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Le chômage ne baisse pas, il explose
Ces articles de la rubrique « Ailleurs sur le web » sont publiés à titre d'information et n'engagent pas la Tendance CLAIRE.
LE CERCLE/POINT DE VUE - Le nombre de demandeurs d’emploi de catégorie A baisse de manière récurrente, en France, selon les chiffres mensuels de Pôle emploi. Il faut attribuer cette décrue à l’orientation des chômeurs vers des stages de formation. Le sous-emploi et le chômage de longue durée, quant à eux, augmentent fortement.
La complexité des situations de non emploi, la diversité des catégories de chômeurs, les interactions entre des dispositions publiques à l'oeuvre, font de la mesure du chômage un art difficile se mesurant de diverses façons, selon les conjonctures ou les intentions des uns et des autres.
L'avantage est la marge de commentaires que confère la diversité des sources disponibles de préférer l'indicateur à charge ou à décharge. L'inconvénient provient de cette même prodigalité de sources aux résultats divergents, quand ils ne sont pas simplement contradictoires. Comme l'aurait dit un fabuliste, selon que vous êtes aux affaires on dans l'opposition, le jugement sur l'évolution du chômage sera blanc ou noir.
Selon l'Insee, selon Pôle emploi
Si, en outre, un président de la République conditionne une éventuelle candidature à sa propre succession à l'inversion de la courbe du chômage, il y a fort à parier que la polémique n'est pas prêt de flétrir. Pourquoi en sommes-nous là ? Deux mesures se partagent chaque mois l'attention des Français. Décideurs, relais d'opinion et citoyens disposent, d'un côté, de l'enquête emploi publié par l'Insee sur le dernier trimestre en date et, d'un autre côté, du nombre de personnes inscrites à Pôle emploi dans le courant du mois écoulé. Il arrive que les deux sources divergent : à qui faire confiance ?
C'est cependant le chiffre de Pôle emploi qui retient l'attention chaque mois. En octobre 2016, les 3,5 millions demandeurs d'emploi de catégorie A régressent très légèrement (-11.700) mais si l'on ajoute ceux qui cherchent un emploi à temps partiel ou à durée déterminé le nombre atteint 5,5 millions et continue d'augmenter (+19.000 environ).
Selon l'Insee, le nombre de chômeurs a augmenté au troisième trimestre. L'institut des statistiques mesure, par sondage auprès de 57.000 ménages, le chômage au sens du Bureau international du travail, permettant ainsi d'effectuer des comparaisons internationales. Au troisième trimestre 2016, 10 % de la population active soit 2,8 millions de personnes en métropole étaient selon ces critères sans emploi, en recherche et disponibles.
Si chacune des sources a ses limites et indiquent parfois des évolutions contradictoire, l'une et l'autre apportent des éclairages complémentaires indispensables pour cerner la réalité des tendances en jeu. Voici dès lors résumé la cause de la polémique : en matière de mesure du chômage, un seul chiffre n'est pas suffisant.
Un «halo» de 1,5 million de Français
Deux raisons exigent pourtant de relativiser ces chiffres . Tout d'abord, le sondage de l'Insee est affecté d'une précision de 0,3 %, le chiffre de 10 % pourrait donc être révisé à la hausse - ou à la baisse - dans les mois qui viennent. Par ailleurs, et cela est trop souvent ignoré, la manière de répondre à cette enquête est entachée d'ambigüité. Un chômeur découragé par des recherches infructueuses, ne cherchant pas au cours du mois précédant l'enquête, n'est pas comptabilisé en tant que «chômeur», ni même d'ailleurs dans la population active.
Les statisticiens parlent alors d'un «halo» autour du chômage qui, selon l'Insee, atteignait en août dernier 1,5 million de personnes ; un contingent en augmentation de 43.000 personnes sur les douze derniers mois. Plus grave encore : 29.000 inactifs découragés de plus sur le seul deuxième trimestre de l'année.
