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La douloureuse naissance du socialisme français

histoire

Lien publiée le 31 décembre 2016

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Ces articles de la rubrique « Ailleurs sur le web » sont publiés à titre d'information et n'engagent pas la Tendance CLAIRE.

http://www.marianne.net/douloureuse-naissance-du-socialisme-francais-100248918.html

Il faudra beaucoup de temps aux différents partis de gauche nés au lendemain de la Commune de Paris, entre dogmatisme intransigeant et progressisme ouvert, pour trouver une relative et bien fragile unité.

Jean Jaurès en 1913 - crédit photo Flickr @Paille

Les déchirements de la gauche demeurent comme autant d'actes fondateurs, et se reproduisent de génération en génération. On pourrait même remonter à la scène primitive, en un temps où l'aile marchante de la Révolution française ne siégeait pas à gauche de l'hémicycle, mais sur les gradins supérieurs de la Convention. La guillotine ponctuait alors les débats de la Montagne. La fraternité a beau être un principe de la République, repris par le socialisme, elle n'a guère marqué les relations entre les partisans de la transformation sociale. Les textes les plus impitoyables de Karl Marx visent Proudhon, Fourier, Louis Blanc puis Bakounine, et non les économistes et philosophes bourgeois dont la critique comporte toujours une part d'éloge. Marx fonde ainsi une tradition : un socialiste s'affirme toujours par la critique, plus ou moins violente, d'un autre socialiste.

La guerre des gauches, fondatrice du Parti socialiste, commença immédiatement après la chute du premier gouvernement républicain proclamé par Gambetta au lendemain de la défaite de Napoléon III à Sedan. Le sort funeste des armes, l'incapacité de la jeune République à repousser l'invasion prussienne avaient amené à l'Assemblée une majorité capitularde et fort peu républicaine. L'insurrection du 18 mars, suivie de la proclamation de la Commune de Paris, sépare durablement la gauche républicaine et bourgeoise d'un mouvement populaire, auquel le mouvement ouvrier et socialiste va s'identifier par la suite. Les députés de gauche, élus du peuple parisien, quittent précipitamment Paris, imités par Jules Ferry, maire de la capitale, nommé par le gouvernement Gambetta.

Démissionnaire un mois plus tôt de son mandat de député, Victor Hugo ne peut approuver l'insurrection, qui lui rappelle celle de juin 1848, fatale à la République, mais il est à peu près le seul à comprendre la colère populaire. Le comité central de la Commune s'installe à l'Hôtel de Ville, et reproduit en son sein toutes les divisions du mouvement révolutionnaire. Des anarchistes aux membres de l'Internationale de Marx, la Commune ne comprend pas moins de sept tendances, qui s'accordent douloureusement sur les mesures d'urgence et l'organisation de la défense, tout en se déchirant sur toutes les perspectives. Les divisions de la Commune pèseront longtemps sur le mouvement ouvrier, même si la cruauté des Versaillais offre un terrible mythe fondateur, par les massacres de la Semaine sanglante, suivis de rafles massives et de condamnations expéditives au bagne. Seul l'exil permet d'échapper à la déportation en Nouvelle-Calédonie.

TOUTES LES VARIANTES DE L'ANARCHIE

La gauche républicaine laminée, le mouvement ouvrier décapité et morcelé se trouve en butte à une effroyable répression. L'armée réprime la moindre grève. Il faudra près de vingt ans pour qu'émerge de nouveau un socialisme légaliste ou simplement décidé à utiliser les institutions bourgeoises. Le dégoût né de mai 1871 engendre toutes les variantes de l'anarchisme : les plus modérés fondent un syndicalisme hostile à l'action politique institutionnelle, les plus durs passent à l'action violente. Ni Dieu, ni maître, de Ravachol à Jules Bonnot, en passant par Auguste Vaillant, l'anarchie exprime pendant un demi-siècle l'hostilité des prolétaires à la république bourgeoise. Sous une forme plus pacifique, c'est encore à partir du mouvement anarchiste que naissent les bourses du travail et la CGT.

Le socialisme politique tente de renaître, autour des anciens communards, libérés du bagne ou rentrés d'exil à la faveur des lois d'amnistie de 1879 et 1880. Il lui faudra vingt-cinq ans pour réaliser son unité.

En 1882, Jules Guesde fonde le Parti ouvrier en compagnie de Paul Lafargue, gendre de Karl Marx. Cette fondation résulte déjà d'une scission : deux ans plus tôt, l'ancien communard Edouard Vaillant, rentré d'un exil à Londres, a participé avec Guesde à la fondation d'un premier parti, la Fédération des travailleurs socialistes de France. Le socialiste libertaire Paul Brousse, redoutant le carcan d'un parti, s'était séparé de Guesde et de Vaillant.

