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L’émeute du cortège de tête

Lien publiée le 6 juillet 2016

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https://paris-luttes.info/l-emeute-du-cortege-de-tete-6329

C’est à ce qui choque, à sa condamnation publique, à l’unanimité qu’elle suscite contre elle, que l’on juge de l’émeute, de sa force offensive.

C’est à ce qui choque, à sa condamnation publique, à l’unanimité qu’elle suscite contre elle, que l’on juge de l’émeute, de sa force offensive. Fallait-il caillasser les vitrines d’un hôpital public le 14 juin dernier à Paris ? D’un hôpital pour enfant, de plus ? Ce qui est injustifiable, c’est justement la marque de ce que l’émeute fait surgir. Faut-il célébrer la misère, en sanctifiant les victimes ? Ou la nier ? L’hôpital n’est-il pas la dernière des prisons, où s’allient une organisation militaire et un discours scientifique, pour contrôler les malades et traiter les corps vivants au mépris de leur vie ? Ces immeubles de verre ne sont-ils pas le discours apologétique de cette époque sur elle-même ? Cet idéal moderniste et puritain de transparence n’est-il pas la loi que les tyrans tentent d’imposer aux individus isolés ? La transparence d’un monde circulatoire, normé, tout empli de sa positivité, et occupé à observer son propre reflet, froid et métallique ? Et puis cette rue toute entière n’était-elle pas condamnable, comme l’est une rue de ce monde, au cœur d’une capitale ? Celle-là particulièrement, avec ses immeubles d’habitation haussmanniens, avec ses administrations, ses consulats, ses magasins, avec son mobilier urbain qui n’est qu’un mauvais décor ? Entre Montparnasse et Duroc, soudain la rue a repris vie : sous les marteaux, les balcons du rez-de-chaussée trouvent un usage et sont convertis en munitions ; brisées, les vitrines retrouvent une poésie qui les ramène à l’existence, tout comme les distributeurs défoncés. Les actes signent bien mieux que les mots tout ce qu’ils ont à dire sur le monde.

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Entre Montparnasse et Duroc, pendant deux heures, après un début de manifestation joyeux mais coutumier, il s’est passé quelque chose. Confrontés aux charges des crs, dans le brouillard des lacrymos et au milieu des explosions de grenades et de pétards, une idée a traversé les manifestants du cortège de tête, celui qui tient tête aux responsables de la cgt, derrière et furieux d’y être, et aux crs, devant et harcelant le cortège : l’idée que ce monde est à court de carburant, que ce monde a fait son temps, que ses représentants politiques et économiques ont passé la date de péremption, qu’il faut d’urgence vivre et qu’ils sont l’obstacle sur le chemin. Et un manifestant ordinaire, qui était venu sans équipements, s’est brusquement baissé pour ramasser un bout de bitume et le lancer sur un policier ; et puis un autre, à visage découvert, a fait de même. Et les manifestants ont encouragé ce geste, ont applaudi, ont bravé les gaz, les grenades et les matraques dans la plus grande indifférence, dans le plus grand mépris pour ce monde dont ils ont déjà prononcé le jugement. Des encagoulés ont rencontré des syndicalistes, des salariés, des étudiants ; l’appartenance initiale s’est peu à peu défaite à mesure que l’affrontement prenait de l’ampleur, les groupes organisés se désorganisant, et les autres individus commençant à s’organiser. Une solidarité et une confiance entre inconnus, soudés par une idée commune comme sortie d’eux, se sont manifestées.

Mais malgré cette émeute embryonnaire, c’est bien une manifestation qui est arrivée aux Invalides, poursuivie par un gros insecte crachant de l’eau et résistant aux jets de pierres et aux coups de marteaux. Une manifestation déterminée, certes, qui a décoré les murs du boulevard des Invalides de slogans qui résonneront encore longtemps aux oreilles des riverains, et caillassé la bâtisse du crédit agricole à son entrée sur l’esplanade. Mais une manifestation. Ce n’est pas une émeute qui a généreusement quitté les rues assignées à la manifestation pour se propager dans les rues adjacentes du 7e arrondissement ravageant ministères et palais sur son passage, laissant dans son sillage de hautes colonnes de fumée. Rien de cela n’est arrivé. « En cendres, tout devient possible » est resté à l’état de projet. Il faut rappeler ici à ceux qui pensent depuis des semaines que le compte y est : le compte n’y est pas, il n’y a pas eu d’émeute le 14 juin. Malgré son humeur joyeuse et saccageuse, le cortège de tête est resté une tête de cortège ; le cadre de la manifestation a été respecté, tout comme la présence des journalistes.

Cependant, si cette manifestation parisienne a atteint une telle intensité après quatre mois de manifestation, c’est que certains étaient organisés et déterminés et que d’autres manifestants les ont rejoints. Mais il y a là un paradoxe. L’organisation est le contraire de l’émeute. L’émeute est d’abord une émotion collective, une insatisfaction qui se propage, elle est le contraire de ce qui est planifié, réfléchi à l’avance ; l’émeute est un possible qui n’est pas encore advenu dans ce mouvement, et que l’on doit garder comme un but minimal. Dans une émeute, il n’y a plus de groupe qui tienne, il n’y a plus d’organisation, et chaque manifestant devient un émeutier. Cela s’est produit à certains moments le 14 juin mais, de façon fugace, et pour un trop petit nombre de personnes. La plus grande limite des affrontements ritualisés et des stratégies de groupe est leur respect de la manifestation en tant que cadre organisé ; il ne s’agit pas seulement de rendre la manifestation plus radicale, plus offensive, mais de la dépasser dans et par l’émeute. Le cortège de tête doit prendre corps dans l’émeute et disséminer le cortège.

P.-S.

Image provenant de http://fotografia.islamoriente.com/en/artist/leila-rezaei