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Une voiture crame, les chiens aboient mais...

Lien publiée le 25 mai 2016

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Ces articles de la rubrique « Ailleurs sur le web » sont publiés à titre d'information et n'engagent pas la Tendance CLAIRE.

Une voiture crame, les chiens aboient mais...

Sans justice, pas de paix !

Beaucoup de bruit a été fait autour d'une voiture de police qui a brûlé le mercredi 18 mai à Paris. Un aspirant flic, pourtant recalé au concours d'entrée (mais pour quelle raison au fait ?) a été décoré et propulsé héros national et représentant de toute la police, tandis que 4 militants ont été arrêtés et inculpés d'homicide volontaire sur de simples présomptions.

Tout cela dans un contexte où le mouvement contre la loi travail semble avoir pris un second souffle avec notamment la grève des cheminots et les blocages et grèves dans les ports et les raffineries et alors que la répression a elle aussi franchi un nouveau cap avec des peines de prison ferme et une autre inculpation pour homicide volontaire.

Une voiture de flics a brûlé

Les images ont tourné partout opposant la "violence" de "casseurs" à l'héroisme policier. Deux choses sont à noter et contester dans le traitement général qui en a été fait. D'un côté en dramatisant les faits conduisant "naturellement" à des inculpations pour "homicide volontaire". De l'autre en déconnectant  l'événement du contexte dans lequel il s'est produit.

Sur la dramatisation : tout tourne autour du fait que des flics auraient risqué leur vie alors qu'il s'agit en fait d'une voiture de flics cassée et qui prend feu. Il ne s'agit pas ici de contester la violence de la charge contre la voiture. Mais il suffit de regarder les vidéos pour constater qu'à aucun moment la vie des flics n'est en danger, c'est la voiture qui est attaquée et cassée. C'est un fumigène et non une bouteille incendiaire et encore moins un cocktail (explosif) qui est jeté sur la banquette arrière du véhicule. La voiture mettra de nombreuse minutes à prendre feu, bien après que les flics en soient sortis.

Sur le contexte, il y avait d'abord le contexte immédiat. Le cortège dont faisaient partie les assaillants est un cortège de 200 à 300 manifestantEs venant de la place de la République qui avaient été empêchéEs de manifester, repousséEs et gazéEs...par les flics. D'autres manifestantEs, au même moment étaient nasséEs à d'autres endroits autour de la place. Sur cette place, cela vaut le coup de le rappeler, se tenait une véritable provocation contre tous ceux et celles qui ont manifesté depuis des semaines. Un syndicat de flics d'extrême-droite tenait un rassemblement pour reprendre explicitement la place aux manifestantEs de Nuit Debout en présence notamment de Marion Maréchal-Le Pen. Le ministère de l'intérieur avait non seulement autorisé ce rassemblement, il n'avait pas seulement déployé un dispositif délirant pour le protéger (mais de qui puisque ce même gouvernement proclame que "tout le monde aime la police") mais il avait interdit une heure avant un rassemblement appelé par une association de familles de victimes des violences policières.

Plus généralement, tout cela s'est produit alors que chaque manifestation, chaque action sont de plus en plus violemment réprimées par la police utilisant abondemment les gazs lacrymogènes et les matraques et de plus en plus largement des grenades de désencerclement et des tirs de flashballs. Multipliant les blesséEs. Sans parler des assignations à résidence, des arrestations, des perquisitions, des locaux syndicaux envahis et des peines de plus en plus lourdes.

La colère contre les flics est justifiée

Il faut donc être clair. Ce contexte, celui du jour même, celui de cette période, suffit à dire que la colère contre les flics est justifiée.

Et cette colère n'est pas justifiée uniquement par ce qui se passe depuis quelques semaines. Elle est justifiée par l'action des flics depuis longtemps. Faut-il refaire la liste de nos frères tués ou blessés dans les quartiers populaires depuis de nombreuses années ? Faut-il faire la liste des violences policières quotidiennes contre les jeunes des quartiers populaires, contre les Rroms, contre les sans-papiers, contre les réfugiéEs ? Faut-il refaire la liste des manifestants qui ont perdu un oeil ces dernières années, rappeler que nous avons gueulé, à répétition "on n'oublie pas, on pardonne pas", pour Rémi Fraisse, Zyed et Bouna, Lamine Dieng et tant d'autres ? Faut-il faire, encore, le constat de la totale impunité policière pour tous ces actes ?

Et cette colère est politique : elle est justifiée parce que la police n'est pas là pour "protéger les citoyens" mais pour protéger un système de discriminations et de violence sociale. Cela apparaît en pleine lumière lorsque ceux et celles qui en sont victimes décident de se lever et de le contester. Alors la police est utilisée directement contre elles et eux. Dans nos quartiers, dans nos rues, dans nos grèves et occupations.

