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Révolutions africaines contre l’impérialisme
Ces articles de la rubrique « Ailleurs sur le web » sont publiés à titre d'information et n'engagent pas la Tendance CLAIRE.
Des révoltes éclatent en Afrique à partir des années 1960 pour combattre la colonisation et l'impérialisme. Ces luttes permettent d'alimenter la réflexion critique contre le racisme et le capitalisme.
Une révolte a éclaté récemment au Burkina Fasso. Dès la crise économique de 2008, des « émeutes de la faim » ont émergé en Afrique pour amorcer un nouveau cycle de lutte à travers le monde. Les révoltes dans les pays arabes ont également marqué ce début de siècle. Ce continent subit particulièrement les ravages du capitalisme avec ses pillages et nombreuses injustices. Pourtant, il existe aussi des luttes importantes et une histoire méconnue. De 1940 à 1970, des luttes anti-coloniales participent à une véritable révolution africaine. Le sociologue Saïd Bouamama revisite cette histoire méconnue à travers la présentation de dix personnalités dans ses Figures de la révolution africaine.
Mais, à partir des années 1980, c’est l’heure du réalisme néolibéral et de l’acceptation de l’ordre marchand. Le « tiers-mondisme » n’est plus vraiment à la mode. Les anciens gauchistes retournent leurs vestes pour vomir sur leurs amours passés. Pascal Bruckner dénonce Le sanglot de l’homme. Selon ce « nouveau philosophe », l’Occident a trop cultivé la haine de soi et doit retrouver sa fierté.
En France, depuis les émeutes de 2005, les luttes de l’immigration et les populations d’origine africaine bénéficient d’un regain d’intérêt. Bien que militant du cocasse Parti des Indigènes de la République (PIR), Saïd Bouamama conserve le sens des réalités. Il observe avec sympathie un renouveau des études post-coloniales. Mais il s’attache à restituer la pensée d’intellectuels comme Frantz Fanon dans leur contexte historique. Il s’intéresse moins aux pirouettes linguistiques autour de l’orientalisme qu’aux luttes concrètes contre le colonialisme. Saïd Bouamama s’attache à relier la pensée et l’action.
Ces luttes anti-impérialistes conservent quelques limites. L’Afrique subit la domination coloniale, avec la complicité de sa propre classe dirigeante. Les luttes africaines s’inscrivent dans la grille d’analyse marxiste. Les notions d’ "impérialisme", de "capitalisme" ou de "luttes des classes" sont alors banalisées.
Les révoltes contre l’esclavage et la colonisation sont oubliées. Selon les historiens, les populations ont résisté à la traite négrière avant d’accepter leur sort. Pourtant, les révoltes n’ont pas cessé. La révolte de Saint-Domingue en 1791, incarnée par Toussaint Louverture, devient une lutte contre l’esclavage et pour l’indépendance nationale. La révolte se transforme en révolution.
Des résistances se développent également dès le début du colonialisme en Afrique. La mouvance communisme élabore même une critique de l’impérialisme et du colonialisme. Néanmoins, le Parti communiste français (PCF) valorise rapidement l’assimilationnisme au détriment de la revendication de l’indépendance.
Les puissances coloniales sortent affaiblies de la Seconde guerre mondiale, à l’image de la France et de l’Angleterre. Surtout, le colonisateur et « l’homme blanc » n’apparaissent plus comme invincibles.
Critique réformiste du colonialisme
Jomo Kenyatta marque les débuts de cette lutte anti-coloniale et il révèle les ambiguïtés de la révolution africaine. Ce mouvement se conscientise progressivement et semble peu révolutionnaire à ses débuts. Jomo Kenyatta défend l’affirmation identitaire et le nationalisme, la tradition contre la colonisation et se réfère au droit international. Il est donc nationaliste et réformiste. Pourtant, en 1922, éclate une grève générale et des manifestations. En 1929, Jomo Kenyatta part à Londres pour plaider la cause africaine auprès de la gauche et des autorités britanniques.
Il semble donc plus modéré que la contestation qui éclate au Kénya. Il prend ses distances avec les soulèvements populaires et la lutte des classes pour valoriser une indépendance nationale en concertation avec les colonisateurs. Il défend une communauté harmonieuse et consensuelle, même si ce projet passe par des autorités féodales et du clientélisme. La lutte contre le colonialisme doit s’appuyer sur une révolte sociale pour permettre un véritable processus d’émancipation.
