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Pourquoi la Grèce doit renoncer à l’euro
Ces articles de la rubrique « Ailleurs sur le web » sont publiés à titre d'information et n'engagent pas la Tendance CLAIRE.
FIGAROVOX/TRIBUNE- Alors que l'économie grecque est toujours dans l'impasse, la réunion de l'Eurogroupe du 20 février dernier s'est achevée sur une non-décision qui préserve le statu quo. Pour David Cayla, une brutale sortie du pays de la zone euro est plus que jamais d'actualité.
David Cayla est économiste à l'Université d'Angers, membre du collectif des Économistes atterrés et coauteur avec Coralie Delaume de La fin de l'Union européenne (Michalon, 2017).
Ils ont décidé de gagner du temps. N'en déplaise à Michel Sapin qui déclarait à l'issue de la réunion de l'Eurogroupe qui s'est tenue le 20 février que «la Grèce est sortie de la spirale de l'austérité», c'est bien une nouvelle purge qui se prépare pour la république hellène. Les «institutions», le nouveau nom de la Troïka qui regroupe toujours le Fonds monétaire international (FMI), l'Union européenne et la Banque centrale européenne (BCE) se sont en effet entendues pour négocier avec Athènes de nouvelles «réformes structurelles» qui concerneront la politique fiscale, le système de retraites (ce serait la quatrième réforme depuis 2010) et le marché du travail.
La facilité avec laquelle tout le monde s'est mis d'accord ne manque pas d'étonner pour qui connaît les désaccords profonds qui subsistent entre les créanciers d'une part et avec les autorités grecques d'autre part. Il aura néanmoins suffi d'une discussion téléphonique entre Angela Merkel et Christine Lagarde (l'actuelle directrice du FMI) quelques jours avant la réunion, pour que le FMI accepte de continuer de jouer la comédie macabre du «sauvetage» perpétuel de l'économie grecque et de l'euro.
Du rififi au sein du FMI
Une comédie, car le FMI conteste depuis maintenant plusieurs années la politique menée en Grèce et qui consiste à soutenir à fonds perdu un pays dont ses experts assurent qu'il est insolvable. Or, les statuts du Fonds lui interdisent de renflouer un pays non solvable sans en avoir préalablement restructuré la dette. En 2010, Dominique Strauss-Kahn, alors directeur de l'institution, avait passé outre l'avis de ses experts et imposé un prêt considérable à une économie en déroute. L'urgence était alors de sauver le système bancaire européen, très engagé en Grèce. Depuis, le FMI est tiraillé entre les impératifs politiques de sa direction et les analyses sans concession de ses économistes. En décembre dernier, deux d'entre eux n'ont d'ailleurs pas hésité à affirmer publiquement leurs positions en déclarant que l'institution de Washington «ne demande pas plus d'austérité à la Grèce». «Au contraire, tous les acquis des réformes devraient servir intégralement à augmenter les dépenses ou réduire les impôts pour accompagner la croissance», estiment-ils. Pour ces économistes, non seulement l'objectif affiché par les Européens de maintenir un excédent budgétaire primaire de 3,5% du PIB est contre-productif, mais surtout «la dette de la Grèce est hautement insoutenable et aucune réforme structurelle ne parviendra à lui rendre sa viabilité sans un allégement considérable.»
Pourquoi, si la dette publique grecque est insolvable, s'acharne-t-on à dépenser une telle énergie à la faire rembourser? Tout simplement pour des raisons d'équilibre politique entre les pays de l'Union européenne constatent les experts du Fonds. Ce n'est donc pas au nom d'une quelconque rationalité économique que les Européens imposent une austérité mortifère, mais parce qu'ils sont incapables de prendre leurs pertes. En effet, admettre que la dette grecque est insolvable revient à faire subir des pertes à ses créanciers, en particulier l'Allemagne et la France, dont les gouvernements sont tétanisés à l'idée de l'avouer à leurs contribuables. Les deux principaux pays de l'Union sont en effet entrés en période électorale. Si en France Marine Le Pen est en tête des sondages, l'Allemagne doit pour sa part faire face à la montée en puissance de l'Afd, un parti xénophobe qui conteste la politique européenne d'Angela Merkel. Dans un tel contexte, il apparaît politiquement inenvisageable que la Grèce soit déclarée insolvable. Si l'on en croit la presse allemande, le FMI a donc accepté de bâillonner ses propres experts et d'acheter du temps à Angela Merkel en se résignant à contribuer à un nouveau plan de refinancement dont il sait parfaitement qu'il n'a pas plus de chance que les précédents de tirer la Grèce de l'ornière.