Cela signifie que la confrontation avec les flics n'est pas une option pour un mouvement qui lutte contre l'ordre dominant. Elle est au minimum inévitable voire une nécessité pour tous ceux et celles qui ne se résignent pas à lâcher la lutte à la moindre menace d'intervention policière. Et l'évolution des formes du pouvoir, le développement d'un Etat d'exception permanent l'illustre.

Ce qui peut relever du choix, et donc du débat, au sein du mouvement de lutte, sont donc les formes de cette confrontation et non son principe. Cela vaut le coup de le rappeler particulièrement dans les milieux qui se disent révolutionnaires où la nécessité de la confrontation avec l'Etat et DONC avec ses forces de répression devrait être une évidence quand certainEs s'empressent de se dissocier dès que la question se pose de manière concrète.

Solidarité inconditionnelle

La première conclusion est que notre solidarité est inconditionnelle avec les camarades arrêtéEs ces dernières semaines lors des manifestations et actions du mouvement contre "la loi travail et son monde". Et particulièrement avec les 4 camarades arrêtés suite à la voiture de flics brûlée.

Cette solidarité est politique. Elle doit démarrer par un refus des chefs d'accusation en disant que la violence première, principale et illégitime est du côté des flics et plus généralement du système et du pouvoir. Elle doit démontrer combien la notion de "violence" portée par le pouvoir et les médias est "étrangement" relative : on parle de maintien de l'ordre ou de légitime défense quand un manifestant est gravement blessé par un flic et de tentative d'homicide quand un flic est attaqué, même s'il n'est pas blessé. Un caillou lancé peut conduire actuellement à une peine de prison ferme quand il n'était sanctionné que d'un rappel à la loi dans d'autres circonstances. Rappelons que le facho qui avait brandi un fusil lors de la manifestation à Calais a été relaxé. Rappelons aussi l'impunité générale des sexistes et des racistes surtout quand ils sont haut-placés. Le maire de Cholet, Gilles Bourdouleix qui avait regretté que "Hitler ne les ait pas tous tués" en parlant des Rroms vient d'être relaxé d'une peine déjà terriblement dérisoire : 3000 euros d'amende.

J'ai mis le terme "étrangement" entre guillemets car cette relativité dans le traitement de la violence par les institutions dominantes, soient-elles étatiques ou médiatiques ne doit pas non étonner et n'est donc pas étrange. Puisque le système dont ces institutions émanent et dont elles sont les garantes est d'abord un système né dans la violence (l'esclavage, la colonisation...), basé sur la violence (celle de l'exploitation et de la domination du plus grand nombre), dont les conséquences sont violentes (la misère sociale et affective, la guerre, les discriminations etc...) et qui se protège et se reproduit en usant de la violence (notamment policière).

Dépolitiser la violence pour dépolitiser la lutte

Notre solidarité doit pourtant aller plus loin, politiquement, que la dénonciation de la violence du système. Elle doit dire que le débat au sein du mouvement entre non-violence et violence est un faux débat. Nous refusons donc les injonctions de l'ordre dominant à nous positionner sur cette base. La violence est partout présente dans la lutte à commencer par la violence d'un piquet de grève voire de la grève elle-même, d'une occupation, d'une manifestation pour faire respecter... le droit de manifester, de la résistance contre l'expulsion d'un camp de réfugiéEs, etc.

Et qui oserait aujourd'hui condamner les Juifs du ghetto de Varsovie qui, finalement prirent les armes alors que la majorité de ses "habitantEs" étaient déjà mortEs dans les camps de concentration ? Qui oserait aujourd'hui condamner les résistants contre le nazisme, les Algériens qui prirent les armes contre la "République française" ?

Qui, les yeux dans les yeux, oserait regarder les enfants et les petits enfants des centaines de manifestantEs algérienNEs massacréEs par la police française le 17 octobre 1961 dans les rues et les commissariats de Paris en disant que la non-violence est un principe absolu ?

Ce qui est en jeu, de la part du pouvoir et de toutes ses institutions, est la dépolitisation de notre mouvement en déterminant ce qui serait "démocratique" et donc "légitime"dans notre colère et dans nos luttes et ce qui ne le serait pas et en en convainquant la majorité, jusqu'au sein du mouvement de lutte. Et, de fait, serait "démocratique" et "légitime" ce qui ne s'attaque pas à l'Etat, au pouvoir, à l'autorité : les "bons" manifestantEs sont ceux et celles qui restent dans l'ordre des choses, l'ordre des formes. En fait l'ordre dominant. Les autres, sont nommés sauvageons dans les quartiers populaires, voyous à Air France ou casseurs dans nos manifestations.

Les "innocents" de ce système sont en fait les inoffensifs pour l'ordre dominant. Nous plaidons coupables.

Notre solidarité doit assumer la violence parce qu'elle doit assumer et même revendiquer la confrontation au pouvoir et à l'Etat. Sous quelles formes et dans quelles conditions, c'est là que commence le débat au sein de notre mouvement. AU SEIN de notre mouvement.

