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Il y a 60 ans, le 7 janvier 1957, débutait la bataille d’Alger

histoire

Lien publiée le 7 janvier 2017

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Ces articles de la rubrique « Ailleurs sur le web » sont publiés à titre d'information et n'engagent pas la Tendance CLAIRE.

http://www.revolutionpermanente.fr/Il-y-a-60-ans-le-7-janvier-1957-debutait-la-bataille-d-Alger-I

La guerre d’Algérie est sans conteste la « névrose française » (Sartre) la plus profonde de l’après-guerre. La ségrégation comme les politiques néocoloniales, le racisme d’État, et la répression policière sévissant en permanence dans les quartiers populaires, véritables enclaves endocoloniales depuis cette période – dont le gouvernement Valls a assuré et légitimé la généralisation depuis l’été 2014, et évidemment depuis novembre 2015 avec la permanentisation de l’état d’urgence au nom de la « lutte contre le terrorisme » – en sont des stigmates exemplaires encore promises à un bel avenir. La « bataille d’Alger » qui a opposé à partir du 7 janvier 1957 pendant 9 mois la guérilla urbaine du FLN à l’opération de contre-insurrection menée par l’armée française, constitue un des principaux tournants de la guerre d’Algérie. Bref retour sur quelques-unes de ses dimensions, à l’occasion des 60 ans de son déclenchement.

Quelques rappels historiques

Depuis l’été 1955, la lutte des combattants pour l’indépendance de l’Algérie commence à ébranler le pouvoir colonial dans les zones rurales et les montagnes. En riposte aux exactions et exécutions de ses militants, ou encore à l’attentat du 10 août 1956 rue de Thèbes organisé par les « ultras » de la Main Rouge, le FLN organise une série d’attentats en plein Alger, d’abord contre les forces de police, puis dans certains lieux publics fréquentés par les colons européens (comme le Milk Bar et la Cafétéria), mobilisant activement une partie croissante de la population colonisée, Alger, qui est le centre névralgique du pays et du pouvoir économico-politique de la métropole, et son principal quartier populaire et arabe, la Casbah, deviennent le centre du gravité de la guerre d’indépendance.

Le préfet d’Alger et Guy Mollet, chef du gouvernement socialiste, décident alors de s’en remettre à l’armée pour restaurer la loi et l’ordre. Le 7 janvier 1957 le général Massu et ses parachutistes, et en particulier à celui qui est Colonel sous ses ordres, Bigeard, entrent dans Alger. Ils sont nantis des pleins pouvoirs pour mettre fin au terrorisme et « pacifier » le Grand Alger. « Pouvoirs spéciaux » dont l’octroi revient notamment au jeune ministre de l’intérieur d’alors… François Mitterrand, président de l’UDSR. On ne se souviendra jamais assez que c’est la SFIO qui donne les mains libres à l’Armée pour torturer à tout-va. Mollet avait proposé dès juin 1956 la suspension des libertés individuelles, les « interrogatoires poussés », et tous les « mesures d’urgence » et « traitements spéciaux » utiles. Mitterrand quant à lui, c’est dès novembre 1954 qu’il avait affirmé « l’Algérie est la France », et comme dans la grande majorité des cas similaires qui lui seront soumis, en février 1957 il se prononcera contre la grâce du communiste Iveton, qui sera exécuté. Valls et Hollande, ont en ce sens seulement renoué, avec leur Etat d’urgence et leur bellicisme permanents, avec une tradition ancienne de leur famille politique.

Très vite l’Armée française obtient des résultats, à coup de quadrillage et d’encasernement du quartier, d’infiltrations, d’arrestations, d’interrogatoires en tout genre. Le FLN organise une grève générale de huit jours à partir de fin janvier, à l’occasion de la 11e session des Nations Unies à New York. Elle sera en bonne part brisée au moyen de réquisitions par l’armée de travailleurs et de commerçants, et l’ouverture par la force des magasins. Progressivement nombre de responsables FLN sont arrêtés. Le réseau des commandos FLN est peu à peu démantelé et le nombre d’attentats chute. Larbi Ben M’hidi, chef du FLN pour la zone autonome d’Alger est arrêté dès février et sera torturé et tué sous les ordres d’Aussaresses en mars. Lors des mois qui suivent l’armée française poursuit sans relâche l’occupation, la traque et les exécutions. Le 24 septembre, Yacef Saâdi, l’un des principaux dirigeant du réseau – celui qui recrute Ali la Pointe, ancien repris de justice devenu combattant, figure au centre du film de Pontecorvo La bataille d’Alger, sur lequel on revient plus bas – est arrêté à son tour, pendant que La Pointe et d’autres sont exécutés dans leur cachette dynamitée par les parachutistes. Ce jour marque le terme officiel de la bataille d’Alger.

