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Violences policières: ce que révèlent les cas Vadot et Jounin
Ces articles de la rubrique « Ailleurs sur le web » sont publiés à titre d'information et n'engagent pas la Tendance CLAIRE.
(Mediapart) Aller au-delà des cas personnels. Jeudi au tribunal de Bobigny, le procès de Nicolas Jounin, sociologue accusé de violences sur un policier lors d’une mobilisation contre la loi sur le travail, a tourné au procès des pratiques policières. Pratiques mises en cause le matin même par Guillaume Vadot, insulté et agressé par des policiers le 22 septembre à Saint-Denis.
Les deux histoires ont de multiples points communs : un jeune homme blanc, enseignant-chercheur d’un côté, sociologue de l’autre ; les deux affaires se passent en Seine-Saint-Denis ; dans les deux cas, les policiers sont accusés de violences ; dans les deux cas, les témoignages des forces de l’ordre sont pris en défaut. Avec des différences tout de même : d’un côté Guillaume Vadot, jeune enseignant-chercheur, a été agressé verbalement et physiquement par deux policiers alors qu’il tentait de filmer une arrestation musclée devant la gare de Saint-Denis. De l’autre, Nicolas Jounin, sociologue, participait le 28 avril à une action intersyndicale contre la loi sur le travail. Il finit par être arrêté, accusé d’avoir frappé un policier, mais affirme le contraire : ce sont des policiers qui l’ont frappé. En creux de ces deux affaires : la question des violences policières. Mais pas seulement. Ces deux victimes blanches, chacune à sa façon, mettent aussi en lumière des pratiques policières jusque-là réservées aux quartiers populaires, aux personnes racisées, aux « banlieues », en somme.
Jeudi matin, Guillaume Vadot et son avocat, Me Slim Ben Achour, avaient convoqué la presse à la mairie de Saint-Denis (93), pour apporter de nouveaux éléments à l’affaire de violences policières du 22 septembre dernier. Ce soir-là, Guillaume Vadot a été violenté, insulté et menacé par deux policiers après que l’enseignant-chercheur eut tenté de filmer une arrestation devant la gare de la ville. Son témoignage, anonyme pendant quelques jours, avait rapidement fait le tour du web. Le jeune homme a fini par briser son anonymat le lundi 26 septembre, au cours d’une conférence de presse, se décidant alors à lancer un appel à témoins.
Trois témoins ont d’ores et déjà répondu. Entre-temps, les deux policiers accusés ont livré leur version des faits, dans un rapport d’information transmis à leur hiérarchie le 26 septembre et que Le Monde a pu consulter. Dans ce document, les deux policiers reconnaissent avoir interpellé Guillaume Vadot, mais ils démentent les coups, la décharge de taser, et affirment par ailleurs ne pas correspondre à la description donnée par Guillaume Vadot. Mais leur témoignage pose plusieurs questions relevées jeudi par Guillaume Vadot. D’abord, les deux vidéos que le jeune homme a réussi à sauver sur son téléphone – alors que les policiers avaient tenté de les effacer – montrent bien que celui-ci ne lançait pas d’appel à l’émeute au moment de son arrestation. Selon les policiers, il aurait notamment déclaré : « Allez, tous ensemble, on va récupérer cette innocente ! » à propos de la jeune femme en cours d’interpellation. « Une phrase chevaleresque », selon l’enseignant, et démentie par les vidéos montrées lors de la première conférence de presse.