Retour sur un 18 mai réussi

On comprend mieux l'enjeu pour le pouvoir d'ensevelir la signification globale du 18 mai dans le cul-de-sac d'une pseudo tentative d'homicide sur des flics par "une-minorité-qui-n'a rien à voir-avec-le-reste-du-mouvement". Ben voyons !

Cette journée aurait pu être un véritable recul pour notre mouvement. Or cela n'a pas été le cas. Ce qui rend notre solidarité avec les inculpés d'autant plus importante. Car c'est aussi ce bilan que les autorités voudraient masquer.

Elle aurait pu être un recul si ce qui avait dominé avait été l'arrêt des grèves et manifestations et le triomphe de manifestations policières.

Mais cela n'a pas été le cas. Pour ne citer que Paris, ce qui a triomphé a été la contestation.  Nous ne devons pas hésiter à le revendiquer. Le soir même un millier de manifestantEs ont défilé dans les rues de Paris contre la prolongation de l'état d'urgnce votée par l'Assemblée le lendemain et contre les violences policières (tiens aucun média n'en a parlé alors que le matin même cette manifestation était présentée comme "à risques".  Parce qu'aucune voiture de flics n'y a été brûlée ?). La pression des autorités et des médias n'a pas empêché que cette manifestation gueule dans les rues "Tout le monde déteste la police", rappelle et honore nos morts, Zyed et Bouna, Rémi Fraisse, Ali Ziri, Lamine Dieng, Amine Betousnsi et les autres, appelle à la solidarité avec Calais.. et rappelle notre détermination à manifester dans tous les cas. Symboliquement partie de République, elle est revenue, symboliquement à République. Pour nettoyer la place du simple souvenir des flics qui voulaient la reprendre.

Mais ce n'est pas tout. Le cortège qui était parti, le midi, de République et qui a croisé une voiture de flics, avait comme objectif de rejoindre la Gare de l'est pour participer à une manifestation de cheminots partis en grève reconductible. Cette manifestation a eu lieu. Elle a célébré joyeusement la jonction de la grève avec l'occupation des places, avec l'opposition aux flics. Le premier acte de cette manifestation a été d'en chasser les flics en civils et elle a fini à la Gare St Lazare où les rails ont été occupés. Tout cela a aussi été zappé méthodiquement par les médias.

Et cette journée du 18 mai a fait le pont entre la mobilisation de la veille et celle du lendemain. Et le jeudi 19 mai a marqué un rebond de la mobilisation tandis que les raffineries et les ports étaient bloqués. Blocages, faut-il  le rappeler, attaqués par les "forces de l'ordre". Ces blocages peuvent être "facilement" levés par la violence policière. Mais quelles seront les armes suivantes utilisées contre les travailleurs et travailleuses qui bloquent la production en faisant grève ?

Notre force et notre violence

Alors, pour que nous puissions avoir le débat, au sein du mouvement, sur nos formes de lutte, sur la place et les formes de la violence dans notre stratégie, la première des conditions est une solidarité sans faille avec touTEs les inculpéEs actuelLEs et à venir. Sinon cela veut dire que le débat est tranché avant d'avoir lieu et qu'au lieu de renforcer notre unité dans l'échange des expériences et des idées nous nous diviserons. Aujourd'hui lancer une pierre contre les flics est passible de la prison. Si nous ne disons rien, demain il suffira d'occuper une place ou son lieu de travail. Et après-demain ?

La seconde des conditions est de reconnaître que, dans tous les cas, la violence n'est pas le principe de notre lutte et encore moins son objectif. Elle n'en est tout au plus qu'une modalité.

Enfin, mais nous entrons déjà là dans le débat, cette violence, quand elle s'organise collectivement et dépasse le stade de la colère légitime ne peut être symétrique dans ses formes  et son organisation à celle de l'Etat et des patrons.

D'une part parce que sur ce terrain nous avons perdu d'avance. Notre force principale est dans la possibilité de nos liens collectifs, dans notre nombre, dans notre capacité à occuper l'espace de nos quartiers, à prendre le contrôle de la production et de la distribution. A encercler, à paralyser, à faire bloc.

D'autre part parce que l'organisation de la violence de l'Etat et ses modalités sont partie prenante de la reproduction d'un système de domination que nous voulons abolir : cette violence n'est pas seulement raciste et sexiste, elle est aussi autoritaire, organisée au travers de l'obéissance à une hiérarchie, totalement anti-démocratique. Notre violence et ses formes d'expression doivent être définies et conditionnées par le développement de notre force, celle qui émancipe et élargit le nombre, la confiance, la détermination et la solidarité des exploitéEs et des oppriméEs en révolte.

Il existe une paix que nous refusons : celle des cimetières et celle des peuples à genoux. Raison pour laquelle nous disons : sans justice, pas de paix !

Paris, le 23 mai 2016

Denis Godard