Un échange de bons procédés en somme. Après avoir soutenu la réélection de Christine Lagarde l'an dernier, la chancelière attend de la patronne du FMI qu'elle lui donne un petit coup de pouce en vue d'élections législatives qui s'annoncent plus difficiles que prévues. Quant à François Hollande dont il se dit qu'il envisagerait une carrière politique européenne, il a besoin du soutien politique des pays du Sud qui verraient d'un très mauvais œil qu'une nouvelle crise grecque se développe.
Le pari du gouvernement grec
Mais pourquoi Alexis Tsipras accepte-t-il de participer à cette mascarade? D'abord parce qu'il n'est question pour l'instant d'aucune mesure concrète mais simplement d'ouvrir les discussions. Sans doute le Premier ministre espère-t-il qu'en acceptant de bonne grâce le retour des experts des institutions créancières il parviendra à jouer sur leurs divisions et qu'il regagnera ainsi un peu de marge de manœuvre politique. L'hypothèse n'est pas invraisemblable au vu des rapports de force actuels.
L'autre hypothèse est qu'Alexis Tsipras serait lui aussi en train d'acheter du temps. Bien qu'aucune élection nationale ne soit prévue à moyenne échéance, la situation politique grecque a beaucoup changé en deux ans. Depuis le mémorandum de juillet 2015, le rétablissement des finances publiques exigé par les créanciers s'est fait principalement par la hausse de la fiscalité: hausse de 5 points de la TVA, passée de 19% à 24%, hausse des impôts fonciers, hausse des taxes sur le tabac et l'essence, et même une nouvelle taxe touche désormais la téléphonie. Résultat: une consommation atone, une dépression économique qui n'en finit plus et surtout un ras-le-bol généralisé de la population grecque.
Dans un tel contexte il n'est pas étonnant que celle-ci soit de plus en plus encline à souhaiter une rupture des négociations avec les créanciers et à refuser toute nouvelle mesure d'austérité. Un récent sondage rendu public le 17 février dernier révèle que c'est le cas de près de 55% des personnes interrogées. Or, une rupture avec les créanciers impliquerait mécaniquement un défaut grec et une sortie de la Grèce de la zone euro. Il n'est en effet pas envisageable pour la BCE d'accepter un défaut unilatéral de la part de la Grèce. Au premier semestre 2015, Mario Draghi avait montré jusqu'où il était capable d'aller dans la défense des intérêts des créanciers en choisissant d'étrangler financièrement le système bancaire grec lors des difficiles négociations qui opposaient alors le gouvernement grec avec les autorités européennes.
Une sortie de l'euro n'est plus taboue
Une expulsion de la Grèce de la zone euro est-elle envisageable? Dans l'opinion en tout cas, la question n'est plus taboue, à tel point que quatorze économistes grecs s'en sont inquiétés publiquement en dénonçant un retour à la drachme qui serait selon eux «une catastrophe». Malgré ces augures cataclysmiques, les Grecs semblent se préparer à cette éventualité. Ces derniers mois, en dépit des limites imposées par le contrôle des capitaux toujours en vigueur dans le pays, les retraits d'argent liquide se sont multipliés. Les dépôts bancaires, qui seraient immédiatement convertis en drachme en cas de sortie de la zone euro ne sont plus considérés comme sûrs par les ménages. Ces derniers préfèrent donc, autant que faire se peut, se constituer une épargne sous forme d'argent liquide.