Un temps confiants, colons et une partie de l’armée, voyant venir le moment de négociations de l’État français avec le FLN, pousseront à ce que De Gaulle revienne sur la scène dans l’espoir qu’il assure le maintien de l’Algérie française. Le putsch d’Alger, coup d’État du 13 mai 1958 diligenté par plusieurs généraux et l’appui des parachutistes de Massu, qui avait pour but de forcer à maintenir ce cap de l’Algérie française au sein de la République, aura pour résultat son retour sur la scène. Le processus signera la fin de la IVe République et le début de la très bonapartiste Ve au terme d’une crise institutionnelle inédite depuis la guerre.

Cette bataille a été le moment d’un apartheid spatial et racial, militaro-policier, et d’une guerre psychologique particulièrement féroces. Fanon notamment en a analysé en détail les conséquences traumatiques, dans le cadre de son travail avec les victimes des tortures autant physiques que mentales commises par les militaires, ce que nombre de scènes du film de Pontecorvo rendent de façon particulièrement intense. Mais, et c’est sur quoi le film conclut, après un an et demi de calme très relatif dans Alger, les grandes manifestations de décembre 1960 témoigneront de l’enracinement de la volonté du peuple algérien de défendre sa dignité et conquérir son indépendance, alors que, pour un temps, la répression massive semblait avoir donné l’avantage aux oppresseurs.

Voir et revoir La bataille d’Alger de Gillo Pontecorvo (1966)

Quelques mots s’imposent sur ce film, profondément révolutionnaire dira Sartre dans un entretien avec John Gerassi (Saâdi restant emprisonné sans être exécuté au sortir de ses procès, libéré après les accords d’Evian en 1962, jouera même son propre rôle, Jaffar, dans le film), afin avant tout d’inviter le lecteur à le voir ou le revoir.

Rappelons que dans un pays où, il y a peu, d’aucuns vantaient les côtés positifs de la colonisation, où l’hypertrophie du récit national, totalement démultipliée depuis 2015, n’a pas son pareil pour truander les livres d’histoire, où il y a peu de périodes qui ont subi autant de black-out que la guerre d’Algérie, sinon peut-être la Commune de Paris, ce film italo-algérien fut évidemment interdit en France à sa sortie, alors pourtant que la guerre d’Algérie était terminée. Il reçut le Lion d’or à la Mostra de Venise en 1966, ce qui ne manqua pas de soulever la colère de la délégation française – dire contre la volonté de la France en résumé. Mais son destin illustre le combat décennal qui a dû être mené pour qu’une autre histoire que l’officielle ne commence à être largement audible : le film avait pu être temporairement diffusé tout début des années 70, mais sous la pression politique des anciens colons et de l’extrême-droite, il sera de nouveau censuré jusqu’en 2004.

Le film suit en parallèle les deux camps ennemis, autour d’Ali La Pointe côté FLN et colonisés, du colonel Mathieu (inspiré de Bigeard) côté parachutistes et colons, déploie méthodiquement avec une construction totalisante la mécanique de cette bataille pour le contrôle de la Casbah, dans ses aspects objectifs comme subjectifs, empreint d’un style qui rappelle le cinéma politico-militant d’un Rosi, et livre un réquisitoire d’autant plus puissant en faveur de la lutte des algérien-ne-s et contre les méthodes de l’armée française et le pouvoir que celle-ci sert, qu’il est indemne de ces raccourcis si courants qui nuisent à ce que Brecht attendait de l’art révolutionnaire, la « distanciation » [1]. Pourtant Le Monde avait révélé en 2003 la décision de l’Administration Bush… d’utiliser ce film pour former les soldats américains destinés à partir en Irak sur la tâche qui les attendait, déjouer et détruire la guérilla de résistance qu’ils anticipaient. Donald Rumsfeld aurait déclaré en ce sens après l’avoir que « La Bataille d’Alger est un modèle d’enseignement sur la guérilla urbaine pour mieux comprendre le développement de la guerre en Irak ». Rien de moins qu’anodin. Quelle meilleure preuve, quel meilleur indice, de la nécessité de revoir ce film et de se frotter à son réalisme, que le fait que même les services de renseignements et stratèges militaires de l’impérialisme d’aujourd’hui s’en servent pour continuer leurs sales guerres du XXIe siècle ?

