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Kurdistan : Un renouveau politique
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http://alternativelibertaire.org/?Kurdistan-Un-renouveau-politique
Les Kurdes sont sous les feux des projecteurs pour leur résistance face à Daech et à l’oppression de l’État turc, mais aussi pour les changements sociaux et sociétaux mis en œuvre au Rojava (Kurdistan syrien). Retour sur une révolution idéologique.
Depuis mon voyage au Rojava, ma vision du monde à changé. Le processus révolutionnaire en cours ne bouscule pas simplement l’équilibre des forces au Moyen-Orient, mais aussi nos idéaux révolutionnaires. En effet, les clivages qui traversent les mouvements anarchiste, communiste révolutionnaire ou encore de gauche révolutionnaire s’en retrouvent partiellement obsolètes. Ces clivages se retrouvent dans deux concepts clés : l’État et le pouvoir.
Instances de double pouvoir au niveau local
Cela a été le centre de la réflexion du mouvement de libération nationale kurde, notamment incarné par le Parti des travailleurs du Kurdistan (PKK). Pour cela, le PKK a entrepris une réflexion et une réorganisation de son corps qui a duré dix ans, de 1995 à 2005. Les éléments déclencheurs ont été la chute de l’URSS et les « années noires », lorsque l’État turc a rasé des milliers de villages kurdes et où la violence d’État a atteint un paroxysme. Replié-e-s au mont Qandil en Irak, les guérilleros et guérilleras ont élargi leurs champs de recherche en (re)lisant par exemple des auteurs comme Marx, Bakounine, Kropotkine, Luxembourg, Foucault (et d’autres postmodernes), Chomsky et Murray Bookchin. Ce dernier auteur a joué probablement le rôle le plus influent dans le renouveau de la pensée kurde. Murray Bookchin est connu pour ses thèses sur l’écologie et son mouvement municipaliste libertaire.
La majorité des révolutionnaires occidentaux sont « attentistes », attendant la grève générale, or pour Murray Bookchin les grandes mobilisations sont des « offensives de printemps » dépassant rarement les « vacances d’été ». Les luttes par des manifestations et des grèves contre les États et le système capitaliste sont une tâche parfois cruciale, mais, par leur forme, elles ne permettent pas d’inscrire un phénomène de transformation sociale durable. Murray Boochkin prône une lutte contre l’État par la construction des instances de double pouvoir au niveau local dès à présent. Il s’agit de fonder des assemblées, des conseils de quartiers qui, a terme, prendrons le contrôle de la municipalité, dissolvant l’ancien ordre. Les municipalités ainsi partiellement libérées du pouvoir de l’État pourront se confédérer contre lui.
Pour cela, Bookchin s’appuie sur les très nombreux exemples historiques de cités-assemblées confédérées contre le pouvoir des États. Pour ne citer que trois exemple : les communes du Moyen Âge, les meeting towns de Nouvelle-Angleterre, ou encore les sections parisiennes de la Révolution française. Ces expériences avaient toutes les caractéristiques de confédération en capacité de résister aux États par des milices contrôlées par les assemblées municipales, de s’appuyer sur un pouvoir de démocratie locale et d’avoir le contrôle sur leurs finances. On peut aussi trouver des expériences de cités-assemblées aujourd’hui en Europe comme à Marinaleda en Espagne ou encore à Saillans en France.
Murray Bookchin montre également que ces instances de double pouvoir jouent un rôle essentiel dans les progrès sociaux que peut obtenir la majorité opprimée. Pour Bookchin, la lutte contre les États modernes, pour être exact les États-nations, passe par la prise de conscience de l’oppression du citoyen et de son éviction du champ politique plutôt que par la construction d’une identité ouvrière. Pour lui l’incompatibilité du capitalisme avec l’écologie produira sa chute car il a pour finalité de produire un environnement non viable pour l’humanité. Il est donc incompatible avec cette dernière.
Le PKK a également approfondi son élaboration de l’État-nation. En effet, cet État au vice identitaire cherche à diviser pour mieux régner par l’opposition des identités. En Turquie, c’est sur cette base que les Turcs sont opposés aux Kurdes. Ces derniers ayant l’injonction de se laisser assimiler et d’oublier leur langue et culture. En URSS, l’État-nation a pris la forme d’une identité ouvrière opposée aux bourgeois et petit-bourgeois. C’est sur ce prétexte que la collectivisation forcée fit des millions de victimes. C’est aussi ainsi que l’URSS opposa la « science ouvrière » à la « science bourgeoise », niant pendant un temps la véracité scientifique de la relativité générale d’Einstein.
Armée autonome des femmes kurdes depuis 1992
C’est par une critique approfondie du patriarcat que les femmes kurdes du PKK ont également développé un mouvement de libération des femmes. Les femmes kurdes sont organisées dans une armée autonome depuis 1992, devenue presque indépendante aujourd’hui, les YJA-Star. Les organes d’auto-organisation féminine ont joué un rôle essentiel dans la nouvelle doctrine.
Pour le PKK, la première des oppressions est le patriarcat, qui a mis fin aux « sociétés naturelles » (le « communisme primitif » chez Marx). Les sociétés naturelles ont développé leurs premières hiérarchies sociales sur la « rupture des genres » c’est-à-dire par la création des genre féminin et masculin dans l’objectif d’exploiter les femmes. Pour la gauche kurde il ne peut y avoir de société libre et émancipée sans émancipation totale des femmes. Elles se réapproprient également le savoir, longtemps le monopole des hommes, à travers leur nouvel idéologie, la ginéologie ou science des femmes. L’un des mots d’ordre du mouvement est « tuer l’homme » en vous car selon elles c’est la mentalité masculine qui a l’origine de la recherche du pouvoir. Sur ces bases, elles éduquent les femmes puis les hommes à l’antipatriarcat, elles fondent leur propre organisation non mixte, leurs propres forces armées ou encore leurs propres coopératives agricoles comme au Rojava.
Au Rojava, l’idéologie du PKK est globalement respectée. L’économie est au mains des municipalités, comme le pétrole. Les femmes luttent tous les jours pour éduquer la société. Les municipalités sont unies par un contrat social fortement inspiré des élaborations de la fédérations des femmes kurdes. Pour finir, la majorité des décisions politiques ne dépassent pas le palier des cités-assemblées.
Tous ces positionnements politiques remettent en cause la vision qu’ont les mouvements révolutionnaires occidentaux sur le monde. Peut-être qu’une partie de la solution à nos difficultés se trouve dans ce mouvement non blanc, féministe, écologiste et démocratique de Mésopotamie.
Raphaël Lebrujah (ami d’AL)