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Le CIO ne pouvait pas dire non à la Russie
Ces articles de la rubrique « Ailleurs sur le web » sont publiés à titre d'information et n'engagent pas la Tendance CLAIRE.
http://www.slate.fr/story/121423/le-cio-ne-pouvait-pas-dire-non-la-russie
Le Comité International Olympique a décidé dimanche 24 juillet, de rejeter la demande d’exclusion complète de la Russie aux Jeux de Rio. C'était la moins pire des solutions.
Face à son choix cornélien, le Comité International Olympique (CIO) a décidé d’opter, dimanche 24 juillet, pour la moins pire des solutions le concernant et peut-être pour l’avenir des Jeux olympiques. Lors des prochains JO de Rio (5-21 août), des sportifs russes auront donc la possibilité de concourir en dépit des graves accusations liées à un dopage institutionnalisé en Russie, notamment au cours des derniers Jeux d’hiver de Sotchi en 2014.
Au lieu de prononcer une exclusion totale de tous les sélectionnés russes en suspendant le Comité olympique russe (ROC) -ce qui aurait été une première avec le dopage comme motif- le CIO a préféré laisser la responsabilité de l’acceptation des athlètes à chacune des 28 fédérations internationales impliquées à Rio. Celles-ci vont devoir examiner à la hâteun certain nombre de critères pour accepter ou non la présence de Russes dans leurs compétitions au Brésil.
Naufrage moral et ironie
La fédération internationale d’athlétisme (IAAF) s’est, on le sait, déjà prononcée contre une participation russe à ses épreuves, mais il est possible qu’elles seront plus nombreuses à valider le ticket russe qu’à le refuser. Quelques minutes après le verdict du CIO, la fédération internationale de tennis a d’ailleurs délibéré favorablement en faveur des Russes. Après tout, pourquoi avoir plus d’audace que le CIO? Ironie de ce qu’il faut tout de même appeler un sinistre théâtre d’ombres, Yulia Stepanova, lanceuse d’alerte lors de la révélation de ces affaires, ne peut plus désormais participer aux JO de Rio (elle était la bienvenue voilà quelques jours) parce qu’elle avait eu des pratiques dopantes dans le passé.
Pour le CIO, on l’a dit, il n’y avait aucune bonne solution au cœur d’un naufrage moral qui a également emporté la crédibilité de la si peu réactive Agence mondiale antidopage(AMA). Exclure l’ensemble des sportifs russes, c’était forcément sanctionner des athlètes russes propres et donc imposer une forme d’injustice. Ne pas le faire, c’était entamer aussitôt la crédibilité des JO de Rio -les doutes affleureront nécessairement à chaque médaille russe dans quelques jours- et c’était s’exposer à l’accusation d’être «acheté» par la Russie alors que ce pays a clairement trompé l’institution.
Poutine, l'homme fort du CIO
Cette largesse ne manquera pas d’étonner, en effet, même si elle est tout à fait explicable. Le CIO, organisation opaque, trop politisée et même trop corruptible pour être véritablement crédible, a été, en quelque sorte, fidèle à sa longue histoire.
Au cours des dix dernières années, il a été dit -de manière un peu caricaturale même s’il doit exister un fond de vérité à cette croyance- que Vladimir Poutine était devenu le véritable homme fort du CIO. Il y a des éléments objectifs indiscutables pour le laisser supposer au regard de la volonté du maître du Kremlin de faire du sport une véritable vitrine de sa puissance. Vieille histoire, il est vrai, puisque l’URSS d’hier ne pratiquait pas autrement afin de s’opposer aux Etats-Unis. Mais la chute du communisme à l’orée des années 90 avait terriblement affaibli cette politique de quadrillage des institutions sportives. Déshabillée de ses états satellites, la Russie a mis un peu de temps à reprendre pied jusqu’à spectaculairement se redresser, en juillet 2007, quand, à la surprise générale, Sotchi a hérité de l’organisation des Jeux olympiques d’hiver 2014.
