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Si le patron est un algorithme, baisons l’algorithme
Ces articles de la rubrique « Ailleurs sur le web » sont publiés à titre d'information et n'engagent pas la Tendance CLAIRE.
http://rue89.nouvelobs.com/2016/09/20/si-patron-est-algorithme-baisons-lalgorithme-265196
Lorsque Uber s’est répandu dans le monde entier, on a pris conscience d’une nouvelle réalité vouée à prospérer : désormais, votre patron pouvait être un algorithme, un programme informatique. Parce que le modèle Uber, qu’est-ce que c’est ? C’est une plateforme qui met en relation des chauffeurs et des clients, en automatisant les processus.
Par exemple, en ce qui concerne le prix de la course, il est fixé par un savant calcul qui fait un ratio entre l’offre en conducteurs et la demande en courses, sur le modèle du « yield management » pratiqué dans l’industrie du tourisme, et qui fait qu’en période de pointe, le tarif s’élève en temps réel (le but étant d’encourager les conducteurs à travailler aux heures de pointe).
Des chauffeurs Uber protestent contre la faible rémunération d’UberEats, face aux dirigeants, à Londres le 26 août 2016 - Matthew Chattle/Shutter/SIPA
Et on a vite remarqué qu’un algorithme était un patron exigeant. En novembre dernier, une étude de la New York University relevait que ce mode de gestion algorithmique construisait – je cite – « des formes de surveillance et de contrôle qui résultent en asymétries d’informations et de pouvoir pour les travailleurs ».
Dans ces processus de surveillance et d’asymétrie, l’informatique a une grande part, parce que le GPS permet de localiser en temps réel les chauffeurs et parce que, quand on veut changer les conditions de travail, il suffit de changer l’algorithme, ce que Uber ne s’est pas gêné pour faire àquelques reprises, sans négocier quoi que ce soit.
Détournement de l’algorithme
Bref, on en venait presque à regretter le patron à l’ancienne, humain et faillible, face à la froide puissance de ce que les chercheurs belges Antoinette Rouvroy et Thomas Berns appellent « la nouvelle gouvernementalité algorithmique ».
Sauf que voilà, il ne faut pas mésestimer l’insoumission de l’être humain – et du travailleur en particulier.
Ainsi il semblerait que dans certaines villes, les chauffeurs Uber aient mis au point une stratégie très efficace pour tourner à leur avantage le calcul automatique. Quand ils voient se profiler un pic de demandes prévisibles (c’est le week-end et il y a un gros événement dans la ville), les chauffeurs se débranchent tous de la plateforme en même temps.
Ce qui a pour effet de faire chuter brutalement l’offre, alors même que la demande augmente. D’où une hausse automatique du prix de la course (certains disent jusqu’à six fois). Ce phénomène aurait été observé dans certaines villes américaines, mais aussi en Australie (à Sydney, Melbourne).
Néol-luddisme malin
Si cette histoire est vraie (c’est difficile à vérifier car il faudrait des données précises, or nous n’avons que des récits) nous pouvons en tirer une leçon : il est assez beau qu’un acte aussi élémentaire qu’éteindre et rallumer son téléphone (mais le faire tous ensemble) puisse perturber le fonctionnement d’un programme informatique aussi efficace par ailleurs que celui de Uber.
Il y a quelque chose d’assez beau dans ce néo-luddisme qui ne casse pas les machines, mais détourne à son profit les règles qui la fait fonctionner. Ce qui signifie qu’au répertoire classique des moyens de la lutte sociale, il faudrait ajouter aux moyens classiques la lutte algorithmique, qui a pour elle de toucher au cœur du modèle d’une entreprise comme Uber.
Car si on peut considérer qu’à très court terme, ces hausses soudaines de prix bénéficie à Uber (qui se rémunère en prélevant une commission indexée sur le prix de la course), à moyen terme, c’est très embêtant pour la société. La promesse d’Uber, ce sont des prix justes et avantageux pour le client, si ce sont les chauffeurs qui les fixent, où va-t-on ma bonne dame ?
Voiture autonome contre chauffeurs rebelles
Il est donc probable qu’Uber réagisse vite si le phénomène se répand. De toute façon, il semblerait qu’Uber réfléchit depuis un petit moment à atténuer ces pics tarifaires, qui ne plaisent pas tellement aux clients, et qui ont eu quelques manifestations malheureuses (ainsi quand lors d’une prise d’otage qui avait eu lieu dans le centre de Sydney, le prix des courses avait été automatiquement multiplié par quatre, ce qui n’était pas du meilleur effet parce qu’on y avait découvert soudain que la rationalité économique n’était pas forcément morale).
Il n’est pas certain que cela dure bien longtemps, donc, parce qu’un algorithme, ça se corrige vite (en tout cas plus vite que se négocie un accord d’entreprise). Mais à long terme, Uber a la solution et y travaille activement : la voiture autonome. Ça a commencé la semaine dernière àPittsburgh, où une petite flotte de voitures sans conducteur a été lancée sur les routes. C’est sûr que pour l’instant, les machines sont moins rebelles.