(suite de l’article dans la prochaine édition)

[1] Cf. E Barot, Camera Politica. Dialectique du réalisme dans le cinéma politique et militant (groupes Medvekine, Francesco Rosi, Peter Watkins), Paris, Vrin, 2009.

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http://www.revolutionpermanente.fr/Il-y-a-60-ans-le-7-janvier-1957-debutait-la-bataille-d-Alger-II

La « bataille d’Alger » qui a opposé à partir du 7 janvier 1957 pendant 9 mois la guérilla urbaine du FLN à l’opération de contre-insurrection menée par l’armée française, constitue un des principaux tournants de la guerre d’Algérie. Après avoir proposé dans la première partie de l’article quelques rappels historiques et rappelé l’importance du film de Pontecorvo de 1966 La bataille d’Alger, nous revenons brièvement ici sur quelques enseignements plus politiques que l’on peut tirer à partir de cet épisode historique majeur.

Si la bataille d’Alger s’est soldée par une victoire militaire de l’armée de l’occupant, il est classique (y compris au sein de l’Armée française) de dire que la signification globale, autant au plan stratégique qu’au plan politique, de ce succès opérationnel et tactique, est celui d’un échec.

Victoire militaire et tactique de l’Armée française au court terme, mais défaite morale, politique et stratégique au moyen terme

D’abord au plan politique (politico-moral-idéologique en réalité) : dans une partie croissante de l’opinion publique, la généralisation des méthodes de l’armée a progressivement conduit à son discrédit, ce qui a joué un rôle majeur. La victoire a été obtenue au prix de plusieurs milliers de disparitions de suspects, de tortures sans fins (gégène, pendaisons, noyades…), d’exécutions sommaires, de procès expéditifs devant des tribunaux militaires. Ces pratiques firent d’abord l’objet d’une commission d’enquête révélée par Le Monde à l’été 1957, puis percèrent peu à peu à une échelle plus médiatique.

Rappelons que la guerre d’Algérie est le principal épisode de censure et de contrôle de l’information de l’après-guerre en France. La RTF est sous contrôle direct de la présidence de la République, contrôle qui censure tout ce qui diverge de la position officielle. La presse écrite en Algérie est aux mains de la bourgeoisie foncière, et les journaux français sont régulièrement saisis, interdits plus ou moins longtemps de publication, de nombreux journalistes sont arrêtés, etc. Certains journaux sont totalement interdits en Algérie. Cela n’empêche pourtant pas ce recours à la torture d’être dénoncé publiquement dans la presse et par des personnalités et militants politiques, comme Henri Alleg dont la parution de son livre La Question en 1958, malgré son interdiction quasi immédiate, aura une large diffusion clandestine, s’appuyant notamment sur une impression en Suisse, et suscitera une vaste prise de conscience. Sartre notamment (soutien fervent d’Alleg) qui avait longuement analysé, comme d’autres, le « système » d’exploitation et d’oppression à la fois économique, politique, idéologique et militaire du colonialisme, saluera ce livre majeur dans un article dénonçant son interdiction « La victoire d’Henri Alleg », en insistant en particulier sur la signification déshumanisante et raciste de la torture (fruit, notamment, de ses liens avec Fanon). La confiance d’une partie croissante de la population française dans son Armée et dans la politique gouvernementale, commence alors à s’effriter, et des campagnes politiques de soutien aux indépendantistes et de dénonciation du pouvoir colonial, notamment parmi les intellectuels (et l’on peut même dire que ce n’est qu’à ce moment que la gauche dans sa majorité passe à l’anticolonialisme) finiront par jouer suffisamment déterminant pour ébranler la volonté politique du pouvoir.

Du côté de ceux qui luttent pour leur émancipation, retenons donc que la combinaison de la lutte de libération avec un vaste enracinement populaire (au-delà des techniques de guérilla et d’actions ciblées, au-delà du strictement militaire donc) et de campagnes médiatisées, a été une clé au plan politico-idéologique, même si elle a supposé de part et d’autres des bases matérielles (financement, réseaux, armement, etc. sans lesquelles rien n’aurait été possible), pour la conquête finale de l’indépendance. [1]

