement le port, c’est toute la chaîne qui se grippe. »
Maïté, professeure au Havre © MG
Juché sur le rebord de la passerelle, un malin écrit des gentillesses à l’intention du président du port maritime du Havre.« Martel, dis au ministère que les portuaires ne lâcheront rien. » Vu leur statut, les salariés du portuaire ne sont pourtant pas directement concernés par les évolutions contenues dans la loi El Khomri. « Sauf qu’on est puissants syndicalement au Havre, et donc on se mobilise pour les autres, et surtout pour nos enfants », explique Thomas, salarié du port. Les« autres », sa femme y compris. Employée dans un salon de coiffure, la compagne de Thomas ne craint pas la sanction pécuniaire si elle débraie, mais la perte des à-côtés, obtenus jusqu’ici au prix d’une bonne entente avec son employeur.« Les congés accordés, le samedi non travaillé, tous ces petits trucs qui comptent et se monnaient… », raconte son conjoint.« Le problème, c’est que les gens n’ont pas une vision assez large des choses, tant qu’ils peuvent bouffer et partir en vacances, ils restent focalisés sur leur foyer. Mais quand même, le 49-3, faut réagir ! »
Si au Havre, le mouvement décolle, c’est aussi parce que les dockers sont entrés dans la danse. Longtemps repliés sur leur corporation, cultivant savamment leur image de gros durs, les dockers n’en sont pas moins des membres assidus des luttes sociales collectives menées au Havre depuis une dizaine d’années. « C’est lié à un changement de génération, mais aussi à un rapprochement de leur statut, proche de l’intermittence finalement, du régime général, explique Arnaud Lemarchand, économiste et universitaire au Havre. Par exemple, pour eux qui raisonnent en “site”, à l’échelle du port, l’injonction de négocier au niveau de l’entreprise est très contradictoire. »
Les dockers au « pont 5 » © MG
De fait, au « pont 5 », l’une des entrées de l’immense port marchand, les dockers sont à 7 h 30 déjà bien installés. Jeu de cartes, tables, et grillades, la journée s’annonce longue. Les voitures font demi-tour. À pied, on rejoint un second point de blocage, longeant des avenues de conteneurs jusqu’au terminal de l’Atlantique. Impossible de photographier cet arbre immense qui tombe, pour servir de bûcher de fortune aux dockers. « On ne parle pas aux journalistes, pour vous, nous sommes toujours coupables, vous feriez mieux de vous en aller. » Le même sort est réservé à un duo de femmes plutôt âgées qui tentent de forcer le barrage avec leur voiture. « Vous êtes les vingtièmes médecins qu’on laisse passer depuis ce matin, ça commence à bien faire », s’énerve un docker. « Ça vous a pas suffi d’avoir un mort ? », rugit illico la vieille dame, faisant allusion à l’accident mortel de mercredi, causé par un camion roulant à contresens sur la voie rapide, près d’un blocage routier, et qui a provoqué le décès d’un automobiliste. « Ça n’a rien à voir avec nous et vous le savez bien ! On se bat pour vos enfants, alors si c’est pas clair, cassez-vous ! »
Chemin retour, émaillé par les cris de joie d’une bande de travailleurs à l’uniforme orange, qui jouent au foot au pied de l’immense bâtiment EDF du port. « Nous sommes de la Codah [communauté de l’agglomération havraise – ndlr], on ramasse les poubelles, répond à travers un grillage l’un d’entre eux. On soutient mais on n’est pas en grève. De toutes les façons, nos camions ne sortent pas, depuis samedi dernier les poubelles ne sont pas collectées ! » Et ça, « les gens n’aiment pas », confirmera une autre salariée de l’agglomération, rencontrée plus tard dans la ville, chasuble CGT sur le dos, gréviste.
« Un début de défragmentation du mouvement social »
La matinée avance, il ferait presque chaud maintenant sous le pont métallique qui ouvre sur la zone industrielle de « La Breque », à Harfleur, commune collée au Havre. De là, un bras de terre accueille plusieurs fleurons de l’industrie française, dont le fabricant de nacelles pour l’aéronautique Aircelle, propriété de Safran. Des grévistes bloquent l’accès des voitures, mais laissent passer les salariés qui souhaitent travailler. Le directeur est là également, avec ses adjoints, soucieux « de la sécurité des lieux ». L’ambiance est néanmoins bon enfant. « Vous êtes devant, c’est vous qui bloquez monsieur le directeur ! », charrie un gréviste.
La direction de Aircelle devant le blocage © MG
Jean-Michel Dubos, directeur d’Aircelle, confirme « les très bonnes relations sociales » dans l’entreprise. Qu’est-ce que la loi sur le travail apporterait à son entreprise ? « Plus de flexibilité, sur le temps de travail notamment. Nos entreprises françaises sont soumises à un contexte international difficile, il faut arriver à les faire progresser. » Pour le directeur, le blocage du pont 8 est le fait d’une « toute petite minorité », ce qui n’empêche pas « les ralentissements de la production, de la conception, et de notre service après-vente ». « On essaie de minimiser l’impact financier en jouant sur les 3×8, les gens viennent sur leur temps libre », explique Jean-Michel Thieusselin, secrétaire général CGT Aircelle.