Présent à la mairie de Saint-Denis, Maurice M., l’un des témoins qui a contacté Guillaume Vadot, a d’ailleurs donné des précisions qui mettent elles aussi la défense policière dans l’embarras. Militant associatif, Maurice M. a passé toute l’après-midi du jeudi 22 septembre devant la gare de Saint-Denis à faire un micro-trottoir. Selon lui, « la tension était déjà palpable dans l’après-midi ». Maurice a vu l’arrestation de la jeune femme et se trouvait parmi les personnes qui s’étaient rassemblées en entendant les cris. Il a donc vu également l’arrestation de Guillaume Vadot et confirme au passage l’absence d’appel à la rébellion. Il a également vu « qu’on brutalisait » l’enseignant. « Un policier en civil est alors arrivé vers nous avec un flash-ball à la main et a insulté les personnes présentes : “va te faire enculer” répété à plusieurs reprises », a indiqué Maurice M. Toujours selon son récit, un brigadier chef est ensuite arrivé et a demandé que la foule soit dispersée. « La charge a été lancée immédiatement, je suis le premier visé par cette charge. Le brigadier chef me met un coup de poing au visage, je reçois des coups de matraque par d’autres policiers. J’ai alors couru sur environ 300 mètres pour fuir. »
Me Slim Ben Achour, Maurice M. et Guillaume Vadot, jeudi 6 octobre à la mairie de Saint-Denis © CG
Maurice M. finit par entendre parler de l’action intentée par Guillaume Vadot et décide de s’y joindre. Tout comme Guillaume Vadot, il insiste cependant sur le fait que sa démarche est plus large. « Il faut enlever l’idée de l’impunité de la police », a-t-il déclaré à la presse jeudi matin, « il faut faire cesser ce mythe qui fait que les victimes n’osent pas porter plainte ». « Le moment est venu de relever la tête collectivement », a abondé Guillaume Vadot. Me Slim Ben Achour, l’avocat des deux hommes, a encore élargi le propos : « L’espace politique est aujourd’hui saturé de boucs émissaires qui autorisent ces débordements. » « Le contrôle d’identité est le point de contact qui va permettre éventuellement ces violences policières », a ajouté Slim Ben Achour, qui est également l’avocat des 13 personnes qui dénoncent les contrôles au faciès et dont l’affaire a été examinée cette semaine par la Cour de cassation.
Présent à la conférence de presse, Madjid Messaoudene, conseiller municipal à Saint-Denis, en charge notamment de la lutte contre les discriminations, a estimé qu’il était « indispensable de faire la lumière dans cette affaire ». « On ne veut pas de cette police-là, on ne veut pas de voyous en uniforme », a-t-il dit. « Mais dans les quartiers populaires, ça fait 30 ans que ça dure. » Cathy Billard, du NPA, a elle aussi insisté sur le fait que les violences policières « ne datent pas de la loi travail, ni de l’état d’urgence » même si ce dernier a pu ajouter une « sensation d’impunité » pour les policiers. Comme en illustration, des membres du collectif des habitants du 168, avenue Wilson étaient présents, eux aussi. Expulsés le 25 août, ils dorment depuis cette date devant l’immeuble, dans un square, au-dessus de l’autoroute. Ils doivent chaque matin replier leurs tentes, les remettre en place tous les soirs. Malgré leurs demandes, la mairie a refusé de fermer l’arrosage automatique du square qui se déclenche la nuit. Ils ont des enfants en bas âge. Et le pire, c’est qu’une partie de leurs affaires se trouvent toujours dans l’immeuble, dont les accès ont été murés. Pour eux, les violences ne sont pas seulement policières : tous leurs rapports aux autorités sont problématiques. Sans compter que certains, migrants en situation irrégulière, sont des cibles faciles.
La conférence de presse s’achève, Guillaume Vadot donne rendez-vous le soir même, à Paris 1, où des étudiants ont organisé une soirée consacrée aux violences policières. « Mais d’abord, je vais aller soutenir Nicolas Jounin à Bobigny », nous précise-t-il en enfilant son blouson.
« Est-ce qu’un commissaire de police pourrait désigner quelqu’un par hasard ? »
À 13 heures en effet, à moins d’une dizaine de kilomètres de Saint-Denis, des syndicalistes se sont donné rendez-vous devant le TGI de Bobigny. Nicolas Jounin, jeune sociologue et militant CGT, est convoqué pour répondre de violences sur un policier. Un autre jeune homme, Nicolas P., lui aussi convoqué, a vu son procès renvoyé à la demande de la procureure, saisie de trois demandes de nullité de procédure.
Une cinquantaine de personnes se trouvent sur le parvis du tribunal dès 12 h 30. Nicolas Jounin a droit à une haie d’honneur avant de pénétrer les lieux, direction la 16e chambre. Le sociologue est accusé d’avoir bousculé et fait tomber un policier, puis de lui avoir asséné un coup de pied sur le casque, le 28 avril au matin. Ce jour-là, des syndicalistes s’étaient donné rendez-vous à Gennevilliers pour distribuer des tracts et inciter les travailleurs, du port notamment, à rejoindre le mouvement contre la loi El Khomri. Après un face-à-face avec des policiers, ils décident de prendre le métro pour se rendre Carrefour Pleyel à Saint-Denis, et rejoindre ainsi une assemblée générale interprofessionnelle prévue à 10 heures à la Bourse du travail. Une manifestation, déclarée, est prévue l’après-midi même au départ de la place Denfert-Rochereau à Paris.
