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Le revenu universel n’est pas la réponse à une supposée “fin du travail”
Ces articles de la rubrique « Ailleurs sur le web » sont publiés à titre d'information et n'engagent pas la Tendance CLAIRE.
J’ai proposé à Jean-Eric Hyafil, bon connaisseur du revenu universel, de poster comme billet invité ses remarques en forme de réponses à l’un de mes billets précédents (et à d’autres si besoin). Doctorant en économie à la Sorbonne, il a co-réalisé une série de mini-films pédagogiques et coordonné deux livres sur le revenu de base (publiés chez Yves Michel ) . Voici son texte. J’aurai par la suite l’occasion d’exprimer de petits désaccords avec certains de ses arguments, mais chaque chose en son temps.
Jean Gadrey a ouvert depuis plusieurs mois une réflexion sur le revenu universel ─ ou revenu de base ─ qui a fait l’objet de plusieurs posts sur son blog. Encore sceptique sur cette proposition, ses avis permettent d’alimenter le débat. Il m’a gentiment proposé de répondre à certaines de ses réticences sur le sujet. C’est une proposition qui m’honore et à laquelle je réponds avec plaisir. Ce court article a pour objectif de répondre à certaines des réticences exprimées par Jean Gadrey sur le revenu universel lors de posts précédents.
Remarque n°1 : “Le revenu de base pourrait bien devenir un outil de précarisation de l’emploi et de subventionnement indirect des employeurs qui abusent des petits boulots”
(voir ce billet)
Justement, le revenu de base renforce toujours le pouvoir de négociation des travailleurs, et notamment des travailleurs à bas salaire, des “outsiders” sur marché du travail et autres travailleurs à la tâche (chauffeurs UBER, etc.). Il leur donne la possibilité de refuser des emplois mal payés, avec de mauvaises conditions de travail, ou trop éloignés du domicile, etc. Voir cet article plus complet.
Remarque n°2 : Le revenu universel “serait aussi un outil de renforcement des inégalités professionnelles entre les femmes et les hommes, comme on l’a vu en France dans les années 1990 avec l’allocation parentale d’éducation qui a conduit à un fort retrait de femmes du marché du travail”. Il risquerait de « renvoyer les femmes à la maison ».
Comme dit plus haut, le revenu de base accroît toujours le pouvoir de négociation des travailleurs à bas salaire, et notamment des femmes parmi ces derniers. Il leur donne par exemple la possibilité de refuser des horaires de travail décousu, notamment dans la grande distribution.
Par ailleurs, le comportement des femmes sur le marché du travail est avant tout lié aux normes culturelles, qui d’ailleurs évoluent de façon positive : les femmes ont autant d’ambition que les hommes sur le marché du travail. Ce n’est pas la mise en oeuvre d’un revenu de base qui devrait ralentir ces évolutions culturelles. En revanche, une offre suffisante de places en crèche restera toujours essentielle pour permettre aux femmes de travailler, et le revenu de base ne devra surtout pas être développé au détriment du service public de la petite enfance.
Mais dire que le revenu de base va renvoyer les femmes à la maison, c’est je pense faire un mauvais procès au revenu de base.
Dans un autre ordre d’idée, il faut reconnaître que le revenu universel accroît le pouvoir des femmes dans le couple, puisqu’il est individuel. En effet, il remplacerait notamment le système du quotient familial. Le quotient conjugal permet à un conjoint ayant des revenus élevés (souvent le mari) et en couple avec une personne sans revenu (souvent la femme) de bénéficier d’une forte réduction d’impôt, au nom du fait que le premier « entretient » la seconde. Cela crée un rapport de dépendance dans le couple, qui peut devenir délicat dans les situations malheureuses où la femme subirait des violences de la part de son mari.
Le revenu universel, lui, est versé de façon individuelle, donc directement à la femme. Il lui donne donc une autonomie accrue vis-à-vis de son mari, et même un pouvoir accru de le quitter s’il devenait violent.
Voir ici pour aller plus loin.
