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A Rennes, la police de Cazeneuve en embuscade contre les jeunes
Ces articles de la rubrique « Ailleurs sur le web » sont publiés à titre d'information et n'engagent pas la Tendance CLAIRE.
(Mediapart) Après avoir fait intervenir le RAID contre la Maison du peuple occupée, le ministre de l’intérieur est à l’offensive contre les jeunes qui participent au mouvement contre la loi sur le travail. Dix-neuf d’entre eux sont en garde à vue, depuis jeudi, pour « association de malfaiteurs », accusés d’avoir mis hors service des bornes de validation des billets.
Jusqu’où Bernard Cazeneuve, nouveau ministre autoproclamé « anticasseur », compte-t-il aller ? C’est la question qui hante les militants syndicaux à Rennes devant l’offensive politique et judiciaire déclenchée par la visite du ministre de l’intérieur, dans leur ville dimanche. En une semaine, ils ont vu une unité d’élite, le RAID, venir depuis Paris expulser la Maison du peuple occupée, un militant interdit de centre-ville pour quinze jours, 19 jeunes interpellés jeudi lors d’une action de blocage du métro et placés en garde à vue sous l’incrimination d’association de malfaiteurs, et enfin, jeudi, l’irruption de la police dans les locaux de Solidaires 35. Vendredi, l’entrée de la raffinerie de Verne-sur-Seiche occupée par l’intersyndicale a été débloquée par l’intervention des gendarmes mobiles.
Ce choix de la confrontation survient au moment précis de l’arrivée début mai aux côtés du ministre de l’intérieur de Patrick Strzoda, préfet d’Ille-et-Vilaine et de la région Bretagne, au poste de directeur de son cabinet. Ultrasarkozyste notoire, le préfet Strzoda a durant deux mois opposé la présence policière la plus massive, et violente, aux manifestations contre la loi sur le travail, allant jusqu’à demander – en vain – aux syndicats d’isoler les « casseurs », en réalité les étudiants de Rennes 2, pour « leur régler leur compte ». Dimanche 15 mai, au surlendemain de l’expulsion de la Maison du peuple, Bernard Cazeneuve s’est déplacé à Rennes pour dire sa « détermination totale » à ne pas laisser « des poignées d’activistes faire régner le désordre et la loi de la violence dans des villes et des quartiers ». Il avait été opportunément interpellé par la maire socialiste Nathalie Appéré, au sujet des dégradations causées par une manif sauvage, vendredi 13 mai.
Bernard Cazeneuve, dimanche dernier, passant en revue les forces de l'ordre. En arrière-plan, un canon à eau. © DR
L’interpellation et le placement en garde à vue de 19 jeunes, jeudi 19 mai, suivis d’une conférence de presse du procureur fait craindre la mise en œuvre d’un mauvais scénario politico-judiciaire. En effet, le procureur de Rennes, Nicolas Jacquet, a pris la peine d’annoncer, aux côtés des responsables policiers du département, avoir déjoué « une action de sabotage » du métro. « C’était juste une action de blocage, corrige Stéphane Gefflot de Sud-PTT. Ils ont posé des autocollants et mis de la mousse expansive sur les bornes de validation des tickets. Et ils sont traités comme des terroristes ! Si l’acte politique devient terroriste, il faut nous le dire. »
Lors de l’annonce de son « coup de filet », le procureur a expliqué que la police était « parvenue à identifier un groupe d’individus manifestement organisés et structurés », « agissant ensemble sur les manifestations et se réunissant périodiquement pour évoquer ou préparer les actions violentes, notamment de dégradations ». Le magistrat a surtout précisé que l’enquête avait été ouverte « pour association de malfaiteurs en vue de commettre des violences ou des dégradations aggravées en bande organisée ». L’incrimination « d’association de malfaiteurs » s’applique à des délits sanctionnés par des peines allant de cinq ans à dix d'emprisonnement, la « bande organisée » étant une circonstance aggravante du plancher de cinq ans… Nicolas Jacquet a signalé aussi que l’enquête avait été ouverte le 12 mai, journée de manifestation pourtant sans incident à Rennes.