L'analyse plus détaillée montre que le taux de chômage diminue pour les hommes de moins de 25 ans et les femmes de 25 à 49 ans. Mais pour ces deux catégories, le taux d'activité a dans le même temps diminué d'un demi-point. L'abandon des recherches d'emploi les a donc fait passer de la catégorie de chômeurs à celle... d'inactifs.
Une explosion sans précédent du sous-emploi
Un observateur attentif qui, il est vrai, aurait le temps d'analyser en profondeur les données fournies par l'Insee constaterait également qu'au phénomène du «halo» s'ajoute l'évolution du sous-emploi évalué sur la base des déclarations de personnes indiquant vouloir travailler davantage. Plus de 90.000 personnes ont rejoint au deuxième trimestre 2016 les 1,7 million de Français en âge d'être actifs estimant travailler insuffisamment. En outre, du premier au deuxième trimestre de l'année, le nombre de «sous-emploi» supplémentaires pour cause de chômage technique a bondi de 50.000 à 133.000 personnes !
A ces chiffres et tendances s'ajoute la mesure du nombre d'inscrits à Pôle emploi, communiqué par le ministère du Travail. Ils étaient 3,5 millions disponibles et n'ayant pas travaillé dans le courant du dernier mois (catégorie A). Mais, ils étaient 5,5 millions en y ajoutant ceux ayant travaillé quelques heures dans le mois (catégories B et C). Or, ce sont ces deux dernières catégories qui, ces derniers mois, augmentent le plus (+ 100.000 en un an).
Ainsi le «halo» autour du chômage se développe-t-il encore plus vite, avec pour réponse le développement d'emplois jugés précaires, l'augmentation du nombre de CDD, ou encore le recours à des régimes hors salariat. La seule évolution du nombre des catégories A - erratique par ailleurs à cause des incidents de gestion de fichiers de Pôle emploi - n'est donc plus le seul thermomètre de l'emploi.
Au-delà de l'analyse de l'évolution du stock, celle des entrées et sorties, rarement commentée, permet pourtant de déceler des mouvements de fonds. Ainsi, les inscriptions à Pôle emploi pour licenciement économique progressent de 10 % en un an, soit plus rapidement que les sorties pour reprise d'emploi (7 %). La fin d'un CDD reste cependant le motif le plus courant d'inscription au chômage.
Le chômage longue durée, toujours plus massif, toujours plus long
Il n'en reste pas moins que l'explication avancée par certains de l'augmentation simultanée des entrées et des sorties par une plus grande fluidité du marché du travail ne tient pas, cette supposée fluidité ne concernant que la population la plus employable. Pour preuve, la part du chômage de longue durée progresse toujours. Il concerne désormais 2,4 millions de personnes, soit une personne en âge de travailler sur quinze...
Enfin, l'analyse des flux montre que le facteur principal de la baisse des inscrits à Pôle emploi reste l'orientation dans les stages de formation : 282.000 pour les trois derniers mois soit 100.000 de plus par rapport à la même période de 2015. Ce «traitement» du chômage explique à lui seul la baisse récente des chiffres mensuels.
Ces stages déboucheront-ils sur un emploi ou un retour à la case chômage ? Les statisticiens du ministère du Travail eux-mêmes estiment que seule une personne sur trois retrouve un emploi suite à un stage en formation. En réalité, sans les stages de formation, le chômage continuerait d'augmenter fortement.
Quel que soit le traitement statistique du chômage, il ne peut se résorber en deçà d'une croissance de 1,5 % par an (lire à ce sujet : «Plus d'emplois créés avec moins de croissance» ). Le gouvernement vient à juste titre de réviser à la baisse ses prévisions de croissance : elle serait encore de l'ordre de 1,2 % en 2016. Nous verrons bien.
L'Insee a publié en 2014 une étude montrant que la croissance potentielle française s'était réduite à 1 % à la suite de la crise de 2008. En cause, la perte de capital humain liée au chômage massif qui démotive et déqualifie les chômeurs de longue durée. Un cercle vicieux qui ne pourra être cassé que par des réformes structurelles telles que réalisées outre Rhin dans les années 2000.
François Jeger et Olivier Peraldi sont co-fondateurs de l'Institut Chiffres & Citoyenneté