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Sur le programme économique de Mélenchon
Ces articles de la rubrique « Ailleurs sur le web » sont publiés à titre d'information et n'engagent pas la Tendance CLAIRE.
Dans les mois qui ont suivi l’auto-proclamation de la candidature par JLM, ses partisans, pour ratisser le flanc gauche du marché électoral, ont souvent affirmé le caractère « anticapitaliste » ou « révolutionnaire » du programme. Il n’était pas difficile aux anti-k de démonter la supercherie. Le programme ne vise à aucun moment la socialisation des moyens de production, JLM a même ordonné la disparition de toute référence au socialisme comme à l’écosocialisme.
Maintenant que l’échéance électorale approche, JLM et ses partisans affirment l’inverse, pour ratisser plus large en flattant les illusions réformistes qui dominent le camp du travail. Ces illusions sont un fromage électoral car elles dominent dans un vieux pays de démocratie bourgeoise. Les contradictions économiques et écologiques s’accumulentet aboutiront à une crise sans précédent, mais le moment est imprévisible. La situation est donc encore favorable aux boniments des politiciens keynésiens et réformistes en général, que ce soit Hamon ou Mélenchon. Ils ne se privent pas.
Keynes: « du côté des riches »
C’est ainsi que les partisans de JLM rappellent la proclamation de JLM: « Je ne suis pas révolutionnaire, mais keynésien » (17 octobre 2011 sur France Info) ou encore :« Les investisseurs n’ont rien à craindre de mon programme », Les Échos du 18/03/2012.
JLM a raison: le projet de Keynes n’a jamais été de dépasser le capitalisme. Il était et reste ce que Keynes lui-même a écrit. Dans une lettre à Roosevelt de décembre 1933, il l’invitait simplement à « une expérimentation raisonnée dans le cadre du système actuel », faute de quoi, précisait-t-il, le « changement rationnel » serait gravement compromis partout dans le monde, ne laissant plus que l’alternative entre « l’orthodoxie et la révolution ». L’objectif de Keynes est clair: céder un peu pour empêcher une révolution.
C’est exactement ce qu’affirme JLM quand il dit « Je ne suis pas révolutionnaire, mais keynésien ». Et logiquement, une fois le mouvement social anesthésié et donc le risque de révolution écarté, Keynes proposera l’inverse à Roosevelt en 1940: la réduction de la demande privée en augmentant les impôts, en comprimant les salaires, et en instituant une épargne obligatoire. Keynes, membre du parti libéral, s’est déclaré dans une formule que les politiciens réformistes se sont empressés de cacher, « du côté des riches et de la bourgeoisie instruite ».
« Nous voulons injecter une masse suffisante pour relancer la machine dans des conditions écologiquement responsables. Nous voulons provoquer un choc d’activité », a expliqué JLM au cours de sa présentation le 19 février du chiffrage de son programme. Ceux qui connaissent le détail de ce programme économique ont raison de le défendre comme une politique keynésienne d’augmentation de la demande, qui en théorie devrait permettre de sortir de la crise et donc d’améliorer le sort des classes populaires.
D’où l'idée qu'on pourrait sortir de la crise en arrêtant de « déconnner », comme l’explique J. Généreux dans son livre « La Déconomie », avec une bonne politique monétaire et budgétaire de relance de la demande. Le problème n’est plus le capitalisme, mais l’ignorance et l’absurdité des politiciens. Pour JLM et les politiciens qui font sa campagne, la crise n'est pas le produit des contradictions du mode de production capitaliste, mais la conséquence d'une erreur de politique économique.
Le programme de JLM aggravera la crise
Le programme de JLM propose que la Banque centrale fasse fonctionner la planche à billets. Mais ce n’est pas la monnaie qui crée de la richesse, comme on le voit depuis des années d’augmentation déjà énorme de la masse monétaire. Le surplus de monnaie continuerait à être stocké par les banques, à alimenter la bulle sur les actifs financiers et/ou l’inflation, soit la hausse des prix des biens et services.
