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Kingston-upon-Hull, 1965 : proposition de contrôle ouvrier sur les transports publics
Ces articles de la rubrique « Ailleurs sur le web » sont publiés à titre d'information et n'engagent pas la Tendance CLAIRE.
http://www.autogestion.asso.fr/?p=6473#more-6473
Nous publions ici un document daté de 1965 de l’Institute for Workers’ Control, Four steps for Progress, portant sur une proposition de réorganisation des transports de la ville de Kingston-upon-Hull (communément appelée Hull) située au nord-est de l’Angleterre. Le cœur de ce document est un programme conçu par Jack Ashwell, président du syndicat TGWU des travailleurs des bus de la ville de Hull, pour promouvoir le contrôle ouvrier dans le cadre d’un service municipal comme alternative à des mesures unilatérales prises par la mairie pour faire face à l’étalement urbain de la ville.
Réédité quelques années plus tard en 1969, cette brochure est accompagnée d’une préface de Tony Topham de l’ICW qui nous montre combien ces recommandations n’ont pas été suivies d’effets, que le parti travailliste au pouvoir à l’époque (Harold Wilson, premier ministre de 1964 à 1970) a préféré, dans le cadre des transports londoniens, procéder par des injonctions faites aux travailleurs d’accepter de nouvelles normes de travail contre la menace d’un gel de leurs salaires (rédhibitoire en période de forte inflation). Plutôt que de faciliter une concertation entre travailleurs et usagers des services, ce gouvernement a préféré introduire de nouvelles méthodes de management qui permettront demain la privatisation de ces services. Cette réédition est aussi post-facée par Bill Jones, du comité de travailleurs des bus du centre de Londres, qui, se positionnant à la fois comme syndicaliste, travailleur et usager, interpelle dans des termes assez crus tout en étant pesés, Mr. M. Holmes, Président exécutif des transports de Londres, sur les récentes décisions de la direction.
Dans le contexte anglais de l’après-guerre, de nombreuses villes ont vu leur étendue s’accroître du fait de l’émergence des classes moyennes et de la construction de petites maisons en périphérie. Alors que les bus à deux étages étaient la norme dans ce pays, cette modification du paysage urbain entraînait la nécessité de recourir à des bus de plus petite taille, sans étage supérieur, qui permettaient de passer plus fréquemment dans des zones reculées et à faible densité de population. C’est dans ce cadre que la ville de Hull a conçu un plan de réorganisation des transports, sans concertation et ne respectant pas les aspirations des personnels des transports publics. Le syndicat est favorable à de nombreuses évolutions qui permettent de maintenir la pertinence des transports publics face à l’essor de la voiture individuelle dans la ville mais il conteste la façon managériale avec lequel il a été conçu.
Jack Ashwell introduit son programme en rappelant l’article 4 des statuts du Parti travailliste qui préconise de « permettre aux travailleurs de bénéficier, matériellement et intellectuellement, des résultats de leur secteur économique et de la distribution la plus équitable possible, sur la base de la propriété commune des moyens de production et d’échanges, avec le meilleur système possible d’administration populaire et de contrôle de chaque industrie ou service », tout en mentionnant que « ces objectifs ont été fréquemment négligés par le mouvement travailliste ou considérés comme impraticables. » Jack Ashwell présente ici une nouvelle réorganisation paritaire de l’organisation des transports dans laquelle les travailleurs auront des pouvoirs véritables allant au-delà de la simple consultation : « si les personnels constatent une détérioration significative du système de transport public, ils n’en accepteront aucune RESPONSABILITE s’ils n’ont pas de POUVOIRS à cet égard. » C’est donc une démarche qui va bien au-delà de la simple revendication sur les conditions de travail qui nous est ici présentée et qui vise à l’autogestion du service public.
Après avoir établi un bilan du dialogue social dans les transports publics en mettant en évidence que les syndicats ne siégeaient que dans un seul comité (Traffic Works Commitee) qui ne se réunissait qu’une fois tous les trois mois, le document s’adresse à la mairie pour changer la situation. La deuxième partie rappelle les changements en cours dans l’organisation spatiale de la ville et le fait que si le système de transports publics n’évolue pas, l’usage de la voiture individuelle se généralisera ce qui renforcera la congestion routière. Pour combattre l’usage de la voiture individuelle, qui ne répond nullement aux besoins des jeunes, des personnes âgées et des handicapés, le transport public se doit d’être attractif en offrant non seulement des liaisons vers le centre ville mais aussi entre les multiples lieux de travail et d’habitation, en offrant de bonnes fréquences de passage tout en assurant un service proche du « porte à porte ». Il s’en suit une liste de recommandations en 9 points.