Paul Lafargue ayant convaincu Guesde de la nécessité d'une théorie, inspirée de Karl Marx, Edouard Vaillant juge le texte trop dogmatique. Ancien disciple de Proudhon, puis proche d'Auguste Blanqui, Vaillant n'est cependant pas hostile à Marx. Il a été lié, pendant la Commune et dans l'exil, à Charles Longuet, tout autant gendre du penseur. La divergence politique se double d'une querelle de famille, Lafargue, fort de son antériorité dans la famille, se veut seul héritier de Marx, auquel il affirme avoir fait relire le texte fondateur du Parti ouvrier. Selon Engels, Marx aurait alors dit : «C'est peut-être un texte marxiste, mais, en ce qui me concerne, je ne suis pas marxiste.» En tout état de cause, Marx a pu relire le texte en 1882, mais il est mort un an après, en mars 1883.

De son côté, Jules Guesde cherche à construire sa légitimité, quand celle des héros de la Commune s'impose naturellement. Car il n'a pas participé à la Commune, puiqu'il se trouvait dans le sud-ouest de la France. Soutenant de sa plume l'insurrection parisienne, il encourait tout de même une condamnation à sept ans de réclusion, si bien qu'il prit le chemin de l'exil. Il rentra à Paris un peu avant les anciens communards. Jean Allemane adhéra au Parti ouvrier dès sa fondation. Il avait, lui, combattu dans les rangs des fédérés et payé son engagement de sept années de bagne en Nouvelle-Calédonie. Rentré à Paris, il était, contrairement à Guesde et Lafargue, un authentique ouvrier, typographe à l'imprimerie de l'Intransigeant. Très vite, Allemane s'oppose au tandem dirigeant, qui impose un dogme unique, fondé sur la prise du pouvoir par le prolétariat, en refusant tout compromis intermédiaire.

Une querelle qui en préfigure bien d'autres. Pour Jules Guesde, la forme du gouvernement bourgeois ne concerne pas le prolétariat. Jean Allemane et ses partisans estiment au contraire que le combat socialiste passe par la défense des libertés républicaines. Les amis de Jean Allemane veulent soutenir toutes les avancées, à commencer par les lois Jules Ferry, qui ouvrent les écoles aux enfants de prolétaires. La tension se fait plus vive au sein du Parti ouvrier, lorsque Jean Allemane s'engage dans la lutte contre le général Boulanger, qui tente d'imposer un pouvoir autoritaire. Aux yeux de Jules Guesde, cette ligne revient à placer les socialistes à la remorque des républicains bourgeois. En 1890, Jean Allemane et ses partisans, parmi lesquels se trouve Jean-Baptiste Clément, poète de la Commune, sont exclus du Parti ouvrier. Ils fondent aussitôt un autre parti, le Parti ouvrier socialiste révolutionnaire. Considérant la grève générale comme le moyen d'action de la classe ouvrière, Allemane se rapproche en même temps des syndicalistes et participe à la fondation de la CGT. Alliance contre nature pour Lafargue, qui n'a pas de mots assez durs pour les anarcho-syndicalistes comme Fernand Pelloutier, fondateur de la CGT.

LE SOCIALISME INDÉPENDANT DE JAURÈS

Le dogmatisme du Parti ouvrier, devenu en 1892 Parti ouvrier français, laisse le terrain à des formations plus ouvertes. Chez les guesdistes, il n'y a guère de place pour un homme qui, venant d'un autre horizon, se convertit au socialisme. Né en 1859, Jean Jaurès n'est pas de la génération de la Commune. Député républicain, benjamin de la Chambre en 1885, mais battu à la fin de son mandat, il découvre le socialisme sur le terrain, lors de la grève des mineurs de Carmaux dont il se fait le porte-parole. Normalien, docteur ès lettres, professeur de faculté à Toulouse, il ne vient pas de la classe ouvrière et n'a strictement aucune expérience des luttes. Mais ce bourgeois se lie aux ouvriers de Carmaux et devient leur député en 1893. Socialiste indépendant, il ne songe pas à rejoindre les formations existantes. On ne saurait dire que Guesde, élu député du Nord au même moment, l'accueille à bras ouverts.

Jaurès est un négociateur, il a recherché une issue positive à la grève et il récidive avec les verriers de Carmaux, en empêchant la fermeture de l'usine par la fondation d'une coopérative ouvrière. Ce ne sont pas les idées en vogue au POF, mais Jean Jaurès va s'imposer en quelques années comme la figure majeure du socialisme français. Sa mobilité d'esprit s'oppose au dogmatisme de Guesde. Réformiste, il approuve toute avancée, qu'il s'agisse de libertés publiques ou de la condition ouvrière. Mais surtout, dès lors qu'il adopte une cause, Jean Jaurès en devient le meilleur défenseur, et donc le leader. Ainsi du socialisme, ainsi de la défense de Dreyfus. Lorsqu'éclate l'affaire, Jaurès croit à la culpabilité du capitaine, jusqu'à suggérer que l'influence juive a évité à Dreyfus le peloton d'exécution. Quand il prend conscience de l'iniquité, il défend un innocent et dénonce les préjugés antisémites qui en font un coupable. Guesde voit dans cet engagement la preuve que Jaurès n'est décidément pas un socialiste.