Le débat sur l'abandon de l'euro refait surface au sein même de Syriza après avoir été brutalement enterré en juillet 2015, à la suite du limogeage du ministre des finances Yanis Varouvakis. Nikos Xydakis, l'un des porte-paroles du groupe parlementaire du parti a ainsi déclaré fin janvier qu'il fallait sérieusement envisager la question. Zoé Konstantopoulou, l'ancienne présidente du Parlement qui s'était opposée à l'accord avec les créanciers et à la ligne défendue par Tsipras a elle aussi déclaré le 6 février dernier qu'il était temps pour les Grecs de «réfléchir à de nouvelles monnaies».
Jusqu'à présent, la ligne du gouvernement grec n'a cependant pas varié: il n'est pas question d'un quelconque Grexit. En faisant preuve de souplesse vis-à-vis des créanciers et en acceptant de discuter d'un nouveau plan d'austérité, Alexis Tsipras donne le change et fait mine de ne pas entendre les appels à durcir la ligne. Mais cela ne veut pas forcément dire que Tsipras n'envisage pas l'éventualité d'une rupture fracassante.
L'euro détruit l'économie grecque
Une sortie de la Grèce de la zone euro ne serait pas absurde d'un strict point de vue économique. Alors qu'il était conseiller de Yannis Varoufakis, l'économiste américain James Galbraith avait mis au point un plan détaillé de sortie, le plan X, dont il a rendu public les grandes lignes dans un récent ouvrage, Crise grecque, tragédie européenne (Le Seuil, 2016).
Pour un pays comme la Grèce, situé à la périphérie de l'Union, peu compétitif et éloigné géographiquement du cœur industriel de l'Europe, les effets conjugués de l'euro et du marché unique assèchent le dynamisme économique. Hommes et capitaux sont ainsi inéluctablement attirés vers les régions les plus prospères de la zone. L'effondrement économique de la Grèce consécutif aux multiples plans d'austérité engagés depuis 2010 renforce cette dynamique en poussant à l'exode les jeunes grecs les mieux formés. Ils seraient 350 000 à s'être ainsi expatriés entre 2008 et 2016 d'après une étude de l'ONG Endeavor Greece. La Grèce tire en plus comme un fardeau le taux de change d'une monnaie indexée sur les performances moyennes des principaux pays de l'Union monétaire alors qu'elle-même est entourée de pays hors zone euro. L'ironie ultime est que son voisin le plus puissant, la Turquie, bénéficie du double avantage d'une monnaie faible et d'accords commerciaux avec l'UE qui dynamise son tissu industriel et lui permet d'avoir l'avantage sur la Grèce dans tous les secteurs, y compris le tourisme et l'agriculture.
Indépendamment de la gestion de ses finances publiques, la Grèce souffre donc d'un environnement économique impitoyable qui la détruit à petit feu et dont elle ne peut s'extraire sans rompre avec les règles qu'impose la monnaie unique. Pour protéger son économie elle doit absolument retrouver des marges de manœuvre qui impliquent de mener une politique industrielle autonome et de recloisonner une partie de son économie. Ainsi, plutôt que de laisser filer son épargne et ses moyens financiers dans les banques étrangères, elle devrait s'attacher à reconstruire un système financier autonome afin de redonner à ses entreprises et aux pouvoirs publics un moyen de se financer sans dépendre des marchés. Depuis 2015, la balance courante de la Grèce est revenue à l'équilibre et le pays ne dépend donc plus de financements externes. Dans ces conditions, un défaut unilatéral décidé par le gouvernement grec serait tout à fait envisageable et à même de rompre avec la spirale de l'endettement sans fin qui lui est aujourd'hui promise.
Le plan X du professeur Galbraith
Autre nécessité vitale pour la Grèce, reconstruire les bases d'une économie mise à mal par vingt ans de marché unique et huit années de crise. La crise de la zone euro de 2011-2013 est souvent présentée comme une crise de l'endettement public. Or, comme nous l'avons montré avec Coralie Delaume dans notre ouvrageLa fin de l'Union européenne (Michalon, 2017), celle-ci est surtout la conséquence de l'unification économique engagée dans les années 1980. La constitution du marché unique et la libre circulation des hommes et des capitaux ont contribué à concentrer en Europe du nord les infrastructures industrielles du continent, rendant les pays du Sud dépendants des financements du nord. En l'absence de mécanismes compensatoires, l'endettement du sud a fini par exploser, plongeant l'Union européenne dans la crise.