Il propose en même temps d’augmenter les dépenses sociales, redonner du pouvoir d'achat aux travailleurs, en augmentant les salaires et en réformant la fiscalité. Cette politique a été mise en place par Mitterrand en 1981, qui deux ans plus tard, faisait marche arrière et imposait la « rigueur ». La raison en est simple : le moteur de la croissance, c’est l’accumulation de la capacité de production, qui dépend de la maximisation du profit. Tout ce qui contribue à réduire les profits conduit à une perte de compétitivité internationale, à une « grève » de l'investissement, aux délocalisations, à la hausse du déficit commercial et du déficit public. D'où la politique d'austérité très violente qui a suivi.
Aujourd’hui bien plus que dans les années 80, l’augmentation de la demande, qu’elle ait pour origine une augmentation des salaires ou des dépenses publiques, dans le contexte actuel d’ouverture aux importations, se porterait pour une grande part sur des marchandises importées. Les entreprises françaises sont aujourd’hui loin de produire tous les biens de consommation et d’investissement. L’économie de la France, comme les autres principales économies, est très ouverte aux échanges commerciaux. D’après les statistiques de la Banque Mondiale, les importations de biens et service de la France sont passée entre 1960 et 2015 de 12,6 à 31,4 % du PIB. Si on se limite aux biens manufacturés, la part des importations sont passées entre ces mêmes dates de 41 à 76 % du PIB. L’augmentation de la demande, soit celle des ménages, des entreprises et du secteur public entrainerait donc des emplois dans les entreprises situées en France, mais bien plus encore, pour les biens manufacturés, dans les entreprises hors de France.
Mais le pire n’est pas là. L’augmentation des salaires implique une diminution du taux de profit. Et avec une diminution du taux de profit sur le territoire qui bénéficie de cette augmentation de salaire, les entreprises sont doublement incitées à réduire ou même à faire la grève de l’investissement, car
- moins de profits, c’est moins de capitaux disponibles à investir
- un taux de profit qui baisse, c’est l’incitation à investir ailleurs où il est supérieur. Dès lors que le taux de profit baisse, il y a toujours des pays offrant un meilleur taux, c’est à dire où les conditions d’investissement sont plus favorables au capital (salaires, impôts, infrastructures, etc)
Leçon de Marx
Les réformistes keynésiens connaissent souvent Marx, mais ils sont prêts à l’ignorer quand la démagogie électorale l’exige. Car Marx s’est toujours moqué des politiques de relance de la demande:
« C’est pure tautologie que de dire : les crises proviennent de ce que la consommation solvable ou les consommateurs capables de payer font défaut. (…) Dire que des marchandises sont invendables ne signifie rien d’autre que : il ne s’est pas trouvé pour elles d’acheteurs capables de payer, donc de consommateurs (que les marchandises soient achetées en dernière analyse pour la consommation productive ou individuelle). Mais si, pour donner une apparence de justification plus profonde à cette tautologie, on dit que la classe ouvrière reçoit une trop faible part de son propre produit et que cet inconvénient serait pallié dès qu’elle en recevrait une plus grande part, dès que s’accroîtrait en conséquence son salaire, il suffit de remarquer que les crises sont chaque fois préparées justement par une période de hausse générale des salaires, où la classe ouvrière obtient effectivement une plus grande part de la fraction du produit annuel destinée à la consommation. Du point de vue de ces chevaliers, qui rompent des lances en faveur du « simple » bon sens, cette période devrait au contraire éloigner la crise. »(Le Capital, livre II)
Leçon de 1936
Il est utile de retenir les leçons de Julien Varlin dans son article « Retours historiques sur le réformisme antilibéral « de gauche », faisant notamment le bilan de la politique économique des partis du Front Populaire de 1936:
« •L’austérité, les coupes dans les dépenses publiques, les baisses d'impôts pour les patrons, la frilosité à remettre en cause la « liberté » des entreprises ne sont pas un simple choix que les politiques feraient parmi tant d'autres, mais une tendance structurelle sous le capitalisme car elles visent à maximiser le taux de profit. Cette même tendance est trop souvent présentée comme singulière sous le nom de « néolibéralisme »8.
•La tentative d’élaborer des solutions à la crise dans le cadre du système est aussi une tendance récurrente, et les courants de type keynésiens sont assez naturellement l’expression principale de ces tentatives.
•Ces tentatives de sortir des crises ou des marasmes capitalistes par des politiques de redistribution ont échoué partout, et ces échecs ont entraîné des reculs terribles pour le mouvement ouvrier.