Prendre parti pour un militaire, un officier, un bourgeois ! Jean Longuet, petit-fils de Karl Marx, quitte le parti de Guesde pour marquer son soutien à Jaurès et rejoindre la formation de Jean Allemane.

DEUX BLOCS FACE À FACE

Au début du XXe siècle, il y a quatre ou cinq formations se réclamant du socialisme. Chacune derrière son chef historique : Edouard Vaillant, Jules Guesde, Paul Brousse, Jean Allemane. A quoi s'ajoutent des comités socialistes à géométrie variable, des socialistes indépendants dont Jean Jaurès est la figure principale. L'Internationale socialiste, fondée en 1889, les presse de s'unir et refuse de choisir. Les vieux chefs se déchirent et se combattent. Jean Jaurès plaide le premier pour l'unité des socialistes. Mais qui est-il ?

Jules Guesde décide en 1902 de rassembler les révolutionnaires, à l'exclusion de tous les autres. Le POF fusionne avec le petit parti d'Edouard Vaillant pour former le Parti socialiste de France. Une manœuvre d'appareil, pour éviter une formation plus large avec des socialistes tièdes. Tout, sauf Jaurès, en quelque sorte. Jean Allemane, en revanche, s'est rapproché de Jean Jaurès, par l'entremise de Lucien Herr, bibliothécaire de l'Ecole normale supérieure. La même année 1902, Jean Jaurès fonde le Parti socialiste français, en compagnie de Jean Allemane et de Paul Brousse.

La guerre des socialistes reprend, en mettant deux blocs face à face. Jaurès et ses amis participent aux combats républicains, jusque dans le travail parlementaire. Ainsi Jaurès participe, en tant que député, à la rédaction des lois de séparation de l'Eglise et de l'Etat. Les guesdistes, s'opposant à l'Eglise et à l'Etat, estiment que les relations des deux ne les concernent pas. La guerre des deux PS aurait pu continuer longtemps, si l'Internationale n'avait exigé la fusion. Jean Jaurès prend le parti de l'unité, à longueur de discours et d'articles, quand Guesde n'a de cesse de l'invectiver. Il cherche en même temps à sortir le socialisme de son pré carré, et fonde l'Humanité, en 1904, en y invitant une constellation d'écrivains, tels Anatole France, Jules Renard, Tristan Bernard et Octave Mirbeau. Le journal milite pour l'unité des socialistes. De gré ou de force, les guesdistes finissent par accepter et les deux partis fusionnent en 1905 au congrès du Globe, pour former la SFIO, Section française de l'Internationale ouvrière.

L'unité paye, en 1914, les socialistes obtiennent 107 sièges à la Chambre des députés. Ils sont unis, mais pour quinze ans seulement. Jaurès, comme l'on sait, tente jusqu'au bout de conjurer la guerre, ce qui lui vaut d'être assassiné le 31 juillet 1914. Seul Jean Longuet, qui a accompagné Jaurès dans toutes ses démarches, se prononce encore contre la guerre, devant le groupe socialiste, mais il applique la discipline de groupe à la Chambre. Guesde, qui a passé plus de trente ans à dénoncer toute compromission avec les gouvernements bourgeois, devient ministre et même ministre d'Etat. Le guesdiste Marcel Cachin devient le plus ardent des propagandistes de l'Union sacrée. Envoyé en Russie lors de la Révolution russe de février 1917, il salue l'engagement du gouvernement provisoire, qui entend poursuivre la guerre auprès des Alliés.

Mais, au sein de la SFIO, un courant pacifiste se dessine, mené par Jean Longuet. Lorsque ce courant tend à devenir majoritaire, Marcel Cachin et L.-O. Frossard s'y rallient. La guerre se termine. Les socialistes se déchirent de nouveau, et ceux qui rentrent du front demandent des comptes aux camarades députés qui les ont envoyés au casse-pipe. La révolution d'Octobre semble offrir une perspective à ceux qui dénoncent la trahison socialiste. La fondation à Petrograd de la IIIe Internationale précipite la scission. Aussi étrange que cela paraisse, Lénine, Trotski et Zinoviev refusent toute discussion avec Jean Longuet, seul opposant à la guerre, et choisissent de s'appuyer sur les ex-bellicistes Marcel Cachin et L.-O. Frossard. La rupture est consommée en décembre 1920, au congrès de Tours. Une nouvelle guerre des socialismes commence alors, avec de brèves trêves unitaires, comme celle de 1936.