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Révolution et contre-révolution à l’époque des tueries suicidaires
Ces articles de la rubrique « Ailleurs sur le web » sont publiés à titre d'information et n'engagent pas la Tendance CLAIRE.
https://paris-luttes.info/revolution-et-contre-revolution-a-6491
Néolibéralisme et terrorisme n’ont que faire des nations et se nourrissent de la décomposition de leur société, seule une alternative au capitalisme débridé pourrait repousser l’obscurantisme. Aucune militarisation de la société et lois liberticides ne pourront étouffer l’idéologie terroriste parce qu’un feu ne peut être combattu que par un contre-feu de même nature. Seul un mouvement d’inspiration révolutionnaire peut aspirer l’oxygène d’une contre-révolution.
Combattre le feu par le feu
Le renouvellement en quasi-simultanéité par le parlement de la procédure du 49.3 sur la loi travail et de l’état d’urgence sur une période de 6 mois n’est pas dû au simple télescopage d’un calendrier dramatique, c’est la nature même de cette concomitance qui conduit à des conséquences dramatiques.
Une idéologie n’est pas qu’un corpus d’idée justifiant d’une réalité, cette activité théorique possède aussi une dimension performative, elle structure pour le meilleur ou pour le pire les fonctions de formation, d’encadrement, de programmation. Ces fonctions sont habituellement attribuées aux corps intermédiaires éducatifs, militant, politique, etc. Ces corps sont malades, car leur gouvernance institutionnelle s’éloigne du modèle démocratique sous les pressions d’une économie déterritorialisée défendant ses propres intérêts oligarchiques au détriment du pouvoir citoyen de se constituer comme acteur historique.
Le propre de l’idéologie néo-libérale est de ne pas apparaître comme idéologie en présentant la marchandisation de tous les espaces comme seule alternative plausible sous le couvert de la fin de l’histoire et des rapports de classes (le fameux slogan « There is no alternative » de Margaret Thatcher). Cette fausse-vraie démocratie est appelée aussi « post-démocratie » pour décrire un état intermédiaire qui n’est plus vraiment la démocratie tout en gardant l’apparence où les élites sous la férule des lobbies ou des groupes d’intérêt ont appris à gérer et manipuler les exigences de ses électeurs.
Une post-démocratie penche naturellement vers une dérive autoritaire. Elle est confirmée ici par l’alliance objective du 49.3 imposant la loi travail et l’institution de la plus longue durée d’une situation d’exception dans l’histoire moderne de la France. L’état d’urgence est moins une opposition au terrorisme qu’une adéquation à l’ultralibéralisme.
La stratégie du choc
Cette résolution par implosion de la société ressemble à une attitude suicidaire puisqu’elle sape ses propres fondements démocratiques tout en réprimant les mouvements sociaux susceptibles de porter une alternative à la crise. Mais le principe même du capitalisme n’est-il pas de prospérer sur le désastre ? C’est une stratégie du choc comme en témoigne le conflit en Afghanistan, puis en Irak, puis en Syrie dont est issu directement l’État Islamique. Cet échec cuisant de l’option militaire américaine incapable d’endiguer les vagues terroristes a permis le renforcement des pouvoirs politico-économiques aux États-Unis alors que les lois du Patriot Act depuis le 11 septembre 2001 ont consacré la diminution des droits civils n’empêchant en rien la multiplication des tueries de masse sur le sol américain.
De même, le défilé du 14 juillet dans un détournement des symboles républicains ne consacre plus la prise du pouvoir du « peuple », mais cette emprise marchande dont l’armée est l’instrument. La politique interventionniste en Afrique et au Moyen-Orient ne se mesure pas à la promotion démocratique dans ces pays, mais à l’économie de l’armement dont la France est le principal exportateur mondial. Alors que sur le plan intérieur, la « lacrymocratie » (gestion des mouvements par les gaz lacrymogènes) et la médiacratie (gouvernement par l’opinion) conduisent à la crise des institutions démocratique et confortent la concentration des pouvoirs financiers et médiatiques.
À quelques heures d’intervalles ce 14 juillet le président de la République peut indiquer le midi la fin de l’état d’urgence et suite à l’attentat de Nice le soir sa prolongation, confirmant à la fois l’inefficacité du dispositif déjà pointée dans un rapport parlementaire et sa vocation instrumentale au gré des surenchères électoralistes extrêmes-droitières piétinant allègrement l’État de droit et la Constitution.