À côté de lui, Ludovic, ouvrier chez Total, l’immense raffinerie implantée à La Breque. « Chez nous, il n’y a presque plus de produit qui sort. On envisage même l’arrêt général de la raffinerie, mais pour ça, il ne suffit pas d’appuyer sur un bouton, ça prend minimum une semaine. » Dans les stations-service du Havre, l’essence commence à manquer. Chez Exxon Mobil ou Chevron, les blocages ont également perturbé l’activité pétrolière locale, qui alimente depuis Le Havre un tiers de la consommation française, dont Paris. « Si la CIM [premier groupe français de stockage pétrolier – ndlr] s’y met sérieusement, c’est tout l’ouest de la France qui part en carafe ! », pronostique un journaliste local.
En grève elles aussi, les salariées de l’entreprise de nettoyage industriel, GDF Neptune. Beaucoup de temps partiel, payés au Smic, et une grosse angoisse sur la baisse de majoration des heures supplémentaires. « C’est comme ça qu’on survit », explique l’une des employées, qui casse la croûte pas loin des ouvriers d’Aircelle. « C’est pas contre notre entreprise qu’on est là, tempère Dominique Seytour, la déléguée centrale CGT. Mais contre la loi El Khomri ! » L’élue communiste havraise Nathalie Nail raconte de son côté la présence de grévistes dans les « petites boîtes », « livreurs de surgelés ou vendeurs chez Conforama », au sein du mouvement, même en l’absence de syndicats.
Retour au centre-ville du Havre, bel et bien transformé par l’inertie productive de ces trois derniers jours. « On dirait un dimanche matin », note un passant. Les 26 points de blocages montés jeudi ont fait leur effet. Ils sont pourtant momentanément délaissés pour permettre à la manifestation du jour, lancée par l’intersyndicale professionnelle, de se déployer au centre-ville. C’est la septième du genre depuis le début du mouvement.
Le cortège rassemble aux abords de la maison des syndicats des salariés du public et du privé, des jeunes, des cheminots, quelques chômeurs, des professeurs d’université… La présence policière est très discrète, même si le défilé se densifie lorsqu’il rejoint près du canal les carrés des portuaires, suivi par l’imposant cortège des dockers. Au total, plusieurs milliers de personnes foulent la pelouse du tramway, jusqu’à l’hôtel de ville. En chemin, quelques cailloux sont envoyés sur la façade d’une banque, et des fumigènes inondent de fumée le balcon de la sous-préfecture, sans provoquer réellement d’émoi. À l’arrivée, déploiement sur la place de l’hôtel de ville. Les responsables de l’union locale CGT en profitent pour faire applaudir les 80 grévistes CFDT de l’entreprise de construction Gagneraud, qui ont bloqué un accès le matin, alors même que leur syndicat national n’appelle à aucune forme d’action contre la loi sur le travail.
La manifestation du 19 mai dans le centre-ville du Havre © MG
De retour sur les blocages, les AG décident de la poursuite ou non du mouvement. La plupart sont reconduits, et la paralysie du Havre devrait se poursuivre au moins jusqu’à la fin de la semaine. « Mais Le Havre seul ne pourra pas tirer tout le monde », note un habitant. « Il y a une vraie tradition de lutte ici, liée à l’histoire du Havre et à son tissu industriel, rappelle Nathalie Nail. Les organisations syndicales sont solidement implantées. » L’élue souligne aussi le ciment apporté par plusieurs plans sociaux récents, qui ont permis de consolider l’intersyndicale locale. « Ça marche très fort, il y a une vraie solidarité entre les syndicats, et entre les professions, comme l’alliance entre les portuaires et les dockers, malgré l’apparente division des deux corps, confirme Arnaud Lemarchand. Mais Le Havre tout seul ne va pas changer la donne. »Au Havre, les formes de mobilisation parallèle n’ont pas fait florès. La Nuit debout a donné lieu à une seule poussée éruptive, en forme de concert spontané sur la place de la mairie, liée notamment à l’implication du rappeur Médine, gloire locale des « quartiers hauts ».
« Ça n’a pas pris mais je crois que, comme moi, les gens attendent que quelque chose se passe, veut croire Sami Fouadh, éphémère adhérent au PS, sympathisant de Nouvelle Donne, et impliqué dans la tentative de monter une Nuit debout au Havre. Alors que le sentiment de résignation était longtemps très fort, les gens recommencent à sortir dans la rue, à se mobiliser. Pour le CPE, on pensait que c’était plié, et pourtant la loi n’est pas passée. » Alain, syndicaliste pur jus de chez Aircelle, ne dit pas autre chose : « Aujourd’hui, on sent l’insurrection monter, ça fait longtemps que je milite à la CGT mais je n’ai jamais vu quelque chose d’aussi fort. Et on a du mal à canaliser, les gens sont à saturation. »
Dans ce contexte, les propos de Manuel Valls, jeudi matin, se disant prêt à faire intervenir les forces de l’ordre pour lever les blocages des ports, des raffineries et des routes, ont été très mal accueillis. « On ira jusqu’au retrait, on ne va rien lâcher », assure Reynald Kubecki près du port. « On ne sait pas ce que tout ça va donner et si on va gagner ou pas, conclut Arnaud Lemarchand, présent également dans le cortège sous les couleurs du Snes. C’est ce moment imprévisible où ça peut aller dans un sens ou l’autre. Mais on sent un début de défragmentation du mouvement social. C’est déjà quelque chose. »
Au Havre, le 19 mai 2016 © MG