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Morgane Merteuil polémique avec "Révolution permanente" sur le travail du sexe
Ces articles de la rubrique « Ailleurs sur le web » sont publiés à titre d'information et n'engagent pas la Tendance CLAIRE.
http://www.contretemps.eu/a-quoi-sert-revolution-permanente-etude-de-cas-le-travail-du-sexe/
Contre les routines doctrinales et les recettes maximalistes, Morgane Merteuil polémique sur le travail sexuel avec le journal en ligne Révolution permanente pour démontrer l’absurdité d’un débat monté de toutes pièces et réaffirmer le sens du front unique.
L’impossible voie du milieu
Il est une catégorie d’articles sur la prostitution qui réapparait de manière épisodique, au rythme des réflexions menées à l’intérieur des organisations et autres groupuscules : il est dès lors d’usage de faire la démonstration qu’on émet là une position originale, reflétant la hauteur enfin prise sur le sujet, pour finalement conclure qu’il ne faut pas trancher entre interdiction et légalisation (reformulés au gré des influences de leurs auteurs en « abolition » et « réglementation », « prohibition » et « régulation »), en listant les différents défauts de chaque alternative. Le schéma est à peu près toujours le même : la position défendue se situe toujours « quelque part entre les deux ».
L’exemple le plus récent illustrant cet exercice de style canonique nous a été offert par le site web Révolution permanente (RP). Le texte est présenté comme une contribution de « Marta, pour Pan y Rosas ». « Pan y Rosas » est l’organisation dite « femmes » du PTS (Parti des travailleurs Socialistes) argentin, dont le CCR (Courant Communiste Révolutionnaire) qui tient le site Révolution Permanente – représente la section française.
Le titre de l’article en question formule la promesse alléchante d’une telle voie du milieu qui consiste à aller « au-delà du débat régulation vs abolition ». Nous aimerions tant y croire ! Mais, effectivement, la tâche n’est pas aisée : comme le souligne l’introduction, « il est parfois malaisé voire impossible de se frayer un chemin à l’interstice de ces deux positions ». Le sujet est effectivement complexe, en ce qu’il met en lumière les limites de notions supposées acquises – celle d’exploitation ou de travail – mais aussi en ce qu’il révèle la difficulté à appréhender la sacro-sainte articulationdes oppressions. Si ce n’était pas suffisant, il faut encore compter avec la spécificité du type d’activité : une activité sexuelle – qu’on s’emploie le plus souvent à traiter sur le plan affectif plutôt que politique.
Mais reprenons le point de focale de la contribution de RP : le débat entre abolitionnistes et réglementaristes. Ce débat existe-t-il en l’état ? Non. Ces dernières années, les discussions sur le travail du sexe ont en effet surtout opposé partisans et adversaires de la pénalisation des clients, que ce soit en France, ou en Espagne (d’où parle Marta de « Pan y Rosas »). Et chez les « pour » comme chez les « contre », on peut compter des franges et des individu•es se présentant comme abolitionnistes. Plutôt que d’opposer deux courants idéologiques, il s’agit de considérer que le clivage se situe donc essentiellement au niveau d’une revendication concrète.
Sur ce point, RP considère que cette pénalisation est « une utopie dans une société où l’exploitation et la commercialisation de toutes les exigences humaines, incluant les corps des femmes pour la prostitution, sont structurelles. Ce contre quoi les mesures punitives sont impuissantes ». Cette prise de position, aussi contradictoire qu’elle soit (la pénalisation étant présentée comme une utopie à ne pas soutenir), en reste au moins une – salutaire, pour le coup.
C’est là d’ailleurs la seule véritable prise de position sur le sujet que se permet cette publication de RP. Au-delà des revendications d’ordre général pour lutter contre la pauvreté des femmes et pour la régularisation des sans-papiers, le reste de l’article n’offre rien de novateur.
Il en est également ainsi au sujet de la traite : la thématique mérite évidemment de prendre des précautions, tant les enjeux sont cruciaux ; ces précautions impliquent en effet de porter un regard critique tant sur les discours qui nieraient l’existence de la traite que sur ceux qui considèrent que la prostitution dans son ensemble doit être considérée comme de la traite. Mais s’il s’agit justement d’aller « au-delà » de ces échanges de chiffres et d’expériences – d’esclaves sexuelles ou de migrantes « empowerées » –, alors il y a une issue : s’intéresser, au-delà de ce que serait une description de la traite, à son traitement politique ; à la manière dont les politiques nationales et internationales servent des intérêts de gestion des flux migratoires, par exemple. Cette analyse se trouve aujourd’hui à la base de tous les travaux et prises de positions un peu sérieux sur la question ; elle aurait constitué l’aboutissement le plus sensé de la démonstration de « Pan y Rosas » – mais n’a hélas pas même été évoquée.
