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Que veulent les mineurs boliviens qui ont lynché un ministre ?

Bolivie

Lien publiée le 9 septembre 2016

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Ces articles de la rubrique « Ailleurs sur le web » sont publiés à titre d'information et n'engagent pas la Tendance CLAIRE.

(Arrêt sur images) Un vice-ministre de l'Intérieur lynché à mort par des mineurs en grève ? Ça se passe en Bolivie. Mais lorsque en France, certains médias évoquent le sujet et le conflit social qui a conduit à ce pic de violence, ils foncent droit dans le contre-sens. La faute à une dépêche de l'AFP qui fait fausse route.

Il aura donc fallu un drame spectaculaire pour que les médias français s’interrogent enfin : "Mais que se passe-t-il en Bolivie?" Depuis quelques jours, la presse française et étrangère fourmille d’articles sur le pays andin, habituellement dans l’ornière médiatique. Vous pensez bien : un vice-ministre de l’Intérieur, battu à mort par des mineurs en colère, sur fond de contestation du gouvernement bolivarien d’Evo Morales.

La presse a rapporté comment le 25 août dernier, Rodolfo Illanes a été séquestré puis lynché par une foule de "mineurs en colère" dans un petit village situé à une centaine de kilomètres de La Paz.


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Le gouvernement bolivien a d'emblée dénoncé la façon dont Illanes avait été "lâchement et brutalement assassiné" par ses ravisseurs, alors qu’il se rendait sur les lieux, en tant que médiateur, pour entamer un dialogue avec les mineurs. Car depuis plusieurs semaines le conflit couvait entre les mineurs et le gouvernement de Morales. "Les mineurs bloquent depuis plusieurs jours un axe routier important pour exiger le droit de se réunir en syndicats", affirme l’Agence France Presse dans une dépêche reprise depuis, entre autres, par Le MondeLe ParisienDirect MatinLe Pointla RTBF. Seul problème: les mineurs n’exigent absolument pas, comme on peut le lire, le droit de se réunir en syndicat. Bien au contraire.


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Quand Direct Matin reprend l'affirmation erronée de l'AFP... en légende

DES MINEURS, MAIS PAS CEUX QU'ON CROIT

Dans le conflit social qui oppose les mineurs au gouvernement, leur revendication première est bien au contraire de rejeter l’instauration de syndicats dans les mines, voulue par Morales. Car ces mineurs ne sont pas de simples ouvriers, mais les représentants des puissantes coopératives minières qui n’ont cessé d’étendre leur influence sous l’ère Morales. En l’espace de trente ans, ces petites associations sans but lucratif se sont muées en un vaste réseau de près de 1700 coopératives qui font travailler, directement ou en sous-traitance, près de 100 000 personnes à travers la Bolivie.

Dans un pays où le secteur minier représente la seconde source de richesse (après le gaz) et plus d’un quart des exportations, ces coopératives ont acquis une influence politique majeure. Morales l’a bien saisi, lui qui après avoir été élu avec leur concours, a pris soin de s’en faire des alliés politiques. Mais voilà, comme le rappelle El Pais"ces dernières années, avec la flambée des prix, de nombreuses coopératives se sont transformées en des entreprises privées illégales, dans lesquelles un petit groupe de membres fondateurs exploitent les mineurs nouveaux venus." Observateur averti de la situation en Bolivie, le correspondant duFigaroPatrick Bèle constate de son côté que "plusieurs enquêtes ont montré que les mines sont exploitées avec des milliers de travailleurs soumis à des conditions de travail très pénibles, surtout quand ils sont employés par les multiples sous-traitants des coopératives minières."

"PAS DE SYNDICALISTES DANS NOTRE SECTEUR"

C’est dans ce contexte, que le gouvernement Morales a décidé de réguler la situation. En promulguant en août une réforme du travail qui instaure notamment la création de syndicats au sein des coopératives de mineurs afin d’éviter les dérives. Initiative mal accueillie. "Nous ne voulons pas de syndicalistes dans notre secteur", s’insurgent alors les dirigeants des coopératives qui n’entendent pas se faire dicter la loi. Ils rejettent également en bloc une autre mesure de régulation visant à les empêcher de louer les concessions minières à des entreprises privées.

