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Aude Lancelin, cherchez l’erreur

Lien publiée le 1 novembre 2016

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Ces articles de la rubrique « Ailleurs sur le web » sont publiés à titre d'information et n'engagent pas la Tendance CLAIRE.

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La directrice adjointe de la rédaction de l'Obs, licenciée sans ménagements, est aussi la victime expiatoire des erreurs de ses dirigeants. Le journal, mal soutenu par ses actionnaires, programme 40 licenciements.

C’était en mai 2016, une première dans l’histoire de la presse française depuis la Libération : le licenciement sans délai d’une journaliste par les actionnaires d’un journal,l’Obs. En dépit des chartes d’indépendance, des proclamations de bonne foi, des « murs de Berlin » censés être érigés entre les rédactions et les propriétaires, le conseil de surveillance de l’Obs a acté le licenciement brutal de la directrice adjointe de la rédaction, Aude Lancelin. Le fondateur du titre, désormais actionnaire minoritaire, Claude Perdriel comme Jean Daniel, l’ancien directeur du journal, ont justifié leur décision par des désaccords politiques avec la journaliste. Matthieu Croissandeau, l’actuel directeur de l’Obs, parle quant à lui de raisons« managériales ». Chargée des pages Débats de l’hebdomadaire, Aude Lancelin est accusée par les actionnaires de trahir les idéaux sociaux démocrates du titre. Outre ses idées, qu’en réalité elle exprime peu dans les colonnes du journal, ouvrant ses pages à des contributeurs extérieurs, on lui a reproché mezzo voce ses liens privés avec le philosophe Frédéric Lordon. Je n’avais jamais entendu qu’on cherche querelle à un journaliste homme d’être le mari de X ou Y, et ce machisme qu’on croyait révolu a quelque chose de pénible.

En réalité, Aude Lancelin a surtout été la victime expiatoire des erreurs des patrons de ce journal, qui l’ont conduits au bord du précipice. Celle qu’on a sacrifié sur l’autel de la bienséance éditoriale, de la pensée convenue, des idées rabâchées ou plus prosaïquement de l’absence d’idées.La journaliste vient de publier le récit cinglant et poignant de son licenciement[1], et son livre rencontre un succès mérité. Elle a aiguisé sa plume pour raconter sans langue de bois les dessous d'une forfanterie. Il ne faudrait pas donc pas se laisser berner par les chuchotis des journalistes en cour comme par l’hostilité affichée de certains directeurs de journaux à l’égard d’Aude Lancelin. Son récit en a mis certains en état de sidération et, plus encore qu’hier, Aude Lancelin est la femme à abattre. Après l'excommunication et le licenciement sec, ne manquait plus que la fatwa. « Ils sont fous de rage » résume un collègue de l'Obs. Sur l’air de « elle l’a bien cherché », des « anecdotes » circulent dans notre petit milieu, autant de boules puantes que démentent aussitôt la plupart de ceux qui ont travaillé avec Aude Lancelin.

Il faut en effet remettre les choses dans leur juste perspective. Il y a moins de quinze jours, le 18 octobre dernier, 73,66% des salariés de l’Obs ont voté à 85,21% une motion indiquant qu’ils n’avaient pas confiance dans « la stratégie éditoriale et économique de la direction ». En mai dernier, près de 80% des salariés faisaient savoir qu’ils n’avaient pas confiance « dans la stratégie de Matthieu Croissandeau ». Ce que disent les salariés et les élus de l’Obs, c’est que plus que les idées, le caractère ou la manière de travailler d’Aude Lancelin, le vrai problème du journal, depuis trois ans, est le mépris affiché des actionnaires, le trio BNP de la holding Le Monde libre (Pierre Bergé, Xavier Niel et Matthieu Pigasse). Ces mêmes salariés dressent la liste des erreurs commises par ceux que le trio BNP a délégué pour les diriger, le directeur du Groupe, Louis Dreyfus, et le directeur du journal Matthieu Croissandeau. En trois ans, la diffusion, par abonnements et en kiosque, a reculé de plus de 25%. Le site web a reculé de la troisième place des sites d’information en France à la neuvième. Le supplément Obsession a disparu, l’autre supplément TéléObs n’est plus diffusé en kiosque. Rue89, l’un des pionniers du web éditorial, racheté fin 2011, vit ses derniers instants. Comme dans bien d’autres titres, la réduction des coûts et le sous-investissement dans les rédactions ont tenu lieu de politique. À ces erreurs stratégiques, il faut ajouter les errements politiques du journal entre un soutien à François Hollande qui frise le pathétique et des clins d’œil appuyés à Emmanuel Macron.

Résultat : après 50 départs en 2014, un nouveau plan social prévoit une quarantaine de départs, sans compter les CDD et les pigistes précaires. Devant le peu de volontaires pour la charrette, des licenciements se préparent, l’annonce devrait en être faite dans les prochains jours. En attendant cette terrible échéance, l’arrivée d’un nouveau directeur adjoint de la rédaction, Mathieu Aron, « qui se conduit comme un numéro un » note une consœur, tandis qu’une autre ironise sur le fait que « Mathieu Croissandeau rase les murs en baissant la tête » donne une idée de l’ambiance à la rédaction. « Terrible » dit l’une, « déprimante » ajoute l’autre. J’avais écris en 2013 un récit, Les patrons de la presse nationale tous mauvais[2], m’inquiétant de l’accélération de la prise de contrôle des médias par les milliardaires, et des conséquences fâcheuses pour les journaux. Force est de constater que les choses s’aggravent[3]. Ce qui est en jeu, c’est la volonté de briser des rédactions, à l’Obs comme à Itélé. Les actionnaires du newsmagazine ont mis à la porte une journaliste de talent nommée Aude Lancelin. L’actionnaire de la chaîne d’information cherche à imposer l’antenne un bonimenteur corrupteur, Jean-Marc Morandini.  Le trio BNP comme Vincent Bolloré veulent imposer à ces rédactions des cures d’austérité, des plans sociaux, des baisses de moyens. Journalistes et syndicalistes contre directeurs et propriétaires : le cadre de la bataille qui est en train de se livrer dans la presse française est on ne peut plus clair. À la présidente de la société des rédacteurs de l’Obs, Elsa Vigoureux, qui annonce le dépôt d’une motion de défiance au conseil de surveillance qui vient de virer Aude Lancelin, Pierre Bergé répondait : « ça ne nous fera rien, mais rien, ces motions de défiance. Faites-en autant que vous voulez, ça glissera… ! » Il est temps de le démentir. La défiance va au delà des motions. Au quinzième jour de grève, ce mardi 1er novembre, les journalistes de iTélé en savent quelque chose.

Jean STERN


[1] Le monde libre, Les liens qui libèrent, 19 euros.

[2] Publié par La fabrique.

[3] Dans un livre qui vient de sortir chez Don Quichotte, Main basse sur l’information, Laurent Mauduit en dresse un nouveau tableau, toujours aussi édifiant.