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Réforme de l'université: une catastrophe
Ces articles de la rubrique « Ailleurs sur le web » sont publiés à titre d'information et n'engagent pas la Tendance CLAIRE.
Depuis la loi d'autonomie de l'université de la ministre de l'enseignement supérieur Valérie Pécresse, jamais les universitaires ne se sont à ce point trouvés dans la servitude. Ce diagnostic empirique pourrait être une petite leçon de philosophie politique : le pouvoir ne donne des libertés que pour mieux se faire obéir, et l'autonomie aura été, en grande partie, un processus par lequel désormais les enseignants du supérieur se surveillent, s'asservissent, se soumettent eux-mêmes, obéissent par anticipation aux menaces par crainte d'être exclus des lieux de décision.
Dure et impitoyable leçon qu'on espère falsifiable : c'est lorsque les universités étaient soumises à un pouvoir centralisé, vertical, "soviétique" disaient certains, que nous étions réellement libres. Libres de travailler, libres d'enseigner, de chercher, de publier, de diriger des thèses sans les entraves normatives, bureaucratiques, asphyxiantes que les pouvoirs horizontaux n'ont, depuis, cessé de multiplier.
Ce constat est d'autant plus amer qu'il est peu question de l'université depuis le début de la campagne électorale. Si Jean-Luc Mélenchon, candidat du Front de gauche, est l'un des rares à proposer la remise en cause radicale des réformes, il ne semble pas déployer, hélas, une vision réellement refondatrice de l'enseignement supérieur et il se limite, en cela comme ailleurs, à une politique exclusivement corporatiste. Plus grave cependant est le flou dans lequel François Hollande, candidat du Parti socialiste, se situe jusqu'à présent. De ses propositions ne ressort qu'une simple amélioration de la loi d'autonomie, visant à atténuer les risques - il est vrai, réels - d'autocratie des présidents.
A peine l'autonomie des universités a-t-elle été mise en place dans les établissements que le gouvernement procédait à une succession de réformes et de restructurations autoritaires. La "mastérisation des concours" a été la première étape. Loi absurde visant, pour le recrutement des enseignants, à fusionner, dans un même parcours, un travail de recherche (master) et des épreuves sélectives de concours. Les universitaires étaient chargés, dans l'urgence, de produire de nouvelles maquettes des formations à partir d'informations floues et contradictoires pour un dispositif dont tout le monde savait à l'avance qu'il ne pouvait fonctionner.
On connaît ces techniques de management qui visent à déstabiliser le personnel concerné par une restructuration, en le plaçant dans une succession d'impasses. Cette réforme, inventée par Xavier Darcos, a échoué après avoir fait perdre un temps considérable aux enseignants, et avoir déstabilisé durablement les unités de formation (UFR). François Hollande veut apparemment revenir sur cette réforme. Mais il n'expose à aucun moment sa doctrine sur les concours de recrutement, dont toute la logique est désormais à repenser.
Deux questions importantes sont laissées dans le plus grand flou. Alors que jusqu'alors les enseignants étaient évalués individuellement par un unique organisme, le Conseil national des universités, qui a le grand mérite d'être composé d'enseignants élus, de toutes tendances, et qui, de ce fait, parvient à une forme d'équilibre, le gouvernement a inventé des procédures supplémentaires très coûteuses de contrôle tout à fait parasitaires, parmi lesquelles un organisme intitulé Agence d'évaluation de la recherche dans l'enseignement supérieur (Aeres), dont les membres sont nommés et cooptés dans des conditions opaques et chargés d'évaluer les équipes de recherche, les enseignements...
L'évaluation permanente, accompagnée d'incitations à l'autoévaluation, selon des normes, des protocoles inventés par des technocrates et doublés par l'enfer informatique, semble davantage avoir pour fonction de justifier l'existence des évaluateurs et de l'institution Aeres que de permettre de dresser un véritable tableau de la recherche en France. Des méthodes bornées peuvent quantifier des résultats mais, en aucun cas, permettre de saisir ce que font réellement les universitaires dont, en outre, le temps est dévoré par ces tâches stériles et abêtissantes d'évaluation. Sur ce point, François Hollande n'a, pour l'instant, lâché que des propos extraordinairement vagues.
Plus grave encore est le projet en voie de réalisation de créer des méga-universités par la fusion forcée des établissements actuels, sous l'apparent prétexte de pouvoir concurrencer les universités étrangères sélectionnées par le fameux classement de Shanghaï, alors même que celles-ci n'ont rien des mastodontes que l'on veut créer.
Il s'agit en réalité de supprimer des universités, des enseignements, sous le prétexte de doublons, voire sans doute des disciplines jugées non rentables. Sur ce point, la discrétion de François Hollande est d'autant plus inquiétante que, parmi les agents actifs de cette restructuration par bien des côtés destructrice, nombreux sont les jeunes loups sociaux-démocrates de l'université.
La confusion a été un outil puissant dans les opérations réformatrices, confusion pratique (accélération du tempo des prises de décision et des délais infantilisants d'exécution, opacité des lieux de décision et filtrage de l'information), confusion politique sur les objectifs des réformes et sur le rôle même des universitaires dans les choix opérés, c'est pourquoi, sans doute, plus que jamais, la clarté est nécessaire.
Comment, dans ces conditions, ne pas réclamer du principal opposant à la politique qui a été suivie pendant cinq ans dans l'université qu'il déclare, clairement, quelle est sa philosophie politique pour l'université de demain.