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A propos de "Les Bolcheviks prennent le pouvoir" de Rabinowitch

histoire

Lien publiée le 20 janvier 2017

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Ces articles de la rubrique « Ailleurs sur le web » sont publiés à titre d'information et n'engagent pas la Tendance CLAIRE.

http://www.npa-dr.org/index.php?option=com_content&view=article&id=58:a-propos-du-livre-les-bolcheviks-prennent-le-pouvoir-d-alexander-rabinowitch-mythes-et-portee-historique-du-bolchevisme&catid=9:article-lettre&Itemid=101

« Durant les deux premiers mois de 1917, la Russie était encore la monarchie des Romanov. Huit mois plus tard, les bolcheviks tenaient déjà le gouvernail, eux que l'on ne connaissait guère au commencement de l'année et dont les leaders, au moment de leur accession au pouvoir, restaient inculpés de haute trahison. Dans l'histoire, on ne trouverait pas d'autre exemple d'un revirement aussi brusque, si surtout l'on se rappelle qu'il s'agit d'une nation de cent cinquante millions d'âmes. … Le trait le plus incontestable de la Révolution, c'est l'intervention directe des masses dans les événements historiques. ». Ces quelques lignes tirées de la préface de L’Histoire de la Révolution russe de Trotsky posent l’ampleur de la réalité historique à comprendre. Le livre Les Bolcheviks prennent le pouvoir, de l’historien américain Alexander Rabinowitch (publié en français en 2016 mais écrit en 1976), témoigne à son tour de l'immense mouvement démocratique des masses, de leur organisation pour prendre en main leur lutte jusqu’à la prise du pouvoir. Il s’attache à montrer la vie des travailleurs et des militants et le rôle réel du bolchevisme dans le déroulement de la première révolution ouvrière victorieuse de l’Histoire.

C’est bien de cette démarche dont nous avons besoin pour discuter de l’actualité de la révolution et du bolchevisme, des débats et des crises qui ont traversé la classe ouvrière et ses organisations pendant la révolution. L'histoire est la meilleure dénonciation des mythes staliniens qui ont imposé un monolithisme prétendument bolchevique, une absurdité pour mieux justifier les trahisons qui ont suivi, l’unanimité imposée, la « bolchevisation » n'étant rien d'autre que la mise au pas du mouvement ouvrier sous la férule de Staline.

A ce mythe, un mensonge a répondu en prétendant que le stalinisme avait été le produit direct du bolchevisme, dont il serait issu. Un raccourci qui semble s’appuyer sur l’évidence que sans la Révolution russe, il n’y aurait pas eu Staline, mais qui efface le fait que le stalinisme a été une contre-révolution, la négation même de la démocratie révolutionnaire qui a été le combat de toute l’histoire du parti bolchevik. Reproduite par bien des médias, cette déformation de l’histoire s’appuie sur des contre-vérités, présentant la révolution comme un putsch organisé par un petit parti voulant imposer sa dictature.

Contre le stalinisme, s’était construit aussi un autre mythe dans une partie de l’extrême gauche qui voulait voir dans le bolchevisme un modèle de parti à reproduire… comme si ce parti, construit dans les conditions de la Russie tsariste, ayant connu des phases où il ne réunissait que quelques centaines de militants et d’autres des dizaines de milliers, pouvait être reproduit. Lénine avait combattu cette idée de modèle aussi bien avant la Révolution qu’après.

Faisant suite aux travaux de militants, à commencer par le livre de Trotsky, l’ouvrage de Rabinowitch rétablit les faits, tourne le dos à ces caricatures d’histoire. Son sujet est concentré sur quatre mois de la révolution (de juillet à octobre) mais l’introduction permet de revenir rapidement sur la période qui précède. Résumant quelques débats et étapes de la construction du Parti bolchevik, il montre que le bolchévisme a une histoire, riche d’expériences et de controverses, à l’opposé de ce mythe d’un parti sorti tout fait du cerveau de Lénine.

S'approprier cette histoire loin des mythes suppose de l’inscrire dans l'histoire de la lutte de classe, à une époque où le mouvement ouvrier devait tout à la fois achever la révolution bourgeoise et engager la lutte pour le socialisme.

