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Aurélien Legrand: du rouge vif au bleu Marine

Lien publiée le 13 septembre 2016

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Ces articles de la rubrique « Ailleurs sur le web » sont publiés à titre d'information et n'engagent pas la Tendance CLAIRE.

http://www.liberation.fr/france/2016/09/13/aurelien-legrand-du-rouge-vif-au-bleu-marine_1495882

Professeur d’histoire devenu cadre du FN, cet ancien militant est passé sans sourciller de l’idéologie trotskiste au discours lepéniste.

Aurélien Legrand.

«Je ne peux rien vous dire.» A l’autre bout du fil, la voix d’Aurélien Legrand met fin à la conversation. Nous sommes début 2016 et le bruit court que ce jeune professeur d’histoire, membre du Front national, est en voie de promotion au sein du parti. Directeur de campagne de Wallerand de Saint-Just lors des élections régionales en Ile-de-France, l’homme aurait tapé dans l’œil de Marine Le Pen. Mais de cela, il ne veut rien dévoiler : certaines ascensions sont d’autant plus sûres qu’elles restent discrètes.

Pourtant, la sienne est aujourd’hui évidente : déjà conseiller régional, Legrand a été nommé au printemps délégué général du Rassemblement bleu marine, ce faux-nez censé élargir l’audience du parti. Conseiller de Marine Le Pen, il participait vers la même époque à la réunion hebdomadaire où une petite équipe discutait du discours et des déplacements de la candidate à la présidentielle. Enfin, il pourrait prochainement intégrer l’équipe de campagne de celle-ci, encore en cours de composition. Beau parcours pour celui qui compte à peine deux ans d’ancienneté au Front national : c’est à la mi-2014 seulement qu’il a rejoint le parti lepéniste. Un nouveau départ pour celui dont la trajectoire a commencé à l’exact opposé de l’échiquier politique.

Dans une autre vie, notre homme signait «Aurélien Smirnoff». Nous sommes en 2009 : membre du Nouveau Parti anticapitaliste (NPA), Legrand écrit sous pseudonyme pour le journal du mouvement. Entre deux critiques ciné, il y dénonce la «tentation FN» , fustige la«répression du mouvement social» et défend les sans-papiers, «boucs émissaires» du pouvoir sarkoziste. En tout, le professeur d’histoire aura passé deux ans à l’extrême gauche - soit à peu près autant qu’au Front national jusqu’à présent. Cet engagement n’a rien d’un secret, au point que Legrand s’agace d’y être régulièrement renvoyé : lui s’efforce au contraire de ne pas détonner au sein de sa nouvelle famille. «Il est vraiment tout à fait dans le moule» , témoigne un élu régional FN.«Quand je repense au passé, je souris de ma naïveté, renchérit l’intéressé. Le NPA, c’est une parenthèse refermée. Ce qu’il m’en reste ? Peut-être la discipline de travail et l’organisation.» Des qualités trotskistes désormais mises au service d’une autre «révolution», couleur bleu marine.

Ambitieux trop pressé

Méthode et organisation marquent aussi le début de cet étonnant parcours. Nous sommes au milieu des années 2000, Legrand n’a pas 25 ans. L’enfant de Cambrai, issu de la «classe moyenne déclinante»mais cultivée, est descendu à Paris pour des études d’histoire. Il a soif d’engagement. «Un ami m’avait passé l’Etat et la Révolution de Lénine,raconte-t-il. J’ai trouvé cela très intéressant, alors j’ai approfondi avec d’autres lectures. Puis j’ai fait un panel des partis d’extrême gauche.» Le PCF ? Trop stalinien. Lutte ouvrière ? «Une secte.» Reste la Ligue communiste révolutionnaire (LCR), qu’il rejoint à l’été 2007.

Ex-membre de la LCR, Latifa se rappelle de l’allure du nouveau venu,«plus soignée que celle des autres ce n’était pas le genre à venir en jean dégueulasse». Le professeur milite alors dans le XIIIe arrondissement. A ses anciens camarades, il a laissé le souvenir d’un adhérent assidu, au moins jusqu’à début 2009. Mais aussi d’un ambitieux trop pressé : «Tout le monde me l’a présenté comme un second couteau un peu arriviste»,raconte Alain Krivine, figure historique de la LCR. Une impression partagée par plusieurs adhérents de l’époque : «Aurélien cherchait à se rapprocher des gens qui avaient de l’influence, se souvient Antoine. Il ressemblait moins à un militant qu’à quelqu’un qui se cherche un réseau de socialisation.» Pour un autre, Legrand «aspirait à "renouveler les logiciels". Mais il avait aussi l’air de vouloir nous apprendre la vie, ce qui était assez agaçant.» Politiquement, poursuit-on, «il était assez abstrait et intervenait peu sur le fond. Rien non plus ne laissait présager ses futures idées. Son truc, c’était plutôt une espèce d’invocation du renouvellement politique. Il nous a expliqué que ce qui l’intéressait, ce n’était pas tant la Ligue que l’avènement du NPA.»

