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Le débat sur la prostitution s’est embourbé dans l’idéologie du libertarisme

féminisme

Lien publiée le 22 septembre 2016

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Ces articles de la rubrique « Ailleurs sur le web » sont publiés à titre d'information et n'engagent pas la Tendance CLAIRE.

https://entreleslignesentrelesmots.wordpress.com/2016/09/21/le-debat-sur-la-prostitution-sest-embourbe-dans-lideologie-du-libertarisme/

Les efforts visant à décriminaliser l’industrie de la prostitution ne vont pas aider les personnes prostituées, mais plutôt donner plus de pouvoir aux patrons de maisons closes, affirme Rae Story.

Il existe deux formes prédominantes de libertarisme : la première se préoccupe des droits des individus (les libertés individuelles) et la seconde, de la liberté de commercer.

En guise d’illustration, aux États-Unis, les entreprises ont dans une mesure relative, le statut de « personnes »; dans certains cas, gagner de l’argent est présenté comme une forme de « liberté d’expression ».

C’est un genre crucial de manipulation du discours, puisqu’il utilise le langage des libertés individuelles pour accroître la capacité de croissance d’institutions qui ont déjà beaucoup de pouvoir.

La prostitution est également un exemple marquant de la confusion qui règne entre les concepts de liberté personnelle et commerciale.

Les partisans de l’industrie en parlent souvent comme d’une forme de liberté individuelle, une activité consensuelle entre adultes ou même une extension du concept d’orientation sexuelle.

Cependant, ils le font en plaidant pour la liberté de gestion, de développement et même d’extension de l’industrie du sexe.

Il importe de garder cela en tête dans le contexte des débats actuels sur la prostitution, et plus particulièrement, de la grande marche des « organisations de travailleurs du sexe » vers une décriminalisation intégrale de l’industrie, sans la moindre réserve.

C’est le modèle qui est favorisé en Nouvelle-Zélande, et son principal argument de vente est qu’il assure la population que tout problème associé à la prostitution sera tout simplement éliminé grâce à la déréglementation.

Vous remarquerez, cependant, qu’aux yeux de ces organisations, le principal problème que permet de résoudre la décriminalisation est celui de la stigmatisation.

Le principe allégué est qu’en supprimant la stigmatisation sociale entourant la prostitution, l’on résoudra miraculeusement tous les autres problèmes qui lui sont associés.

Dans une des études citées à cet effet, même s’il était manifeste que la violence des prostitueurs et la difficulté d’imposer des limites au sein des transactions contribuaient aux problèmes de santé mentale vécus par les femmes prostituées, des chercheurs partiaux ont choisi de ne faire porter leurs conclusions que sur la stigmatisation comme facteur causal.

Comment expliquer un tel détournement ? L’amalgame du libertarisme et d’un féminisme régressif axé sur l’identité personnelle mène à une étrange contradiction : les individus et entreprises auraient le droit de faire tout ce qu’elles veulent mais il serait interdit aux femmes d’avoir la moindre réflexion critique au sujet de ces choix.

Ainsi, la prostitution devrait être décriminalisée et « libérée », mais les personnes qui critiquent l’industrie du sexe, même comme elles le feraient pour toute autre industrie à fort potentiel d’exploitation, devraient être muselées.

On a même créé un acronyme pour discréditer ces critiques : SWERF (« féministes radicales exclusives des travailleurs du sexe »), et on l’a propagé dans le but d’en faire une désignation semblable à une accusation de racisme ou d’homophobie.

Pourtant, la décriminalisation intégrale n’est qu’une forme assez manifeste du libertarisme économique déguisé en progrès social.

Il ne s’agit pas de libérer l’individu pour lui permettre de vendre du sexe – cette activité est déjà tout à fait légale en Grande-Bretagne – mais de lever toute entrave sur la vente de sexe par l’industrie.

Dans les endroits où l’on a instauré cette légalisation ou décriminalisation, la prostitution a glissé vers une forme d’économie semblable au modèle du supermarché.

Des mégabordels ont ouvert, qui offrent des femmes en très grand nombre à des prix relativement bas.

Les tenanciers de chaque bordel décident du coût de la passe, de la commission retenue, de l’environnement de travail et, comme je l’ai appris de ma propre expérience de prostituée dans un bordel décriminalisé en Nouvelle-Zélande, la direction peut se montrer extrêmement avare.

En effet, les choses semblent n’avoir fait qu’empirer depuis l’adoption de la décriminalisation dans ce pays. Chelsea y travaille actuellement dans une maison close, et elle confirme que, dès les premières années de la décriminalisation, les gestionnaires sont devenus de plus en plus exigeants.

