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"Teach for France", un danger pour l’école publique

Lien publiée le 13 août 2016

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http://www.humanite.fr/teach-france-un-danger-pour-lecole-publique-613350

Maria Noland, étudiante américaine en sciences de l’éducation, lance une alerte sur les dangers de l’implantation en France d’une branche du réseau Teach for All, né aux États-Unis pour recruter et former des enseignants à bon marché.

L’Américaine Maria Noland a une véritable passion pour la France qu’elle nourrit de son savoir d’anthropologue complété d’un master de français qu’elle prépare à l’université de New York. Elle s’intéresse depuis longtemps aux politiques éducatives dans son pays et partout dans le monde. Face au développement du réseau Teach for All (« l’enseignement pour tous ») dans l’Hexagone, elle a créé une page Facebook intitulée Stop TFF, TFF pour « Teach for France ».

Vous êtes en quelque sorte une lanceuse d’alerte sur les dangers du réseau Teach for France sur le métier d’enseignant. Comment en êtes-vous arrivée là ?

Maria Noland Je m’intéresse depuis longtemps à Teach for America. Lorsque j’ai pris connaissance qu’une filiale s’implantait en France, j’ai voulu réagir. Au début, naïvement, je me suis laissé abuser par la générosité du discours de cette organisation. Elle affirmait combattre les inégalités scolaires et favoriser la mobilité sociale des jeunes pauvres. Comment s’y opposer ? J’ai cru que le capital se mettait au service de l’éducation. Que des entreprises françaises donneraient de l’argent pour améliorer la situation des écoles dans le besoin. L’inverse est advenu : l’éducation se retrouve au service du capital. Cette association ne compte aucun enseignant en activité. Elle n’affiche aucun parti pris pédagogique. Il s’agit d’une machine de diffusion de l’idéologie de marché.

Comment s’y prend-elle ?

Maria Noland Teach for France use d’un discours très idéaliste pour convaincre les jeunes diplômés des grandes écoles. Ils sont appelés à être des nouveaux hussards, des acteurs du changement du système éducatif. Les responsables de Teach for France se déplacent dans leurs écoles ou participent aux forums de l’emploi des entreprises que fréquentent ces étudiants. Les anciens des écoles sont très actifs dans les recrutements et très présents dans les équipes de direction. Patricia Barbizet, une ancienne de l’ESCP, administratrice de TFF, dirige Artémis, la société d’investissement de la famille Pinault. Nadia Marik-Descoings, la déléguée générale, est diplômée de Sciences-Po, qu’elle a d’ailleurs codirigée. Le message est simple. On leur dit : « Engagez-vous avec notre association. Nous allons retrousser nos manches et enseigner directement… » En clair, pas besoin de passer par le concours et toute cette paperasserie associés au service public et au fonctionnariat. Les recrues sont engagées dans les écoles publiques pour une durée de deux ans.

Leur passage dans l’enseignement est temporaire et cette expérience constitue un tremplin pour leur carrière…

Maria Noland Cette expérience enrichira effectivement leur CV. Je vois cela comme une sorte de colonisation. La branche anglaise, Teach First, est désormais le premier employeur des jeunes diplômés du pays. Une fois leur contrat de deux ans terminé, retrouver un emploi dans le privé leur est facile car ils ont fait la preuve de leur conformité aux principes du marché et de leurs capacités à manager selon ces critères. On compare souvent les valeurs des écoles Teach for All à celles des prisons. On y forme à la discipline et à la rigueur. Le droit de penser n’existe pas. Aux États-Unis, nous avons vingt-cinq ans d’expérience de la nocivité de ce réseau. Les professeurs recrutés sont exemptés non seulement d’une formation sérieuse mais ils échappent à la certification et aux contrôles de connaissances auxquels sont soumis les enseignants certifiés. Face aux élèves, ils sont contraints de suivre ce que l’on appelle un « scripted curriculum », une sorte de script sur l’année ou à la journée. La dégradation du système de formation en France offre un cadre propice à l’implantation de ces nouvelles structures privées et très liées au monde de l’entreprise.

