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"L’élection de Trump est liée au creusement des inégalités"
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https://reporterre.net/L-election-de-Trump-est-liee-au-creusement-sans-precedent-des-inegalites
Donald Trump, le 45e président des États-Unis, prendra ses fonctions en janvier. Il doit son élection à la faillite du Parti démocrate, incapable de répondre au creusement sans précédent des inégalités dans un pays où 43 millions de personnes ont recours à des coupons alimentaires et où 12 millions ont été expulsées de leur logement entre 2008 et 2010.
Romain Huret est historien des États-Unis, directeur d’études à l’École des hautes études en sciences sociales (Ehess). Il s’intéresse particulièrement aux inégalités économiques et sociales dans ce pays.
Romain Huret.
Reporterre — La victoire de Donald Trump peut-elle être vue comme la faillite de la classe dirigeante ?
Romain Huret — Oui, je pense qu’on peut formuler ça ainsi. Je serais même plus précis et plus dur envers les dirigeants actuels. Cette élection, c’est la faillite du Parti démocrate au pouvoir. Face au creusement sans précédent des inégalités, ils sont restés au stade du diagnostic, ils n’ont pas agi. Je ne vois pas comment on peut dire que le chômage et la pauvreté augmentent, et penser dans le même temps que cette dégradation n’aura aucun effet politique. Les élites dirigeantes ont été aveuglées par le succès de la mondialisation et du libre-échange pour une partie de la population. Or, toute une autre partie des Américains vit cette mondialisation comme un déclassement. C’est cet électorat ouvrier, déqualifié, qui a voté pour Trump.
Cette élection est donc liée aux inégalités sociales et économiques ?
Bien sûr. Je cite souvent une donnée qui est pour moi très significative de ce qui se passe aux États-Unis. Depuis une dizaine d’années, il y a une hausse exponentielle du taux de mortalité parmi les hommes de 45 à 54 ans, blancs et non qualifiés. Les raisons ? Drogue, suicide, maladies cardiovasculaires liées à la malbouffe et au tabac. Cette augmentation est propre aux États-Unis, et… à l’Angleterre. L’élection de Trump, tout comme le Brexit, est à analyser au prisme de cette dégradation des conditions de vie. C’est cet électorat blanc, effrayé, qui a voté pour le candidat républicain. Aux États-Unis, 43 millions de personnes ont recours à des coupons alimentaires, 12 millions ont été expulsées de leur logement entre 2008 et 2010. Or, face à ce phénomène, l’administration Obama n’a pas fait assez. Elle a sous-estimé les problèmes sociaux : éducation, accès aux soins (par exemple, l’Obamacare ne fonctionne que si l’on a un emploi). Il y a clairement une absence de prise de responsabilité des élites.
Pourtant, Donald Trump fait partie de cette élite : c’est un milliardaire !
C’est effectivement le paradoxe de cette élection. Un milliardaire du Parti républicain apparaît comme le champion des laissés-pour-compte. Mais, contrairement à Hillary Clinton, il leur a parlé, il a abordé le thème des sans-diplômes, des coupons alimentaires. Et en dénonçant le libre-échange, il s’est attaqué au cœur du moteur. Même si je ne crois pas un instant qu’il fera grand-chose sur ce sujet dans les mois à venir…
Bernie Sanders portait aussi ce message, il parlait aussi aux laissés-pour-compte. Mais comme vous le savez, il a perdu. Je trouve dommage qu’Hillary n’ait pas repris davantage à son compte les mesures fortes de son programme. Finalement, Trump s’en est sans doute plus inspiré. C’est là aussi une part de cette faillite du Parti démocrate. Certains disent que Sanders aurait pu l’emporter face à Trump. C’est difficile à dire, même s’il est certain que Sanders aurait plus et mieux parlé que Clinton à cet électorat blanc du Midwest.
Trump est un anti-écolo notoire. À quelle politique environnementale cette élection va-t-elle conduire ?
La ligne des conservateurs a toujours été environnementalo-sceptique. Son positionnement est donc assez peu surprenant. Pour Donald Trump, l’environnement n’est pas une priorité. C’est un problème de bobos, de gens qui vivent dans leur loft à New York ou à San Francisco. Il réinterprète à sa sauce la lutte des classes à travers ce prisme : les riches environnementalistes contre les pauvres. À ce propos, Nicolas Sarkozy tient le même discours en France.
Quant à savoir s’il fera quelque chose, comme supprimer l’Agence de l’environnement (EPA) ou se retirer de l’accord de Paris, comme il l’a annoncé, je ne suis pas certain. Il a d’autres priorités, un agenda politique très rempli, et un créneau de quatre ans somme toute réduit. Vu la longueur des débats au Congrès, un président ne peut passer que trois ou quatre grandes réformes par mandat de quatre ans. Même si ce n’est pas son fort, Trump va devoir hiérarchiser, et l’environnement n’est pas important pour lui. Il a d’autres chats à fouetter.
Quelles leçons peut-on en tirer pour la France ?
L’échec de Hillary Clinton vient de son silence sur les questions d’emploi et d’éducation. J’insiste sur ce point, qui me paraît primordial. Dans des sociétés post-industrielles, où la réussite dépend du niveau d’éducation, les gens qui conjuguent absence d’emploi et de diplôme ont un sentiment de déclassement très fort… pourtant, ils n’obtiennent aucune réponse concrète de la part de leurs gouvernements. Ceci est vrai pour les États-Unis, mais aussi pour la France. Après le Brexit, après Trump, il serait temps que nos dirigeants réagissent. Il nous faut une prise de conscience collective pour éviter un désastre électoral similaire.
- Propos recueillis par Lorène Lavocat
- Pour entrer dans le détail de l’électorat de Trump, le quotidien le New York Times a publié un sondage réalisé à la sortie des urnes.