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La poésie dadaïste de Tristan Tzara
Ces articles de la rubrique « Ailleurs sur le web » sont publiés à titre d'information et n'engagent pas la Tendance CLAIRE.
Tristan Tzara propose une poésie dadaïste. Il valorise la spontanéité pour remettre en cause le langage, les codes sociaux et littéraires.
Le poète Tristan Tzara est considéré comme le fondateur littéraire du mouvement Dada. Il émerge à Zurich en 1916 et renouvelle l’art et la littérature. Ses intentions et ses pratiques tranchent avec la culture académique à grands coups de Manifestes et de proclamations provocatrices.
Le dadaïsme de Tristan Tzara influence fortement les jeunes écrivains surréalistes comme André Breton, Louis Aragon, Philippe Soupault ou Paul Eluard. Henri Béharprésente les textes de Tristan Tzara sous le recueil intitulé Dada est tatou. Tout est Dada.
Le dadaïsme de Tristan Tzara
En 1916, le déserteur anarchiste Hugo Ball ouvre la salle du Cabaret Voltaire. Cet espace de bouillonnement artistique est rejoint par Tristan Tzara, Janco, Hans Arp. La revue Dada connaît un succès rapide à travers des opinions à contre courant dans un contexte de guerre et de patriotisme. « Tzara, grand maître de la communication, parvient à acquérir une audience internationale, en défendant l’individualisme, la liberté totale de l’artiste, son refus des dogmes et des valeurs établies, son anticonformisme, sa spontanéité », décrit Henri Béhar.
Tristan Tzara est chaleureusement accueilli à Paris par les jeunes surréalistes. Mais, il s’éloigne de l’esprit de sérieux affiché par ces écrivains. En 1921, il ne souhaite pas collaborer au procès de Barrès et refuse cette parodie qui reprend la forme de la Justice. Surtout, Dada semble exprimer la destruction de la culture académique tandis que les surréalistes s’attachent surtout à édifier de nouvelles constructions intellectuelles.
Les écrits de Dada dépassent la simple forme littéraire. La culture académique respecte les distinctions de genre et la séparation des domaines artistiques. « Mais tout change avec le mouvement Dada qui s’attaque à toutes les formes de l’expression humaine (peinture, danse, musique, cinéma, théâtre, gestuelle) ramenés à un état unique, la poésie », décrit Henri Béhar. La création dadaïste se porte souvent sur le langage, étrillé et désarticulé, considéré comme le fondement de la société bourgeoise. « Ainsi fûmes-nous désignés à prendre comme objet de nos attaques les fondements mêmes de la société, le langage en tant qu’agent de communication entre les individus et la logique qui en était le ciment », précise Tristan Tzara en 1948.
Dada propose des poèmes polyglottes qui jouent avec les associations sonores. Le public est laissé libre d’interpréter la signification de mots inventés. « L’émotion immédiate prévaut sur la relation étymologique », décrit Henri Béhar. L’auditeur est libre d’associer lui-même ses pensées à sa guise. Le poème simultané n’est ni narratif, ni descriptif, mais vise à provoquer des impressions sans s’enfermer dans un cadre contraignant. Ses expérimentations poétiques se déroulent au cours de spectacles. Le collage permet d’emprunter les mots d’un journal pour les insérer dans son propre discours.
Contre les valeurs de la société bourgeoise
Les Sept Manifestes Dada sont publiés en 1924. Tristan Tzara décide d’affirmer des points de clivage avec les surréalistes et insiste sur la spontanéité dadaïste. Il s’oppose à l’esprit bourgeois, particulièrement au moyen de l’humour. Ces manifestes s’étalent de 1916 à 1920 et sont destinés à être lus en public.
« J’écris ce manifeste et je ne veux rien, je dis pourtant certaines choses et je suis par principe contre les manifestes, comme je suis aussi contre les principes », affirme Tristan Tzara. Il s’oppose à la rationalité bourgeoise et à son esprit de sérieux. Il dénonce la critique d’art qui impose des critères rationnels pour juger ce qui relève de la subjectivité. « Une œuvre d’art n’est jamais belle, par décret, objectivement, pour tous », souligne Tristan Tzara. Il rejette également toutes les formes de courants artistiques ou d’écoles qui sombrent rapidement dans le conformisme et la marchandise. « Nous avons assez des académies cubistes et futuristes : laboratoires d’idées formelles. Fait-on l’art pour gagner de l’argent et caresser les gentils bourgeois ? », interroge Tristan Tzara.
Il tourne également en dérision la science et la philosophie. « La dialectique est une machine amusante qui nous conduit / d’une manière banale / aux opinions que nous aurions eues de toute façon », ironise Tristan Tzara. Il valorise la spontanéité contre la reconnaissance artistique. Il insiste sur la provocation et sur la destruction de l’ordre existant. « Que chaque homme crie : il y a un grand travail destructif, négatif, à accomplir. Balayer, nettoyer. La propreté de l’individu s’affirme après l’état de folie, de folie agressive, complète, d’un monde laissé entre les mains des bandits qui déchirent et détruisent les siècles », proclame Tristan Tzara. Contre cette rationalité bourgeoise, il valorise la folie indomptable.
