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Une histoire des révoltes en France
Ces articles de la rubrique « Ailleurs sur le web » sont publiés à titre d'information et n'engagent pas la Tendance CLAIRE.
L'histoire reste un enjeu politique, entre commémoration et falsification. Loin d'un récit qui valorise les "grands hommes" et les institutions, les révoltes des anonymes apparaissent comme le véritable moteur de l'histoire.
L’histoire de France est devenue un enjeu mémoriel pour les hommes politiques. L’identité, le nationalisme franchouillard et autres gauloiseries sont justifiés par la mémoire historique. Mais il existe une autre France que celle des rois, des empereurs, des présidents, des lois et des institutions. C’est la France des anonymes, des classes populaires et de leurs luttes. L’historienne Michelle Zancarini-Fournel propose une somme sur le passé de la France qui ne figure pas en tête des manuels scolaires. Dans le volumineux Les luttes et les rêves, elle retrace une « histoire par en bas ».
Michelle Zancarini-Fournel s’inspire notamment de la démarche de l’historienEdward P. Thompson qui observe la création de la classe ouvrière. « J’ai tenté d’écrire ici une histoire des dominé.e.s, une histoire située des subalternes, qui s’appuie autant que possible sur leur expérience, telle que l’on peut la reconstituer, tout en étant attentive aux cadres sociaux, c’est-à-dire aux contraintes qui ont pesé sur elles et sur eux », présente Michelle Zancarini-Fournel. L’historienne évoque les groupes sociaux et les individus, la politique et l’intime. Elle propose aussi une histoire sensible, avec ses cris, ses sons, ses chants et ses émotions.
Ce livre de référence aborde une vue d’ensemble de l’histoire de France. Il permet de rendre accessible les recherches historiques les plus approfondis. Michelle Zancarini-Fournel propose une histoire globale qui peut également alimenter diverses réflexions sur des sujets plus précis.
La lutte contre la monarchie
Le livre s’ouvre en 1685, avec l’adoption du Code noir qui régit l’esclavage. Le maintien de l’ordre, les interdits et la répression figurent dans ce texte. Surtout, l’esclave est considéré comme un « bien meuble », qui peut être vendu et acheté. Le Code noir instaure et institutionnalise une hiérarchie socio-raciale. Ce texte législatif prétend encadrer la pratiques des maîtres, mais il justifie l’esclavagisme sur le plan moral, religieux et politique. La traite négrière, avec ses violences et ses morts, participe au développement du capitalisme. Les esclaves se révoltent et s’évadent. La répression et la religion ne parviennent pas à étouffer les désirs de liberté.
Sous la monarchie, dans les campagnes comme dans les villes, les conditions de vie restent difficile. Le risque de mourir de faim demeure présent. Des révoltes populaires éclatent notamment contre l’impôt et l’administration. L’historienne Arlette Farge évoque même la forte présence de femmes émeutières.
A partir de 1789 éclate la Révolution française. Des révoltes se propagent dans les villes comme à la campagne. Mais des divisions traversent le « peuple français ». Les députés sont surtout préoccupés par le maintien de l’ordre et peuvent réprimer les révoltes. En revanche, la population parisienne tente surtout de résoudre les problèmes de subsistance, y compris par la violence. Les paysans refusent de payer les dîmes et les droits féodaux. Les châteaux et abbayes sont attaqués et brûlés. Les députés décident alors l’abolition de la féodalité le 4 août. Mais cette « abolition des privilèges » ne remet pas en cause la propriété foncière et la fiscalité.
Des révoltes d’esclaves éclatent dans les Antilles. Elles permettent de faire évoluer les consciences métropolitaines en faveur de l’abolition de l’esclavage. La révolte de Saint-Domingue débouche vers l’abolition de l’esclavage.
L’histoire du Premier Empire se contente souvent de retracer l’épopée des batailles napoléoniennes. En revanche, les résistances populaires contre l’armée française, notamment en Espagne, restent toujours occultées.
Au XIXe siècle, des insurrections éclatent contre la monarchie et les régimes autoritaires pour permettre davantage de liberté d’expression. Mais c’est surtout la question sociale qui devient un enjeu central. En 1831, la révolte des Canuts exprime une contestation des conditions de travail. Certains de ses artisans remettent en cause la propriété privée des moyens de production. De nombreuses révoltes éclatent à Paris, avec ses barricades. Le socialisme utopique de Charles Fourier valorise la libre association et l’émancipation de tous les travailleurs.
Une nouvelle insurrection éclate en 1848. En France comme dans plusieurs pays d’Europe, un « Printemps des peuples » permet la destruction des vieilles monarchies autoritaires. Ces révoltes permettent l’émergence des Etats-nations et des régimes parlementaires. L’abolition de l’esclavage est à nouveau proclamée. Mais les pratiques évoluent lentement, davantage au rythme des révoltes que de la législation.
Louis-Napoléon Bonaparte est élu président. Il organise un coup d’Etat en décembre 1851. Cette prise de pouvoir provoque de multiples résistances à travers la France et une importante répression.