Aimé Césaire arrive à Paris en 1931 pour poursuivre ses études. Le climat est aux expositions coloniales et autres zoos humains. Aux Etats-Unis émerge le mouvement de Harlem Renaissance qui valorise la culture afro-américaine. Aimé Césaire s’inspire de ce mouvement pour valoriser la culture noire et la « négritude ». Cette identité n’est pas raciale, mais liée à l’histoire politique et culturelle.
Proche des surréalistes, Aimé Césaire relie la poésie et l’engagement politique. Ses textes évoquent la souffrance des noirs, l’oppression et l’insurrection. Il participation à la création de la revue Présence africaine. Il interpelle les artistes et les intellectuels à lutter contre la colonisation. « Dans un monde où les colonisés se révoltent, l’engagement littéraire mène pour Césaire à l’engagement politique », souligne Saïd Bouamama.
Aimé Césaire devient député et maire de Fort-de-France au nom du Parti communiste. Il devient un bureaucrate local qui s’oppose à l’indépendance de la Martinique. Il défend la départementalisation et veut rester sous la tutelle de la France. Mais, lorsque la guerre d’Algérie éclate, il dénonce le colonialisme. Il estime que c’est le développement du capitalisme qui permet la colonisation. Il critique également la prétendue « mission civilisatrice » de la France.
Ruben Um Nyobé ne va pas jusqu’à défendre l’indépendance du Cameroun avant de progressivement se radicaliser. Il reste réformiste et légaliste. Néanmoins, il prend en compte les conditions matérielles de vie des classes populaires urbaines et rurales. En 1948, il fonde l’Union pour les populations du Camerou (UPC). Ce parti valorise l’organisation syndicale et les luttes pour des revendications immédiates.
Ruben Um Nyobé et l’UPC développent une approche pragmatique qui s’appuie sur le droit international. Ruben Um Nyobé reste légaliste et non violent. Il pense que la décolonisation peut se faire par la voix pacifiste. La France décide au contraire de choisir la répression et la violence. Le colonisateur n’a aucun mal à interdire l’UPC et à réprimer ses militants qui ne sont pas prêts à la lutte armée. Ruben Um Nyobé est même tué.
Anti-colonisatisme et violence politique
Frantz Fanon grandit dans une famille de la petite bourgeoisie noire de Martinique. Il observe le colonialisme et le racisme. Une hiérarchie raciale est imposée par l’ordre colonial. Ses travaux mèlent psychanalyse et politique. Dans son livre Peau noire, masques blancs, il montre comment les conduites identitaires de « honte de soi » des noirs résultent de la domination coloniale. Contre les approches culturalistes, il insiste sur les problèmes matériels et sociaux de la colonisation. Il analyse le système du colonialisme. « C’est ce système, insiste Fanon, qui a une base économique et qui produit les idéologies, les conduites identitaires et psychologiques qui permettent sa reproduction », décrit Saïd Bouamama.
Dans le livre Les damnés de la terre, Fanon défend la violence libératrice des luttes anti-coloniales pour faire face à la violence de la colonisation. « La "chose" colonisée devient homme dans le processus même par lequel elle se libère », analyse Frantz Fanon. La violence libère du complexe d’infériorité pour sortir de la passivité et de l’aliénation. Ensuite, la décolonisation ne débouche pas toujours vers l’indépendance. Une bourgeoisie nationale, inféodée à la puissance coloniale, organise la pacification sociale. La question sociale et l’amélioration des conditions matérielles doivent êtres prises en compte.
La pensée de Patrice Lumumba ne cesse d’évoluer. Il intègre l’élite noire du Congo. En 1956, son premier texte développe des illusions coloniales. Il évoque les risques de soulèvement populaire. Pour cela, il insiste sur « la nécessité d’harmonisation des rapports sociaux entre Belges et Congolais ». Il ne remet pas en cause le cadre colonial.
Sa pensée évolue au fil de rencontres. Il découvre les idées indépendantistes et panafricaines, notamment à la conférence d’Accra de 1958. Patrice Lumumba insiste alors sur l’importance de l’indépendance économique. Néanmoins, il conserve sa naïveté. Il pense que la décolonisation peut se réaliser sans affronter l’obstacle du colonisateur. Il continue même de croire en l’impartialité amicale de l’ONU. Lorsqu’il accède au pouvoir et devient Premier ministre, il est brutalement assassiné. Après sa mort, des révoltes éclatent au Congo, mais les forces militaires belges s’imposent.