Lancé en février 2009, le nouveau mouvement est censé dépasser les frontières de la LCR et devenir la maison commune des anticapitalistes. Impliqué dans le processus, Aurélien Legrand intègre l’équipe de Tout est à nous , l’hebdomadaire du Nouveau Parti anticapitaliste : une belle place pour celui que passionnent les questions de communication. «C’est vrai qu’il cherchait un peu la lumière, mais il avait surtout de bonnes idées, se souvient Frédéric Borras, ancien responsable de la communication au NPA. Il voulait moderniser notre communication : pousser la logique Besancenot, abandonner notre jargon radical que personne ne comprenait, parler simple et moderne.» En dépit du soutien de Borras, ce projet n’aboutira pas. «Les anciens de la LCR avaient confisqué le mouvement pour en préserver l’orthodoxie, raconte aujourd’hui Legrand. Ils étaient réfractaires à toute innovation. Au comité de rédaction, on m’a d’abord demandé de lire un vieux texte de Trotski, où il conseille aux militants sibériens d’utiliser de gros caractères d’imprimerie pour que les gens puissent les lire.» Déçu, le jeune homme quitte le NPA sans bruit à l’automne 2009, moins d’un an après le lancement du parti.

A ce déprimant finale, succèdent plusieurs années sans engagement, durant lesquelles Legrand mûrit ses nouvelles convictions. L’homme dit avoir été frappé par le déclin de sa ville d’origine, Cambrai (Nord). Professeur dans l’Essonne, il évolue aussi au contact de ses élèves : «Je me suis rendu compte que même les plus turbulents étaient en demande d’autorité et de savoir. Et puis, en prenant le RER tous les jours, j’ai aussi constaté les problèmes d’immigration.» En la matière, l’enseignant n’est d’ailleurs pas une page blanche : «Adolescent, je m’intéressais aussi bien au discours de la gauche qu’à celui de Jean-Marie Le Pen, raconte-t-il. Parce qu’au collège, les perturbateurs venaient souvent de l’immigration. Le sujet me travaillait toujours pendant mon passage à l’extrême gauche, même si je lui donnais alors d’autres explications.»Un discours de Marine Le Pen sur «les questions sociales, en 2011 ou 2012» achève de le convaincre. Et c’est deux ans plus tard qu’il franchira le pas de l’adhésion. «On dit souvent que je suis venu par carriérisme, mais j’ai perdu pas mal de copains dans l ’histoire, assure-t-il. Sans compter les collègues qui ont arrêté de me parler.»

«Espion bolchévique»

Les nouveaux camarades de l’enseignant sont, eux, ravis de la prise. «Un type comme Aurélien, cela arrive une fois sur cinquante» , se félicite encore Wallerand de Saint-Just. Lorsqu’il reçoit Legrand dans son bureau, mi-2014, le patron du FN parisien comprend vite l’intérêt de sa nouvelle recrue : «Quelqu’un de valable qui se présente chez nous, on lui saute dessus.» Professeur diplômé, militant chevronné, Legrand a tout pour plaire dans un parti désespérément pauvre en cadres. Venu de la gauche, il symbolise en outre l’ambition du Front national de s’adresser à tous les publics - quoique les anciens trotskistes soient moins nombreux dans ou autour du FN que les représentants de l’extrême droite radicale. Scrupuleux, Saint-Just s’assurera tout de même de ne pas avoir affaire à « un espion bolchévique» avant de signaler sa trouvaille à la direction du parti, et de lui confier de premières responsabilités.

Travailleur, le nouveau venu se rend vite indispensable. Ces idées dont le NPA ne voulait pas, le FN en est vorace : «Un jour, un peu avant les régionales, il m’a dit : "J’ai pensé à quelque chose" , raconte Wallerand de Saint-Just. J’ai répondu : "Alors, il faut l’écrire." C’est comme cela qu’il a commencé à faire des notes pour Marine Le Pen.» Toujours sur la communication, son sujet favori : avec d’autres, Legrand a notamment suggéré à la présidente du FN d’ouvrir un blog, moyen pour elle de court-circuiter des médias jugés hostiles. Désormais professionnel de la politique, le professeur d’histoire s’est mis en disponibilité. Depuis sa nouvelle place, l’homme dénonce la «submersion migratoire» avec le même entrain qu’autrefois les «rafles» de sans-papiers.

Au NPA, les ex-camarades de Legrand gardent la mémoire de ses intuitions marketing plus que de ses interventions de fond. La même impression domine aujourd’hui chez plusieurs responsables frontistes, face à l’orthodoxie du personnage. «Il est tellement sur la ligne du FN que c’en est étonnant au regard de son parcours, confie un camarade de parti. Socio-culturellement, il fait presque de droite : vous me diriez qu’il vient de chez Villiers, je vous croirais.» Moins candides, d’autres voient dans cette plasticité la marque des grands ambitieux.«Trotskiste un jour, trotskiste toujours», grogne même un familier du siège frontiste.«Discipline et organisation», répondrait «Aurélien Smirnoff».