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Les médias français craignent un second tour Le Pen-Mélenchon

Lien publiée le 18 mars 2017

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Ces articles de la rubrique « Ailleurs sur le web » sont publiés à titre d'information et n'engagent pas la Tendance CLAIRE.

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En 2012, 74 % des journalistes auraient voté pour François Hollande au second tour. Beaucoup y ont vu une adhésion de la profession à la gauche, mais n’est-ce pas simplement la preuve que les commentateurs sont souvent des libéraux purs et durs ?

Deux spectres hantent la campagne présidentielle française, à moins de 40 jours du premier tour. D'un côté, Marine Le Pen, la présidente du Front national. De l'autre, Jean-Luc Mélenchon, candidat de « la France insoumise » et membre du Front de gauche. Depuis 2012, ils incarnent aux yeux du grand public les deux « extrémités » de l'échiquier politique et inquiètent, de ce fait, bon nombre de journalistes libéraux, de droite comme de gauche. Derrière leur progression électorale – réelle ou fantasmée – se dissimulerait une propagation des idées totalitaires et/ou du « populisme » – terme utilisé de manière floue et synonyme, pour les commentateurs, tantôt de « démagogie », tantôt de « xénophobie ». Le dernier exemple en date de ce confusionnisme médiatique remonte au 25 février 2017 avec la publication d'un alarmant « Guide de survie en cas de second tour Le Pen-Mélenchon » sur Slate.fr, rédigé par Jean-Marc Proust. Quelques semaines auparavant, La Tribune s'inquiétait du « spectre d'un duel Mélenchon-Le Pen », et d'un « choix impossible entre une gauche très radicale, voire extrême, et l'extrême droite ». Deux articles qui en disent long sur une bonne partie du journalisme actuel.

Après trente ans de dégringolade électorale, la gauche radicale – sous l'impulsion du Front de gauche et de Jean-Luc Mélenchon – semble avoir retrouvé un peu d'élan politique, avec un discours s'adressant plus directementaux jeunes et aux classes populaires. La gauche de la gauche redevient un danger pour certains – danger encore modéré pour le moment, au vu des récentssondages (toujours critiquables, évidemment). Dans le même temps Marine Le Pen, qui a succédé à son père à la tête du FN en 2011, poursuit sa refondation du parti. La désormais présidente du Front national – parti longtemps sous la coupe de l'autoproclamé « Reagan français » – critique à longueur d'interview l'« ultralibéralisme  » et oppose sans cesse le « peuple » aux « élites ». Dénonciation des hautes sphères et appel commun aux classes populaires : il n'en fallait pas plus aux journalistes pour amalgamer Mélenchon et Le Pen, Front de gauche et Front national.

« C'est une société fermée, uniformisée et technocratique que nous promettent les deux extrêmes. » – Delphine Granier, éditorialiste chez Challenges 

Dès le 19 janvier 2011, Plantu ouvrait les hostilités dans L'Express. Dans une caricature intitulée « L'ascension des néopopulismes », le dessinateur vedette du « quotidien de référence » Le Monde assimilait Le Pen et Mélenchon. Les deux leaders politiques étaient représentés en train de tenir le même discours, à base de « Tous pourris ». Le futur candidat du Front de gauche réagissait dans un communiqué pour dénoncer un dessin « stupide politiquement » et « blessant sur le plan humain ». Pourtant, celui-ci ne marque que le début d'une longue série d'amalgames. Peu à peu s'est imposée l'idée selon laquelle Front de gauche et Front national défendent le même projet économique, et que seules leurs positions sur l'immigration et les questions sociétales diffèrent. Malgré les dénégations d'Alexis Corbière – porte-parole du tribun de gauche – publiées sur le site Atlantico le 21 décembre 2014, rien n'y a fait : les accusations en gémellité n'ont jamais cessé.

En février 2016, Jean-Luc Mélenchon lançait le mouvement La France insoumise afin de préparer les élections présidentielle et législatives hors du cadre des partis. Dès lors, les parallèles entre Mélenchon et Le Pen n'ont fait que s'amplifier. Le leader de gauche, à cause d'une posture jugée de plus en pluspatriote et « républicaine », est régulièrement intégré au « nouveau national-populisme » – terme popularisé par l'historien Pierre-André Taguieff pour qualifier le FN – par nombre de médias mainstream. De son côté, Atlantico s'est amusé à lancer son « jeu des 7 différences », mais « surtout celui des 99 ressemblances » entre le FN et Mélenchon. Derrière tous ses rapprochements, une même logique : dénoncer le péril rouge-brun qui menace la démocratie libérale.

L'article publié récemment sur Slate est le symptôme d'une telle logique. L'auteur imagine un second tour entre Le Pen et Mélenchon et évoque tel un haruspice des temps modernes les messages indignés qui proliféreront sur les réseaux sociaux le soir de la débâcle, messages allant de « ouh la la les heures les plus sombres » à « j'ai trop peur moi, les bolcheviks ». Jean-Marc Proust se demande alors s'il faut « partir » ou « rester ». Pour lui, une chose est certaine : la France ne pourra se relever d'un tel événement que dans la douleur. En cas de victoire de l'un ou de l'autre, la guerre civile et l'appauvrissement seraient les seules issues possibles. Une telle configuration politique représenterait effectivement un vrai séisme pour les libéraux.