Critique de l’impérialisme
Malcolm X incarne la lutte afro-américaine, tout comme Martin Luther King et Angela Davis. Ce mouvement se penche sur les questions internationales et sur la décolonisation de l’Afrique. Malcolm X grandit dans les ghettos noirs de Boston et à Harlem. Sa réussite scolaire se heurte à la réalité de la violence raciale. Il devient dealer et s’enfonce dans la petite délinquance avant de connaître la prison en 1946. Sa trajectoire semble donc assez banale pour un jeune afro-américain. Mais Malcolm X passe rapidement du sentiment d’infériorité raciale à la fierté du nationalisme noir avec la rencontre des Blacks Muslims en prison. Malcom X devient un grand prêcheur.
Il parvient à incarner des analyses dans des faits concrets de la vie quotidienne. « Il puise ainsi dans sa propre vie des images, des situations et des exemples auxquels chacun peut s’identifier », décrit Saïd Bouamama. Mais il prêche le discours des Blacks Muslims avec la défense de la ségrégation raciale, du puritanisme religieux et de l’éthique du travail. Malcolm X s’éloigne progressivement de Blacks Muslims déconnectés des luttes des Noirs qui se développent. Malcolm X développe une analyse de classe qui distingue les « nègres domestiques » embourgeoisés des « nègres de plantation » qui subissent la misère et la précarité. Pour lutter contre le racisme, il faut renverser le système économique et social.
Après un voyage en Afrique, il s’éloigne définitivement des Blacks Muslims. Il adopte une démarche universaliste et internationaliste. « Le combat pour l’égalité des noirs états-uniens s’inscrit désormais plus fermement que jamais dans le mouvement mondial des opprimés », décrit Saïd Bouamama. Cette radicalisation politique, qui débouche vers son assassinat, reste sulfureuse. Même le cinéaste Spike Lee propose une version édulcorée dans son film sur Malcolm X.
Medhi Ben Barka présente également une trajectoire en évolution. Il défend le roi Mohamed V présenté comme une figure de la décolonisation du Maroc. Pourtant, la monarchie favorise la dépendance à l’égard de la France. Ensuite, Medhi Ben Barka défend la libération nationale à travers l’union de toutes les classes sociales.
La pensée politique de Medhi Ben Barka évolue à travers les rencontres. Il propose l’unité des luttes en Afrique. Il développe également le projet d’une union tricontinentale. L’Afrique subit la domination coloniale de la France comme l’Amérique latine subit celle des Etats-Unis. Medhi Ben Barka devient une figure de la Tricontinentale qui organise la solidarité et la coordination des luttes anti-impérialistes. Il est assassiné en 1965, comme d’autres figures de la Tricontinentale.
Le militaire Thomas Sankara accède au pouvoir au Burkina Fasso à l’issu d’un coup d’Etat. Il veut rapprocher l’armée et le peuple. Il défend des idées écologistes et féministes. Il dénonce la haute bourgeoisie et les multinationales. Il décrit la dette comme une nouvelle forme de colonialisme. Mais Thomas Sankara doit mener des politiques d’austérité pour rembourser la dette. Il se heurte à des mouvements sociaux et réprime les grévistes.
Limites de la révolution africaine
Le livre de Saïd Bouamama permet de présenter des mouvements de révolte méconnus. La contestation politique n’est évidemment pas l’apanage des pays occidentaux. Mais les analyses sur ces luttes et leurs histoires restent peu nombreuses. Saïd Bouamama propose une synthèse claire et accessible sur la période mythique des luttes anti-impérialistes. Surtout, Saïd Bouamama conserve un regard critique appréciable, loin de toute forme de mythologie. Il pointe quelques limites des luttes décoloniales et leurs ambiguïtés réformistes. Son approche à travers quelques grandes figures permet d’incarner l’histoire de ces luttes pour la rendre plus vivante.
En revanche, cette approche peut également alimenter l’idée selon laquelle ce sont des grands hommes qui font l’Histoire. Au contraire, ce sont les révoltes spontanées et les luttes qui regroupent des foules anonymes qui permettent la transformation sociale. La valorisation de la Tricontinentale et de ses grandes figures s’inscrit dans une approche typiquement bourgeoise et léniniste. Les classes populaires sont alors rayées de l’Histoire au profit de quelques pitreries bureaucratiques. Même si Saïd Bouamama s’attache à restituer le contexte historique de ces mouvements, les révoltes sociales semblent secondaires et servir uniquement de marchepied vers le pouvoir pour quelques figures de la décolonisation.
