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Ruffin - Pourquoi pas un référendum sur le cancer ?

Ruffin

Lien publiée le 30 juin 2016

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Ces articles de la rubrique « Ailleurs sur le web » sont publiés à titre d'information et n'engagent pas la Tendance CLAIRE.

http://www.fakirpresse.info/pourquoi-pas-un-referendum-sur-le-cancer

Si les peuples sont contre l’Europe, il faut changer les peuples. Se passer d’eux, pour mieux sauver la démocratie. Reste à « faire de la pédagogie », comme insiste Jean-Marie Cavada, président du Mouvement Européen France.

« Le TSCG[Traité sur la stabilité, la coordination et la gouvernance] apporte quelque chose de très concret, c’est-à-dire instaurer une discipline budgétaire. Que les états ne puissent pas dépenser plus que leurs recettes, et avec la Commission européenne dans un rôle, pour ainsi dire de gendarme, pour sanctionner les gouvernements si besoin. »
On a profité du nouveau traité pour rencontrer le président du Mouvement Européen France, Jean-Marie Cavada, par ailleurs député européen Nouveau Centre, ancien journaliste, ancien président de Radio France, etc. L’occasion de vérifier tous les clichés en vigueur.

Le peuple contre la démocratie

François Ruffin : Mais est-ce que vous seriez pour un référendum sur ce traité ?
Jean-Marie Cavada : Écoutez, moi je pense que la démocratie est à plusieurs niveaux : les élus le sont pour prendre leurs responsabilités. Le référendum comporte beaucoup de risques, comme nous le savons, parce que la pédagogie de l’Europe n’est pas faite. Si vous faites un référendum sur le traitement du cancer, tout le monde est contre le cancer, donc vous aurez non. Mais le traitement suppose de supporter des douleurs, de réduire son activité, c’est un ensemble de difficultés. Et donc, je me méfie et je pense que c’est au Parlement de prendre ses responsabilités.
FR : Attendez, je reprends votre métaphore : ça veut dire que, pour vous, la dette par exemple est un cancer, pour s’en guérir, il faut une thérapie de choc, mais les peuples ne sont pas assez mûrs, donc il vaut mieux passer par les parlements ?
JMC : Ma métaphore n’est pas forcément très heureuse. Mais si vous avez mal au foie, on va vous donner de l’huile de foie de morue, pourtant c’est dégoûtant. Ce qui est bon pour notre continent n’est pas forcément populaire. Dans les périodes de crises, les gouvernants ne sont pas là pour flatter l’opinion, mais pour lui indiquer un chemin de meilleur comportement. Y a des moments où il faut savoir guider le peuple.
FR : Mais est-ce qu’il n’y a pas un risque que l’Europe se fasse sans les peuples, voire contre les peuples ?
JMC : Ce risque existe, et d’ailleurs le référendum sur le traité constitutionnel européen de 2005 l’a montré, mais une construction aussi longue, aussi bouleversante que l’Europe, ne peut pas être soumise tout le temps tout le temps aux sondages de popularité des individus, à des référendums chaque quinzaine... 
Sauf que là, le dernier remonte à plus de sept ans. Et il a été perdu !

Devoir de pédagogie

FR : Est-ce que vous avez déjà vu un film qui s’appelle Le chômage a une histoire ?
JMC : Non.
FR : Parce que là, vous dites, finalement, qu’une élite aurait raison quand le peuple aurait tort… Dans ce film, justement, Le Chômage a une histoire, on voit Jacques Delors témoigner, et qui dit « oui, l’Union monétaire, c’est un million de chômeurs supplémentaires » [1]
JMC : C’est me semble-t-il une évidence que l’Union monétaire soit, à certains moments, un volant de chômeurs supplémentaires. C’est vrai. Mais sans l’Union monétaire, est-ce qu’on vous a dit combien on en aurait en plus ? Parce que l’accélération des échanges commerciaux a aussi créé de la richesse et des emplois.
FR : Là, quand on a Delors qui dit « un million de chômeurs supplémentaires », ou quand il y a l’élargissement aux pays de l’Est avec des délocalisations, c’est quand même, pour les classes populaires, vérifier empiriquement que l’Europe n’est pas qu’un bienfait ?
JMC : Dans l’histoire de l’Europe, il y a eu un immense progrès matériel. Avec sans doute des difficultés. Mais l’un n’équilibre pas l’autre. Mais l’essentiel, c’est de mener un travail de pédagogie. Nous avons sur l’Europe un devoir de pédagogie.
FR : C’est pas seulement de la pédagogie, c’est la réalité. Un des premiers reportages que j’ai fait, c’était en 2002, dans ma ville, à Amiens, et c’était l’usine Whirlpool qui fermait sa production de lave-linge. Plus de quatre cents emplois disparaissaient. J’avais lu le rapport du cabinet Sécafi-Alpha, qui travaillait pour l’intersyndicale, et le rapport de la direction : tous deux montraient que le coût de la main d’œuvre, dans un lave-linge produit en Picardie, s’élevait à 12 %. Tandis qu’il tombait à 2 % s’il était fabriqué sur le site de Poprad, en Slovaquie.
J’ai regardé autre chose : en 1989, il y a 38 usines Whirlpool en Europe de l’Ouest. Dix ans plus tard, il reste dix usines, dans toute l’Europe. C’est-à-dire que, en une décennie, on a assisté à des milliers de suppressions de postes.
Pourquoi ? Mon analyse, c’est qu’auparavant les temps de transport, de change des monnaies, d’attente aux frontières, rendait peu rentable le fret de marchandises sur de longues distances. Mais l’Union européenne, en supprimant les frontières, les monnaies, en construisant 12000 kilomètres d’autoroutes, a rendu ça possible : qu’il y ait un seul site de lave-linge en Europe, tandis qu’auparavant il en fallait un par pays.