« Oui, le prix de la passe et les frais qui nous sont réclamés ont augmenté, mais pas notre salaire. Notre part des frais de publicité atteint maintenant 40 $ et nos frais pour un quart de travail sont aussi de 40 $, de sorte que si nous obtenons 80 $ pour un contrat d’une demi-heure, on ne nous verse pas encore un sou, et si nous achetons des préservatifs nous nous retrouvons en dette de 25 $ au départ. Ou de 29 $ si nous louons un casier pour nos affaires, ce qui est nécessaire, parce que des prostituées désespérées s’emparent de tout ce qu’elles peuvent (et compte tenu de la situation, je ne peux pas vraiment les blâmer pour cela). »

Dans une récente série d’entrevues que m’ont accordées des femmes prostituées, Laura s’est montrée particulièrement cinglante sur le travail de bordel en Grande-Bretagne et s’est dite violemment opposée à leur dépénalisation.

« Faire parader des femmes en sous-vêtements dans l’espoir d’être choisie est dégradant et humiliant et ne devrait jamais être légal. De plus, la très petite quantité d’argent que vous gagnez par client dans un bordel après que les gestionnaires ont pris leur quote-part signifie que vous devez voir beaucoup d’hommes par jour, l’un après l’autre. »

Si nous instaurions la décriminalisation, ces bordels seraient autorisés à croître et à viser toujours plus de profit.

Les plus grandes maisons closes auraient besoin de capitaux pour démarrer ; ce seraient donc les personnes les plus riches qui seraient le mieux en mesure de définir l’industrie en leur faveur.

Pourquoi alors voit-on les organisations de travailleurs du sexe si désireuses de valider ce modèle s’il profite aux bordels et non aux prostituées ? Beaucoup ont fait valoir que ces organisations ont été investies par des propriétaires de bordels et d’agences d’escorte. Par exemple, Douglas Fox dirige une agence d’escortes et c’est un des principaux militants de l’International Union of Sex WorkersOn a fait valoir que les effectifs de l’organisation états-unienne COYOTE, un soi-disant syndicat de personnes prostituées, ne comprend que trois pour cent de femmes prostituées, le reste représentant « divers intérêts ».

Ces organisations se présentent comme des syndicats, mais aucune organisation ne peut réellement se définir comme telle à moins d’être constituée de travailleurs et de négocier entre les travailleurs et les propriétaires de l’industrie.

Il est vraisemblable que ces organisations sont plutôt des groupes de pression visant à protéger l’industrie, et non les femmes prostituées. Voilà donc pourquoi leur objectif est si bruyamment axé sur la stigmatisation. Dans certains cas, la stigmatisation est en fait un complice à la culpabilité. Pas la culpabilité des hommes qui achètent du sexe ou celle des gestionnaires qui organisent l’industrie de manière à en tirer d’énormes bénéfices, mais la culpabilité que ressent la population générale à voir des femmes issues de milieux pauvres exploitées de cette façon.

L’offre de ces organisations au grand public est en effet extrêmement attrayante : nous n’avons pas à traiter la prostitution comme un problème, il nous suffit de laisser le marché libre faire son travail.

Nous ne devons pas nous préoccuper des conséquences pour les femmes utilisées dans l’industrie du sexe, nous avons juste à accepter que tant que nous ne critiquons pas cette industrie, les femmes seront OK. Elles vont même prospérer.

Comme l’affirme le philosophe marxiste Slavoj Zizek : « Une fois instaurée comme principe du nouvel ordre mondial, la prétention [des libéraux] de ne vouloir rien d’autre que le moindre mal prend progressivement le visage même de l’ennemi auquel elle prétend s’opposer. En fait, l’ordre libéral mondial se présente manifestement comme le meilleur des mondes possibles […] et il finit par imposer sa propre utopie de marché libérale. »

Rae Story, le 23 juillet 2016, dans The People’s Daily MORNING STAR

Rae Story a été prostituée pendant 10 ans en Grande-Bretagne, en Australie et en Nouvelle-Zélande. Elle écrit maintenant à propos de l’industrie du sexe dans une perspective féministe et socialiste, y compris des commentaires critiques sur la décriminalisation des bordels, la légitimation de l’industrie et d’autres sujets connexes. Vous pouvez trouver ses articles sur son blog : 

inpermanentopposition.wordpress.com.

Version originale : https://www.morningstaronline.co.uk/a-5077-The-prostitution-debate-has-become-mired-in-libertarian-thinking#.V5PKYlThApu

Traduction : TRADFEM

https://ressourcesprostitution.wordpress.com/2016/09/15/le-debat-sur-la-prostitution-sest-embourbe-dans-lideologie-du-libertarisme/