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A Beaumont-sur-Oise, une marche blanche pour Adama Traoré
Ces articles de la rubrique « Ailleurs sur le web » sont publiés à titre d'information et n'engagent pas la Tendance CLAIRE.
(Mediapart) Entre 1 500 et 5 000 personnes ont participé, vendredi 22 juillet, à Beaumont-sur-Oise (Val-d’Oise), à une marche blanche pour rendre hommage à Adama Traoré, 24 ans, décédé lors de son arrestation par des gendarmes, mardi 19 juillet. La famille et ses soutiens réclament « la vérité et la justice » sur les circonstances encore floues de la mort du jeune homme.
L’arrivée de la mère d’Adama Traoré ne se produira jamais. Trop éprouvée par la perte de son fils de 24 ans dans des conditions encore floues, elle n’a pu participer comme prévu à la conférence de presse et à la marche blanche organisées en l’honneur du jeune homme à Beaumont-sur-Oise, le vendredi 22 juillet. Depuis quatre jours, la commune vit dans l’interrogation et réclame la vérité sur la mort d’Adama Traoré, survenue lors de son arrestation par des gendarmes, mardi 19 juillet.
La marche a attiré une grande partie des habitants de la commune du Val-d’Oise, 1 500 selon la police et 5 000 selon les organisateurs. Tout le monde s’est donné rendez-vous sur la parcelle faisant office de terrain de foot dans le quartier de Boyenval, un mélange de terrain de sable et de pelouse fatigués. Les visages sont graves. À peine l’aperçoit-elle, une voisine présente ses condoléances à Mama, la sœur aînée du défunt, la prenant dans ses bras pour accompagner ses paroles. La même scène se produira à plusieurs reprises avec d’autres membres de la fratrie de 17 enfants, gratifiés de « courage » et autres « on est ensemble ».
Un portrait d'Adama Traoré
Dans le simili-stade, les pleurs coulent librement chez de grands gaillards. Une colère, contenue, affleure dans les « Justice pour Adama » régulièrement scandés par la foule. La rage immédiate, exprimée lors des nuits d’échauffourées consécutives au décès, a été supplantée par la tristesse et l’émotion. L’un d’entre eux, le visage baigné de larmes, réclame à la cantonade une tenue exemplaire pour tous pendant cette marche en hommage à « celui qui aurait pu être leur frère, leur cousin, leur ami » ou eux-mêmes, comme certaines personnes présentes l’expliquent.
Une table a été dressée pour que la famille et son conseil, Me Frédéric Zajac, puisse communiquer aux journalistes venus les derniers éléments dont ils disposent. L’équipe de BFMTV a pour sa part été priée de plier bagage par un proche de la famille. Les Traoré ont été blessés du traitement de la mort d’Adama par la chaîne d’information en continu.
Au milieu des roses blanches disposées sur la table se nichent les micros des reporters venus écouter le récit de la famille et de son avocat, même si certains font preuve de maladresse en essayant d’imposer une séance de questions-réponses à l’issue de la conférence de presse, là où la famille, à l’initiative du rassemblement, souhaite démarrer le défilé sans tarder. Un compromis est trouvé, l’avocat des Traoré décide de répondre aux interrogations de la presse.
Assa Traoré, la sœur d’Adama, a tenu à rappeler les circonstances du décès de son frère et lance à la presse, d’une voix assurée et déterminée : « Vous parlez de violences entre ici et Persan. La violence, elle a commencé quand mon frère a été tué, elle n’a pas commencé quand des voitures ont brûlé. Elle a commencé quand mon frère est mort dans des conditions atroces. » Avant de poursuivre : « Il est mort sans nous, le jour de son anniversaire. » La jeune femme demande à tous les témoins potentiels de l’arrestation de son frère de se manifester.
Elle a aussi affirmé qu’il faisait objet d’un « acharnement policier depuis plusieurs années ». L’avocat de la famille entend aussi éclaircir ce point et vérifier par exemple si les gendarmes qui ont eu affaire à Adama Traoré l’année dernière sont les mêmes aujourd’hui. Il avait été relaxé, précise Me Zajac qui ajoute qu'Adama Traoré n'était « pas un gros délinquant ». « Je ne dis pas qu’il y a un lien mais je dis juste qu’il y a un précédent et qu’il faut vérifier tous les éléments », poursuit l'avocat.
« On ne lâchera rien », enchaîne Assa Traoré. Les premiers résultats de l’autopsie ont été communiqués et la famille peine à croire à la version officielle. Selon le procureur de la République à Pontoise, Yves Jannier, l’autopsie montre que le jeune homme souffrait d’« une infection très grave », « touchant plusieurs organes ». La mort « semble être médicale chez un sujet manifestement en hyperthermie au moment où il a été examiné par les services de secours ». Le médecin légiste n’a pas relevé, poursuit le procureur, de « traces de violence significatives » sur le corps d’Adama Traoré, seulement des « égratignures ». Des investigations complémentaires, notamment bactériologiques et toxicologiques, ont été ordonnées pour avoir un « panel d’examens absolument complet ».