Remarque 3 : “Insister sur le fait que c’est parce que ces femmes (auxiliaires de vie, etc.) ont de mauvaises conditions de travail et de rémunération qu’elle préfèreraient travailler à temps partiel pour le même revenu, c’est laisser tomber l’autre solution, celle de l’amélioration des conditions de travail, de rémunérations et de services rendus. Cela exigerait certes des financements publics, mais sans commune mesure avec ceux d’un RB généralisé.” (voir ce billet).
Je ne peux qu’être d’accord avec Jean Gadrey. Le revenu de base n’est pas la panacée, et il ne dispense pas de renforcer la Protection Sociale à destination des enfants, des personnes âgées, en situation de handicap ou de dépendance. Mais rien n’interdit de faire les deux : développer le service de la petite enfance et mettre en oeuvre un revenu universel. Car le revenu universel n’est finalement qu’une réforme du système redistributif, pas une dépense supplémentaire qui devrait se substituer à d’autres.
Évidemment, il sera bien difficile de développer le service public et de proposer dans le même temps un revenu universel à 1000 € ou plus, puisque le coût d’une telle mesure serait trop élevé. Mais avec un revenu universel à 500 € en remplacement du seul RSA, ou à 750 € absorbant aussi les APL, c’est envisageable.
Pour rappel, ce n’est pas le coût budgétaire brut du revenu de base qui compte, mais uniquement ses effets redistributifs, comme nous l’expliquons schématiquement dans cette vidéo.
Remarque 4 : “L’hypothèse de « la fin du travail » qui fonde le projet de revenu universel de Benoît Hamon est très contestable” (voir ce billet)
Je suis tout à fait d’accord avec Jean Gadrey. La fin du travail ou même de l’emploi est un leurre. Mais le revenu de base ne se justifie pas par la fin de l’emploi. Voir aussi ce lien.
Il est uniquement l’outil qui permet à l’individu de refuser un emploi qui ne lui conviendrait pas (mauvaises conditions de travail, salaire trop faible, emploi trop loin, absence de sens dans le travail effectué, absence de perspective de promotion ou de voix dans l’organisation, etc.). C’est donc l’outil qui permet de désaliéner le travail ou l’emploi, mais pas de le supprimer ou de s’en passer. D’ailleurs, même si l’on était au plein emploi, on aurait besoin d’un revenu de base.
Il s’agit donc de cesser de raisonner en termes de fin de l’emploi ou de solde de destruction et de création d’emplois. Il s’agit au contraire de raisonner en termes de qualité de l’emploi, et de marges de choix du travailleur.
Remarque 5 : “Le revenu de base creuse les inégalités entre minimas sociaux et salaires. Il produit de la paupérisation relative des minimas.” Voir ce post de J. Gadrey.
C’est juste : les principaux gagnants (en termes redistributifs) au revenu de base ne sont pas les personnes actuellement aux minima sociaux, mais les travailleurs à salaire bas ou médian. A mon sens, il ne faut pas voir le revenu de base comme une aide à la pauvreté, mais comme un soutien à l’autonomie de tous. Le passage du RSA au revenu de base constitue un changement de paradigme (je sais que le mot est galvaudé) dans la Protection Sociale : le RSA est versé aux pauvres parce qu’ils sont pauvres ; le revenu de base est versé à tous pour que chacun ait une autonomie accrue.
Pour autant, on aurait tort de dire que le revenu de base n’améliore pas l’aide aux plus pauvres, bien au contraire. Voir ce lien.
Mais les plus pauvres ont certes besoin d’un revenu, mais ils ont surtout besoin d’accompagnement, de formation, de mode de garde pour leurs enfants, etc. Justement, le revenu de base permet de décharger les travailleurs sociaux des CAF et des Conseils Départementaux des tâches administratives associées au RSA et aux APL (instruction de dossier, réclamation des papiers manquants, réponse aux doléances des allocataires…). Tout cela serait automatisé dans un mécanisme simplecombinant revenu universel et impôt universel.
Les travailleurs sociaux pourraient alors être redéployées vers de véritables missions d’accompagnement des personnes en insertion. Finalement, le revenu de base permet de redéployer les moyens humains pour mieux intégrer tout le monde dans l’emploi.