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L’accident frappe surtout les classes populaires (hommes et ruraux)

Lien publiée le 26 janvier 2017

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Ces articles de la rubrique « Ailleurs sur le web » sont publiés à titre d'information et n'engagent pas la Tendance CLAIRE.

http://www.liberation.fr/france/2017/01/26/l-accident-frappe-en-premier-lieu-les-composantes-masculines-et-rurales-des-classes-populaires_1544050?xtor=rss-450

Alors que la mortalité routière a augmenté pour la troisième année consécutive, le sociologue Matthieu Grossetête a étudié les liens entre l'origine sociale et les accidents.

Le nombre de morts sur les routes de France métropolitaine a légèrement augmenté de 0,2% en 2016, avec 3 469 personnes tuées, soit huit de plus que l’année précédente. Après les hausses enregistrées en 2014 (3 384 morts, soit +3,5%) et 2015 (3 461 morts, +2,3%). Malgré une communication importante du gouvernement et un arsenal répressif, le pays connaît une troisième année consécutive d’augmentation de la mortalité routière. Ces mauvaises années interviennent après douze ans de baisse et un plus bas historique en 2013 à 3 268 morts. Face à ce constat d’échec, doit-on continuer à voir la prévention et la sécurité routière sous le prisme de la responsabilité individuelle et du manque de chance ? Matthieu Grossetête chercheur post-doctorant au CNRS rattaché au CURAPP (Centre universitaire de recherche sur l’action publique et le politique) répond à nos questions. Il est l'auteur de plusieurs publications sur le lien entre le milieu social et la mortalité dont L’enracinement social de la mortalité routière, paru dans Actes de la recherche en sciences sociales aux éditions du Seuil, en 2010.

Le ministre de l'Intérieur a appelé «à poursuivre» les «efforts» pour passer sous la barre des 2 000 morts en 2020, d'autres estiment qu’il faut regarder différemment l’accidentologie. Qu’en pensez-vous ?

D’abord que cette inversion de courbe fait remarquablement peu parler d’elle. C’est pourtant la première fois depuis la naissance des politiques de sécurité routière en 1972 que le nombre de décès routiers augmente trois années de suite. Ensuite, s’agissant de son explication, on peut raisonnablement supposer qu’en période de crise économique cette tendance à la hausse n’est pas sans lien avec la précarisation des classes populaires. En effet, j’ai établi que l’accident de la route frappe en premier lieu les composantes masculines et rurales des classes populaires avec une remarquable constance dans le temps. Par exemple en 2007, les ouvriers comptaient pour 22,1% des 3 239 personnes décédées sur la route en 2007 et pour 19% des blessés hospitalisés alors qu’ils ne représentent que 13,8% de la population française âgée de 15 ans et plus. De plus, ils sont plus en danger que dangereux, car ils ont tendance à se tuer seuls sans qu’un tiers ne soit impliqué. A l’inverse, les cadres supérieurs, professions libérales et chefs d’entreprise sont sous-représentés parmi les personnes décédées sur la route : 2,9% des morts et blessés pour 8,4% de la population. Or, selon les données officielles, la mortalité routière aurait augmenté en 2016 sur le réseau routier départemental, qui est précisément celui qu’empruntent les conducteurs de milieux populaires. En effet, près de 80% des accidents mortels ont lieu à la campagne. Or l’embourgeoisement des centre-villes relègue les classes populaires toujours plus loin des bassins d’emplois. Par exemple en 2007, 28% des ouvriers et 31% des employés morts sur la route ont eu un accident en se rendant à leur travail, alors que ce trajet n’est en cause que dans 16% du total des décès. Par contraste, la mortalité routière aurait nettement régressé en 2016 sur les autoroutes, qui est l’infrastructure la plus sûre mais aussi la seule qui exige des frais de péage.

Ce qui est mis en avant, c’est surtout la surmortalité des «jeunes» et non pas les différences sociales…

Pourtant l’âge n’efface pas les différences sociales. Les ouvriers sont les plus touchés par la surmortalité routière «jeunes». Parmi les 1 241 conducteurs de moins de 30 ans morts sur la route en 2007, 28,5% sont ouvriers. Alors que les 15-29 ans représentent 25,9% des effectifs ouvriers au niveau national en 2007, la part de cette classe d’âge atteint quasiment 50% parmi ceux qui sont morts dans un accident de la circulation.

Comment expliquez-vous cet écart entre les cadres et les ouvriers ?

Au-delà des ségrégations sociales de l’espace public précédemment évoquées, ces disparités s’expliquent par les conditions de vie des classes populaires. Elles en disent long sur la crise vécue par les jeunes ruraux issus des familles ouvrières.

Plus longtemps célibataires, voire condamnés à le rester, les plus marginalisés d’entre eux peuvent être gagnés par un sentiment d’abandon qui les pousse à des stratégies de repli dans les relations de bande nouées autour de la voiture ou du deux-roues. Dans un contexte de dégradation de l’estime de soi, le véhicule devient l’un des derniers espaces de célébration des valeurs de virilité. Si cette sociabilité peut parfois être récréative, avec des loisirs comme le tuning, où le rapport populaire à l’automobile s’exprime de manière créative, elle peut également être plus morbide lorsqu’elle amène à s’affirmer par la vitesse et/ou par la consommation excessive d’alcool voire de stupéfiants. S’affirmer «au volant» renvoie, comme bien d’autres dispositions trop exclusivement dites «psychologiques», à des conditions sociales de possibilité. La précarisation et la paupérisation des couches populaires raccourcissent l’horizon temporel et accentuent l’impératif de profiter de la vie tant qu’on le peut, l’avenir n’étant pas ou plus assuré.

Pourtant de nombreuses campagnes de préventions et de répressions existent. Sont-elles efficaces ?

Il est malaisé d’isoler l’effet propre des campagnes de prévention sur le comportement des usagers de la route. En revanche, on peut se prononcer sur l’effet qu’elles n’ont pas : fournir des outils intellectuels pour appréhender le caractère socialement sélectif des accidents corporels de la circulation. Paradoxalement, les classes populaires, jeunes et rurales, sont les grandes absentes des campagnes de prévention diffusées entre 1998 et 2005 qui ciblent prioritairement des catégories de population peu exposées à la mortalité routière : urbains, conducteurs de scooter, familles avec enfants, etc.

Que faudrait-il faire pour sortir d’une prévention mal ciblée et d’un tout répressif ?

Mon travail commençant à dater, je dirais qu’avant de suggérer des mesures, il faudrait d’abord mesurer l’évolution dans le temps de ces inégalités. Nombre d’accidents pourraient être évités grâce à une meilleure connaissance des conditions sociales dont ils sont le produit. En effet la catégorie sociale des conducteurs est une variable prédictive de la mortalité routière. Elle permet d’anticiper le phénomène avant qu'il n’advienne. Ensuite, il serait souhaitable que le volet préventif des politiques de sécurité routière soit plus attentif aux caractéristiques sociales des personnes exposées aux accidents. Plus généralement, tout ce qui est de nature à faciliter l’accès des plus démunis à une information plausible sur les risques sanitaires qu’ils encourent mérite d’être encouragé.