Cet exemple reflète la vacuité de la contribution de RP au débat : la réduction des tentatives d’un groupes de travailleuses du sexe d’organiser les travailleuses plus précaires à un « opportunisme » en dit assez long sur la pertinence politique du point de vue défendu par le PTS (et consorts). Je me permettrais juste de rappeler, puisqu’il est ici question des groupes de travailleuses du sexe, et d’aller au-delà du débat entre « abolition » et « régulation » que c’est justement l’un d’eux, souvent accusé des mêmes maux, qui a défendu depuis des années une position « ni abolitionniste, ni réglementariste », mais « syndicaliste » : il s’agit du STRASS (Syndicat du Travail Sexuel).
Un trotskysme impressionniste
C’est d’ailleurs là que se situe notre principal point de désaccord avec « Pan y Rosas » : la troisième voie – celle qui permettrait donc de sortir de l’étau abolition/réglementation – passerait, selon elles, par le « programme transitoire ».
On touche là la principale contradiction – révélatrice – de l’article, puisque l’auto-organisation des travailleuses du sexe est tout autant défendue dans la suite de leur article. Or, si ce qui est entendu par auto-organisation consiste en une forme de syndicalisme, alors c’est avoir une approche bien particulière du syndicalisme que de considérer que c’est aux travailleuses qui se syndiqueraient de défendre un programme transitoire – dans la mesure où toute autre prise de position est associée à du réglementarisme.
En quoi est-ce que cela consisterait exactement ? Pour être soutenue en tant qu’auto-organisation de travailleuses du sexe, faudrait-il se plier au « programme transitoire » défendu par « Pan y Rosas » ? Notons tout de même au passage que rien ne dit en quoi consisterait un tel programme.
Surtout, cette volonté de conditionner ainsi son soutien à un potentiel groupe de travailleurSEs en lutte ne va pas qu’à l’encontre de ce qui constitue la base du syndicalisme : elle remet aussi gravement en question la possibilité de construire un front unique – un comble pour une organisation se revendiquant du trotskysme.
Le front unique, comme pratique classique des organisations révolutionnaires, telle qu’elle a été théorisée par les IIIe et IVe Congrès de l’Internationale communiste, n’a rien d’une politique maximaliste. Cette politique prend naissance avec la fameuse « lettre ouverte » adressée en 1921 par le KPD allemand aux dirigeants sociaux-démocrates et syndicaux, pour l’unité d’action autour de revendications immédiates.
La politique de front unique est le point d’orgue de la théorie révolutionnaire, le véritable acquis des premiers Congrès du Komintern – c’est d’ailleurs cette même théorisation qui sera étendue, développée, amendée, puis baptisée « politique d’hégémonie » par Antonio Gramsci. Doit-on rappeler que les soviets de 1917 en Russie n’étaient, selon les dires de Lénine et Trotsky eux-mêmes, rien d’autre que des organes de front unique ? Et que les forces « réformistes » (mencheviks, socialistes révolutionnaires) y étaient majoritaires jusqu’à la veille de l’insurrection ?
Le fameux « programme de transition » – véritable sanctuaire et objet par excellence du coupage de cheveux en quatre pour une certaine groupusculologie trotskyienne – a été conçu comme un « programme d’action » du Parti révolutionnaire, un instrument de pédagogie révolutionnaire, de politisation de masse, non comme un préalable à l’action et encore moins une plateforme syndicale.
Mais il est vrai que, indépendamment de la question du travail sexuel, Révolution permanente (ou ses organisations sœurs, comme le PTS argentin, ou Pan y Rosas), développe dans ses colonnes une drôle de conception du front unique ouvrier, et semble plus encline à dénoncer avec ferveur ses éventuels partenaires « réformistes » ou « opportunistes » qu’à s’atteler à la construction d’un bloc historique.
De vaines exigences
Il ne s’agit donc pas, à travers le texte critiqué ici, de poser les bases d’une alliance avec les travailleuses du sexe, mais bien de distribuer des bons et mauvais points à celles et ceux qui, engagés dans le combat contre l’exploitation régnant dans l’industrie du sexe, doivent également prêter allégeance au « programme transitoire » défendu par Révolution Permanente – programme nébuleux s’il en est, puisque, de l’aveu même des autrices, il n’existe pas, mais reste le passage obligé d’une parade groupusculaire.