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Argentine, le choc de la Macri-économie

Argentine économie

Lien publiée le 23 novembre 2016

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Ces articles de la rubrique « Ailleurs sur le web » sont publiés à titre d'information et n'engagent pas la Tendance CLAIRE.

http://www.liberation.fr/planete/2016/11/22/argentine-le-choc-de-la-macri-economie_1530202

Le président ami des banquiers, dont l’élection il y a un an mettait fin à douze années de kirchnérisme, a soumis le pays à un libéralisme à tous crins. Si les spéculateurs ou les agriculteurs en profitent, les classes moyennes et les pauvres trinquent.

Il y a tout juste un an, la liesse était à son comble dans le QG de Mauricio Macri, tout juste élu président de l’Argentine. Sous une musique tonitruante et un déluge de ballons de baudruche jaunes, la couleur de son parti, il esquissait, victorieux, quelques pas de danse et promettait à ses militants en plein délire «la révolution de la joie». La fin de l’idéologie clivante, le pragmatisme au pouvoir. Pour la première fois dans l’histoire du pays, un candidat revendiquant son appartenance à la droite libérale et sa sympathie envers les marchés financiers était élu.«Par le vote et non par les bottes», soulignait en grinçant le quotidien de gauche Pagina 12, référence à la dernière dictature militaire (1977-1983).

Pour la première fois aussi, le nouveau président n’était issu ni du tentaculaire parti péroniste, ni de son rival historique aujourd’hui moribond, le parti radical, mais d’une coalition rassemblée autour du mouvement créé par Mauricio Macri dix ans auparavant, le PRO (Proposition républicaine). Son nom, martelé comme un slogan durant toute la campagne : «Changeons !»

«Macri a bénéficié de la lassitude des Argentins après douze ans de pouvoir Kirchner [un mandat de Nestor Kirchner, suivi par deux de sa femme Cristina Fernández de Kirchne, ndlr], analyse Cecilia Trujillo, professeure de sciences politiques à l’université de Buenos Aires. Leur modèle populiste était à bout de souffle, ainsi que l’économie argentine. L’antagonisme permanent de la Présidente et les nombreux scandales de corruption rendaient le climat social très dur.»

«Changeons !» ont donc demandé 51,34 % des Argentins. Et changement il y eut. En seulement trois mois, l’ancien maire de Buenos Aires et son gouvernement, constitué principalement de chefs d’entreprise (le ministre des Finances est un ex-cadre de la banque JPMorgan Chase, celui des Affaires étrangères est l’ancien directeur de Telecom Argentine, et le ministre de l’Energie était président de Shell Argentine) ont fait faire une brutale volte-face à la politique économique du pays. Ouverture des marchés, des importations, dévaluation et suppression du drastique contrôle des changes : c’est tout le modèle protectionniste mis en place par l’administration Kirchner qui a été mis en pièces.

Serpent de mer de l’inflation

Autres bouleversements : l’abandon des nombreux subsides aux services publics tels que l’eau, le gaz, l’électricité ou les transports, qui jusqu’alors rendaient les factures des Argentins dérisoires. Et la suppression de milliers de postes jugés plus ou moins fictifs au sein d’un Etat devenu obèse. «La violence de la transition a réveillé le vieux serpent de mer de l’inflation, commente l’économiste Orlando Ferreres. Et dans son sillage, la baisse de la consommation, de l’emploi… La faible industrie argentine n’était pas prête à affronter la concurrence qu’a entraînée l’ouverture des importations. Le pays est entré en récession.»

En un an, l’Argentine a perdu plus de 127 000 emplois formels, selon les chiffres officiels de l’Afip, le fisc argentin. Mais si la classe moyenne a perdu en pouvoir d’achat et en sentiment de sécurité économique, ce sont les couches les plus pauvres de la population qui ont principalement été affectées durant ces douze premiers mois. «Le travail informel est extrêmement répandu en Argentine, un état de fait que les Kirchner n’ont pas réussi à transformer, explique Pilar Arcidiacono, docteure en sciences sociales et chercheuse au centre Conicet. Au travers de politiques sociales, en finançant et achetant la production des coopératives notamment, ils soutenaient une économie populaire très fragile. Macri a abandonné ces politiques, avec des conséquences immédiates.» Yoni Tapia, fondateur de la soupe populaire la plus importante de la Villa 31, gigantesque bidonville du cœur de Buenos Aires, a vu le nombre de ses visiteurs exploser : «J’ai dû passer à deux services par jour il y a deux mois, et je n’ai pas assez de nourriture pour tout le monde. Les pauvres sont toujours plus pauvres.»