Ce hold-up mental avait déjà été tenté après les attentats de novembre 2015. Il s’appuie toujours sur la même stratégie du choc comme manipulation des masses. Sous les effets conjugués et permanents de la sidération, de la peur et de la compassion commémorative, nous devenons obéissants, plus enclins à suivre les leaders qui prétendent garantir notre sécurité quitte à restreindre nos libertés. Cette manipulation des représentations symboliques de l’unité de la nation s’incarne dans la figure du chef d’État paternaliste et protecteur.
Quand le PS condamnait l’instrumentalisation de la peur du terrorisme à des fins politiques
Il est alors d’autant plus instructif de revoir cette interview de François Hollande le 14 janvier 2008 par l’excellent John Paul Lepers. Alors dans l’opposition l’ancien secrétaire du parti socialiste critiquait l’instrumentalisation de la peur terroriste à des fins politiques par le gouvernement sous Sarkozy.
Morceaux choisis :
JPL : Est-ce que vous trouvez dans notre pays vous François Hollande que nos libertés sont en danger ?
FH : Je crois qu’au nom d’une cause qui est juste et nécessaire, lutter contre le terrorisme, on est en train de faire des amalgames et des confusions. C’est-à-dire, celui qui n’est plus dans la norme, qui peut avoir un comportement déviant, qui peut parfois même être au-delà de la loi, peut être assimilé à un terroriste, ce qui est une atteinte grave aux libertés.
JPL : Pourquoi le pouvoir politique fait cela selon vous ?
FH : Je crois qu’il y a d’abord une espèce de mouvement politique, c’est-à-dire donner le sentiment qu’il y a une menace et que le pouvoir y répond. Donc il y a une intention politique…
JPL : Pourquoi il invente alors le pouvoir ?
FH : Peut-être pour montrer une efficacité qui sur d’autres terrains, notamment économiques et sociaux, n’est pas forcément au rendez-vous.
JPL : C’est grave quand même vos accusations Monsieur Hollande !
FH : Je pense que c’est grave de mettre en cause des hommes et des femmes, et privés de liberté, les accusés de terrorisme.
C’était à propos de l’« affaire Coupat » ou « affaire Tarnac ». L’insurrectionnalisme est-il un terrorisme ? Les publications de cette mouvance résurgente sont versées au procès comme pièces à conviction. Après 8 ans de procédure, le dossier se dégonfle aujourd’hui comme une baudruche et perd sa qualification de terrorisme malgré la décision du parquet général de se pourvoir en cassation.
L’ironie veut que cette même rhétorique de l’ultragauche soit reprise par le gouvernement Valls et on se demande bien pourquoi François Hollande ne lui a pas répété le contenu de son interview… Tout cela pour justifier l’instrumentalisation de l’état d’urgence dans son application répressive des derniers mouvements sociaux (assignation préventive à résidence, interdiction de se déplacer dans certaines zones, mise en garde à vue et inculpations sur simples présomptions, débridage des violences policières en guise de dissuasion à manifester, etc.).
On peut imaginer que le nouvel état d’urgence, rallongé et durci, ne manquera pas d’étendre cette répression dès la rentrée sociale à toutes les formes de mobilisation, occupation, manifestation. La tendance est de passer de l’état d’urgence à l’État d’urgence (avec majuscule), c’est-à-dire d’une situation d’urgence avec ses dispositifs d’exception à un État d’exception de type autoritaire (ce basculement peut se produire sans coup d’État intérieur comme en Turquie, simplement à l’occasion des prochaines élections de 2017).
Les occupants des places publiques ont été traités de « zadistes », les manifestants de « casseurs », des suprêmes insultes sans doute dans la bouche des accusateurs qui voient selon eux proliférer toute la racaille gauchiste, populaire, marginale. Les renseignements généraux ont même cru apercevoir l’ombre de Julien Coupat hanter les réunions (que ne ferait-on pas sans lui !).
Cette stigmatisation d’un mouvement protestataire jugé trop radical voudrait attiser les peurs en amalgamant résistance politique et terrorisme. Et si au contraire c’était lui le meilleur rempart contre le terrorisme ? Sa nature éruptive et situationnelle n’est-elle pas la mieux à même de déconstruire le modèle djihadiste ? Ce n’est pas dans les ZAD et l’occupation des places que se forment les apprentis terroristes, mais dans les fans zones morbides d’une logorrhée mondialisée.