JMC : C’est assez étrange, votre raisonnement, parce que vous avez l’air de dire que du temps de la diligence, et peut-être même avant, à dos d’âne, les emplois auraient été mieux préservés. Peut-être, mais on ne peut pas refuser d’évoluer avec les époques dans lesquelles nous vivons. Qu’est-ce que c’est que la création de richesses ? C’est le fait d’accélérer les échanges commerciaux. 
Autant de dogmes, dirait-on. Quand bien même ils seraient quotidiennement démentis par les faits.


FR : Je vais vous montrer une de vos émissions : c’est « La Marche du siècle », intitulée « Europe, les patrons tirent la sonnette d’alarme ». Là, on est en septembre 1991, après la chute du Mur, l’Acte Unique de 1986 s’essouffle, dans moins de deux mois les gouvernants doivent se rencontrer à Maastricht, bref, on est à un moment clé de l’Europe. La European Round Table, qui est un peu le MEDEF européen, vient de publier un Livre Blanc, et là, en plateau, vous invitez des patrons, de Fiat, de Volvo, de la Lyonnaise des eaux, de la financière Rotschild… Ça nous dit quelque chose sur qui fait l’Europe, qui en fixe les orientations ?
JMC : C’était pas un débat que je souhaitais, c’était plutôt : « Qu’est-ce que vous proposez ? » Mon sentiment là, c’était plutôt de faire expliquer. Mais j’admets volontiers la critique.
FR : Et le président de l’ERT, à l’époque, c’est justement le patron de Whirlpool. Alors, quand ils viennent sur votre plateau nous dire, pour être moderne, ce sont des autoroutes, c’est la monnaie unique, est-ce que ça n’est pas une modernité qui correspond à leurs intérêts à eux, pour faire baisser le coût de la main d’œuvre ?
JMC : Je ne vois pas en quoi l’autoroute fait baisser le coût de la main d’œuvre, franchement. Je pense que c’est simplement un instrument indispensable des échanges économiques. Et puis, l’ERT, c’est un cercle de grands industriels, un lobby du développement économique et des intérêts des grandes compagnies, parce que l’un n’est pas séparatif de l’autre, bien évidemment…  
Impossible de séparer, donc, d’après lui, « développement économique  » et «  intérêts des grandes compagnies ». Ce qui est bon pour Whirlpool est bon pour l’Europe…

L’enfance d’un européen

« Votre engagement européen, il naît quand ?
- Ça vient au fond de mon enfance, à la fin de la guerre. J’ai vu sous mes yeux ce que c’était l’adversité de deux pays. On a raflé les habitants d’un village, il n’y avait plus d’hommes, ils étaient blessés, prisonniers, il ne restait que des femmes et des enfants. On les a fait monter en haut d’une colline, et on les a obligés à identifier des résistants. Comme personne ne voulait parler, on les a fusillés sous nos yeux. Et moi j’ai le souvenir, petit môme de trois ou quatre ans, de voir les éclairs des balles qui sortaient des fusils et les corps des garçons qui s’effondraient sur leur poteau d’exécution où ils étaient ligotés les mains derrière le dos. Je ne savais pas que ce drame ferait de moi quelqu’un d’ouvert. Un des hommes qui m’a amené à un sentiment plus large que mon propre effroi, c’est mon professeur de français, monsieur Georges Trancart, je crois qu’il n’est plus là, et qui m’a amené à la connaissance de l’Allemagne, de sa culture, de ses auteurs, d’un peuple qu’il ne fallait pas réduire au nazisme. Quelqu’un que je tiens en très haute estime, c’est Stefan Zweig, autrichien comme vous savez, qui dans un ouvrage intitulé Le Monde d’hier a décrit ses espoirs de jeunesse, d’union des deux peuples français et allemand. Puis il s’est exilé au Brésil, où le 23 février 42 il s’est suicidé de chagrin devant ce qu’était devenue l’Europe, c’est-à-dire un continent sombrant dans la folie meurtrière. Et vraiment, je suis très habité de ça : la paix, que l’on méprise tellement et à laquelle on travaille si peu, n’est qu’une donnée provisoire issue des peuples de bonne volonté.
 »


[1] Après vérification, il dit plus précisément « l’Union économique et monétaire a eu un prix en terme de chômage », qui est passé de « 10,5 % à 12,6% ».4