Les débuts du mouvement ouvrier
Un bouillonnement contestataire émerge à partir de 1868. Des débats publics et des journaux diffusent de nouvelles idées. L’Association internationale des travailleurs(AIT) s’implante progressivement. Des grèves ouvrières éclatent et, malgré leurs échecs, révèlent une forte colère sociale. Une insurrection permet d’abattre le régime impérial. Les républicains prennent le pouvoir. Mais les revendications sociales perdurent. A Lyon, éclate une révolte contre la misère et l’exploitation. Un clivage de classe oppose les compagnons et les chefs d’atelier attachés à l’ordre. La coalition des Canuts se fissure.
En 1871, la Commune de Paris semble tiraillée entre des dimensions autoritaires et libertaires. Cette révolte spontanée s’apparente à une révolution par en bas. Mais elle se retrouve ensuite dirigée par un Comité de salut public qui regroupe toutes les crapules politiciennes et les blanquistes sur le retour. Cette insurrection subit alors vers une violente répression au cours de la Semaine sanglante.
Au début du XXe siècle se développe le syndicalisme révolutionnaire de la CGT. La lutte pour la journée de 8h de travail s’inscrit dans la lutte des classes et la perspective de la grève générale pour changer la société. De nombreux conflits sociaux éclatent. Une véritable guerre de classe se dessine. Des grèves sont violemment réprimées, y compris par l’armée. Le syndicalisme révolutionnaire décline progressivement. Mais, dans un contexte de montée du patriotisme, le mouvement ouvrier organise la lutte antimilitariste. Mais il ne parvient pas à empêcher la guerre de 1914. La révolution russe de 1917 déclenche une vague de révolte dans toute l’Europe. L’expérience des soviets semble proche des aspirations des ouvriers. Des grèves éclatent en France en 1919 et 1920. Mais le souffle de la révolte retombe.
Une critique du colonialisme émerge en France. Le jeune Parti communiste dénonce l’impérialisme. Les surréalistes attaquent l’exposition coloniale. Mais ce point de vue reste minoritaire. Le Parti communiste va modéré sa critique du colonialisme, notamment à partir de 1936 et du Front Populaire. Des mouvements nationalistes émergent également. Par exemple, Messali Hadj crée l’Etoile nord-africaine. Ces groupes nationalistes regroupent des individus issus des colonies qui ont fait des études en France.
Révoltes globales
Un mouvement de grève éclate en juin 1936, après l’arrivée de la gauche au pouvoir. Les ouvriers occupent les usines et renversent l’autorité patronnale. Les accords de Matignon et les consignes de la CGT ne parviennent pas à briser le mouvement. Mais Michelle Zancarini-Fournel n’évoque pas les causes de l’essoufflement de la grève.
Derrière la modernisation des Trentre glorieuses, la condition ouvrière ne semble pas s’améliorer. En 1955, la grève de Saint-Nazaire illustre le renouveau de la combativité ouvrière. La lutte permet d’obtenir une augmentation de salaires pour permettre une amélioration des conditions de vie.
L’image paisible des Trente glorieuses est également égratignée par la guerre d’Algérie. Le FLN algérien parvient à s’implanter en métropole. Les manifestations et émeutes des Algériens sont violemment réprimées par la police de Paris.
Le moment 68 apparaît une vague de contestation à travers le monde. Changer la vie devient l’objectif de la révolte. En Guadeloupe, des émeutes éclatent dès mai 67. Les femmes veulent exprimer davantage leur autonomie et leurs désirs individuels. Le couple et la famille sont considérés comme des carcans. Des grèves ouvrières éclatent pour dénoncer l’encadrement et la hiérarchie de l’usine. La révolte étudiante émerge à Nanterre. Les libertaires luttent pour la révolution sexuelle. Les filles ne peuvent pas librement circuler dans leur cité universitaire. Le mouvement du 22 mars valorise l’auto-organisation sans hiérarchie. Les étudiants occupent le bâtiment administratif.
Ensuite, de nombreuses facultés sont occupées. Les étudiants dressent des barricades et affrontent la police dans la rue. D’importantes manifestations sont ensuite organisées. Les ouvriers entrent également dans la lutte. Les grévistes occupent leurs usines pour renverser la hiérarchie et la routine du travail. Des liens se créent entre étudiants et ouvriers, sous la méfiance du Parti communiste et de la CGT.
Les années 1968 valorisent également une critique de la vie quotidienne. Lesmouvements de révolution sexuelle attaquent la morale bourgeoise et la famille patriarcale. Les féministes luttent pour la contraception et l’avortement. Elles insistent sur le plaisir sexuel plutôt que sur la reproduction. Les luttes des homosexuels critiquent également l’hétéronorme et le conformisme social. Ces mouvements remettent en cause le modèle militant (ZS) et sa virilité même si des formes de domination masculine perdurent. Des révoltes de prisonniers émergent également dans les années 1970. Les lutte de l’immigration émerge également, avec la création du Mouvement des travailleurs arabes (MTA) la grève des foyers Sonacatra.
