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La gauche à l’épreuve d’une jacquerie nommée « Brexit »
Ces articles de la rubrique « Ailleurs sur le web » sont publiés à titre d'information et n'engagent pas la Tendance CLAIRE.
http://www.medelu.org/La-gauche-a-l-epreuve-d-une
Avec le Brexit, la fin d’une histoire s’écrit. Celle de l’Union européenne (UE) en tant qu’incarnation symbolique de l’Europe. Quelle que soit l’issue des négociations à venir entre l’UE et le gouvernement britannique [1], l’involution politique nommée « Brexit » met un coup d’arrêt à l’Europe des pères fondateurs à qui elle délivre de surcroît un message douloureux : l’intégration des sociétés du Vieux Continent par le primat du marché, de l’économie, de la monnaie et la vassalité géopolitique aux Etats-Unis ne leur garantira ni la paix ni la prospérité, comme elle ne les mènera pas vers le chemin de leur union [2].
Certes, le Brexit doit être évalué à partir du contexte historique, politique et géopolitique singulier du Royaume-Uni (son rapport ancestral à l’Europe). Mais il doit également être compris pour ce qu’il porte en lui de profondément systémique, au-delà de ses propres frontières géographiques. Les Britanniques ont voté tout à la fois contre les politiques de l’UE (y compris contre ses politiques – ou non politiques – présumées en matière d’immigration et d’élargissement), ses institutions, ses traités, ses gouvernements, son establishment et celui de tous les pays européens pris séparément.
Ainsi, le Brexit est avant toute chose le nom d’une jacquerie électorale contre un système que l’UE incarne jusqu’au paroxysme. Ce système, encensé par toutes les figures politiques, économiques, médiatiques et culturelles des élites discréditées et autistes des nations européennes, c’est celui du dépérissement social, de la dépossession et des brimades démocratiques, de la tyrannie des puissants et de l’économie, de l’hyper-concurrence entre tous, de la peur en l’avenir, pour soi et ses enfants.
Le vote du peuple britannique condense l’énergie incandescente et négative des colères populaires non prises en compte par les classes politiques « Pespi/Coca », les partis de centre gauche et de centre droit qui gouvernent. En période de crise économique et sociale aiguë, leurs choix ordolibéraux et austéritaires minent les Etats dont les ressources disponibles pour le financement des systèmes sociaux et de solidarité ne cessent de se réduire. Ce faisant, ces oligarchies indécentes dont les membres les plus éminents transitent sans vergogne de la vie publique aux banques d’affaires fraudeuses [3] jettent dans les bras de l’extrême-droite de nombreux secteurs de la population qui trouvent dans la figure de l’immigré la cause immédiatement punissable et accessible de leur appauvrissement continu.
Bruts, révoltés et violents, les soulèvements purs du type Brexit interviennent tandis que les populations dominées et abandonnées à la tyrannie des seigneurs mondialisés ne voient pas de perspectives alternatives à leur condition.
Et c’est hélas ici que commence le problème de la gauche. Faible dans tous les pays européens – ou insuffisamment puissante pour accéder au pouvoir d’Etat et/ou gagner l’hégémonie culturelle et politique dans la société -, réduite sur le plan de sa crédibilité après l’échec de l’expérience Tsipras – qui a douché, il y a à peine un an, les espoirs soulevés par le référendum grec contre l’austérité -, elle n’est pas en mesure de donner la moindre crédibilité à son chimérique discours de refondation démocratique, sociale et écologique de l’Union européenne.
Chimérique en effet car on ne demande pas à un système juridico-politique conçu pour produire du néolibéralisme et de l’austérité à échelle de masse et organiser la hiérarchie des rapports de forces inter-étatiques capitalistes européens autour de la domination du centre allemand d’impulser et d’ordonner une mutation copernicienne vers de nouveaux modèles d’intégrations solidaires.
De tels modèles, s’ils advenaient à l’issue d’un affrontement politique majeur et de fractures au sein des élites communautaires et nationales, provoqueraient la mort clinique de l’UE. Cette dernière ne saurait survivre, dans son architecture institutionnelle et son périmètre géographique, à son éventuelle réforme et démocratisation [4]. De ce point de vue, quoi qu’il arrive, changer l’UE, c’est, in fine, sortir de son système. Soi même ou ses adversaires bousculés mais désireux de rester fidèles à ses principes et à sa fonction.