Au moment de la rédaction de ce document, deux propositions avaient été faites par la direction :
– Le fonctionnement des bus avec un seul agent ;
– L’introduction d’un bus à un seul étage de 10,8 mètres de long.
Il précise qu’ils ne sont pas opposés au fonctionnement des bus avec un seul agent à la condition que cela ne concerne que les bus à un seul étage et en dehors des horaires de pointe. Mais ils demandent en contrepartie :
– Une augmentation générale des salaires de 15 % ;
– Aucun licenciement ;
– Des procédures de concertation entre travailleurs et direction sur les changements à opérer ;
– D’être assurés que des emplois alternatifs se verront offerts à des conducteurs qui ne pourraient, pour raison de santé, redevenir receveurs ;
– Que cette requalification ne soit pas punitive ;
– L’utilisation de pièces de monnaie et non de jetons ainsi que la possibilité de pré-paiement avant l’entrée dans le bus ;
– L’introduction de semaines de travail du lundi au vendredi, rendues possibles par le fonctionnement du bus avec un seul agent, et la garantie que tous les agents auront un week-end de repos toutes les six semaines en lieu et place de douze semaines actuellement.
La dernière partie du texte porte sur une organisation démocratique du travail dans laquelle :
– Chaque comité de travailleurs (il en existerait 8 selon les zones géographiques et les qualifications) serait élu par un vote à bulletin secret et renouvelé par tiers tous les ans. Les responsables nommés par la mairie siégeraient à ces comités avec voix consultative.
– Un conseil des travailleurs élu pour moitié par les comités et pour une autre moitié selon les mêmes modalités que les comités. Ce conseil aurait pour fonction d’émettre des opinions sur 1) l’équilibre économique de l’exploitation, 2) sur les conditions de travail des agents, 3) les projets proposés par la ville.
– Un conseil de gestion composé pour moitié de représentants du conseil des travailleurs et du conseil municipal.
Ce document est essentiel pour comprendre la période politique dans laquelle nous nous trouvions à l’époque : de grandes avancées sociales réalisées dans l’après-guerre dans lesquelles les conditions de vie des travailleurs se sont considérablement améliorées. Ces avancées posaient la question d’un changement radical de système pour pouvoir être maintenues et développées. C’est dans ce cadre qu’il faut comprendre la venue en 1964 d’un second gouvernement travailliste après celui de Clement Attlee de 1945 à 1951. Malheureusement, ce gouvernement n’était pas enclin à aller dans cette direction, préférant le maintien de l’Alliance Atlantique et le soutien aux États-Unis dans sa guerre d’agression contre le Vietnam. Cette politique aboutit au retour des conservateurs en 1970 et à une courte alternance travailliste entre 1974 et 1979 qui ouvrira la porte au Thatcherisme et aux privatisations massives de services publics.
On peut cependant regretter que le plan proposé par ce document aboutisse à une « cogestion » paritaire des services publics entre les travailleurs de ceux-ci et les autorités de la ville. On se demande d’ailleurs si cette forme est pertinente pour traiter les questions de tarifs des transports, de subventionnement et de rémunération des agents. On peut penser qu’une mairie élue aurait tout intérêt à donner le moins de subventions possible, à réduire le plus possible les salaires des agents tout en garantissant des tarifs faibles pour pouvoir être réélus. Est-ce qu’une parfaite autogestion ne devrait pas plutôt mettre face à face les usagers et les travailleurs pour dessiner un compromis pérenne dans le temps ? Dit autrement, est-ce que le pendant aux divers comités des travailleurs ne devraient pas être d’autres comités d’usagers plutôt que la mairie en tant que telle, les comités de travailleurs étant alors véritablement fondés à nommer leur hiérarchie ? Un mélange de Hull et de Porto Alegre, ville brésilienne où les usagers se sont organisés dans les années 1990 pour déterminer les priorités d’investissement ? Cette rencontre reste à construire…