L’opération policière s’est en tout cas appuyée sur des renseignements recueillis ou interceptés au sein du mouvement. En effet, les militants s’étant répartis en petits groupes sur six stations de métro, les policiers avaient mis en place un dispositif d’une soixantaine de fonctionnaires pour les interpeller, jeudi. Un vrai guet-apens.
« Intervenir simultanément sur six stations de métro, c’est quand même énorme », commente un militant. Les jeunes interpellés ont pour la plupart refusé de décliner leur identité et de s’exprimer, mais certains d’entre eux ont désigné un avocat. Solidaires étudiants a annoncé que deux de ses militants étaient partie prenante de l’action. Vendredi matin, lors d’un rassemblement de soutien devant le commissariat, les jeunes interpellés se trouvaient en cellule. « On voyait leurs mains taper sur les fenêtres des cellules pour nous répondre », témoigne un de leurs camarades venu sur place. Leur garde à vue doit s’achever, samedi, dans la matinée. Vu les charges annoncées par le procureur, leurs soutiens redoutent des placements en détention. Mais un juge d’instruction, puis juge des libertés, doivent en décider, et il n’est pas sûr qu’ils emboîtent aveuglément le pas des autorités.
Après avoir dénoncé « une action commando menée contre le métro par un groupe organisé », « des actes de sabotage » et des « exactions », Emmanuel Couet, président socialiste de Rennes métropole, a de son côté rendu « hommage à la mobilisation des forces de police et de l'autorité judiciaire ». Mais cet ancien leader de l’Unef a surtout annoncé qu’une plainte serait déposée contre « ces activistes violents », « pris sur le fait et remis à la justice », un moyen utile de renforcer l'accusation.
La manifestation du 12 mai devant la mairie de Rennes n'avait donné lieu à aucun incident. © kl
Vendredi, le syndicat Solidaires 35 a fait une conférence de presse à Rennes pour dénoncer la venue, la veille, de la police judiciaire dans ses locaux. « Quatre inspecteurs de police sont venus m’interroger, explique Gérard Huré de Solidaires 35. Ils voulaient savoir si l’on avait un rapport avec l’action du métro. Je leur ai expliqué qu’il s’agissait de permettre la gratuité du métro dans le cadre de la journée de blocage économique. Nous étions nombreux dans les locaux, et ils n’ont pas tenté de perquisitionner les lieux, mais ils ont pris des photos. » Dans un communiqué diffusé vendredi, Solidaires dénonce « ces méthodes de filature » et de surveillance « inacceptables » qui ont permis l’arrestation des jeunes et constituent « un pas de plus dans la répression ».
L’autre pas supplémentaire franchi par les autorités pour faire taire la contestation a été d’interdire à un enseignant, Hugo Melchior, membre actif du mouvement, de pénétrer dans le centre-ville de Rennes pendant quinze jours. L’arrêté préfectoral signale son « rôle » et son « omniprésence »dans « l’organisation des manifestations ; dont certaines ont généré un trouble grave à l’ordre public ». « Évidemment, comme d’autres camarades, j’ai été en tête de cortège avec un mégaphone, raconte-t-il. La police n’a absolument rien contre moi. Elle cherche seulement à entraver ma liberté d’aller et de venir. Et pour un temps assez long. Je suis le seul militant visé. »
L’enseignant, membre d’Ensemble !, l’organisation animée par Clémentine Autain, se voit reprocher sa participation lorsqu’il était étudiant aux mouvements anti-CPE et LRU : l’arrêté préfectoral stipule qu’il « s’est illustré par le passé par sa participation à des actions revendicatives violentes », et rappelle qu’il avait été soupçonné au sujet d’un affrontement de rue survenu à cette époque alors qu’il avait été mis hors de cause. Hugo Melchior a demandé à son avocat de saisir le tribunal administratif pour faire annuler cette mesure. « On va perdre du temps et de l’énergie dans des actions contre la répression, déplore-t-il. Mais l’État se sent assez fort pour faire tomber des têtes. C’est pour que les gens qui participent au mouvement prennent peur. »