Dans tous les cas, un laboratoire de la contre-insurrection au long terme

Ensuite et corrélativement, du point de vue de l’armée coloniale cette fois, malgré la victoire tactique (conduite des opérations isolées), c’est bien la défaite stratégique (combinaison des tactiques au service du but final, vaincre l’ennemi) qui caractérise cet épisode, qui ne peut naturellement pas être isolé de l’issue finale de la guerre. Certes même au plan tactique une victoire n’est pas une défaite (comme ça avait été le cas à Dien-Bien-Phu) tactique, mais la défaite finale du pouvoir colonial, défaite évidemment politique, est de ce fait aussi une défaite militaire, au sens où, jamais la stratégie, et la guerre en général, n’est indépendante du politique – comme le résumait la formule connue de Clausewitz « La guerre est la continuation de la politique par d’autres moyens ». La profonde instabilité politique, l’incapacité de convaincre, et donc de contrôler, une part suffisante de la population algérienne, autant que la population française, sont les principales raisons pour lesquelles l’indépendance a fini par apparaître y compris à De Gaulle comme inévitable. Ne nous privons pas, bien au contraire, de lire sur ce plan les théoriciens du camp d’en face. En conclusion d’un article de stratégie militaire récent, le Lieutenant-Colonel Philippe François écrit ainsi :

« Son histoire [celle de la guerre d’Algérie] révèle beaucoup des mêmes sources profondes de conflit et les mêmes complexités que celles que l’on constate dans la situation actuelle en ce qui concerne la sécurité dans le monde. Les traditions persistantes, les attentes et les politiques d’une ancienne puissance coloniale ont été la source du conflit. La guerre aurait-elle pu être gagnée si la France avait géré la situation de façon plus réaliste d’un point de vue politique ?

Une leçon importante qui ressort de ce conflit est le fait qu’un objectif politique final clair est essentiel pour façonner tous les aspects de la conduite d’une telle guerre : si l’objectif final n’est pas clair, l’emploi de la force est souvent inutile au mieux, et contre-productif au pire. De plus, le conflit a mis en évidence le besoin d’équilibrer le besoin de recours à la force avec des mesures visant à gagner la confiance de la population [2]. La France parvint finalement à contrôler la population, mais elle n’a jamais réussi à la rallier complètement à sa cause. Les forces françaises firent beaucoup pour alléger les souffrances infligées aux populations par des opérations de recherche et destruction, mais l’emploi de méthodes brutales pour obtenir des informations (c. à d., la torture ou des menaces de violence) ne servit qu’à traumatiser la population musulmane pour la faire obéir, mais en fin de compte cette politique l’aliéna complètement à long terme. Les problèmes moraux et techniques causés par des interrogatoires brutaux généralisés affectèrent négativement la conduite de la guerre par la France et ne sont toujours pas résolus aujourd’hui à de nombreux égards.

Une dernière leçon de la guerre est le fait que dans n’importe quel environnement de contre-insurrection, il est vraisemblable que l’ordre ancien a disparu pour toujours ; le conflit représente la naissance d’un nouvel ordre des choses — et non une opportunité de retour à l’ordre ancien ; et pour gagner la bataille il faut savoir accepter, adapter et façonner le nouvel ordre des choses, et non tenter de retourner en arrière. » [2]

C’est, enfin, l’impact largement au-delà de la guerre d’Algérie même de cette période qu’il faut noter. D’une part en France même : les méthodes militaro-policières de la contre-insurrection et de la « pacification » déployées par l’armée française lors de cette bataille, sont devenues le laboratoire de techniques qui ont servi à former de longue date l’appareil policier français, et pas seulement militaire, jusqu’à aujourd’hui(et ce indépendamment de la nécessité de les inscrire dans cette préoccupation politique plus globale).

Mais cette expérience fondatrice sur le terrain politico-militaire – même si la guerre d’Indochine avait déjà joué aussi ce rôle, et la défaite de Dien-Bien-Phu face à la guérilla, en particulier - a fait depuis longtemps des émules largement au-delà du seul impérialisme français. Le colonel Trinquier [2], qui devint courant 1956 l’adjoint de Massu, créateur du « dispositif de protection urbaine » (DPU), s’était formé à l’occasion comme théoricien de la guerre antisubversive et de la contre-insurrection. Son insistance sur le rôle du renseignement, la dimension politique des opérations militaires et l’impact de la « guerre psychologique », qui seront au cœur de son livre de 1961 La guerre moderne, inspireront en effet autant les stratèges militaires britanniques aux prises avec le conflit nord-irlandais que les américains qui en appliqueront les principes lors de la guerre du Vietnam – ce qui ne les empêchera pas non plus de perdre la guerre. C’est en ce sens que P. François concluait de nouveau, Irak et Afghanistan à l’esprit, son article de 2010 « L’étude de la Guerre d’Algérie est utile pour les analystes contemporains des guerres révolutionnaires et de la contre-insurrection » - et, comme nous l’avons vu dans la première partie de l’article, c’est bien dans ce but que l’Etat-major américain a fait usage du film de Pontecorvo en 2003.

