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Pourquoi il ne fallait pas prolonger l’état d’urgence
Ces articles de la rubrique « Ailleurs sur le web » sont publiés à titre d'information et n'engagent pas la Tendance CLAIRE.
LE PLUS. L'Assemblée nationale a confirmé la prolongation de l'état d'urgence, ce 21 juillet, décidée juste après l'attentat de Nice. L'état d'urgence sera en vigueur jusqu'en janvier 2017. Pour Jean-Eric Callon, avocat et maître de conférence à Paris-Sud, cette décision est un non-sens au vu de la situation. Explications.
Les terribles attentats qui ensanglantent notre territoire ont conduit naturellement le pouvoir exécutif et le Parlement à proroger et renforcer l’état d’urgence.
Il faut pourtant mettre fin à l’état d’urgence sans délai et sa prorogation est une erreur juridique, constitutionnelle et historique.
L’état d’urgence, issue de la loi de 1955, instaure un régime d’exception temporaire c’est-à-dire une situation dans laquelle il est nécessaire de suspendre l’application des règles normales qui régissent l’organisation juridico-politique d’un État dans le but de mettre fin à la crise.
C’est bien en ce sens que la loi prévoit un transfert des pouvoirs de la police judiciaire vers la police administrative, en simplifiant du procureur de la République au préfet. Les assignations à résidence, les perquisitions sont ordonnées par l’autorité administrative et non plus par l’autorité judiciaire comme cela est le cas en période "normale".
Un bilan limité
L’état d’urgence a ainsi conduit depuis novembre 2015 à 3594 perquisitions et à un maximum de 400 assignations à résidence. Parallèlement, le Conseil constitutionnel et le Conseil d’État sont venus clairement réaffirmer les principes intangibles de l’état de droit, annulant certaines mesures prises. Dans deux décisions du 19 février 2016, le conseil constitutionnel a ainsi rappelé clairement que l’état d’exception dans lequel nous sommes ne saurait porter atteinte aux principes essentiels de notre droit.
L’un d’entre eux est la limite des pouvoirs de police. La police administrative est placée sous le contrôle du préfet et lui-même sous celui du juge administratif. Cette police n’a qu’une finalité préventive : quand une infraction est commise, la police agit alors sous le contrôle du procureur de la République, avec les garanties qu’offre le juge judiciaire protecteur de la liberté individuelle.
Cette séparation est fondamentale. Elle est l’une des conséquences de la séparation des pouvoirs sans laquelle il ne saurait y avoir ni État de droit, ni démocratie, ni libertés fondamentales.
La fin de l’exception
Dans son avis du 2 février 2016, le Conseil d’État affirmait aussi clairement que:
"Lorsque, comme cela semble être le cas le péril imminent ayant motivé la déclaration de l’état d’urgence trouve sa cause dans une menace permanente, c’est à des instruments pérennes qu’il convient de recourir. Il convient donc que le gouvernement prépare dès maintenant le fin de l’état d’urgence."
C’est exactement ce que le gouvernement a fait, en proposant la loi adoptée le 3 juin dernier renforçant la lutte contre le crime organisé, le terrorisme et leur financement. Ainsi, le fait d’intégrer à notre arsenal juridique des mesures nécessaires au regard de la menace, en dehors du cadre juridique de l’état d’urgence, doit mécaniquement conduire à sa fin.
Une triple erreur
Pourtant malgré le retour du droit et sa réaffirmation par les cours suprêmes, l’état d’urgence va être prorogé. Ce faisant, l’État commet une triple erreur.
La première est que le bilan de l’état d’urgence depuis novembre 2015 est limité et contestable. Il suffit pour cela de consulter les travaux passionnants de la commission des lois de l’assemblée nationale. Il n’y a aucune raison qu’il en soit différemment à l’avenir.
La deuxième est que nos institutions, notre système juridique et juridictionnel, ont montré leur extraordinaire capacité d’adaptation, d’action et de résilience au regard de la menace, or utiliser l’exception alors que cela n’est pas indispensable pose un problème de crédibilité de notre système politique.
La troisième est que certains pays comme la Norvège ou la Belgique, confrontés aux mêmes difficultés que la France, actuellement ou par le passé, ont fait le choix inverse du refus de l’exception. Or si l’équilibre entre sécurité et liberté est complexe, la seule voie possible est celle nous faisant sortir de l’émotion qui mène naturellement à l’argument d’autorité, et nous diriger vers la raison c’est-à-dire vers une confiance restaurée dans notre état de droit et notre système juridictionnel.
Comme l’écrivait Benjamin Franklin, "un peuple prêt à sacrifier un peu de liberté pour un peu de sécurité ne mérite ni l’un ni l’autre et finit par perdre les deux".