Il est vrai qu'entre 2002 et 2007 l'économie grecque avait largement bénéficié de la monnaie unique via la baisse de ses taux d'emprunt. Malheureusement, comme dans d'autres pays du sud de l'Europe, la faiblesse du coût de l'argent n'a pas profité au capital productif mais à l'immobilier résidentiel et à l'investissement public. Si les années fastes de l'euro n'ont pas permis à la Grèce de se développer, la crise de 2008 a pour sa part entraîné le pays dans un processus de décomposition économique très rapide. Entre 2007 et 2016 l'activité industrielle du pays s'est effondrée de 27 %. Pour retrouver du dynamisme productif il est donc impératif de repenser entièrement l'économie grecque en engageant une stratégie nationale autonome de développement à long terme.
Dans l'analyse qu'il livre de l'économie grecque, James Galbraith évoque d'ailleurs les nombreux atouts du pays: une main-d'œuvre bien formée, un esprit entrepreneurial dynamique, un climat et une géographie physique particulièrement propices au tourisme. «Ses clients naturels forment une catégorie qui se développe rapidement: ce sont les retraités du monde entier et d'autres individus qui ont du temps à consacrer à leurs loisirs», écrit-il. Il en déduit qu'une stratégie économique de long terme est possible en portant les efforts du pays sur le développement du capital humain, l'éducation et les services de santé, et en conservant une structure économique fondée sur les petites entreprises qui sont au cœur du dynamisme grec. Attirer les investissements productifs étrangers pourrait également se faire par l'établissement de zones franches localisées près des ports et des infrastructures de transport.
Rompre avec la monnaie unique et faire défaut
La question de l'appartenance la Grèce à la monnaie unique peut très bien être posée en des termes positifs. La Grèce a besoin de retrouver une forme d'autonomie politique afin de réguler au mieux son économie domestique en puisant ses forces dans ses spécificités nationales. Or, la stratégie d'unification économique européenne est allée exactement à rebours de cette logique en procédant à l'arasement des spécificités nationales et à l'uniformisation des politiques.
Le cas grec est en fait symptomatique d'un dysfonctionnement profond de la gouvernance de l'Union. En faisant surgir des institutions supranationales toutes puissantes, celle-ci a cherché à effacer juridiquement (par le droit) et économiquement (par le marché) les spécificités nationales sans tenir compte du fait que des différences culturelles, historiques et géographiques persisteraient malgré tout. Il en est résulté un droit, une économie et une monnaie qui furent plaqués sur des réalités nationales profondément hétérogènes. C'est donc en raison de la négation des spécificités nationales que les institutions européennes ont produit un système qui génère de puissantes forces de divergence au sein d'un espace économiquement et juridiquement uniforme.
Au-delà des aspects techniques et du coût réel qu'impliquerait un renoncement de la Grèce à la monnaie unique, il est certain qu'une telle perspective est loin d'être fantaisiste tant sur un plan politique qu'économique. Si Alexis Tsipras a eu l'opportunité de lire le plan X préparé par James Galbraith et son équipe, il pourrait profiter de la trêve actuelle pour s'y préparer. Car pour l'heure, rien ne dit qu'une fois ses élections passées l'Allemagne serait davantage encline à faire les concessions qu'exigent le bon sens et le FMI. Or, si les Allemands ne sont pas prêts à renoncer à leurs créances, ils semblent tout à fait prêts à ce que la Grèce renonce à l'euro. Alexander Graf Lambsdorff, vice-président du Parlement européen l'a affirmé sans détour: «Nous devons trouver le plus rapidement possible un moyen de garder la Grèce dans l'Union Européenne et de continuer de la faire bénéficier de ses mécanismes de solidarité, mais tout en l'accompagnant hors de la zone euro. Nous devons ménager une transition, par étapes, vers le retour à une monnaie nationale.»
L'avenir de Grèce et de l'euro est donc posé en termes clairs. Si la Grèce n'obtient pas une restructuration importante de sa dette à moyenne échéance, un défaut et une sortie du pays de la zone euro deviendront de fait ses seules options.