Dada s’affirme comme une « protestation aux poings de tout son être en action destructive », selon Tristan Tzara. Dada remet en cause tous les fondements de la société bourgeoise comme la bienséance et la morale sexuelle. Il valorise la création contre la logique et la hiérarchie. Il rejette toutes les formes de pouvoir : «abolition des prophètes ; abolition du futur : DADA ; croyance absolue et indiscutable dans chaque dieu produit immédiat de la spontanéité : DADA », énumère Tristan Tzara. Le mouvement Dada se place du côté de la liberté et de la vie.
Créativité et spontanéité
Dans le Manifeste sur l’amour faible et l’amour amer, Tristan Tzara propose une méthode pour créer un poème. Il faut découper des mots dans un journal et les aligner au hasard. « Et vous voilà un écrivain infiniment original et d’une sensibilité charmante, encore qu’incomprise du vulgaire », ironise Tristan Tzara. En réalité, il n’a jamais appliqué cette méthode et préfère directement inventer de nouveaux mots.
En revanche, sa poésie valorise la spontanéité et la créativité contre les contraintes sociales de la société bourgeoise. « Dada prenait l’offensive et attaquait le système du monde dans son intégrité, dans ses assises, car il le rendait solidaire de la bêtise humaine, de cette bêtise qui aboutissait à la destruction de l’homme par l’homme, de ses biens matériels et spirituels », précise plus tard Tristan Tzara. Le langage et la logique deviennent des cibles privilégiées du poète.
Dans les Lampisteries, Tristan Tzara évoque divers poètes et pratiques artistiques qui influencent sa propre démarche. Il se réfère notamment à la « poésie nègre ». La créativité est alors reliée à la vie quotidienne. La poésie comprend toutes les diverses activités humaines et refuse toute forme de cloisonnement. « La poésie vit d’abord pour les fonctions de danse, de religion, de musique, de travail », présente Tristan Tzara.
La poésie devient une manière d’exprimer la créativité et la sensibilité de chaque individu, quel que soit le domaine artistique. La poésie doit favoriser la liberté pour échapper aux cadres prédéfinis. « Le poème n’est plus sujet, rime, rythme, sonorité : action formelle. Projetés sur le quotidien ils peuvent être des moyens dont l’emploi n’est pas réglementé ni enregistré », précise Tristan Tzara.
Héritages à réinventer
La démarche de Tristan Tzara et des dadaïstes permet de dynamiter les fondements de société bourgeoise. L’autorité, les hiérarchies, la rationalité, mais aussi le travail, la religion et la morale sont attaqués. L’art académique et le langage sont particulièrement visés par Tristan Tzara. Surtout, le dadaïsme refuse toute forme de cloisonnement artistique.
Diverses pratiques peuvent se conjuguer pour exprimer une sensibilité libérer la créativité. La maîtrise d’une discipline artistique ou littéraire n’est pas exigée pour permettre à chaque individu de créer. L’art est relié à la vie quotidienne. Il n’est plus considéré comme une activité spécialisée réalisée par des professionnels. Au contraire, la créativité doit envahir le quotidien pour rendre la vie passionnante.
Mais le dadaïsme de Tristan Tzara débouche vers des héritages divers. Ses textes peuvent s’enfermer dans une posture élitiste et aristocratique. Il ne cherche pas à exprimer un message, mais semble proposer une poésie vide de sens. La critique radicale de la logique peut déboucher vers tout et n’importe quoi. Certains artistes Fluxus mettent en avant la spontanéité mais sans donner un sens politique à leur démarche. L’art permet alors uniquement de faire grossir le compte en banque des artistes.
Mais il existe un héritage politique du dadaïsme, incarné notamment par les situationnistes. La critique des valeurs bourgeoises débouche vers une perspective de rupture avec la civilisation marchande. La spontanéité est également valorisée dans les luttes sociales. La révolution alors doit permettre d’abattre un monde de contraintes qui empêche la libération de la créativité. Contre le travail, les situationnistes valorisent le jeu et le plaisir. La poésie est reliée à la vie pour inventer un monde nouveau.
Source : Tristan Tzara, Dada est tatou. Tout est Dada, Flammarion, 2016
Extrait publié sur le site La pluie et les arbres
Articles liés :
Le manifeste et la révolte poétique
Le surréalisme, une révolte poétique
Pour aller plus loin :
Radio : Tristan Tzara, l'homo poeticus (1896-1963), émission diffusée sur France Culture le 6 février 2016
Radio : émissions avec Henri Béhar diffusées sur France Culture
Articles sur Tristan Tzara publiés sur le site Les matérialistes
Peinture fraîche, par Jean Daive. « Tristan Tzara et les arts dits primitifs », émission du vendredi 22 décembre 2006, transcrite par Taos Aït Si Slimane
Tristan Tzara 1896 - 1963, publié sur le site Dadart
Revue Dada mise en ligne sur le site Mélusine surréalisme
Alain Berset, Le boui-boui de Dada, publié sur le site du journal Le Temps le 8 février 2016
Hélène Lévy-Bruhl, Tristan Tzara et le livre : ses éditeurs et ses illustrateurs, publié sur le site des Thèses de l'École nationale des chartes en 2001