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Une critique du journalisme
Ces articles de la rubrique « Ailleurs sur le web » sont publiés à titre d'information et n'engagent pas la Tendance CLAIRE.
Les médias participent à la diffusion de la propagande libérale. Une critique sociologique permet de comprendre la fabrication de l'information et son instrumentalisation politique.
Le traitement médiatique du mouvement social de 2016 révèle les manipulations journalistiques. Les médias apparaissent comme l’un des piliers du pouvoir moderne. Les mises en scène priment sur le sens politique des événements. Le sociologue Patrick Champagne propose une critique du journalisme dans le livre La double dépendance.
Ce disciple de Pierre Bourdieu se penche sur la construction médiatique de l’actualité. Les journalistes peuvent fabriquer et co-produire évènement. Les médias parviennent désormais à créer des buzz qui n’existent qu’à travers l’importance que les journalistes leur accordent. La sélection et le traitement de l’information restent influents. Les médias subissent également des influences politiques et économiques, à travers la publicité. Les sondages remplacent les enquêtes de terrain.
Le livre de Patrick Champagne propose d’analyser cette construction de l’information, au-delà des dernières évolutions liées aux médias numériques. « Autrement dit, ce n’est pas un livre d’actualité ou sur l’actualité mais un livre qui propose des outils et une grille de lecture pour essayer de mieux la comprendre », précise Patrick Champagne.
La fabrique de l’information
Le journalisme, dès ses origines, semble dominé par le champ politique. La presse conservatrice défend le pouvoir. La presse d’opposition subit la censure et la marginalité. Les événements tournent autour de la vie politique et du pouvoir. Une presse populaire se développe, davantage attachée à des considérations économiques. La contrainte politique diminue, mais l’audience et la logique économique s’imposent. A partir des années 1980, les médias audiovisuels imposent la hiérarchie de l’information.
L’événement reste une production collective. Un seul journal ne suffit pas pour mettre en avant une information. Le « scoop » ou la « révélation » doivent être repris par les autres médias pour devenir un événement. Mais la principale contrainte du journaliste provient du public qui achète le journal et détermine ce qui fait événement. Les médias « sont surtout soumis à la pression des publics pour lesquels ils produisent et ils n’existent que dans la mesure où leurs articles sont lus, c’est-à-dire dans la mesure où ils satisfont moins leurs propres attentes de journalistes que celles des lecteurs », observe Patrick Champagne. Le journal reste une marchandise qui doit se vendre.
Un titre de presse reste tiraillé entre la logique économique et le souci de crédibilité journalistique. De nombreuses rédactions sont divisées entre les personnes qui valorisent la déontologie et le sérieux et celles qui insistent au contraire sur l’audimat. Mais un journal de qualité semble surtout lié à son audience. Le succès économique devient la preuve de l’excellence d’un média.
Les journalistes se contentent de relayer des évènements pré-fabriqués. Ils ne proposent aucun regard critique sur le scénario préparé par les agences de communication. Les journalistes subissent une contrainte de temps qui ne leur permet pas de véritablement enquêter.
Le journalisme de marché
Malgré l’idéal affiché de la liberté de la presse, des contraintes et des dépendances influencent les journalistes. Une rédaction doit « laisser produire de l’information librement (condition nécessaire à la crédibilité du journal) mais à condition qu’elle soit rentable économiquement ou qu’elle ne contredise pas sa ligne politique », observe Patrick Champagne.
La censure et la contrainte politique semblent s’affaiblir. En revanche, la contrainte économique ne cesse de conditionner le contenu des journaux. Les médias dépendent de la publicité. Surtout, ils restent des entreprises qui doivent vendre leur produit. Le souci déontologique passe après le succès commercial. « Le journalisme devient une activité presque comme une autre pour faire de l’argent ou pour faire carrière », souligne Patrick Champagne. Une normalisation de l’information se caractérise par l’intensité de la concurrence et par une rapidité croissante.
Deux formes de légitimité médiatique se distinguent. Le Monde incarne une légitimité morale et intellectuelle. Mais le journal de référence de la classe dirigeante subit des difficultés économiques. Au contraire, le 20 heures de TF1 a un impact sur un large public. C’est son audience qui fonde sa légitimité. Mais le poids croissant des médias audiovisuels semble faire sauter cette frontière entre deux types de presse.
Le courrier du médiateur du Monde révèle la dérive du « journal de référence ». L’attachement à l’éthique et à la déontologie est progressivement délaissé au profit d’une logique commerciale. Ce journal se banalise et peut mettre en une des sujets frivoles. Il incarne la dérive de l’ensemble de la profession. Le médiateur ne fait que s’appuyer sur le prestige du titre de presse pour cautionner la marchandisation de l’information. « Lorsque l’ancien Monde cautionne un Monde qui a, plus qu’auparavant, les yeux fixés sur ses courbes de ventes, il contribue à légitimer, et par là à renforcer, un mode de production de l’information de plus en plus dominé par l’économie, à tous les sens », décrit Patrick Champagne.
Les évolutions du journalisme moderne
Le journalisme évolue à travers l’utilisation des sondages et Internet. Les médias, pour chaque problème qu’ils fabriquent, proposent un sondage. Cette utilisation abusive des enquêtes d’opinion ne s’inscrit dans aucune véritable démarche scientifique. Ce qui n’empêche pas les journalistes d’utiliser les sondages pour construire une improbable « opinion publique ». Les élections permettent une utilisation omniprésente des sondages qui permettent de mettre en scène le jeu politique construit comme une course de cheveux.