Me Zajac souhaite « rétablir quelques vérités » dans un dossier où tout le monde est allé beaucoup trop vite. Plus tôt dans la matinée, il avait expliqué à Mediapart : « On va trop vite en besogne dans les déclarations. En l’état, l’expertise médicale ne peut pas se prononcer sur les causes du décès. Ce sont de simples constatations qui ne peuvent pas permettre de se prononcer sur les causes du décès. »
Pour ce faire, l’avocat espère obtenir une contre-expertise menée par un collège d’experts afin de permettre à la famille d’obtenir toutes les réponses escomptées et de mettre fin à toutes les spéculations. Une famille qu’il souhaite protéger au mieux : « L’instrumentalisation de tous les côtés de ce dossier est ingérable pour la famille et insupportable. »
Lors de la conférence de presse, il a aussi fustigé « ceux qui s’arrogent le droit de parler d’un dossier qu’ils ne connaissent pas ». Il est le seul habilité à répondre aux questions des journalistes, embraye la famille. Une allusion à peine voilée à Karim Achoui, célèbre pour avoir longtemps été « l’avocat du milieu », présent lors du rassemblement. Il revendique, lui aussi, d’être le conseil des Traoré ainsi qu’il l’a communiqué sur les réseaux sociaux. Un membre de la famille aurait simplement répondu favorablement à sa proposition de les assister dans leur procédure judiciaire.
« Vérité et justice pour Adama »
L’autre intrusion du jour, plus surprenante tant sa présence dans les quartiers populaires est fantomatique et son écho limité, est signée SOS Racisme. Une équipe a fait le déplacement pour soutenir la famille endeuillée. La présence de son président, Dominique Sopo, est incongrue ici, et pas seulement parce qu’il dénote dans le paysage avec son costume gris, sous le soleil étouffant, là où tout le monde porte une tenue estivale décontractée. Il est venu, explique-t-il, pour soutenir la famille. Pour lui, le décès d'Adama est « plus que suspect ». À l’arrivée du cortège, aux alentours de 19 h 30, discrètement pour éviter tout esclandre, les proches de la famille lui demandent de quitter les lieux car l’association antiraciste n’est pas la bienvenue. Dans les quartiers populaires, la rancœur à l’égard d’une organisation qui, à leurs yeux, n’a jamais été à la hauteur des promesses et des enjeux est tenace. Avant de partir, Dominique Sopo prend toutefois le soin de répondre au micro qui lui est tendu, sous le regard sidéré des personnes assistant à la scène.
Il est près de 17 heures lorsque la foule s’élance dans les rues de Beaumont-sur-Oise. Les propos de la famille sont ponctués d’appels au calme. Aucun débordement ne doit entacher ce rassemblement solennel, avant tout pour saluer la mémoire d’Adama Traoré. Si aucun incident n'a émaillé la marche, le soir même des échauffourées ont eu lieu pour la quatrième nuit d’affilée dans les communes de Beaumont-sur-Oise, Persan et Bruyères-sur-Oise. Dix personnes ont été interpellées au cours de la nuit, selon la préfecture du Val-d’Oise.
L’un des frères d’Adama Traoré porte un tee-shirt à l’effigie du disparu, avec une légende « Tous pour Adama » assortie d’un cœur. Sur la photo, il affiche un large sourire. C’est d’ailleurs la première chose que les proches mentionnent lorsqu’on leur demande qui était Adama. Walid, son ami, un grand du quartier de 31 ans, voisin du jeune homme qu’il « a vu au berceau », se rappelle d’« une boîte à sourires ».
Dans le quartier de Boyenval, tout le monde se connaît. La commune, hybride entre campagne et ville, compte 10 000 habitants. Aucune barre de béton interminable ne défigure le paysage. Ici les immeubles ne possèdent que quelques étages. Le trajet emprunté par le cortège pour la marche blanche dévoile les quartiers pavillonnaires de la ville.
Un peu méfiant avant de parler à la presse – éternel problème de confiance érodée entre médias et quartiers populaires –, un jeune homme qui connaissait Adama livre quelques éléments sur lui et sur la vie ici à Beaumont-sur-Oise, en demandant l’anonymat. Comme tout le monde, il ne réalise pas la disparition de cette figure connue de tous dans ce quartier « soudé » : « Il n’est pas mort d’une crise cardiaque, on veut comprendre ce qui s’est passé avec les gendarmes. »
Pour lui, police ou gendarmes, cela ne change rien. Les pratiques, explique-t-il, sont les mêmes : « Ils nous tutoient, ils cherchent la petite bête, si on ne coopère pas tout de suite, ils nous insultent, nous demandent de retirer nos mains de nos poches. Ils font des contrôles d’identité inutiles. »
D’ailleurs, c’est précisément parce qu’il n’avait pas ses papiers sur lui qu’Adama Traoré s’est enfui à la vue des forces de l’ordre, rapporte la famille. Le divorce persistant entre police et quartiers populaires rappelle à ce manifestant les précédents à Clichy-sous-Bois bien sûr, mais aussi à Villiers-le-Bel. De fait, il n’a pas confiance en la justice et imagine qu’il est impossible d’obtenir une condamnation des gendarmes, si leur implication était établie dans le décès d’Adama Traoré.