Teach for America a-t-elle profité de financement public ?

Maria Noland Pour s’implanter, Teach for America s’est associé à de nombreux réseaux de « charter schools » gérés par le privé mais financés par l’argent public. Je pense au réseau « charters Kipp ». Il appartient à l’époux de Wendy Kopp, la présidente de TFA. Les charters signent des contrats de recrutement avec TFA, qui leur garantit un flux constant d’enseignants bon marché. Dans ces charter schools, une journée typique de travail peut durer jusqu’à 10 heures. Ces établissements ne s’intéressent ni au développement de la personne ni à celui du citoyen. Ils spéculent sur la réussite aux examens puisque les dotations qu’ils reçoivent dépendent du taux de réussite.

Teach for France justifie son existence par le manque de moyens des écoles publiques…

Maria Noland Il s’agit d’une stratégie temporaire pour se frayer un chemin dans le système. Le même discours était tenu aux États-Unis lors de la création de Teach for America dans les années 1990. Aujourd’hui, le réseau est affaibli mais il continue de recruter des professeurs certifiés, traditionnels et très expérimentés qui ne trouvent plus de poste car de nombreuses écoles publiques ont signé des contrats avec Teach for America. Bilan, nous n’avons ni la qualité ni l’économie vantées. Mais l’opposition grandit. La ville de San Francisco a interdit aux écoles publiques de signer des contrats avec Teach for America. La semaine dernière, la plus grande organisation afro-américaine, NAACP, a annoncé qu’elle arrêtait de travailler avec les charter schools. En fait, TFA sert de plus en plus à collecter des fonds et à offrir une opportunité de défiscalisation à ses donateurs.

Qui finance le réseau ?

Maria Noland Ce sont des multinationales. Elles profitent de leur implantation locale pour développer le réseau et se coordonnent pour transformer l’école en marché grâce au soutien de cabinets de conseil. Par exemple, le cabinet d’affaires et de conseil McKinsey & Company, implanté dans des dizaines de pays dont la France, est l’un des principaux donateurs. Il est à la fois capable d’analyser ce qui ne va pas et d’avancer des solutions. Ainsi, la création de Teach First en Grande-Bretagne a suivi la publication d’un rapport sur les inégalités scolaires signé par McKinsey & Co. En Belgique, la compagnie vient de participer à l’élaboration d’un rapport facturé 38 000 euros au gouvernement. Et a inspiré la réforme de l’éducation. Des cadres dirigeants des entreprises pilotent les réseaux locaux. Bernard Ramanantsoa, administrateur de Teach for France, a travaillé avec le cabinet McKinsey & Co. Il fréquente également les cabinets ministériels et la haute fonction publique comme conseiller. Laurent Bigorgne, le vice-président de Teach for France, est aussi un proche du pouvoir nommé par l’ancienne ministre de l’Enseignement supérieur au comité Sup’Emploi. Il dirige l’Institut Montaigne, un think tank ouvertement néolibéral et favorable à la réduction du budget de l’éducation.

Si on vous comprend bien, nous sommes face à une machine de guerre ?

Maria Noland On parle d’entreprises privées qui financent la formation de professeurs destinés à l’école publique, or rien n’est rendu public. Il n’y a aucune transparence. Qu’en pense le ministère de l’Éducation nationale ? On ne sait pas. Une chose est sûre. Le système de recrutement des enseignants français est parmi les meilleurs du monde. Il y a juste besoin de revaloriser le métier pour attirer des jeunes vocations. Il n’est pas normal de percevoir si peu après un concours difficile et des années d’études. Je ne crois pas que la solution soit de jeter dans l’école des jeunes motivés par la volonté de valoriser leur CV.

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