Dans ces conditions, la gauche est-elle mieux armée pour rendre viable une autre stratégie : sortir par la gauche de l’UE dans un pays (ou des pays) et à partir de là, amplifier la crise européenne dans un affrontement assumé pour obliger à la redéfinition du projet continental ? Aujourd’hui et à moyen terme, non. La faiblesse et l’impossible synchronisation des forces de gauche en Europe et dans chaque pays de la région empêchent de croire en un tel scénario. Et ce, d’autant plus qu’il n’a pas été choisi par la gauche britannique lors du référendum du 23 juin.
Force est d’admettre que la gauche ne dispose pas aujourd’hui des moyens de résoudre les contradictions de la situation historique et que l’hégémonie « sortiste » appartient au camp des forces réactionnaires et xénophobes dont le projet a le mérite de la clarté : sortir pour redonner sa pleine autonomie au patronat national face à son homologue allemand dominateur, gagner de nouvelles marges de manœuvre nationales dans une concurrence internationale exacerbée et accroître l’exploitation des travailleurs nationaux par le patronat national dans le cadre d’une société disciplinée, tenue par un Etat et un parti forts.
Pourtant, et même dans ce contexte, le « Lexit » (« Left Exit » / « sortie à gauche ») est l’orientation que doit aujourd’hui poursuivre la gauche pour s’ouvrir un futur [5]. Elle doit le faire en l’accompagnant d’une proposition visant à définir une autre association européenne – rebaptisée – dont les bornes politiques se situeront entre la coopération inter-étatique poussée et l’intégration solidaire sous contrôle démocratique [6]. Le gauche doit élaborer cette proposition – aujourd’hui en chantier et non consensuelle en son sein – partout en Europe en affirmant, contrairement à l’extrême-droite, qu’un projet internationaliste de sortie est impératif et qu’il s’agit de briser le système européen pour rendre aux peuples leur dignité, leur autonomie et leur pouvoir d’implication face à ceux qui les exploitent, fussent-ils « nationaux ».
Elle doit s’y appliquer d’autant plus que contrairement à ce qu’assènent les médias et l’eurocratie pour effrayer les opinions et se remobiliser, la structure opérationnelle UE ne va pas se désintégrer comme cela, ni se réformer. Elle continuera de fonctionner, sous sa forme zombie, pour ce qu’elle sait faire (administrer les intérêts des marchés financiers et du libre-échange). L’intérêt des classes dirigeantes européennes n’est pas la désintégration de leur espace et outil, ni sur le plan économique, commercial ou géopolitique. Bien que partiellement concurrentes, toutes ces oligarchies ont besoin de l’UE, de son marché unique et de ses règles telles qu’elles sont.
Un débat s’aiguise bien entre elles, mais il ne concerne pas la remise en cause de leur cadre commun – l’oligarchie britannique a voté pour le « oui » à l’UE – sinon le niveau d’ajustement qu’elles peuvent imposer à leurs sociétés pour consentir aux exigences du gouvernement allemand et de ses alliés en matière d’ordolibéralisme. La position de la première puissance européenne se précise en effet à mesure que les crises se succèdent. Si des pays ne suivent plus et refusent un surcroît de contrôle de leurs budgets et de leurs économies, ils pourront demeurer dans l’UE mais en tant que membres de seconde zone et laisser le noyau ordolibéral approfondir son intégration. Ou bien, ils auront le droit de partir. Pour Berlin, ceux qui veulent bénéficier de la chaîne de valeur économique allemande doivent accepter sa prise de contrôle et répondre à ses critères d’austérité budgétaire et de discipline fiscal. Le départ formel du Royaume-Uni risque de renforcer cette centralisation du pouvoir européen à Berlin au détriment des équilibres précaires dont croit encore bénéficier Paris.
Ce faisant, les dirigeants européens les plus puissants, en Allemagne, parmi ses alliés et ceux qui n’osent pas lui contrevenir, vont, à l’instar de ce qu’ils ont fait lors de la « crise grecque », conclure de la situation actuelle qu’il faut renforcer la stabilité et l’irréversibilité du système européen tel qu’il est.
En quelque sorte, une nouvelle ritournelle s’écrit dans les coursives des pouvoirs européens. Elle se chantonne autour de deux messages : « L’UE, ca ne marche pas parce qu’il n’y a pas assez de respect des règles de l’UE » et « L’UE, tu l’aimes ou tu la quittes ». Face aux risques systémiques, le système européen va ainsi se radicaliser pour tenir et s’organiser de sorte à éloigner toujours plus les peuples des prises de décision.
Ainsi, c’est vers plus de fédéralisme autoritaire que s’apprêtent à nous conduire les dirigeants européens. Fédéralisme qui viendra, en retour, nourrir et gonfler la colère des peuples et renforcer l’extrême droite.
