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"Créons une assurance maladie universelle"
Ces articles de la rubrique « Ailleurs sur le web » sont publiés à titre d'information et n'engagent pas la Tendance CLAIRE.
https://jscheffer81.wordpress.com/2017/01/14/creons-une-assurance-maladie-universelle/
« CRÉONS UNE ASSURANCE-MALADIE UNIVERSELLE »
La Sécurité sociale dépense 6 milliards d’euros par an en frais de gestion, autant que l’ensemble des mutuelles. Leur rassemblement permettrait de faire des économies substantielles, avancent Martin Hirsch et Didier Tabuteau.
LE MONDE | 14.01.2017 à 06h33 • Mis à jour le 14.01.2017 à 07h11 |
http://abonnes.lemonde.fr/idees/article/2017/01/14/creons-une-assurance-maladie-universelle_5062590_3232.html
Par Martin Hirsch (Directeur général de l’Assistance publique-Hôpitaux de Paris et ancien membre du gouvernement de François Fillon (s’exprime ici à titre personnel)
Par Martin Hirsch, directeur général de l’Assistance publique-Hôpitaux de Paris, et Didier Tabuteau, responsable de la chaire santé de Sciences Po
La santé va-t-elle enfin trouver en France une place dans les débats électoraux ?
L’assurance-maladie en est en effet absente depuis 1988, année où le plan Séguin de réforme du régime des affections de longue durée (ALD) avait été un thème-clé de la campagne présidentielle. Quant à la santé publique, elle n’y entra par effraction qu’en 2002 grâce à l’astuce d’un professeur de santé publique, Claude Got, qui demanda à chaque candidat : « Allez-vous ou non appliquer une amnistie sur les délits routiers ? » Il en résulta l’abandon, par le président élu, de cette tradition républicaine mortifère et l’adoption d’un plan de prévention de la sécurité routière. Le nombre de morts par an chuta de plus de 8 000 en 2000 à moins de 4 000 dix ans plus tard.
Cette fois, la santé revient par le biais d’une distinction qui était passée de mode depuis les années 1980, celle du « petit risque » et du « gros risque », dont l’illustration par le rhume a suffi à décrédibiliser le principe.
Pour contribuer à ce débat, essayons de procéder comme les médecins. D’abord un diagnostic, ensuite un pronostic, enfin un traitement ! Pour le diagnostic, le plus simple est de se comparer aux autres. En 2014, la dépense courante de santé de la France était, dans les statistiques de l’OCDE, de 11,1 % de sa richesse nationale, soit moins que la Suisse et le Japon et à un niveau comparable à celui de l’Allemagne, de la Suède ou des Pays-Bas.
On trouve bien au-dessus les Etats-Unis, dont l’atypisme est bien connu, et, au-dessous, le Royaume-Uni, qui manque tant de moyens pour le système de santé que les promoteurs du Brexit ont eu comme argument de campagne qu’ils réinjecteraient l’argent économisé sur l’Union européenne dans le National Health Service !
Relever les défis de demain
Les Français en ont-ils pour leur argent ? Difficile de répondre simplement. L’espérance de vie en France est élevée, mais outre qu’elle ne dépend pas seulement du système de santé, elle révèle de profondes inégalités sociales. Les soins dispensés sont d’une qualité reconnue mais l’accès aux soins souffre de fortes disparités territoriales et la prévention reste à la traîne. L’accès aux innovations reste globalement bon, même si les coûts démesurés de certains nouveaux traitements le menacent. Les Français sont satisfaits de leur système de santé, d’après les enquêtes. Bref, les indices convergent pour considérer que les performances de notre système de santé sont parmi les meilleures. La santé ne se trouve donc pas dans la même situation que l’éducation, où les comparaisons sont moins favorables pour la France.
« UN SYSTÈME DE SANTÉ DOIT CONSTAMMENT ÉVOLUER POUR RESTER PERFORMANT ET ÉGALITAIRE »
Est-ce à dire qu’il ne faut rien changer ?
A l’évidence, non. On en vient au pronostic. Un système de santé doit constamment évoluer pour rester performant et égalitaire. L’avenir, ce sont des maladies chroniques, de plus en plus fréquentes, dans une population vieillissante, les défis renouvelés de la prévention, notamment des risques environnementaux, les progrès des technologies de l’information, qui vont révolutionner les pratiques et les organisations. Sans oublier les menaces d’accentuation des inégalités sociales et territoriales.
