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Grèce : une nouvelle loi électorale pour quoi faire ?
Ces articles de la rubrique « Ailleurs sur le web » sont publiés à titre d'information et n'engagent pas la Tendance CLAIRE.
Le gouvernement d'Alexis Tsipras a fait voter jeudi 21 juillet au soir une nouvelle loi électorale supprimant le bonus pour le parti arrivé en tête. Cette réforme est encore loin cependant de pouvoir réconcilier le peuple grec avec sa classe politique.
Le parlement grec, la Vouli, a adopté ce jeudi 21 juillet dans la soirée une nouvelle loi électorale pour le pays. Cette loi était proposée par le gouvernement d'Alexis Tsipras dans un des rares domaines qui échappe, selon le troisième mémorandum signé en août 2015, à la surveillance des créanciers du pays.
Elle renforce le système proportionnel de répartition des 300 sièges de la Vouli : désormais le « bonus » de 50 sièges offert au parti arrivé en tête est supprimé. Les 300 sièges seront donc répartis au niveau de chaque circonscription entre les formations politiques ayant obtenu au niveau national plus de 3 % des suffrages exprimés. La loi prévoit enfin un élargissement de l'électorat en abaissant l'âge légal nécessaire pour voter de 18 à 17 ans.
Malgré les bonus, la Grèce est instable politiquement
Depuis le retour de la démocratie en Grèce, les changements de loi électorale sont fréquents. La loi précédente était en vigueur depuis 2012 et a été utilisée au cours des quatre derniers scrutins du pays (mai et juin 2012 et janvier et septembre 2015). Malgré le « bonus » de 50 sièges, aucun de ces scrutins n'a permis de dégager une majorité absolue pour un seul parti. Les deux premiers ministres qui se sont succédés depuis 2015 ont dû recourir à des coalitions. Le conservateur Antonis Samaras s'est allié avec les Sociaux-démocrates du Pasok après juin 2012, tandis qu'Alexis Tsipras, de la Coalition de la gauche radicale (Syriza) dirige depuis janvier 2015 une alliance avec un parti de droite, les Grecs Indépendants (ANEL).
Malgré des systèmes électoraux favorables au parti arrivé en tête (avant 2012, par exemple, le bonus était de 40 sièges), la stabilité gouvernementale est un fait rare en Grèce. Les parlements sont souvent dissouts avant leur terme : il faut remonter à la période 1996-2004, lors des deux gouvernements de Kostas Simitis (Pasok) pour voir des Voulis compléter leurs mandats. Il est fréquent que des députés décident de quitter les rangs du parti sur lequel ils ont été élus pour rejoindre les Indépendants ou même d'autres partis. Les « bonus » n'ont, in fine, pas réellement permis de renforcer la stabilité politique.
Fragmentation politique
Reste évidemment que cette nouvelle loi va, encore une fois, compliquer la donne. Sans bonus, la construction d'une majorité va nécessiter des coalitions larges, constituées sans doute de plus de deux partis. Le système politique grec est, depuis le début de la crise, extrêmement éclaté. Certes, il reste dominé par deux partis, Nouvelle Démocratie à droite et Syriza à gauche (qui a remplacé comme parti dominant de la gauche le Pasok). Ces deux partis cumulaient 63 % des voix en septembre 2015. Mais il existe aussi une fragmentation importante de plusieurs petits partis, pesant entre 3 % et 10 %. En septembre 2015, six partis sont ainsi entrés au parlement, un record.
Si l'on en croit les sondages récents (qui sont, rappelons-le, peu fiables en Grèce), ce mouvement pourrait encore s'amplifier. Le dernier sondage Alco réalisé en juin, par exemple, signale que les deux grands partis ne cumuleraient plus que 51 % des voix, tandis que huit autres partis entreraient au parlement, les six présents aujourd'hui et les deux partis à la gauche de Syriza, Unité Populaire et le parti de l'ancienne président du parlement, Zoe Kostantopoulou, « la route de la liberté ». Avec la nouvelle loi électorale, il deviendra alors très difficile de constituer des majorités stables.
Les intentions du premier ministre
Que vise alors Alexis Tsipras avec cette loi ? D'abord, à montrer qu'il agit. Au moment où les créanciers ont dicté leur loi sur la politique économique du pays et ont, une nouvelle fois, réduit très fortement le champ d'action du parlement hellénique en exigeant notamment un système de baisse de dépenses automatique pour assurer l'objectif d'excédent primaire de 3,5 % du PIB en 2018, le gouvernement tente de montrer qu'il est encore effectivement aux commandes et peut agir sur l'avenir du pays.
Le changement de loi électorale est aussi, dans ce contexte, un gage donné à son électorat et, plus généralement, à l'électorat de gauche. Syriza a, pendant des années, fustigé le système du bonus, qu'il a accusé d'être le garant du bipartisme et donc de l'oligarchie. En revenant sur ce système, il affirme faire donc un travail de justice en donnant une meilleure représentation à tous les électeurs. En passant, il peut aussi montrer son désintéressement en supprimant un système qui lui était devenu favorable. Ainsi prouve-t-il qu'il n'est pas l'équivalent de ses prédécesseurs qui avaient plutôt tendance à renforcer la mainmise des grands partis pour rester au pouvoir.