Des grèves dans les usines automobiles éclatent en 1982. La gauche au pouvoir considère les ouvriers comme des immigrés et des musulmans, et non comme des travailleurs en grève. Des émeutes urbaines éclatent, notamment aux Minguettes et à Vénissieux. De nouvelles révoltes éclatent en 2005.
Le mouvement social de 1995 relance un cycle de lutte. Les mal logés, les sans papiers, les chômeurs et précaires lancent des luttent par rapport à leurs problèmes spécifiques.
Histoire alternative
Michelle Zancarini-Fournel propose une synthèse des révoltes en France. Son livre s’inscrit dans une histoire globale qui dépasse le cadre universitaire qui se spécialise sur une période et un sujet précis. Cet ouvrage s’inscrit dans la perspective d’une histoire sociale. Si cet article revient surtout sur les luttes, Michelle Zancarini-Fournel évoque également l’évolution de la vie quotidienne dans les périodes plus calmes.
Michelle Zancarini-Fournel montre la diversité des révoltes en France. Les grèves ouvrières sont évidemment évoquées. Mais l’historienne accorde une importance à la place des femmes dans la luttes et aux révoltes dans les colonies. Cette importance donnée aux luttes populaires tranche avec les formes classiques de l’histoire globale. L’Ecole des Annales insiste sur les structures économiques et les grandes mutations sociales. L’histoire semble alors soumise à une forme de déterminisme. Au contraire, Michelle Zancarini-Fournel insiste sur l’action humaine et les révoltes sociales comme moteur de l’Histoire.
Cette approche se distingue également d’une simple histoire des mouvements sociaux. Michelle Zancarini-Fournel évoque assez peu les organisations politiques et syndicales. Les congrès et les débats internes sont remis à leurs juste place : le néant. L’historienne insiste davantage sur les révoltes spontanées qui éclatent en dehors de toute forme d’encadrement. Ce qui est évidemment le cas pour la plupart des grands mouvements de lutte, en France et dans le monde.
Néanmoins, le livre de Michelle Zancarini-Fournel dresse un large panorama historique sans approfondir certaines questions. Elle n’évoque pas les échecs et les limites de ces révoltes. L’historienne se contente d’une description factuelle mais ne propose aucune véritable analyse critique de ces luttes. Les diverses causes des échecs de 1936 ou de 1968 ne sont pas étudiés. Pourtant, c’est bien l’analyse des révoltes passées qui doit permettre d’éviter de reproduire les mêmes erreurs.
Les clivages politiques semblent également gommés. Dans ces luttes, certains valorisent un aménagement de l’ordre existant et une évolution réformiste. Mais des dynamiques de révolte peuvent aussi s’inscrire dans une contestation globale de tous les rapports sociaux. Ces clivages qui traversent chaque lutte doivent être mis en avant pour mieux en comprendre les contradictions et limites.
Mais la somme de Michelle Zancarini-Fournel permet surtout de souligner l’importance de nombreuses révoltes méconnues voire oubliées, notamment dans les colonies. C’est effectivement à travers les révoltes que les individus peuvent s’émanciper et ouvrir de nouvelles possibilités d’existence.
Pour aller plus loin :
Vidéo : Gilles Heuré et Basile Lemaire, Michelle Zancarini-Fournel raconte l'histoire des “gens de peu”, publié sur le site du magazine Télérama le 3 février 2017
Vidéo : Le duel des critiques: Michelle Zancarini-Fournel VS Jean-Marc Cavedon, émission diffusée sur BFM Business le 6 janvier 2017
Vidéo : Conférence donnée dans le cadre du cycle "Quarante ans de recherche sur les femmes, le sexe et le genre"
Vidéo : De la crise fragmentée à la crise célébrée, conférence enregistrée le 1er juillet 2011
Vidéo : Quelle histoire de France aujourd’hui ?, émission de Mediapart enregistrée le 21 décembre 2016
Radio : Classes populaires : les oubliées de l’histoire ?, émission diffusée surFrance Culture le 28 novembre 2016
Radio : Une semaine avec Robert Linhart : Michelle Zancarini-Fournel, émission diffusée sur France Inter le 28 décembre 2016
Radio : L'émission de Littérature de Dominique Jenvrey avec Michelle Zancarini-Fournel, enregistrée en décembre 2016
Dominique Kalifa, Histoires ordinaires, publié dans Libération le 2 décembre 2016
Xavier Vigna, Un grand livre, puissant et nécessaire, publié sur le site Mediapart le 11 janvier 2017
Claude Mazauric, L’ "histoire-monde" de France face au prétendu "roman national", publié dans le journal L'Humanité le 8 décembre 2016
AFP, Histoire: deux livres viennent alimenter le débat sur le "récit national", publié sur le site du journal Le Parisien le 23 novembre 2016
Thomas Figarol, Note de lecture publiée sur le site La Cliothèque le 28 décembre 2016
Christian Chavagneux, Note de lecture publiée sur le site du magazine Alternatives économiques
Articles de Michelle Zancarini-Fournel publiés sur le portail Cairn
Site de la revue Clio. Femmes, Genre, Histoire