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Contrôle au faciès et regards en coin pendant les sorties scolaires
Ces articles de la rubrique « Ailleurs sur le web » sont publiés à titre d'information et n'engagent pas la Tendance CLAIRE.
Elle vient de rencontrer un avocat et réfléchit à la possibilité de saisir l’IGPN. « Je me suis rendue dans mon commissariat de quartier mais les policiers ont refusé de prendre une plainte contre leurs collègues », se désole Elise Boscherel, professeur de lettres/histoire en Seine-Saint-Denis. Alors, en attendant de prendre une décision sur la conduite à tenir, elle a décidé de médiatiser la triste mésaventure qui l’a conduite à se présenter le 2 mars dernier au commissariat.
« Mes élèves sont habitués à ces discriminations »
La veille, il était un peu plus de 19h45 lorsque l’enseignante de 34 ans arrive à la gare du Nord avec ses 18 élèves de Terminale d’un lycée professionnel d’Epinay-sur-Seine. La classe revient d’un voyage scolaire de deux jours à Bruxelles. « Ils étaient calmes, ils dormaient tous dans le train car le programme avait été chargé », précise-t-elle d’emblée. Pourtant, Ilias, 17 ans, a à peine posé le pied sur le quai que deux fonctionnaires de police s’approchent. Contrôle d’identité. « Quand je me suis présentée pour dire que j’étais responsable de cet élève, le policier m’a fait un signe de m’éloigner. Il n’en avait rien à faire. » Elle décide donc d’attendre légèrement en retrait la fin du contrôle pendant que l’autre accompagnant se dirige vers le hall de la gare avec le reste du groupe.
Mais lorsqu’elle les rejoint quelques minutes plus tard, elle aperçoit deux autres élèves, Mamadou d’origine malienne et Zackaria, d’origine comorienne, en train d’être fouillés à leur tour. Leurs valises sont ouvertes, ils sont palpés devant le reste de la classe. Une nouvelle fois, elle tente d’expliquer la situation aux policiers. Une nouvelle fois, ils l’« envoient balader ». La tension monte d’un cran lorsque l’un des fonctionnaires joue « la provoc’». « Il m’a dit suffisamment fort pour que tout le monde entende "Vous voyez, on fait bien notre travail, votre élève a un casier judiciaire" ». L’annonce jette un froid. Pour l’enseignante, pas de doute, l’objectif était de l’humilier publiquement. « De tous, c’était moi la plus énervée. Mes élèves sont malheureusement habitués à ces discriminations. Pour eux, ça fait partie du quotidien. » Sur les cinq garçons que compte sa classe, trois ont été contrôlés en l’espace de quelques minutes.
« Les voilà, ils arrivent »
En décembre dernier déjà, une professeur d’un lycée de Stains avait raconté dans un post sur Facebook devenu viral, sa calamiteuse visite du musée d’Orsay. Les gardiens, insultants et agressifs, auraient poussé la classe à écourter leur visite. La direction a nié mais son coup de gueule a libéré la parole. Et d’autres, à l’instar de Pierre Lelorrain, professeur dans un lycée professionnel de Saint-Ouen (Seine-Saint-Denis), se sont reconnus dans ses mots.
En décembre, il a organisé un voyage de trois jours à Strasbourg avec sa classe de Terminale, 19 élèves au total. Visite des institutions européennes, d’un camp de concentration, du marché de Noël… « Tout s’est super bien passé, hormis la visite du musée d’art moderne… » La visite est censée être libre mais à peine arrivé, une responsable refuse. « On m’a dit qu’il fallait faire des groupes pour pouvoir surveiller les élèves alors qu’ils étaient calmes. » Ils se rendent pourtant rapidement compte qu’une autre classe d’un lycée de Strasbourg a le droit de déambuler librement dans les couloirs. Surtout, à chaque salle, les gardiens sont sur leurs gardes : ils se lèvent, suivent le groupe. A deux reprises au moins, l’enseignant assure avoir entendu dans le talkie-walkie : « Les voilà, ils arrivent… ». « Quand ils ont su qu’on venait du 93, ils ont clairement commencé à nous fliquer », affirme-t-il. Contactée, la direction du musée n’a aucun souvenir de cette visite, d’autant que le professeur n’a fait aucun signalement.
La crainte d’un « traitement spécial »
Désormais, en plus des craintes habituelles avant une sortie scolaire - perdre un élève, que l’un d’eux se blesse ou tout simplement que le programme ne les passionne pas et qu’ils traînent les pieds – certains professeurs, notamment de banlieue, s’inquiètent de se voir réserver un « traitement spécial ». Une professeure d’un collège dans l’Essonne confie s’être « sérieusement » posée la question de ne plus rien organiser après une sortie « glaçante » au cinéma il y a quelques années. « On a eu le droit à un cours de bonne tenue avant la séance. Ne pas parler, ne pas se lever et surtout ne pas cracher », se souvient-elle horrifiée. En s’entretenant avec des collègues d’autres établissements de la commune, elle s’est aperçue qu’elle était la seule à avoir eu ce type de discours. « Ce n’est pas compliqué, le collège est à côté d’une cité. » L’amalgame est facile. Après avoir signalé la situation au proviseur, le cinéma s’était excusé. « Mais c’est trop tard, le mal est fait. Ces élèves assimilent le fait qu’ils ne sont pas considérés comme les autres. »
Ulcérée par son expérience à la gare du Nord, Elise Boscherel a publié une tribune dans laquelle elle appelle tous les professeurs concernés à porter plainte auprès de l’IGPN - la police des polices - et à faire un signalement auprès du Défenseur des droits. Car ce n’est pas la première fois qu’elle est confrontée à des contrôles de police pendant une sortie scolaire. Il y a deux ans, déjà à la gare du Nord, un de ses élèves avait été longuement fouillé devant tout le reste de la classe. « Quand j’ai demandé s’il avait fait quelque chose, les policiers m’ont répondu "non" et ont continué », se remémore-t-elle. « Comment voulez-vous qu’on leur dise qu’ils font partie de la société si on les stigmatise dès qu’ils sortent de chez eux ? »