Oser construire un parti pour la prise du pouvoir de la classe ouvrière

L’introduction du livre résume un peu rapidement les années d’avant la révolution de 1905, en écrivant « En 1905, Lénine avait modifié le schéma marxiste classique de la révolution en deux étapes [...] en suggérant qu’au lendemain du renversement du tsarisme, une ‘dictature démocratique révolutionnaire du prolétariat et de la paysannerie’ était susceptible d’ouvrir la voie à une révolution socialiste sans passer par une période durable de gouvernement libéral et de développement industriel capitaliste ». Ce « schéma marxiste classique » était celui défendu par les Mencheviks qui pensaient que la Russie devait passer par une révolution bourgeoise pour imposer une démocratie comme il y en avait dans quelques pays d’Europe et engager la réforme agraire qui permettrait aux millions de paysans sans terre d’accéder à une petite propriété, et qu'ensuite le prolétariat pourrait postuler au pouvoir. Cette conception était en lien avec le développement de conceptions réformistes au sein de la IIème internationale, dont était membre le parti social-démocrate russe.

Lénine, avec les bolcheviks, analysait que la bourgeoisie russe, inféodée au tsarisme, en serait incapable, et que seule une union des ouvriers et des paysans pauvres pourrait mener une révolution qui irait plus loin, vers la prise de pouvoir des classes populaires contre le tsarisme et la bourgeoisie, une révolution qui renverserait la propriété privée des grands seigneurs terriens et celle des propriétaires d’usine. Il avançait le mot d'ordre de « la dictature démocratique des ouvriers et des paysans ».

Trostky, quant à lui, formulait alors ce qui allait devenir la théorie de la révolution permanente : « Tandis que l'opinion traditionnelle estimait que le chemin vers la dictature du prolétariat passe par une longue période de démocratie, la théorie de la révolution permanente proclamait que, pour les pays arriérés, le chemin vers la démocratie passe par la dictature du prolétariat. » Le déroulement de la révolution lui donna raison.

Dès 1905, lors de la première révolution russe, la jeune classe ouvrière de Russie se manifesta d’une façon radicalement nouvelle en créant les soviets pour diriger sa lutte, des assemblées de délégués ouvriers élus dans leurs usines. Elle s'affirmait comme la classe dirigeante de la révolution à venir.

« Unir la lutte gréviste au mouvement révolutionnaire » (Que faire ? - Lénine)

Le parti bolchevik s’est construit à travers les expériences des luttes qui avaient précédé la Révolution de 1905 (il y avait eu une forte poussée des grèves ouvrières à partir de 1896), une période où des débats profonds (que Lénine rapporte dans Que faire ?) avaient traversé le parti social-démocrate russe sur l’intervention des militants révolutionnaires, alors que les années précédentes, les conditions de la dictature avaient empêché ces militants de construire de larges liens avec les travailleurs. Rabinowitch parle de « la conception prérévolutionnaire chère à Lénine d’une petite organisation conspirative de militants professionnels »... une formule lapidaire qui oublie de resituer cette discussion dans une situation historique, alors que leur objectif était de construire une organisation révolutionnaire largement implantée.

Parmi les débats qui traversent le parti social-démocrate russe, il y a celui de la politique du parti face au « spontanéisme » et à « l’économisme ». Les « spontanéistes » avaient été subjugués par la puissance de la classe ouvrière qui avait déboulé sur la scène politique par ses grèves de masse. Elle avait secoué le tsarisme bien plus fortement que les petits groupes clandestins qui agissaient depuis des décennies. Ils allaient théoriser que les luttes se suffiraient à elles-mêmes, qu’il fallait qu’elles restent sur le terrain économique. Ils pensaient que « les caisses de grève valent mieux pour le mouvement qu'une centaine d'autres organisations ». Le seul objectif devait être la « lutte pour la situation économique », « les ouvriers pour les ouvriers », « l’autolibération » de la classe ouvrière… des raisonnements accompagnés d’une certaine démagogie contre les intellectuels socialistes. Tout cela conduirait naturellement à renverser le régime… sans poser les tâches de la construction d’un parti, d’une propagande nécessaire sur le terrain politique, pour la conquête des droits démocratiques, pour s’affronter à l’Etat, poser la perspective du pouvoir.

Lénine et ceux qui allaient constituer le courant bolchevik menèrent la bataille pour montrer que le spontanéisme ne pouvait aboutir qu’à un syndicalisme sans perspective, syndicalisme radical certes, mais finalement contenu dans les rapports bourgeois, une logique qui conduirait à rester dépendant politiquement des courants du réformisme.