Les sondages d’opinion deviennent omniprésents. Ils ne proposent que des questions fermés qui ne permettent pas aux personnes interrogées de développer un véritable point de vue. Ces sondages remplacent l’enquête de terrain. Surtout, ils permettent aux journalistes de rivaliser avec les hommes politiques pour dire « l’opinion publique », ce que pensent les électeurs.
Les sondages servent surtout à mesurer l’audience des émissions de télévision. A partir des années 1980, l’audimat dicte sa loi. Les émissions sont alors programmées pour attirer un large public et ainsi les annonceurs publicitaires. « C’est toute l’entreprise de production de biens culturels qui tend à être soumise à la "loi de la majorité" d’une population politiquement définie », analyse Patrick Champagne.
Internet modifie la production et la diffusion de l’information. Il devient facile de créer et de diffuser un blog à moindre coût. Internet permet de diffuser différents supports comme l’écrit, la radio et la vidéo. C’est également un espace d’archives qui permet de rechercher des informations. Le web 2.0 permet une interactivité et casse la séparation entre l’émetteur et le récepteur. Il est possible de lire plusieurs sites et journaux selon ses centres d’intérêts. Des sites alternatifs se développent avec une approche plus critique que les médias traditionnels. Mais Internet impose également un flux d’information et une immédiateté qui produit une accélération.
Le dépassement du journalisme
Patrick Champagne propose une analyse sociologique du journalisme. Il montre bien l’emprise de la logique marchande dans la production de l’information. En revanche, sa démarche reste très déterministe. La logique marchande et la presse poubelle semblent inéluctables. Dans sa conclusion, le sociologue reconnaît lui-même les limites de cette posture. « C’est là que, malgré ses partis pris ou grâce à eux, la critique militante peut jouer un rôle important en réactivant l’utopisme sociologique, nécessaire pour lutter contre les routines de pensée qui consistent à percevoir le présent comme inéluctable et toutes les propositions de réforme comme irréalistes », souligne Patrick Champagne.
Mais il se réfère à la proposition de Pierre Rimbert qui semble beaucoup trop limitée. Un « service public » de l’information est imaginé. C’est toujours la même pensée réformiste qui pense que le marché est méchant mais l’Etat reste vertueux. La presse subventionnée risque d’évoluer comme le monde de la culture. L’élitisme creux et le confort de l’entre soi petit bourgeois ne mènent à rien. Contrairement à ce que prétend Patrick Champagne et sa clique, le marché n’est pas le seul problème. Le conformisme de classe apparaît également comme un problème assez peu souligné par les sociologues et autres universitaires d’Acrimed, et pour cause.
Pourtant, le jeune François Ruffin évoque ce problème dans Les petits soldats du journalisme. Les médias restent contrôlés par la petite bourgeoisie intellectuelle. Les journalistes semblent issus du même milieu social. Lorsqu’ils écrivent, ils pensent davantage à la réaction de leurs confrères plutôt que de s’adresser aux classes populaires. Les journalistes fréquentent davantage les milieux bourgeois et institutionnels. Ils ne comprennent pas la vie dans les quartiers populaires et les problèmes des ouvriers et employés. Même lorsque les journalistes sont précaires, ils ne cessent de s’identifier à la petite bourgeoisie intellectuelle à laquelle ils aspirent appartenir. Ainsi les médias n’intéressent plus que cette classe sociale, le reste s’apparente à l’industrie culturelle.
Ensuite, le problème n’est pas uniquement la marchandisation de l’information. C’est le journalisme professionnel. La spécialisation et la rémunération modifient considérablement cette activité. Internet peut permettre de sortir de ce modèle pour permettre à chaque groupe ou individu de créer sa propre information ou de participer à des médias libres. Vincent Goulet propose également d’inventer des médias davantage liés aux problèmes de la vie quotidienne. Les témoignages peuvent se diffuser. Les personnes en lutte peuvent relayer directement l’information. La vieille presse agonise et les nouveaux médias restent à inventer.
Source : Patrick Champagne, La double dépendance. Sur le journalisme, Raisons d’agir, 2016
Articles liés :
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Racisme médiatique et conformisme intellectuel
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La presse underground des années soixante-dix
Pour aller plus loin :
Vidéo : Usul, « Le journaliste » (David Pujadas)
Vidéo : Faire l'opinion. Le nouveau jeu politique, avec Patrick Champagne, Jeudi d’Acrimed , 21 mai 2015
Vidéo : Pierre Carles, Juppé forcément, 1995
Vidéo Damien Doignot, José Bové : le cirque médiatique, 2008
Articles de Patrick Champagne publiés sur le site Acrimed
Articles de Patrick Champagne publiés dans le portail de revues Persée
Articles de Patrick Champagne publiés sur le site Homme moderne
Patrick Champagne, « La double dépendance. Quelques remarques sur les rapports entre les champs politique, économique et journalistique », publié dans la revueHermès 1995/3 (n° 17-18)
Revue Savoir/Agir n°28, Journalisme et dépolitisation, publié en 2014
Serge Halimi & Pierre Rimbert, Information sous contrôle, publié sur le site Bondy autrement le 4 juillet 2016
Alain Garrigou, Journalisme embarqué, publié dans le blog du "Diplo" Régime d'opinion le 9 octobre 2012
Faut-il en finir avec le journalisme ?, publié dans Lundi matin #24 le 24 mai 2015
Faut-il abolir le journalisme ? Une interview, publié dans Lundi matin #27 le 13 septembre 2015
Dossier « L’info en lutte(s) », publié dans la revue Offensive n°34