Le problème des grandes figures, en Afrique comme ailleurs, c’est aussi qu’elles sont souvent des personnages autoritaires, réformistes ou marxistes-léninistes. Même si Saïd Bouamama évoque quelques contradictions et limites dans leurs trajectoires politiques, les luttes africaines ne sont pas vraiment valorisées lorsqu’elles avancent derrière le masque de bureaucrates. Les partis et les hiérarchies ne sont d’ailleurs jamais critiqués par aucune de ces grandes figures. Fanon soutient même les massacres du FLN contre les rivaux du MNA. Les marxistes-léninistes ne remettent pas en cause le cadre de l'Etat-nation. La "libération" passe par des frontières et un appareil institutionnel. Sans même parler de l’idolâtrie que peut susciter les grands hommes qui ne favorisent pas l’auto-émancipation mais le mythe du politicien providentiel.
En revanche, ses figures permettent de voir les limites des luttes de libération nationale. A part les marxistes comme Frantz Fanon, ces personnalités préconisent bien souvent l’unité de toutes les classes sociales pour se libérer du colonialisme. C’est sans doute l’erreur majeure des mouvements de libération nationale. La lutte contre le colonialisme doit également s’accompagner de la lutte des classes. Sinon, les bureaucrates et les bourgeois reprennent les commandes pouvoir. En revanche, les luttes contre le colonialisme peuvent également s’inscrire dans une dimension sociale et internationaliste.
Source : Saïd Bouamama, Figures de la révolution africaine. De Kenyatta à Sankara, La Découverte, 2014
Livre en ligne sur le site des éditions Zones
0 target="_blank">Extrait publié sur le site de la revue Contretemps
Pour aller plus loin :
Vidéo : Conférences de Saïd Bouamama mises en ligne sur le site du Front Uni des Immigrations et des Quartiers Populaires (FUIQP)
Vidéo : Saïd Bouamama : « Figures de la révolution africaine », conférence mise en ligne sur le site Bruxelles Panthères le 1er mai 2014
Vidéo : Said Bouamama, Capitalisme, flux migratoires et révolution africaine, mise en ligne sur le site Thinking Africa
Vidéo : FUIQP: Saïd Bouamama à Strasbourg, publiée sur le site La Feuille de chou le 9 octobre 2016
Vidéo : Said Bouamama, « Reprenons l’initiative dans les quartiers », conférence mise en ligne le 27 février 2015
Radio : émission Le Front du lundi diffusée sur Canal Sud le 12 mai 2014
Radio : Afrique, colonialisme, révolution, diffusée sur le site de Radio Grenouille
Radio : Pleins feux sur les révolutionnaires africains, diffusée sur Radio Canada le 29 avril 2014
Radio : Valérie Nivelon, De Kenyatta à Sankara : les voix de la révolution africaine, émission La marche du monde mise en ligne sur RFI le 1er novembre 2014
« L’autonomie n’est pas un libre choix mais une nécessité », entretien publié sur le site Quartiers XXI le 19 janvier 2016
Marie Perin et Mary Sonet, Entretien avec Said Bouamama, publié dans la revue Que faire ? le 16 février 2011
Robert Martin, Entretien avec Said Bouamama, publié sur le site Envie à Béziers le 8 avril 2015
Saïd BOUAMAMA, ailier gauche du sous-fascisme, publié sur le site du Groupe d'Action pour la Recomposition de l'Autonomie Prolétarienne (GARAP) en décembre 2016
Saïd Bouamama, un sociologue au service du hijab..., publié sur le site Mondialisme.org le 19 juillet 2004
Articles de Said Bouamama publiés sur le site Les mots sont importants
Articles de Said Bouamama publiés sur le site Approches Cultures & territoires
Frédéric Thomas, Note de lecture publié sur le site de la revue Dissidences
Nicolas Pasadena, Note de lecture publiée sur le site du journal Alternative libertairele 22 novembre 2014
Eddy Banaré, Note de lecture publié sur la revue en ligne Lectures le 14 avril 2014
Angelo Anaïs, Note de lecture publié dans la revue Afrique contemporaine en 2014
Bruno Jaffré, Note de lecture publiée sur le site Thomas Sankara
Damien Augias, Histoire(s) et actualité(s) de la politique africaine, publié sur la revue en ligne Nonfiction.fr le 31 octobre 2014