L’économie politique fait partie intégrante du terrain idéologique, sur lequel le réformisme doit être combattu. Ceci est d’autant plus vrai si l’on prend du recul sur ce qu’est le réformisme aujourd’hui.
Le vieux réformisme du mouvement ouvrier visait à justifier un « exercice du pouvoir » (bourgeois) tout en prétendant préparer le terrain à la révolution socialiste. Le réformisme du Front de Gauche n’a plus vraiment à se justifier devant un électorat ou une base militante ayant une conscience socialiste. La conscience de classe a connu de tels reculs que ce réformisme est très proche d’un réformisme bourgeois, comme celui de Roosevelt.
Quant au Parti socialiste de François Hollande, il n’a rien d’un parti réformiste, dans aucun sens que ce soit. Bien au contraire, il s’inscrit totalement dans la lignée des partis bourgeois ordinaires qui ne cherchent qu'à servir au mieux les intérêts des capitalistes.
En conséquence, il n’est plus pertinent de se contenter de dénoncer le réformisme sous l’angle de la « trahison » (il faudrait pour cela qu’il y ait des attentes socialistes, une mémoire de ce que faisaient les staliniens et les sociaux-démocrates, etc.). Il faut simultanément élaborer un vrai programme révolutionnaire contre les capitalistes, et expliquer que les idéologies fondées sur des réformes sont impuissantes face à la crise du système. »
Pas d’autre solution que le socialisme
C’est aussi l’opinion d’économistes marxistes non soumis aux politiciens professionnels. Ecoutons notamment Andrew Kliman dans son article « Sur les origines de la crise »
« Le profit est le carburant à partir duquel le capitalisme fonctionne. Si sortie de crise il doit y avoir, cela passera par la résolution des problèmes de rentabilité et de dette. Donc, je voudrais suggérer qu'il faudrait arrêter d'essayer de trouver des solutions « progressistes » à la crise actuelle du capitalisme.
Au lieu de cela, nous devrions aider les luttes en cours des peuples pour protéger leurs revenus, leurs emplois et leurs maisons. Des concessions ont été arrachées au cours de la Grande Dépression (des années 1930), et cela peut se reproduire aujourd'hui. Ces concessions ne vont pas résoudre les problèmes du capitalisme - elles vont même le déstabiliser davantage - mais les luttes doivent être soutenues. Les luttes de classes se sont accentuées globalement dans le monde entier, et les participants à ces luttes ont appris depuis et les solidarités se sont développées. Elles méritent notre soutien indéfectible. Et elles méritent d'être nourries par le point de vue selon lequel la crise est enracinée dans la production capitaliste (et pas dans des politiques économiques particulières) et qu'il y a une issue socialiste pour en sortir. »
Ne pas exproprier le capital, c’est choisir l’austérité
Nous citerons un deuxième économiste, Alain Rollat, dans son texte intitulé « Marx ou Keynes, il est grand temps de choisir »
« Dans une logique keynésienne, les mesures d’austérité, la politique de réduction des salaires, de retour aux équilibres fiscaux et budgétaires, de remboursement des dettes ne peuvent en effet avoir qu’un effet dépressif sur la demande, donc sur la croissance et l’emploi. Serait-il alors suffisant pour « relancer » la machine économique de prendre le contrepied de ces politiques : favoriser le revenu (salaire) et l’embauche, relancer la consommation (par exemple grâce au crédit et à la dépense publique) ? Evidemment non, car dans un système régi par les lois du profit et de la rentabilité, les intérêts des salariés sont incompatibles avec ceux des titulaires du profit. Si les premiers doivent légitimement défendre leurs salaires et leurs emplois et donc lutter pour une meilleure répartition en leur faveur de la richesse produite, ils ne pourront le faire qu’au détriment des profits, profits qui sont eux-mêmes une condition de la poursuite de la mise en valeur des capitaux investis. Dans un cadre resté capitaliste, les conditions de « reproduction » « économique du système, sa possibilité de surmonter la crise, s’en trouveront affectées d’autant.