Idéologie par capillarité
Alors qu’une vague d’attentat frappe la France et l’Allemagne ces derniers jours, les modes explicatifs restent inchangés. La notion de « radicalisation » employée à profusion n’a pas grand lien avec la compréhension de la radicalité et des processus en cours.
Soutenir que ces assassins sont des forcenés ou encore les soldats fous d’une armée ennemie ne suffit plus à comprendre un phénomène avant tout idéologique. Et si la série de tueries de la fusillade de Columbine en 1999 aux États-Unis jusqu’aux 77 personnes tuées en Norvège en 2011 par Anders Breivik n’étaient que l’annonce d’un terrorisme suicidaire répandu aujourd’hui sous la bannière de l’État Islamique ? Il est important de comprendre comme le soutient le philosophe italien Franco « Bifo » Berardi en quoi ces courants autodestructeurs ne sont pas éloignés.
Chacun y va de son sociologisme ou de son psychologisme dont la seule pertinence démonstrative est de se répandre dans les médias. Ainsi sort-on du chapeau la « radicalisation rapide » reprise par le ministre de l’Intérieur en mal d’interprétation justificatrice. Bientôt viendra la « radicalisation immédiate » achevant de décrédibiliser ce mode explicatif. En miroir les propositions de « déradicalisation » ne peuvent gagner en pertinence.
Il n’est venu à personne d’accuser de « radicalisation » le co-pilote de la Germanwings qui a volontairement crashé le 24 mars 2015 dans les Alpes un avion de ligne avec ses 144 passagers et ses 6 membres d’équipage. Personne ne semble avoir fait le parallèle sans doute parce qu’il était allemand et non musulman. Comme le remarque un journaliste aux États-Unis « Les tireurs de couleur sont appelés terroristes et les tireurs blancs malades mentaux ».
Or, si nous nous situons uniquement sur le modus operandi, nous pourrions trouver des schémas concordant dans la construction de l’action du pilote de l’avion et du conducteur du camion du 14 juillet. Il est important de souligner qu’il s’agit toujours d’un suicide qui s’accompagne d’autres morts. Pour exercer leur violence, ils empruntent à un répertoire mental et comportemental disponible à une époque donnée.
Le débat qui s’est instauré au sujet du tireur « fou » de Munich le 22 juillet est aussi révélateur. Il est avéré qu’il a été fasciné par les tueries suicidaires et s’était inspiré d’un autre jeune allemand de 17 ans qui avait tué quinze personnes dans son ancien collège. Il n’a pas été possible d’établir un quelconque lien avec Daech ou une « radicalisation islamique ». En revanche toujours en Allemagne quelques jours plutôt le 18 juillet un jeune afghan attaquant à la hache les passagers d’un train s’est revendiqué « soldat de l’État Islamique ». De même, le 24 juillet toujours en Allemagne, un réfugié syrien meurt en provoquant une explosion devant un restaurant, le qualificatif d’attentat est retenu, son passé psychiatrique est proposé avant que l’on découvre qu’il a fait allégeance » au groupe djihadiste État islamique.
Nous voyons donc que la qualification de « terrorisme » n’est pas obligatoirement liée à la grandeur et la forme des crimes ni réductible à un enchainement de causalités lié au profil individuel de l’auteur, mais à la possibilité de raccrocher l’acte à une idéologie et une organisation.
À partir du moment où ce lien n’est pas avéré, il perd le qualificatif. On peut poser l’hypothèse inverse que toutes ces tueries suicidaires aient un lien avec une idéologie, qu’elles s’en revendiquent ou non ; seulement il existe différentes couches plus ou moins apparentes. La couche daechienne étant une surcouche, la plus visible et la plus communicative. Fluide, elle agit sur la surface par capillarité ayant trouvé « l’astuce » religieuse pour pénétrer des couches plus profondes sans lesquelles elle ne pourrait se diffuser. Paradoxalement ce n’est pas les idéologies les plus visibles qui sont les plus dangereuses.