Une partie de l’Argentine est entrée en résistance, battant le pavé de la capitale encore plus que de coutume. Vendredi, une grande marche soutenue par les syndicats a été organisée pour appuyer un projet de loi d’urgence sociale présenté par l’opposition. Samedi, ce sont les partis d’extrême gauche, historiquement divisés, qui ont tenu un meeting de rassemblement en rejet des politiques gouvernementales. Plus tôt dans la semaine, c’étaient les chercheurs qui manifestaient contre des coupes dans leurs budgets. Sur l’une des pancartes, on pouvait lire : «Macri, tes ballons de baudruche ont explosé.»

La polarisation de la société, un classique argentin qui semblait avoir atteint son comble à la fin du dernier mandat de Cristina Kirchner, et que Mauricio Macri avait promis de tempérer, n’a cessé de croître. Car une autre frange du pays se réjouit pleinement, à commencer par le puissant secteur agricole. Une des premières mesures du Président a en effet été de supprimer les très hautes taxes qui grevaient les exportations de céréales et dont la mise en place avait entraîné une violente crise avec l’administration précédente. «On se sent à nouveau considérés, se réjouit Juan Brasca, agriculteur de la province de Buenos Aires, spécialisé dans le soja. La richesse de l’Argentine est toujours venue de la terre et ce gouvernement en a conscience. Nous sommes très confiants.»

Le FMI de nouveau bienvenu

Mauricio Macri n’ignore pas le malaise actuel. De la promesse d’une«révolution de la joie», il est passé à la citation de Churchill : «Pour que les choses aillent mieux, il faut qu’elles soient pires dans un premier temps, a-t-il déclaré vendredi dans un entretien au quotidien Clarin.Aujourd’hui, nous prenons conscience dans la douleur de la réalité de notre situation, qui est bien pire que ce que l’on avait anticipé.» Blâmer le «lourd héritage» laissé par douze ans de kirchnérisme est devenu un élément de langage au sein du gouvernement. Tout comme le néologisme«sinceramiento» (volonté de transparence et de normalisation), qui laisse entendre que le récit de l’Argentine kirchneriste n’était qu’un arrangement avec la réalité, à laquelle il est temps de faire face. Dans cette optique, Mauricio Macri a entrepris de remettre sur pied l’Institut de statistiques argentin, l’Indec, qui avait été mis sous tutelle de l’Etat par Cristina Kirchner avant d’être quasiment démembré. Durant les trois dernières années de la précédente administration, aucun indice officiel concernant l’inflation ou la pauvreté n’a été émis. Les premiers chiffres, parus en septembre, annoncent que 32 % de la population argentine se trouve sous le seuil de pauvreté. «Problème : la nouvelle méthodologie n’étant semblable à aucune de celles pratiquées par les instituts privés qui ont fonctionné durant ces trois dernières années, ce chiffre n’est qu’une photo, il n’est comparable à rien pour l’instant», explique Francisco Jueguen, auteur d’un livre sur l’Indec.

Le retour à la normale de l’Indec a permis de lever la motion de censure du FMI qui pesait sur le pays depuis son intervention, en 2013. Là aussi, changement radical : après dix ans d’ostracisme, l’organisme de crédit international est à nouveau le bienvenu en Argentine, ravi d’avoir retrouvé sa brebis égarée. Laissant derrière lui la politique de désendettement menée par les Kirchner, Mauricio Macri a contracté 45 milliards de dollars de dette depuis son arrivée au pouvoir, bien plus que tous ses voisins latino-américains. Chaque ligne de crédit étant célébrée comme le symbole d’un «retour au monde». «Il est positif, en effet, que l’on puisse à nouveau emprunter. Mais attention, souligne l’économiste Orlando Ferreres. Les taux appliqués à l’Argentine sont très hauts : 8 % pour la première ligne destinée au règlement des fonds vautours, alors que le taux de référence aux Etats-Unis est de 0,3 %. Aujourd’hui, le monde est intéressé par l’Argentine car ses bons ont des revenus très élevés.»

Spectre des années 90

En pleine récession, le pays est en effet une fête pour la finance. «Avec des taux d’intérêt de 26 %, une monnaie qui se réévalue et ce grand endettement, le peso est actuellement un excellent business», analyse Orlando Ferreres. Tellement juteux qu’il est plus profitable de spéculer que d’investir dans l’économie réelle. Le spectre des années 90 et des conséquences de la «bicyclette financière» (parité artificielle entre le peso et le dollar qui permettait des placements juteux tout en aggravant la dette), combiné à des mesures d’ajustement, est brandi comme un chiffon rouge par les opposants. Quant aux investissements étrangers promis par le Président durant sa campagne et censés réactiver l’industrie locale, ils tardent à se manifester.

Une large partie de la population argentine continue malgré tout de garder foi en son nouveau président, qui demande du temps pour que son modèle porte ses fruits. Un an après son élection, Mauricio Macri concentre encore 40 % d’opinions favorables. Et il a déjà émis le souhait de briguer un deuxième mandat.