La gauche peut-elle encore répondre « L’Union européenne, je l’aime, mais je veux la changer » ou « L’Union européenne, je pourrais l’aimer si elle était différente » ? Non. Elle doit oublier ses songes et retrouver sa vérité. Elle doit affirmer que les dirigeants européens ne sont plus crédibles pour proposer de nouvelles solutions qui ressemblent toujours plus aux anciennes. Elle doit exiger un moratoire sur l’UE, sur ses décisions en matière économique, sociale et de négociations de traités internationaux ; affirmer que toute fuite vers plus de fédéralisme renforcera inexorablement l’extrême droite.
Elle doit soutenir – même s’il n’est pas immédiatement opérationnel – le choix du « Lexit » comme point d’appui pour proposer de nouvelles alliances européennes et poser la question d’un nouveau texte fondateur – post traités européens actuels – entre pays qui souhaitent partager un destin en dehors du dogme néolibéral. Dans cette perspective, elle doit promouvoir une méthode pour qu’advienne une Europe des coopérations volontaires à géométrie variable entre pays, qui favorise le développement de politiques dérogeant aux logiques du marché et auxquelles puissent s’associer d’autres pays n’ayant pas de frontières géographiques communes.
Pour atteindre des objectifs démocratiques, de justice sociale, écologique et d’indépendance, cette nouvelle association européenne devra notamment se nouer à partir d’une refonte du principe de subsidiarité, du système de hiérarchie des normes et de la mise en place de mécanismes de transferts de souveraineté (notamment sur certains sujets transversaux comme le climat, l’énergie, etc.) toujours contrôlables et révocables le cas échéant.
Illustration : Rareclass
DOCUMENTS JOINTS
- La gauche à l’épreuve d’une jacquerie nommée « Brexit » (PDF – 102.4 ko)
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NOTES
[1] Ces dernières nous diront si le Royaume-Uni se détachera réellement de l’édifice ou s’il conservera l’essentiel de ses liens opérationnels avec lui au prix d’un rafistolage juridique opportuniste qui préservera les intérêts vitaux des milieux d’affaires et de la finance des deux côtés de la Manche. Cette option est la plus probable.
[2] Sur l’analyse des résultats du référendum du 23 juin, lire Bernard Cassen, « Après le Brexit, la nécessité d’une pause », Mémoire des luttes, juillet 2016.
[3] Le 8 juillet 2016, la banque d’affaires américaine Goldman Sachs, responsable du trucage des comptes publics grecs pour répondre aux exigences de l’euro et de millions d’emplois détruits par la crise financière de 2008, a annoncé le recrutement de l’ancien premier ministre portugais (2002-2004) et ancien président de la Commission européenne (2004-2014) José Manuel Barroso. Le dirigeant a également fait partie des quatre chefs d’Etat et de gouvernement (avec George W.Bush, Tony Blair et José Maria Aznar) responsables du crime de l’invasion de l’Irak lors du Sommet des Açores en 2003. Goldman Sachs avait pu compter précédemment avec les services de l’actuel président de la Banque centrale européenne, Mario Draghi (2002-2005), de l’ancien président du Conseil italien, Mario Monti (2005-2011), et de l’éphémère premier ministre grec Lucas Papadémos (2011-2012).
[4] Christophe Ventura, « L’Union européenne ne survivrait pas à sa démocratisation », Mémoire des luttes, février 2016.
[5] Le 7 juin 2016, le groupe de réflexion et d’intervention « Chapitre 2 », dont l’auteur est l’un des membres fondateurs, a lancé son manifeste « La France au futur » dans lequel il affirme : « La France deviendra un pays meilleur, à la condition qu’elle retrouve la voie de sa démocratie, qu’elle soit plus juste et inclusive, qu’elle s’insurge contre le système de l’Union européenne (UE), ses traités et ses institutions, qu’elle s’engage radicalement pour la décarbonation de son économie et qu’elle agisse au service de la paix dans les relations internationales ». Chapitre 2 oeuvrera pour mettre au cœur de la campagne présidentielle et législative française de 2017 la question européenne. Site : http://chapitre2.hautetfort.com/
[6] Constitué de personnalités européennes engagées pour une sortie de gauche de l’euro et des formes néolibérales de l’intégration européenne, le réseau européen « Lexit » a publié, le 29 juin 2016, un appel fondateur intitulé « La démocratie et la souveraineté populaire contre l’échec de l’intégration néolibérale européenne et de l’euro ». Ce réseau contribuera activement à faire vivre ce débat dans les mois à venir : http://lexit-network.org/appel