Capitalisme absolu
Quand Nicolas Sarkozy dit en réaction au dernier attentat à Rouen le 26 juillet « notre ennemi n’a pas de tabou, pas de limite, pas de morale, pas de frontière », nous pourrions parfaitement l’appliquer à une définition du capitalisme absolu qui ne reconnait aucune loi. Lui n’a pas besoin de communiquer, son idéologie pénètre au plus profond des corps, ses forces de destruction n’ont pas d’équivalent avec le terrorisme de surface et cause directement ou indirectement bien plus de victimes. Le monde de la finance et des multinationales suicide en masse au point que cela « devienne une mode » comme le disait si cyniquement l’ancien président de France Télécom. Une mode sans doute le suicide par milliers des petits paysans indiens couverts de dette par l’achat de semences OGM Monsanto, etc., etc. Cette emprise idéologie s’incarne dans une profonde désespérance dépossédant la personne de la maitrise de sa vie. Le nihilisme suicidaire en est sa face obscure. Comprendre ces tueries comme processus systémique, c’est donc engager une réponse politique.
Daech peut faire beaucoup de mal, mais il ne peut détruire une société si elle-même ne porte pas ses propres forces de destruction. Ce que provoque Daech, ce n’est pas une « conversion » dont on sait qu’elle n’a pas grand rapport avec la maîtrise du religieux, mais une « autorisation », au plus précisément le déblocage d’un registre à un autre sans en avoir nécessairement conscience. Il n’est donc pas étrange que ces « conversions » de personnes non religieuses soient plus nombreuses dans les dossiers antiterrorisme que l’appartenance d’origine à une religion. On peut même concevoir que plus la personne est religieuse, c’est-à-dire détentrice consciente d’une couche idéologique structurante, moins ce basculement s’effectue. Et si l’option du fondamentalisme participe à cette surcouche qui favorise la bascule, les fondamentalistes ne sont rarement ceux qui passent directement à l’acte.
Il n’est pas non plus étonnant que ces forcenées appartiennent essentiellement à la gent masculine. Face à la dépossession d’un statut, sans incorporation de sa frustration dans une lutte de classe, soumis à la compétitivité exaltée par le monde libéral d’être le gagnant, l’individu à l’opportunité de n’être plus un « fou isolé », il devient l’élément (sur)humain s’emboîtant à d’autres éléments, un point référentiel d’un ordre s’opposant à un autre ordre, une compétition à une autre compétition, une performance à une autre performance. Cette autorisation à tuer permet de changer de statut.
Jean Rostand exprima simplement dans une maxime ce jeu des légitimités : « On tue un homme, on est un assassin. On tue des millions d’hommes, on est un conquérant. On les tue tous, on est un dieu ». D’une manière plus prosaïque, les services secrets de tout temps ont utilisé ce jeu entre différentes couches idéologiques, retournant des individus « normalement intégrés » dans l’ordre établi pour en faire des espions dormants d’un ordre contre un autre. Ils leur offrent un répertoire d’action.
Ces registres de l’action structurés par couches sont aussi appelés en sociologie « pattern ». C’est par ce mode opératoire et non la biographie, la psychologie ou les croyances du personnage que l’on peut relier des actes apparemment sans rapports, se déroulant dans des zones socioculturelles éloignées. En revanche le fait qu’ils soient plutôt jeunes, voire très jeune est un indicateur de la perméabilité entre un horizon d’attente et la possibilité de s’approprier un kit idéologique clefs en main.
Théorie du drone
On aurait tort de réduire la toile internet et ses réseaux de sociaux à un support de prolifération. Ce n’est pas le web qui crée ces idéologies, ce sont ces idéologies qui épousent la forme réticulaire de la dématérialisation numérique. La restriction des espaces d’expression et les tentatives de contrôle ne peuvent que renforcer l’irradiation de la partie la plus obscure du web.
Qui va décider d’abaisser et selon quels critères le seuil de suspicion d’une dérive criminelle ? Les tentatives de profilage et de « dépistage précoce » non seulement se montrent inopérantes, mais particulièrement dangereuses pour les libertés individuelles, particulièrement si elles s’appuient sur des routines informatiques. La logique technicienne s’auto-alimente comme une force de production autonome, une entité spécifique découplée moralement de l’humain.
Comme un écran de fumée masquant l’idéologie profonde, répandre obsessionnellement la rhétorique du terrorisme n’est nullement un amalgame ou un dérapage verbal. Ce n’est pas une gradation supplémentaire sur l’échelle de la répression, mais une mise en condition d’un nouveau régime politique. Ce qui est nouveau, ce n’est pas la nature de l’ordre pénal, mais c’est de s’en passer.