Les faits reprochés à Nicolas Jounin se seraient déroulés Carrefour Pleyel. Selon le récit policier, un groupe aurait chargé un cordon positionné pour les empêcher de rejoindre la Bourse du travail. C’est à cette occasion que Nicolas Jounin aurait foncé sur un policier chargé d’envoyer des grenades lacrymogènes. Les policiers accusent également les manifestants d’avoir jeté des œufs, des pommes de terre et même des pierres sur la police.
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Nicolas Jounin © capture d'une vidéo de L'Humanité ()
« Je ne reconnais pas les faits, déclare le sociologue au tribunal. Au contraire, je me trouvais juste devant le cordon de policiers, poussé par les gens qui étaient derrière moi. On m’a fait un croche-patte, je suis tombé, je me suis relevé, puis un deuxième, et là on me frappe à terre. Je suis cogné à la hanche et à la tête, puis je suis arrêté. » Sa « victime », le policier que Nicolas Jounin est censé avoir frappé, se présente à son tour à la barre. Peu loquace, il est membre de la Brigade anticriminalité, mais était ce jour-là équipé pour le maintien de l’ordre. Il n’a pas voulu se porter partie civile. De fait, il est incapable d’identifier Jounin comme étant son agresseur. C’est le commissaire chargé du dispositif sur place qui l’a identifié. Un médecin lui a prescrit un jour d’interruption temporaire de travail (ITT), tout comme celui de Nicolas Jounin.
Le président tente tout de même de bousculer un peu le sociologue : « On a trouvé trois fioles de liquide physiologique sur vous… »
Réponse de Jounin : « On a pris l’habitude de prendre du sérum dans les manifestations contre la loi travail, à cause de l’usage des lacrymogènes. »
Le président : « Vous aviez aussi un vade-mecum sur comment se comporter en cas d’arrestation. Vous avez toujours ça sur vous ? »
Jounin : « Non, ça m’avait été distribué dans la matinée. »
Trois témoins à décharge sont appelés successivement à la barre. Aucun n’a vu de jets de projectiles à destination des forces de l’ordre. L’un d’eux, un jeune inspecteur du travail, se trouvait non loin de Nicolas Jounin au moment de son arrestation, et « n’a pas vu Monsieur Jounin faire les choses qu’on lui reproche ». Un autre, enseignant au collège, parle d’une « très grande panique » chez les manifestants au moment du déploiement du cordon policier, avec des gens qui courent en essayant d’éviter les coups de tonfa et les croche-pattes des policiers. Il a d’ailleurs une vidéo de la scène, où certes on ne voit pas l’arrestation du sociologue, mais on le voit juste après, visiblement sonné, « tenant à peine debout ».
Juste avant les réquisitions du ministère public, l’avocat de Nicolas Jounin, Me Raphaël Kempf, soulève un dernier détail troublant du procès-verbal rédigé par le commissaire. Celui-ci indique qu’il a formellement identifié le sociologue, un « homme avec une légère calvitie ». « Or, mon client portait un bonnet ce jour-là ! j’ai mis dans le dossier des photos qui le prouvent ! », lance Me Kempf tandis que des rires fusent dans la salle d’audience.
La procureure, elle, ne rit pas. Elle reprend d’ailleurs la calvitie signalée sur le PV comme une preuve irréfutable que le commissaire n’a pu se tromper. Elle parle de « 150 personnes qui semblent enragées ». À propos du sérum physiologique, elle s’interroge gravement : « Pourquoi cet attirail ? Ces gouttes, elles permettent de persévérer dans la violence ! » Mais le clou de sa plaidoirie réside dans la parole sacralisée du policier. « Est-ce qu’un commissaire de police pourrait désigner quelqu’un par hasard ? Je ne le crois pas. Est-ce qu’il va mentir sur procès-verbal alors qu’il est passible de la cour d’assises ? », dit-elle. Elle requiert huit mois de prison avec sursis.
Dans sa plaidoirie, Me Kempf reparle de la calvitie de son client, avec une pointe d’humour : « J’ai mis des photos dans le dossier et en plus, le bulletin météo de ce jour-là qui montre qu’il faisait froid. » La salle rit. « Il s’agit selon moi d’une description opportune faite postérieurement », ajoute-t-il plus sérieusement. Il note par ailleurs que lors de son examen chez le médecin, le policier victime n’a pas mentionné le coup porté au visage, alors qu’il le dit sur PV. « C’est un dossier totalement insuffisant pour condamner », conclut l’avocat. Le jugement est mis en délibéré au 3 novembre. Nicolas Jounin a par ailleurs saisi le défenseur des droits dans cette affaire. Tout comme Guillaume Vadot.