Ces questions de stratégie et de tactique, croisées avec celles touchant le rapport entre le géopolitique, le politique et le militaire, sont redoutablement complexes. Il s’agissait ici seulement de marquer que cette bataille d’Alger, et la guerre d’Algérie plus largement, méritent encore aujourd’hui, plus que jamais d’une certaine façon au regard des processus convulsifs qui s’enracinent au plan géopolitique et qui ne vont pas dans le sens d’une stabilisation (quelle qu’en soit la physionomie), d’être étudiés, et compris, pas seulement dans leurs stigmates ou leurs impacts effectifs et durables (sur le racisme et le néocolonialisme de l’Etat Ve-républicain par exemple), pas seulement non plus au niveau des leçons tactiques à tirer pour les combats des exploités et des opprimés : mais aussi par rapport aux enseignements que les forces de répression de notre ennemi de classe en ont tiré, et continuent à en tirer, sur lesquelles notre lucidité doit être maximale.

La période politique dans laquelle nous sommes entrés en France depuis 2015-2016 porte en elle des affrontements de classe et des tournants autoritaires majeurs, comme la nuée porte en elle l’orage, ainsi que le disait Jaurès à propos de la guerre qu’enfante tôt ou tard le capitalisme. Par-delà les victimes de l’armée et de la police françaises d’hier et d’aujourd’hui, l’hommage aux combattants pour l’indépendance et à ce peuple qui a tant subi et aux générations suivantes qui payent encore le prix de ce néocolonialisme, hommage que nous devons rendre plus que jamais en menant avec eux le combat (voir notre article « Violences policières. Sur les tâches démocratiques du mouvement ouvrier »), n’oublions pas que des temps plus rudes sont vraisemblablement encore devant nous, et que notre connaissance de ces périodes historiques et la diversité des conséquences qu’elles ont engendré seront cruciales, pour anticiper lucidement jusqu’où les prochains qui seront au pouvoir seront capables d’aller si les intérêts du capital et de la réaction le leur commandent, et pour pouvoir se préparer et s’organiser en conséquence.

Notes

[1] Ce n’est pas un hasard si les pro-Algérie française et l’OAS crieront « Fusillez Sartre ! », mot d’ordre que H. Bouteldja reprend polémiquement dansLes Blancs, les Juifs et nous (La Fabrique, 2016) en raison des positions du philosophe sur la question israëlo-palestinienne, non sans avoir rappelé, tout de même, que sa « première révolte… a été de découvrir à quatorze ans que les colonies étaient "une mainmise de l’Etat" et une "activité déshonorante". Et il ajoute : "La liberté qui me constituait comme homme constituait le colonialisme comme abjection". » H. B. poursuite alors en disant que « En matière de colonialisme et de racisme, fidèle à sa conscience d’adolescent, il ne se trompera presque jamais » (p. 15). C’est le seul intellectuel auquel d’ailleurs il est fait mention dans le film de Pontecorvo, par la bouche du Colonel Mathieu, lorsqu’un journaliste lui dit que Sartre vient d’écrire un nouvel article, « – Qui peut me dire pourquoi les Sartre naissent tous d’un même côté ? – Alors Sartre vous plaît mon Colonel ? – Non. Mais il me plait encore moins de l’avoir comme adversaire. » Entre hommage du cinéaste et reflet du rôle objectif réel de l’intellectuel.

[2] Où comment revenir au « centaure » de Machiavel, soit la nécessité pour le Prince de savoir user de façon équilibrée force et ruse s’il veut maintenir son pouvoir, c’est-à-dire à ce que Gramsci appellera, dans son analyse de l’hégémonie, la combinaison adéquate du consentement et de la coercition. L’usage disproportionné ou croissant de la coercition est toujours à la fois le reflet d’une radicalisation des rapports de forces entre les classes (et plus largement les entités en conflit), et l’incapacité de ceux qui ont le pouvoir de le maintenir avec les méthodes « pacifiques » habituelles, soit une preuve de leur affaiblissement,caractéristique d’une période de crise organique et de ses tournants bonapartistes, comme celle dans laquelle nous sommes entrés aujourd’hui, et qui avait été tout aussi caractéristique de la fin des années 50 en France.

[3] P. François, « La stratégie de contre-insurrection en Algérie :un point de vue français », Military Review, Premier Quadrimestre 2010, p. 25.

[4] Voir par exemple R. Trinquier, « XI. Les erreurs de la contre-insurrection », in G. Chaliand, Les guerres irrégulières. XXe-XXIe siècle (anthologie), Paris Gallimard (Folio Actuel), 2008, p. 681-687.