C’est l’arbitraire technocratique de l’état d’urgence qui ne peut s’accomplir sans l’apport d’une logique technicien qui enlève tout libre arbitre aussi bien pour la victime que pour le bourreau. Les drones antiterroristes et les programmes fureteurs sur Internet obéissent aux mêmes algorithmes.
La théorie du drone décrit cette violence à distance, télécommandée, recomposant la notion de guerre en une « chasse à l’homme préventive ». Pour tuer ou faire consommer, il faut déterminer l’intention avant que l’acte soit commis en comparant votre comportement à un schéma type. Votre pattern virtuel vous colle à la peau de manière bien réelle.
Il s’agit bien des mêmes méthodes de schématisation qui gomment les aspérités et les singularités individuelles pour dresser des catégories qui deviennent des « publics cibles » au profit d’usages commerciaux ou sécuritaires.
Les ouvrages et les films d’anticipation ont été les mieux à même de décrire ce moment de suffocation où l’on découvre que notre réalité n’est pas la réalité, mais une construction de la technologie du pouvoir. Un peu comme une cage de verre où l’on pense être libre tant qu’on reste dans le périmètre attribué et contre laquelle on se cogne dès que l’on exprime quelque velléité d’une autonomie du mouvement.
Est-ce la radicalité qui nourrit le terrorisme ou au contraire une nouvelle forme de radicalité qui permettrait de le combattre en posant à la fois une rupture et un enracinement. Elle peut rompre avec cette phénoménologie du désespoir conduisant à la tuerie suicidaire, se déprendre du lien entre exploitation économique et système de répression qui affaiblit le corps social. Quant à l’enracinement dans des territoires autonomes d’expérimentation d’une nouvelle gouvernance, il serait la meilleure réponse à une virtualisation et une décorporalisation de l’individu économique globalisé qu’impose l’ultralibéralisme comme forme générale de la socialité.
Contre-espaces
Les partis politiques traditionnels se montrent incapables de capter et d’assimiler cette intelligence sociale des mouvements, intelligence qu’ils préfèrent sous-traitée auprès de think tanks défendant leurs propres intérêts de classe. Perdant leurs fonctions d’encadrement et de programmation, ils sont devenus de simples coquilles vides, écuries à candidat comme le dénonce certains démissionnaires.
Le pourvoir politique devrait accepter le frottement rugueux de ces contre-espaces. Une génération dans une autoformation réciproque expérimente des modes de gouvernance qui participent à une relégitimation de l’action politique.
Ces zones autonomes à géométrie variable, enracinées ou en rhizome, resserré ou en liens lâches, empruntent aux modes d’organisation et de propagation des réseaux déconcentrés horizontaux. Cette manière de faire archipel procède d’une culture transfrontalière. Pour cette raison ces acteurs sont les mieux armés pour répondre à la déstructuration implosive de notre époque dont se nourrissent aussi bien l’idéologie néolibérale que djihadiste. Pour cette raison également le logiciel nationaliste renvoie au passé et profite plus à la logique réactionnaire identitaire comme le démontre le Brexit qu’à la gauche radicale citoyenniste qui s’en inspire, de Mélenchon à Lordon. D’autre part, la notion de « peuple » cher aux populistes reste une catégorie unificatrice du pouvoir.
Ce sont dans tous les cas des lignes de tension pour ne pas dire de fracture qui traversent les mouvements actuels. À la mondialisation du capital et de la terreur ne peut répondre qu’une forme à la fois transnationale et locale. C’est un dépassement des mouvements nationalistes et internationalistes du siècle dernier puisqu’il ne s’agit plus de compiler ou de fédérer les cadres existants, mais d’en construire de nouveaux entre globalisation de l’individu et implication territoriale.
La lutte des classes ne s’estompe pas, elle épouse de nouveaux contours. Ce qui se passe dans le monde numérique est un bon observatoire de cette lutte entre capitalisme cognitif, nihilisme fasciste et hacking libertaire.
On peut le transposer aux autres domaines de l’expérience humaine pour essayer de définir ce que serait une « politique de la multitude » renouvelant les traditions communistes et anarcho-syndicaliste révolutionariste. Les « lanceurs d’alerte » sont une autre expression moderne de cette dissidence. La résurgence de la notion des « communs » comme ressources partageables en accès libre entre l’économie privée et publique selon un modèle de gouvernance collective est aussi symptomatique de la recherche d’alternative.