Entre les "petits patrons" coopérativistes et le gouvernement, le climat s’envenime. Pendant près de deux semaines, les mineurs bloquent des axes routiers, des heurts éclatent avec les forces de l’ordre. La situation se tend encore après "une fuite" relayée sur les réseaux sociaux, selon laquelle les autorités auraient donné l’ordre d’interpeller des dirigeants coopérativistes. Une information aussitôt démentie par le ministre de l’Intérieur, Carlos Romero.


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Selon le ministre Carlos Romero, l'ordre d'interpeller les dirigeants coopérativistes est "faux"

Mais entre coopérativistes et mineurs, la confiance est rompue. D’autant que les manifestants dénoncent désormais la mort par balle de deux de leurs militants lors d’affrontements avec la police le 24 août.

DES VIDÉOS RÉVÉLÉES PAR L'OPPOSITION

C’est dans ces circonstances explosives que le lendemain, le vice-ministre de l’Intérieur est dépêché sur place à Panduro pour tenter de renouer le dialogue. Il est alors retenu par les manifestants. Et le lendemain Illanes est retrouvé mort au bord d'une route.


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Le corps de Rodolfo Illanes retrouvé le 26 août au matin sur le bord de la route.

Selon, le ministre de la Défense pas de doute : il a été enlevé, puis "torturé et battu à mort".Dès le lendemain son portrait fait la Une de la presse bolivienne.


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Selon les autorités, les mineurs auraient menacé de le torturer s'ils n'obtenaient pas de réponse à leurs exigences concernant le retrait de la réforme. Le gouvernement a prévenu qu’il serait inflexible. Depuis deux semaines, les interpellations se multiplient. Alors que l’enquête est en cours, des vidéos ont fait leur apparition sur Internet, comme le relate la correspondante de RFI en Bolivie. Elles montrent les dernières heures du vice-ministre. Dans la première, on peut voir Illanes entouré d’une foule. Le vice-ministre est visiblement en train de passer un appel depuis son téléphone portable. Autour de lui, on entend crier : "Dix minutes pas plus. Sinon ce sera un carnage."

Dans une autre vidéo apparue quelques jours plus tard et prise d’un autre angle, on voit clairement Illanes s’entretenir au téléphone avec son ministre de tutelle, Carlos Romero : "Ils me retiennent monsieur le ministre (…) dans le village de Panduro. Je vous demande de bien vouloir suspendre tout affrontement, ils veulent dialoguer." Et Illanes de passer le téléphone à un homme filmé de dos, tête couverte d’un chapeau et inidentifiable. Il se présente comme "dirigeant" d’une coopérative : "On veut renouer le dialogue. Mais au moindre assaut inattendu de la police, on prendra d’autres dispositions pour que vous compreniez qui vous avez en face de vous et pour faire respecter nos droits", explique-t-il avant d’assurer qu’aucun mal n’a été fait au vice-ministre. Et l’homme de lâcher ses conditions pour une reprise du dialogue : "On vous demande avant toute chose de libérer nos camarades."

La première de ces vidéos a été dévoilée le 29 août par un journaliste bien connu en Bolivie: Carlos Valverde. Ex-chef des services de renseignement boliviens de 1989 à 1993, l’homme dont nous vous parlions ici et ici s’est depuis reconverti dans le journalisme d'opposition au président Morales. Après avoir fait courir plusieurs rumeurs sur un prétendu fils caché de Morales, il s’est exilé en Argentine il y a quelques mois. "Le gouvernement l’a pressé de révéler ses sources. Il a refusé via Periscope, réseau sur lequel il a diffusé un long message dans lequel il explique qu’il n’a rien à dire à la justice et que ces images révèlent l’incapacité du gouvernement à gérer une crise."

De fait, la révélation de ces images, Versées au dossier d’enquête, soulève bien des questions, comme le souligne la correspondante de RFI. Pour certains : ces vidéos "prouverait" la sauvagerie des dirigeants de coopératives prêts à tout pour parvenir à leurs fins. Pour les opposants de Morales, en revanche, elles posent en tout cas une question : le gouvernement a-t-il abandonné à son sort le vice-ministre, sacrifié sur l’autel du conflit ? De son côté, le président bolivien accuse l’opposition conservatrice d’être derrière le mouvement coopérativiste.


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Il a d'ailleurs publié un message sur Twitter: "nous déplorons la nonchalance de l’opposition et de certains médias qui essaient de transformer des victimes d’un conflit social en étendard politique."