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La gauche peut-elle gouverner l’Allemagne après 2017 ?
Ces articles de la rubrique « Ailleurs sur le web » sont publiés à titre d'information et n'engagent pas la Tendance CLAIRE.
Les trois partis de gauche allemands (Die Linke, les Verts et la SPD) se rapprochent de plus en plus pour évoquer une coalition "rouge-rouge-verte" après les élections fédérales de septembre 2017. Une véritable révolution outre-Rhin qui rejetterait Angela Merkel dans l'opposition, mais qui n'est pas certain encore de voir le jour.
Un nom de code hante les couloirs du Bundestag et les rédactions politiques allemandes depuis quelques semaines. Ce nom de code, c'est « R2G » pour « Rot-Rot-Grün » ou « Rouge-rouge-vert », les couleurs d'une coalition regroupant les trois partis de gauche (Die Linke, les Verts et la SPD) qui a longtemps été impensable en Allemagne. Or, les plaques commencent à bouger. Doucement, mais sûrement. Au point que cette coalition, qui est mathématiquement majoritaire au Bundestag depuis 2013, devient une des possibilités de l'après-élection fédérale de septembre 2017, outre-Rhin.
Ouvertures et signaux
Ce mardi 18 octobre, un message assez clair a été envoyé dans ce sens. D'abord, 90 députés des trois partis se sont retrouvés dans une salle appartenant aux Sociaux-démocrates pour discuter des possibles points de jonction entre eux. Une réunion qui n'est pas une absolue nouveauté et qui regroupe des minorités dans les trois formations qui, ensemble, disposent de pas moins de 320 députés au Bundestag. Elle a néanmoins été remarquée à Berlin parce que les rencontres étaient jusqu'ici plus discrètes et plus réduites. Surtout, elle a été marquée par la présence du vice-chancelier et ministre de l'économie, Sigmar Gabriel, président de la SPD, qui a rencontré des députés de gauche et des Verts. Un signal fort, alors même que la presse allemande s'est fait l'écho d'une rencontre récente entre ce même Sigmar Gabriel et Oskar Lafontaine, le « patriarche » de Die Linke, dans sa résidence sarroise.
Oskar Lafontaine - aujourd'hui officiellement en retrait de la vie politique, mais époux de la « femme forte » de Die Linke, Sarah Wagenknecht - a longtemps été le nœud de la querelle entre la SPD et Die Linke. C'est lui, ancien candidat social-démocrate à la chancellerie en 1990 et éphémère ministre démissionnaire de Gerhard Schröder en 1998-99, qui avait fondé Die Linke en 2007 en rapprochant le PDS, issu de l'ancien parti dominant de la RDA, et les « rebelles » de la SPD qui refusaient les « réformes » Hartz. Au sein de la SPD, il avait été le « traître » et le responsable de l'effondrement, à partir de 2013, du vieux parti, désormais condamné à végéter entre 20 % et 25 % des voix. Toute alliance avec Die Linke était donc impossible. La rencontre Gabriel-Lafontaine était donc une rencontre symboliquement forte.
La rupture thuringienne
A cela s'ajoute le fait que la coalition « R2G » devient une option au niveau régional. Certes, Die Linke n'a jamais vraiment été exclue des gouvernements régionaux, du moins en ex-RDA. La coalition SPD-Die Linke (ou PDS) a gouverné divers Länder de l'est et gouverne encore en Brandebourg. Mais les Verts ont toujours combattu ces majorités qui, du côté social-démocrate, avait été longtemps considérée comme « honteuses » et « régionales ». En Mecklembourg, comme à Berlin, la SPD avait ainsi préféré se tourner vers la CDU au cours des années 2010. En 2008, en Hesse et en 2010 en Rhénanie du Nord Westphalie, les tentatives d'alliances de la gauche ou du moins de rapprochement dans le cadre d'un soutien sans participation de Die Linke avaient ainsi lamentablement échoué.
Depuis l'an passé, quelque chose a changé. En Thuringe, Land de l'ex-RDA, la SPD, grande perdante des régionales de septembre 2015, avait finalement accepté une coalition avec les Verts et Die Linke conduite par le chef régional de ce dernier parti, Bodo Ramelow. La révolution était double : la gauche acceptait de se coaliser pour chasser la CDU du pouvoir et la SPD acceptait de participer à une alliance sous la direction de Die Linke. C'était clairement un signal envoyé au niveau national. Or, depuis, la coalition thuringienne se porte bien, gère bien le Land et ne connaît guère de tensions internes. Elle devient un modèle sur lequel se construit une autre alliance du même type à Berlin où là encore, la CDU pourrait être exclue de l'exercice du pouvoir.
Une option tentante pour la SPD et Die Linke
Car c'est bien là la grande force de la coalition « R2G » : c'est la seule à pouvoir rejeter les Chrétiens-démocrates et leurs alliés bavarois de la CSU dans l'opposition. La seule à pouvoir détrôner Angela Merkel d'une chancellerie où, à coup sûr, elle risque de briguer un quatrième mandat. Pour la SPD, l'option est évidemment très séduisante. La grande coalition a en effet épuisé un parti déjà affaibli par les conséquences de l'ère Schröder et l'absence de personnalités fortes. La SPD est, comme en 2005-2009, tombé dans le piège tendu par Angela Merkel. Lors de la première « grande coalition », la chancelière avait laissé la SPD achever les « réformes », notamment celle des retraites, et en payer le prix. Cette fois, Angela Merkel a adopté les réformes sociales-démocrates en début de mandat avant de ne plus rien céder à Sigmar Gabriel, laissant l'impression d'un parti impotent et immobile. Désormais, cette coalition avec la CDU/CSU est fort mal acceptée parmi les Sociaux-démocrates. Elle sera au cœur de la lutte pour la direction de la campagne après 2017. Imaginer de pouvoir diriger à nouveau le gouvernement fédéral, malgré un score d'un peu plus de 20 %, en se débarrassant d'Angela Merkel est alors forcément tentant pour les dirigeants sociaux-démocrates.