Si rien n’est fait, notre système risque de ne pas résister aux tensions contradictoires entre les réalités épidémiologiques et technologiques, les contraintes financières et les aspirations des professionnels comme les besoins des malades.
Venons-en donc au traitement. Des réformes ont été réalisées, d’autres sont à mener. Pour faire de la prévention une composante à part entière du système de santé, pour articuler une démocratie sanitaire en construction et une démocratie sociale en refondation, pour adapter le service public hospitalier, pour redessiner une médecine de ville coordonnée avec les activités hospitalières dans un continuum d’accompagnement des malades. Mais pour faire tout cela, il faut rationaliser le financement du système et l’emploi de ses ressources.
Une réforme majeure peut être faite, à contre-courant de la pensée dominante, permettant à la fois d’améliorer la protection des Français et de réduire les dépenses : étendre l’assurance- maladie à l’ensemble des dépenses de santé, en incluant dans la Sécurité sociale la couverture complémentaire, aujourd’hui essentiellement assurée par les mutuelles et les assurances. Il s’agit ni plus ni moins d’étendre à l’ensemble de la France, en le complétant, ce qui existe déjà en Alsace-Moselle. Une assurance-maladie vraiment universelle, ce n’est pas une utopie, ce n’est pas un rêve coûteux, c’est une source d’économies et d’amélioration. Expliquons-nous.
Un système complexe et inique
Notre système comporte deux étages. Le premier, c’est l’Assurance-maladie, la « Sécu », qui couvre aujourd’hui environ 77 % des dépenses de soins. Elle prend en charge à 100 %, dans la limite des tarifs de la Sécurité sociale, les affections de longue durée (ALD), une grande partie des soins hospitaliers et certaines catégories de malades (accidents du travail…). Elle couvre beaucoup moins les dépenses de médecine de ville (hors ALD), où le taux de remboursement est inférieur 50 % !
Pendant les premières décennies de l’Assurance-maladie, la majorité de la population n’avait pas accès au deuxième étage, la protection complémentaire, qui, aujourd’hui, couvre 95 % de la population et finance près de 14 % des dépenses de soins. Cet étage est récemment devenu obligatoire pour les salariés. Un tel système avec un seul payeur au premier étage et un deuxième étage morcelé entre plus de 500 organismes complémentaires est source de complexité, de coût et d’iniquité.
Source de complexité, on l’a vu, avec la polémique sur le tiers payant, où les médecins se sont rebiffés contre l’idée qu’ils iraient se faire payer auprès de chacun des organismes complémentaires de leurs patients. On comprend leur inquiétude quand on voit, à l’hôpital, les ressources qu’il faut consacrer pour vérifier les droits complémentaires des patients. Un même dossier est traité deux fois, une fois par la Sécu, l’autre fois par la mutuelle du patient. Ce sont des centaines de millions d’opérations administratives ainsi faites en double.
Cette complexité a un coût faramineux. L’analyse faite par un rapport de 2013 est édifiante. L’Assurance-maladie, pour rembourser 150 milliards par an, dépense 6,5 milliards en gestion (4 % de ses coûts). Les assurances complémentaires dépensent également 6 milliards de frais de gestion pour couvrir 32 milliards de dépenses maladie (19 % !), avec une variabilité forte selon les organismes.
La fusion de ces deux étages permettrait de diviser par deux les frais de gestion de l’ensemble de l’Assurance-maladie, et donc d’économiser environ 6 milliards d’euros par an, sans affaiblir la protection d’aucun assuré et, au contraire, en améliorant l’accès aux soins. Et encore, ces 6 milliards ne sont que les gains directs, les économies induites étant encore supérieures. A l’AP-HP, les dépenses administratives et les difficultés de recouvrement induites par cette complexité sont loin d’être négligeables.
Simplifications en chaîne
Cette nouvelle assurance-maladie, véritable « Sécurité sociale intégrale », entraînerait des simplifications en chaîne : plus besoin du système particulier de la CMU complémentaire ni d’aide à l’acquisition d’une complémentaire, plus besoin de prévoir la couverture à 100 % des ALD. Il y aurait, dans le système de santé, plus de moyens à consacrer aux soins et moins aux procédures administratives.