Il y a du monde. C’est normal, expliquent ses proches, Adama Traoré était connu et aimé de tous. À en croire plusieurs témoignages, c’était un jeune homme serviable et féru de football, qu’il pouvait pratiquer des heures durant, comme tous les sports. Il n’avait pas le permis de conduire, alors il était tout le temps à vélo. « Sans faire celui qui idéalise celui qui est mort, c’était vraiment quelqu’un de bien. Quand quelqu’un était en galère, il se mettait en quatre pour aider. Quand un ami avait besoin d’argent, il se débrouillait toujours », se rappelle pour sa part Walid, son voisin.
Sa sœur aînée Mama en dresse, émue, peu ou prou le même portrait : « Ce n’était pas toujours un ange mais pour moi il est au paradis. » Son petit frère enchaînait les missions d’intérim dans la manutention et un peu tout ce qui se présentait. « Ce n’était pas un fainéant », raconte-t-elle. Il suivait aussi les instructions de son conseiller en réinsertion après les « quelques bêtises » – comme elle les qualifie – que son frère avait pu faire.
La famille d'Adama Traoré
La foule, de tous âges et où l’on remarque autant les poussettes que les cannes des plus âgés, n’est pas seulement constituée des voisins et amis du défunt. Des inconnus ont souhaité se joindre au concert d’hommages. Certains défilent pour la première fois. Dans le train se dirigeant vers le terminus Persan-Beaumont, un groupe venu spécialement de Paris commentait l’affaire, qualifiant les premiers éléments de l’enquête de « version Pinocchio ». Les manifestants défilent dans les rues en pente de la ville. Mamadou, 25 ans, est venu de Montreuil en Seine-Saint-Denis. Il a été touché par l’histoire de celui qui était noir comme lui et avait presque le même âge. « Je me devais de venir pour un frère de couleur », explique-t-il. Très vite, comme tout le monde ici, il parle de bavure. Pour lui, les autorités essaient d’étouffer l’affaire et il est important de manifester contre cela.
Un peu plus loin, Younès, reconnaissable à son gilet jaune fluo, essaie de diriger la foule vers la place du Château, point d’arrivée du défilé, conclu par une minute de silence. Lui non plus ne connaissait pas la victime ni sa famille et encore moins la ville. Venu de Mantes-la-Jolie, il s’est porté volontaire pour assurer le service d’ordre de la manifestation. Ce médiateur considère que l’hypothèse de la bavure est accréditée par les atermoiements pour que la famille puisse voir le corps, le jeudi 21 juillet. Pour lui, la version officielle est trop alambiquée pour y adhérer sans questionnements.
Point commun entre tous : ils ont eu vent du rassemblement via les réseaux sociaux et s’informent principalement par ce canal. Les médias traditionnels sont jugés peu fiables. Ils leur reprochent de verser dans le sensationnalisme lorsqu’ils s’attachent à compter les voitures brûlées. Ou parfois, pire, les JT n’en parlent même pas, à leur grand regret (lire ce billet du Bondy blog sur le sujet).
Quelques militants associatifs se sont greffés au rassemblement. Amal Bentounsi, présidente du collectif Urgence notre police assassine, sœur d’Amine Bentounsi tué d’une balle dans le dos par un policier qui cherchait à l’interpeller en 2012, est présente. Lors d’une prise de parole, elle égrène aussi le nom des victimes de violences policières : son frère d’abord, mais aussi Wissam el-Yamni, Zyed Benna et Bouna Traoré, ou encore Ali Ziri. De son côté, la militante Sihame Assbague filme et diffuse l’événement en direct sur les applications Periscope et Twitter .
Fania Noël, militante afroféministe, est venue apporter son soutien. Elle considère que cette affaire est révélatrice du « problème de racisme systémique qui est un instrument de contrôle par l’État des personnes noires ». Elle déplore l’aveuglement français sur la question et la nécessité de faire un détour par les États-Unis : « Tout le monde ici ne voit la question raciale que là-bas et pense que c’est comme le nuage de Tchernobyl et que ça ne traverse pas la frontière. » Fania Noël est lassée de la récurrence des affaires impliquant habitants des quartiers populaires non blancs et la police : « On est toujours dans le même schéma : on criminalise la victime, on délégitime la parole de la famille, on décrédibilise ses soutiens et on table sur l’usure judiciaire pour enterrer l’affaire. »
Dans les quartiers, l’histoire s’écrit aussi sur les murs. Un artiste a réalisé à la bombe à peinture un portrait « à la mémoire d’Adama Traoré », souriant. Il est inscrit « Vérité et justice » et « Tant qu’il n’y aura pas de justice vous n’aurez pas la paix ». À l’arrivée du cortège, la famille a repris la parole. L’une des sœurs d’Adama Traoré craint l’oubli et que cette marche ne soit qu’un élan éphémère. Elle annonce d’ores et déjà la tenue d’une autre marche, à Paris cette fois.