L'option est aussi très séduisante pour Die Linke qui a longtemps été, en tant que « descendante » de la SED, le parti dominant de la RDA, considéré comme infréquentable et qui retrouverait ainsi une place dans le jeu politique allemand. Or, la seule vraie option de gouvernement pour ce parti est la « R2G » dans la mesure où aucun parti de droite n'acceptera jamais de gouverner avec l'héritier d'un parti communiste.
Des programmes qui se rapprochent
Sur le plan du programme, les divergences sont certes encore réelles, mais les points de jonction existent. Verts, SPD et Linke s'entendent pour réclamer un salaire minimum plus élevé, des impôts mieux répartis, davantage d'investissements publics, une réforme de l'assurance chômage et notamment du volet répressif de la loi « Hartz IV ». Tout ceci ne fait pas encore une politique économique, mais donne des bases de discussion. Sur l'Europe, les positions sont également moins éloignées qu'on pourrait le penser, car Die Linke n'est pas eurosceptique et peut trouver des points communs avec ses deux partenaires sur la réforme de l'UE et de la zone euro. La politique étrangère reste le point le plus sensible avec le refus de Die Linke d'autoriser la Bundeswehr, l'armée fédérale, à agir hors des frontières.
Division dans les partis
Reste que le vrai obstacle à une coalition « R2G » sera avant tout la volonté politique. Au sein de ces trois partis, les opinions ne sont pas encore entièrement mûres pour une telle alliance. A Die Linke, une fraction continue à rejeter l'alliance avec la SPD, la participation à un gouvernement « modéré » et à exiger des positions plus fermes, notamment avec la suppression complète de la loi Hartz IV. A la SPD, le rejet de Die Linke et de ce qu'elle représente est encore fort. La droite du parti, héritière de Gerhard Schröder, est encore puissante et estime que l'avenir du parti se situe au centre, là où l'ancien chancelier l'avait placé. Mais le principal nœud sur lequel pourrait venir échouer la coalition « R2G », ce sont les Verts.
Les Verts divisés et attentistes
Le parti écologiste est, depuis longtemps, divisé en deux grandes tendances, à droite les « Realos » (« réalistes ») qui ont poussé à l'alliance avec la SPD en 1998, et à gauche, les « Fundis » (« fondamentalistes »). Cette division subsiste aujourd'hui autour de la question des coalitions. Les Verts pourraient être « faiseurs de rois » en 2017 et pouvoir choisir entre une alliance à gauche à trois, option défendue par les Fundis, ou une coalition avec la CDU/CSU, éventuellement avec les Libéraux et la SPD, préférée par les Realos. Actuellement, les Verts sont présents dans les deux coalitions au niveau régional : avec la SPD et Die Linke en Thuringe et à Berlin, avec la CDU en Hesse et en Bade-Wurtemberg.
La direction du parti écologiste, menée par Cem Özdemir, et son nouvel homme fort, le ministre-président de Bade-Wurtemberg, Winfried Kretschmann, ont clairement choisi l'option « noire-verte » avec la CDU au niveau fédéral. Ce dernier a estimé qu'il n'était pas possible de discuter avec Die Linke au niveau fédéral. Mais les Verts se gardent en réalité de toute clarification sur le sujet. Leur programme devrait être centré sur l'écologie et la défense du consommateur, afin de laisser toutes les options ouvertes après l'élection. Les Écologistes observeront les résultats et, en fonction de leurs poids et des possibilités, prendront des décisions. Tout dépendra aussi de la campagne que mènera la CDU et du poids de la CSU à droite, car la cohabitation entre les Verts et cette dernière s'annonce délicate. Reste que, des trois partis de gauche, les Verts sont sans doute ceux qui ont le moins intérêt à voir la CDU et Angela Merkel retourner dans l'opposition.
Une coalition sans majorité ?
Deux étapes permettront de juger si une coalition de bloc à gauche a quelques chances d'exister après septembre 2017 : l'élection présidentielle en février et les élections régionales en Rhénanie du Nord Westphalie en mai. Si l'option « R2G » est réalisée au cours de ces deux scrutins, elle deviendra une véritable possibilité pour septembre 2017. Sauf que, et c'est l'ironie de cette histoire, l'émergence de la droite eurosceptique et xénophobe AfD et le retour des Libéraux, pourrait priver cette coalition d'une majorité absolue au Bundestag dont elle disposait entre 2013 et 2017, mais qu'elle ne voulait pas utiliser... Selon les trois derniers sondages, la coalition « R2G » obtiendrait seulement entre 45 et 48 % des sièges.
Révolution outre-Rhin
Reste que l'émergence de cette option marque un tournant dans la vie politique allemande, caractérisée depuis longtemps par l'obsession du centre et du consensus. Pendant la République de Weimar, la SPD avait déjà gouverné avec la droite et le centre et, après-guerre, le rejet du communisme avait également favorisé des alliances de centre-gauche ou des grandes coalitions. La simple réflexion sur une alliance de gauche incluant Die Linke est donc une véritable révolution outre-Rhin qui est susceptible de réintroduire dans le jeu politique une division droite-gauche que d'aucuns souhaiteraient voir disparaître dans d'autres pays d'Europe.