Cette réforme, qui serait un bel hommage aux créateurs de la Sécurité sociale, s’oppose, il est vrai, à l’idée selon laquelle il convient de modérer les dépenses de santé en laissant une part à la charge de l’assuré. Cette idée, qui a justifié la création de « tickets modérateurs », n’a jamais fait la preuve de son efficacité. Bien au contraire. Le ticket modérateur a un effet dissuasif sur les soins courants, entraînant des déports sur les soins plus lourds. En outre, l’existence d’une couverture complémentaire rend inopérante ou inéquitable, c’est selon, cette « force de dissuasion ».
La « responsabilisation » de l’assuré trouverait plus logiquement à s’appliquer pour enrayer une tendance, constatée en ville comme à l’hôpital, à la multiplication de rendez-vous pour une consultation ou même une hospitalisation de jour, auxquels l’assuré ne se rend pas. Cela désorganise les soins, suscite à juste titre l’ire des professionnels et pénalise les autres patients. Il ne serait pas choquant de prélever quelques euros chaque fois qu’un patient, sans s’être décommandé, n’honore pas un rendez-vous. Cela serait un vrai acte de responsabilisation au profit de la collectivité et un signe de reconnaissance à l’égard des professionnels.
Deux problèmes à régler
La création d’une assurance-maladie intégrale suppose de savoir régler deux problèmes. D’abord, celui des dépassements d’honoraires, aujourd’hui couverts en grande partie par les assurances complémentaires et qui n’auraient pas vocation à l’être par le nouveau régime. Le problème est délicat ; il n’est pas insurmontable. Les dépassements pourraient être progressivement réduits en revalorisant la rémunération des professionnels dont les tarifs sont actuellement sous-cotés. En dehors des soins dentaires, les dépassements d’honoraires représentent environ 1,5 % des dépenses de soins, soit environ 2,2 milliards d’euros. Il serait paradoxal qu’une réforme de cette ampleur achoppe sur ce seul point.
Le deuxième est le devenir des mutuelles. Si la réforme se fait sur une période d’environ cinq ans, il est possible d’intégrer une partie de leurs personnels dans les équipes de l’Assurance-maladie, qui connaîtront d’importants départs à la retraite dans les cinq ans. Il est aussi envisageable de favoriser la reconversion des mutuelles en opérateurs de soins. Mais, là aussi, l’avenir de l’ensemble du système de santé ne peut être conditionné par le devenir des organismes d’assurance complémentaire, aussi respectables soient-ils.
On le voit, c’est une réforme importante qui peut rencontrer des résistances. C’est également un sujet qui concerne chaque Français. C’est pourquoi il ne serait pas illégitime de la réaliser par référendum. La loi qui serait soumise au peuple français pourrait prévoir une période de transition de quatre ou cinq ans pendant laquelle chaque assuré social pourrait choisir, moyennant une surcotisation, une complémentaire publique gérée par la Sécurité sociale, comme c’est actuellement le cas pour les bénéficiaires de la CMU complémentaire, ou garder une assurance complémentaire privée, à laquelle il serait fait obligation d’afficher le montant de ses frais de gestion.
« UNE TELLE RÉFORME ÉCARTERAIT TOUT RISQUE DE REMISE EN CAUSE OU DE GRIGNOTAGE DE NOTRE SYSTÈME DE SOLIDARITÉ FACE À LA MALADIE »
Une telle réforme, qui parachèverait la protection universelle maladie – avancée trop méconnue de 2016 –, ne doit bien sûr pas occulter les autres évolutions souhaitables pour notre système de santé. Elle les rendrait en revanche plus faciles, car elle écarterait tout risque de remise en cause ou de grignotage de notre système de solidarité face à la maladie. Elle permettrait de réinjecter à terme des milliards d’euros, actuellement prélevés sous la forme de cotisations d’assurance complémentaire pour supporter des frais de gestion et de marketing, dans le financement de médecins, d’infirmiers, d’hôpitaux.
Martin Hirsch (Directeur général de l’Assistance publique-Hôpitaux de Paris et ancien membre du gouvernement de François Fillon (s’exprime ici à titre personnel))