Pour Lénine, les tâches étaient d’« unir la lutte gréviste au mouvement révolutionnaire » en faisant une large propagande socialiste dans la classe ouvrière, c’est-à-dire en faisant le lien entre les revendications « économiques » et la lutte pour les libertés politiques, contre les rapports d’exploitation, pour une transformation révolutionnaire de la société, la lutte pour construire au sein de la classe ouvrière un parti porteur de ce programme. Cette façon de penser l’unité de la lutte sociale et de la lutte pour le pouvoir est un des acquis déterminants de l’expérience du Parti bolchevik avant la révolution, au moment où dans la IIème internationale, ces deux questions étaient séparées avec d’un côté, un « programme minimum » pour les luttes et les élections, et d’un autre un « programme maximum » pour le socialisme, sans lien entre les deux.

Rabinowitch montre bien comment cette unité a été l’axe de la politique des bolcheviks pendant la Révolution : « On ne saurait répondre de façon univoque à la question fondamentale de savoir pourquoi les bolcheviks remportèrent la lutte pour le pouvoir à Pétrograd en 1917 […] une des sources principales de la vigueur et de l’autorité croissantes des bolcheviks en 1917 résidait dans la force d’attraction de leur plate-forme […] ‘la paix, la terre et le pain’ et ‘tout le pouvoir aux soviets’ », écrit-il dans l’épilogue. C’était en effet la seule force politique qui faisait le pont entre les revendications populaires et la nécessité d’un pouvoir ouvrier pour les mettre en œuvre. Une politique qui gagna les masses au fur et à mesure que les gouvernements bourgeois issus de la Révolution de février montraient leur incapacité à accomplir ces tâches et s’installaient dans la continuité du tsarisme, en maintenant la propriété terrienne des grands seigneurs et en poursuivant la guerre.

L’internationalisme indissociable de la lutte pour le socialisme

Rabinowitch montre tout au long du livre comment la guerre a été le creuset des évolutions de conscience pendant la révolution : « Les citoyens en uniforme [...] étaient perturbés par les déclarations patriotiques du Gouvernement provisoire et par son obsession manifeste d’empêcher toute radicalisation de la révolution et de renforcer le potentiel militaire de la Russie. C’est pour toutes ces raisons que dès la fin du printemps, un nombre croissant d’ouvriers et de soldats ... en étaient arrivés à percevoir le Gouvernement provisoire comme un instrument des classes possédantes, opposé à toute transformation politique profonde et indifférent aux gens ordinaires ». Il raconte comment au cours des huit mois de la révolution, l’internationalisme des bolcheviks leur a permis d’être les seuls socialistes à lutter réellement contre la guerre, alors que, parmi les autres courants, la dénonciation de la guerre se ramenait à un simple pacifisme verbal, répondant aux aspirations populaires mais sans discuter du moyen d’imposer la paix. Ces courants socialistes modérés et réformistes, qui acceptaient de participer aux différents gouvernements guerriers au gré des crises du pouvoir, ce que les bolcheviks ont toujours combattu, finissaient par cautionner et mettre en œuvre la guerre qu’ils dénonçaient quelques jours avant, provoquant la colère de fractions plus larges de travailleurs et de soldats qui désertaient par milliers.

Il rappelle que dès le début de la guerre, « Lénine s’était fortement distingué de la plupart de ses camarades en rejetant le soutien à l’effort de guerre et en proposant comme mot d’ordre le déclenchement d’une révolution sociale dans les pays belligérants ». Au déclenchement de la guerre, après l’assassinat de Jaurès, toutes les directions des partis de la IIème internationale s’étaient ralliées aux politiques guerrières de leur bourgeoisie, votant les crédits de guerre, entrant dans les gouvernements d’union nationale... Seule une minorité avait tenu bon face à la pression chauvine, avec les dirigeants bolcheviks et Rosa Luxembourg, Karl Liebknecht, Trotsky... Lénine poussa la lutte contre la guerre jusqu’à l’affirmation qu’il fallait lutter contre son propre gouvernement sans craindre sa défaite, une position que les bolcheviks défendirent pendant la guerre et la révolution et qui conquit des rangs de plus en plus nombreux d’ouvriers et de soldats.