Certes des gains de productivité nouveaux pourraient, pour un temps, venir satisfaire les uns et les autres. Mais accroître la productivité, c’est aussi mettre en œuvre des technologies nouvelles, plus « capitalistiques », c’est-à-dire réduisant encore la part de la main d’œuvre (donc des salaires) dans la production.
En fait, avec l’exacerbation de la concurrence capitaliste au niveau international, avec l’approfondissement de la crise qui en résulte, c’est illusion de penser que les Etats puissent aujourd’hui « préserver » les salariés des effets ravageurs de cette crise sur les salaires et l’emploi et « arbitrer » en leur faveur. Non seulement cela, mais parce qu’ils continuent à représenter les exigences des « marchés » sur le plan politique, ces Etats doivent maintenant, comme en France, sous la pression directe des milieux d’affaires et du patronat organisé, mettre en place de nouvelles mesures « d’austérité » et autres « pactes de compétitivité ».
Pour les classes dominantes, il s’agit, vaille que vaille, non seulement de tenter de préserver ou de rétablir la rentabilité du capital déjà investi mais aussi, par tous les moyens, y compris la mise en place de régimes « forts » et la militarisation des économies, de conquérir de nouveaux marchés afin de continuer à extraire et à réaliser la plus-value. Politiquement, il ne s’agit rien d’autre que d’assurer la survie du système. Mais cette survie, et là les enseignements de Marx restent parfaitement actuels, ne pourrait se faire que par la poursuite du processus déjà engagé de dévalorisation-destruction massive de capital et de travail, avec toutes ses conséquences.
C’est donc bien directement la transformation sociale qu’il faut penser et l’avènement d’un nouveau régime productif qu’il faut envisager. Les modalités et les étapes de la transition vers un régime socialiste sont complexes, elles ne sont pas écrites d’avance. Dans cette perspective, Keynes ne nous sera pas d’un grand secours puisqu’il n’a jamais eu d’autre souci que de rafistoler le capitalisme pour le sauver contre lui-même. Marx nous sera encore bien utile. Il nous a aidés à penser l’avenir. »
Reconstruire une gauche de combat
Daniel Bensaid déclarait la même chose dans un entretien à Marianne le 10 juillet 2009, qui lui demande de commenter le projet de réformisme keynésianiste de Mélenchon:
D.B.« Si au NPA notre diagnostic est juste, nous n’assistons pas à une énième crise économique, mais aussi à une crise des solutions à la crise. Quand j’entends parler d’un nouveau New Deal ou de solutions keynésiennes dans le cadre du capitalisme mondialisé réellement existant, je rigole doucement !
Marianne : Pourquoi ?
D.B. : Mais parce que le keynésianisme suppose un espace économique homogène, avec un effet d’entraînement de la consommation sur la production. Dans une économie mondialisée et dans une Europe « vole au vent », un tel dispositif est inenvisageable. Si l’on pense, comme nous, que la crise sera plus grave et plus longue, il faut s’inscrire dans la durée pour reconstruire une gauche musclée et de combat. »
JLM, en ne voulant pas exproprier mais aménager le capitalisme, sera encore plus vite que Mitterrand soumis à la dictature du capital. Dès lors, à quoi auront servi des mois de campagne électorale réformiste de soit disant « Insoumis »? A désespérer et exaspérer les travailleurs contre les politiciens de gauche et à jeter quelques millions de travailleurs de plus dans le bras des fascistes.
Pour sortir de l’austérité, mettre fin à l’exploitation, à la précarité et au chômage croissants, il faut exproprier le secteur financier, mettre les grands moyens de production sous le contrôle des travailleurs, et réorganiser toute l’économie en fonction des besoins décidés démocratiquement et soutenables. C'est possible par une mobilisation qui aille jusqu'à la prise du pouvoir par les travailleurs.
C’est la différence essentielle entre le programme de replâtrage du capitalisme de JLM et le programme de révolution écosocialiste du NPA. C’est la raison pour laquelle, comme l’a expliqué Daniel Bensaid, « il faut s’inscrire dans la durée pour reconstruire une gauche musclée et de combat. ». C’est la tâche que se sont fixée les anti-k, à commencer par le NPA. Elle exige patience, détermination, débats sereins, et pas mal de courage. Mais le reste n’est que « science » économique et enfumage au bénéfice immédiat des mangeoires électorales et à terme de la dictature du capital.