« Cynisme politique » d'Alexis Tsipras pour la droite
A droite, en revanche, le nouveau chef de Nouvelle Démocratie, Kyriakos Mitsotakis, accuse Alexis Tsipras de « cynisme politique ». Syriza accuse actuellement un retard important dans les sondages, derrière ND (près de neuf points selon Alco). Selon le chef de l'opposition, Alexis Tsipras veut mettre fin au système de bonus pour rester au pouvoir malgré sa défaite annoncée en réalisant des alliances à gauche contre le retour de ND aux affaires.
La proportionnelle pure lui donnerait plus de marges de manœuvre pour le faire et Alexis Tsipras serait prêt, pour cela, à mettre en péril la stabilité du pays. Cette interprétation est néanmoins étrange, car outre ANEL, Syriza ne dispose guère d'alliés potentiels au parlement : les deux partis de gauche radicale sont désormais des ennemis absolus de sa politique et ND dispose, en revanche, de deux alliés potentiels sûrs : le Pasok et le parti libéral pro-européen To Potami. L'avantage du nouveau système pour Syriza est très incertain. Mais les responsables ND estiment que le premier ministre préfère le chaos au retour de la droite au pouvoir et qu'il est donc prêt à mettre le pays en difficulté plutôt que de les laisser revenir au pouvoir.
Une loi déjà enterrée ?
Reste que cette loi électorale pourrait bien demeurer lettre morte. En effet, selon la constitution, la Vouli peut changer la loi électorale à la majorité simple, mais ce changement ne rentrera alors pas en vigueur pour la prochaine élection. Pour un changement immédiat, il faut une majorité des deux tiers, soit 200 députés. Or, jeudi 21 juillet, la loi n'a obtenu que 179 voix. La coalition n'est parvenue qu'à rallier au texte le groupe de l'Union des centristes. Du coup, les prochaines élections prévues en septembre 2019 se dérouleront selon l'ancien mode de scrutin. En théorie, la nouvelle loi sera donc applicable en septembre 2023. Sauf si la nouvelle majorité issue des élections de 2019 la modifie à nouveau (mais, pour que cette modification s'applique en 2023, il lui faudra 200 députés). Kyriakos Mitsotakis s'y est déjà engagé. En cas de dissolution, ces délais seront réduits. La loi actuelle a ainsi été votée à la majorité simple après les élections de 2007 et n'a donc pas été utilisée pour les élections de 2009, mais pour celles de mai 2012...
Les créanciers sans pitié pour la démocratie grecque
Tout ceci réduit donc beaucoup la portée de cette loi qui est avant tout un acte symbolique pour le gouvernement d'Alexis Tsipras. Un acte qui cache une réalité particulièrement préoccupante pour la démocratie grecque. Car, après six ans de politiques imposées par les créanciers de manière de moins en moins dissimulées, les Grecs ont évidemment de plus en plus le sentiment loin d'être injustifié que leur parlement et leur gouvernement ne disposent pas de la maîtrise du pays. Le bras de fer avec le premier gouvernement Tsipras, le rejet du résultat du référendum du 5 juillet 2015 sur la proposition des créanciers et les mesures d'encadrement de la politique imposées par le troisième mémorandum ont renforcé ce sentiment. Rappelons, outre la nouvelle disposition automatique déjà citée, que cet accord interdit au gouvernement grec de prendre des mesures budgétaires sans le feu vert des créanciers.
Alexis Tsipras a tenté de montrer sa capacité d'action au cours des premiers mois. Il est parfois parvenu, notamment sur la réforme des retraites, à imposer certains de ses choix. Mais cette autonomie est très limitée et encadrée par une logique imposée par les créanciers qui, souvent, font payer très cher à Athènes toute initiative. Le pendant de la réforme des retraites a ainsi été une nouvelle série de mesures d'austérité. Surtout, Syriza a dû renoncer à l'essentiel de son programme et de ses convictions pour adopter le discours des créanciers, malgré un certain équilibrisme rhétorique où, officiellement, on affirme ne pas croire au succès d'une politique que l'on applique pourtant.
Désaffection pour la politique
Au final, les Grecs croient de moins en moins à l'utilité de la politique. Les élections de septembre 2015 ont ainsi vu une abstention record de 43,4 % alors qu'elle était avant la crise de 25 à 30 % et en janvier 2015 de 35 %. Un autre signe de cette désaffection pour la politique est la fragmentation politique que l'on a constatée en 2015 et qui ne semble pas devoir s'améliorer, ainsi que la poussée de partis « hors système ». C'est le cas de l'Union des Centristes, dirigé par un politicien jugé jusqu'ici peu sérieux et qui est entré au parlement en septembre dernier ou du parti néo-nazi Aube Dorée qui a obtenu 7 % des voix en septembre 2015 et est donné par le sondage Alco à plus de 10 % des intentions de vote. Les créanciers de la Grèce ont peu ménagé la démocratie hellénique. Il faudra sans doute davantage qu'un changement de loi électorale pour panser les plaies politiques de la crise.