L’internationalisme de Lénine reposait sur la conviction profonde qu’il n’y a aucune perspective socialiste dans un cadre national, dans le prolongement de l’idée du Manifeste du parti communiste de Marx et Engels « les prolétaires n’ont pas de patrie… prolétaires de tous les pays, unissez-vous ». Ce n’était pas une formule, mais le résumé d’une analyse des rapports de classe, que Lénine prolongea d’abord pour comprendre le développement particulier du capitalisme en Russie, lié au capital international, et les conditions d’une révolution dans ce pays, indissociable d’une révolution au moins européenne.

C’est avec la même démarche qu’il avait publié L’impérialisme, stade suprême du capitalisme, en 1916 (Rabinowitch ne l’évoque que très rapidement), un ouvrage qui montre que l’évolution du capitalisme mondial, atteignant un stade pourrissant où il n’était plus qu’un facteur de destruction avec la guerre pour se partager les marchés et les colonies, créait les conditions objectives de la révolution.

« Tout le pouvoir aux soviets ! »

Le récit de Rabinowitch porte sur les événements qui conduisent d’une première tentative d’insurrection ouvrière à Pétrograd au début du mois de juillet à la prise du pouvoir fin octobre, racontant dans le détail les phases de répression et de calomnie contre les bolcheviks, les crises gouvernementales, les tentatives contre-révolutionnaires, la progression des bolcheviks dans les soviets... Il montre les évolutions de conscience chez les travailleurs et les soldats (la paysannerie n’est presque pas évoquée, le récit restant limité aux événements à Pétrograd), les changements au sein des soviets qui pouvaient renouveler leurs élus à tout moment.

Citant de nombreux textes, articles, discours, il fait part aussi des discussions, divergences, crises au sein du parti bolchevik, qui « ne ressemblait guère à l’organisation disciplinée, autoritaire et conspirative efficacement contrôlée par Lénine que décrivent la plupart des comptes-rendus historiques ». Le livre souligne à quel point les liens démocratiques du parti avec les travailleurs, à travers l’engagement des militants (plus de 30000 membres rien qu’à Pétrograd) dans les multiples soviets d’usines, de régiments, de quartiers, ont permis au parti de surmonter ses crises. Rabinowitch décrit aussi comment l’engagement personnel de tel ou tel militant a pu faire basculer des situations, à commencer par Lénine parfois mis en minorité par des courants plus modérés de son parti, notamment à l’approche de l’insurrection d’octobre.

Rabinowitch ne développe pas les événements de la première phase de la révolution au mois de février, la chute du tsar, etc. Il indique rapidement que « Arrivé à Pétrograd le 3 avril, Lénine déclara publiquement que la révolution de Février n’avait pas résolu les problèmes fondamentaux du prolétariat russe, que la classe ouvrière de Russie ne pouvait pas s’arrêter à mi-chemin et qu’allié avec les masses en uniforme, le prolétariat russe transformerait la révolution démocratique bourgeoise en révolution socialiste prolétarienne », prenant à contre-pied des dirigeants bolcheviks comme Kamenev qui s’étaient installés dans une opposition modérée au gouvernement provisoire.

Lénine comprenait les soviets comme « la seule forme possible de gouvernement révolutionnaire » … alors même que les délégués élus dans les premiers mois étaient majoritairement influencés par les partis bourgeois ou réformistes. Il batailla pour convaincre ses camarades de « la nécessité du passage de tout le pouvoir aux Soviets des députés ouvriers, afin que les masses s'affranchissent de leurs erreurs par l'expérience » (Thèses d’avril), c’est-à-dire qu’elles apprennent à diriger par elles-mêmes. C’est l’axe principal de la politique de Lénine pendant la révolution, gagner la majorité au sein des soviets pour qu’ils prennent le pouvoir et pour satisfaire les revendications populaires : « le pain », « la terre » pour tous les paysans pauvres qui en étaient privés, et « la paix » pour mettre fin à la 1ère guerre mondiale.

Sur quelques points, la version racontée par Rabinowitch diffère de celle de Trotsky, par exemple pendant l’insurrection de juillet sur le rôle de tels ou tels secteurs du Parti bolchevik. Et même si Rabinowitch démonte sans ambiguïté les accusations contre Lénine le présentant comme un agent allemand, il écrit, en passant, qu’il est « aujourd’hui confirmé que des fonds en provenance d’Allemagne ont été versés aux bolcheviks pendant la période révolutionnaire », sans indiquer ni leur provenance, ni le montant, ni ses sources, dans un ouvrage où les notes sont par ailleurs très nombreuses pour avérer le moindre fait... des accusations que Trotsky réfutait totalement parlant de la « légende de l’or allemand ».