Charisme et calculs
A l’époque, très peu d’observateurs avaient vu le coup venir, d’autant moins que le dossier technique de Sotchi avait été le moins bien noté parmi les trois villes en compétition en comparaison de PyeongChang, en Corée, grandissime favorite (elle avait été dominée de trois voix par Vancouver quatre ans plus tôt) et de Salzbourg, en Autriche. Mais stupéfaction, la Russie l’avait emporté pour quatre voix face à PyeongChang malgré un projet paraissant déraisonnable sur le papier, à la fois écologiquement (il fallait tout créer en abattant notamment des forêts entières) et économiquement (le coût de ces Jeux a d’ailleurs atteint la somme record d’environ 37 milliards d’euros). La venue de Poutine, au Guatemala, avait fait la différence comme l’avait noté Jean-Claude Killy, alors membre du CIO. «Poutine a été très important, avait expliqué l’ancien champion de ski français. Il a travaillé très dur. Il a été sympathique. Il a parlé français -il ne parle jamais le français. Il a parlé anglais -il ne parle jamais l’anglais. Le charisme de Poutine peut expliquer les quatre voix.»
Depuis, les Jeux olympiques de Sotchi ont donc eu lieu et la Russie n’a cessé de placer ses pions sur l’échiquier sportif un peu partout au fil des ans. En décembre 2010, une fois encore de façon très étonnante, elle a décroché l’organisation de la Coupe du monde de football 2018 dans les murs zurichois d’une FIFA malade de la corruption. En 2013, elle a accueilli à Moscou les championnats du monde du premier sport olympique, l’athlétisme, et en 2015, elle s’est occupée de mettre en scène les mondiaux de la deuxième discipline olympique, la natation, à Kazan. Citons également les championnats du monde de judo à Tcheliabinsk en 2014, d’escrime à Moscou en 2015, de hockey sur glace à Saint-Pétersbourg en 2016 pour évoquer quelques sports éminents de la famille olympique. A titre de comparaison, les Etats-Unis, dont le modèle organisationnel est lié essentiellement à des structures privées, n’ont jamais déployé une telle énergie pour abriter en aussi peu de temps des compétitions de ce niveau.
En septembre 2013, histoire de réaffirmer son autorité sur le monde sportif, Vladimir Poutine a, enfin, clairement et ostensiblement, contribué à l’élection de l’AllemandThomas Bach à la tête du CIO. La Russie, accompagnée de ses soutiens au sein de l’institution, l’a puissamment porté au pouvoir et, cinq mois plus tard, Bach saluait la réussite des Jeux de Sotchi. En février 2015, il persistait:
«Les Jeux olympiques d'hiver de 2014 à Sotchi ont été un immense succès. Les Russes nous ont offert une organisation sans faille.»
En quelque sorte, à quelques années d’intervalle, Bach est devenu le digne et logique successeur du Catalan Juan Antonio Samaranch, ancien ambassadeur d’Espagne à Moscou, catapulté président omnipotent du CIO de 1980 (élu à Moscou) à 2001, et dont certains ont écrit qu’il avait même travaillé pour le KGB comme Vladimir Poutine. En 2001, lors des adieux de Samaranch, à l’occasion de la session du CIO organisée évidemment à Moscou (où Pékin avait été désignée ville olympique pour l’édition 2008), Poutine, déjà aux affaires, avait offert à Samaranch, au théâtre du Bolchoï, une scène sublime pour son départ. Une façon élégante de remercier un véritable bienfaiteur avant de câliner les suivants, le Belge Jacques Rogge, président du CIO de 2001 à 2013, et donc Thomas Bach.
En excluant la Russie, Bach se serait exposé à une véritable crise de régime qui aurait probablement miné le CIO pour longtemps. La promesse faite par la Russie de revoir tout son système antidopage lui a «suffi» diplomatiquement à gagner du temps quitte désormais à subir l’ire des Etats-Unis et de quelques organisations antidopage nationales.