Trotsky écrit que les bolcheviks sont les seuls à avoir pensé et mené une politique permettant de conduire les soviets de la situation de « marais réformiste au rôle de forme étatique du prolétariat » (L’avènement du bolchevisme). Lénine était convaincu que gagner la majorité dans les soviets était la seule façon de donner un contenu concret à l’idée du pouvoir des travailleurs. Il écrivait en septembre : « Marx enseigne, en s'appuyant sur l'expérience de la Commune de Paris, que le prolétariat ne peut pas s'emparer tout simplement de la machine d'Etat toute prête et la mettre en marche pour atteindre ses buts mais que le prolétariat doit briser cette machine et la remplacer par une nouvelle … il peut briser tout ce qu'il y a d'oppresseur, de routinier, d'irrémédiablement bourgeois dans l'ancien appareil d'Etat et le remplacer par un nouvel appareil, le sien. Cet appareil, ce sont les Soviets de députés ouvriers, soldats et paysans. » (Les bolcheviks garderont-ils le pouvoir ?). Et il publie, au mois d’août, L’Etat et la révolution qui s’appuie sur les expériences des révolutions russes de 1905 et 1917, pour développer cette analyse de la lutte contre l’Etat bourgeois, la nécessité de son remplacement par un nouvel Etat de la classe ouvrière, un Etat qui pourrait engager sa propre extinction une fois les acquis de la révolution solidement installés dans la société. Rabinowitch ne fait pas référence à cette préoccupation profonde de Lénine, mais il montre son combat acharné, à travers la presse, et au sein de son propre parti, pour convaincre qu’il faut que les travailleurs s’emparent du pouvoir, osent renverser le gouvernement bourgeois, utilisent les soviets qu’ils avaient créés pour diriger pleinement par eux-mêmes la société. Et c’est lui qui rédige le manifeste du congrès des soviets qui proclame, juste après le renversement du gouvernement en octobre : « Le 2èmeCongrès des Soviets ouvriers et soldats de Russie est ouvert. Une énorme majorité des soviets s’y trouve représentée [plus de 400 soviets locaux de tout le pays] … le congrès prend en main le pouvoir ».

La révolution en permanence...

Dans son épilogue, l'ouvrage évoque en quelques lignes les trois années de guerre civile provoquées par les armées blanches et la crise économique qui laisseront le pays exsangue et qui auront raison de la démocratie des soviets, laissant la révolution isolée se dévorer elle-même à travers la bureaucratisation pour déboucher sur la contre-révolution stalinienne.

La classe ouvrière russe avait devant elle une tâche immense, accomplir la révolution bourgeoise que la bourgeoisie avait été incapable de réaliser dans ce pays, et dans le même mouvement, réaliser la révolution socialiste, construire un état ouvrier, transformer les rapports de propriété, et défendre ses conquêtes dans la guerre imposée par les défenseurs du capitalisme et de l’ancien régime. Cette tâche était au-delà de ses seules forces, Lénine et Trotsky étaient convaincus qu’elle ne pouvait être accomplie que si au moins une fraction du prolétariat européen, celui d'Allemagne, qui s’engagea lui-aussi dans une révolution, était allé jusqu'au bout, pour sortir la révolution de la prison des frontières nationales de l'empire tsariste.

Notre situation actuelle est certes bien loin de l’intensité révolutionnaire de 1917… mais ce n’est pas en 1917 que Lénine et ses camarades ont pensé la perspective du pouvoir ouvrier, de la révolution socialiste. Lorsqu’ils en discutent à la fin du 19ème siècle, ils analysent que les contradictions de la société russe étaient porteuses d’une révolution… sans en connaître le calendrier, 1905, 1917... A quelques dizaines puis centaines, ils étaient armés de ces analyses et de la conviction qu’il n’y aurait pas de raccourci de l’histoire, que la révolution ne naîtrait pas de rien, mais d’une accumulation d’expériences et de batailles, et qu’il leur appartenait de préparer cet affrontement.

C’est bien cette vision du développement historique des luttes de classes, cette stratégie qui combine luttes sociales et luttes politiques vers la conquête du pouvoir, qui constitue l'essence du bolchevisme, son contenu historique, et sûrement pas des recettes organisationnelles !

François Minvielle

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