Depuis le début des années 1980, ces derniers pensent pouvoir imposer définitivement leur modèle de société comme seul et unique horizon possible – quitte à occulter volontairement ses conséquences réelles. Comme le remarquait Guy Debord dans ses Commentaires sur la société du spectacle (1988), la démocratie libérale préfère « être jugée sur ses ennemis plutôt que sur ses résultats ». Sa rhétorique est simple : le mal absolu sera toujours un autre – Debord évoquait le terrorisme, mais ce constat peut parfaitement s'appliquer au « totalitarisme » rouge ou brun. Jamais cette même démocratie libérale n'acceptera une quelconque remise en question du projet économique et politique qu'elle défend, malgré ses multiples effets dévastateurs.

Les révélations des crimes commis par le pouvoir soviétique permirent aux « nouveaux philosophes », dominés par Bernard-Henri Lévy et André Glucksmann, d'imposer l'idée que toute remise en question radicale du capitalisme mènerait aux goulags. Le communisme s'effondrant, c'est vers l'extrême droite en plein essor que se concentrèrent par la suite les attaques. Dès 1984, Bernard-Henri Lévy estimait que « le seul débat de notre temps doit être celui du fascisme et de l'antifascisme » – ce dernier ne se concevant dès lors plus qu'à l'intérieur d'une démocratie libérale entièrement éprise de capitalisme.

Au début des années 1990, le philosophe Francis Fukuyama théorisait « la fin de l'histoire ». Empruntant le concept à Hegel, l'intellectuel croyait voir poindre un monde pacifié par la démocratie libérale, celle-ci ayant pour vocation de s'imposer aux quatre coins du globe. Dans l'Hexagone, les intellectuels libéraux regroupés autour de la fondation Saint-Simon tentèrent de former ce que l'essayiste Alain Minc nomma le « Cercle de la raison », soit une union de toutes les forces du centre – de gauche comme de droite – contre tous les partis « totalitaires ». Pour réaliser ce rêve, le concept de « rouge-brun » fut popularisé dans les années 1990, renvoyant à une alliance fantasmée entre l'extrême droite nationaliste et l'extrême gauche communiste, afin d'associer les deux camps dans une critique unilatérale. Trois perspectives supposées de ce « rouge-brunisme » effraient encore et toujours les libéraux : repli, déclin économique et populisme.

Peu importe que Marine Le Pen ne veuille en aucun cas s'attaquer au capitalisme mais simplement à « l'ultralibéralisme » ou que le programme de Mélenchon ne soit pas plus radical que celui qui a porté au pouvoir François Mitterrand en 1981. Toute entrave au libéralisme mondialisé est intolérable.

Ainsi, Jean-Luc Mélenchon et Marine Le Pen seraient, selon les journalistes libéraux, les candidats du « repli national ». Pour Delphine Granier, les deux candidats pourraient « à peu de chose près, faire campagne côte à côte ». Éditorialiste chez Challenges, Mme Granier persiste et signe : « C'est une société fermée, uniformisée et technocratique que nous promettent les deux extrêmes. » Cette crainte fait écho au nouveau clivage entrevu par le magazine libéral anglais The Economist – clivage qui opposerait, comme le résume bien Jean-Laurent Cassely sur Slate.fr, « les partisans de l'ouverture en matière de commerce international, d'immigration, de culture et d'identité, et "les bâtisseurs de murs" ». Dans cette vision des choses, Mélenchon rejoindrait le camp d'autres avocats de la fermeture : Marine Le Pen, Donald Trump, l'Ukip, mais également Podemos et Syriza. On reproche à tout ce petit monde – pourtant extrêmement hétérogène – sa critique de la mondialisation, péché impardonnable à une époque où le libéralisme se propose d'unifier et de pacifier toute la planète, avec la réussite que l'on connaît.

La deuxième crainte est intimement liée à la première. Ainsi, pour Jean-Marc Proust, en cas de second tour entre le tribun « gauchiste » et la présidente du FN, quitter la France est « l'option la plus rationnelle pour qui a regardé le programme économique des deux finalistes ». Pour Proust – et pour la plupart des libéraux, journalistes ou non – ces deux candidats font figure d'épouvantail, sans doute parce qu'ils souhaitent vraiment réguler l'économie ainsi que les échanges internationaux – crime de lèse-majesté pour ceux qui croient encore dans le « laisser faire, laisser passer ». Et peu importe que Marine Le Pen ne veuille en aucun cas s'attaquer au capitalisme mais simplement à « l'ultralibéralisme » ou que le programme de Mélenchon ne soit pas plus radical que celui qui a porté au pouvoir François Mitterrand en 1981. Toute entrave au libéralisme mondialisé est intolérable.

Enfin, l'appel au peuple effraie. L'un des slogans de campagne du Front de gauche en 2012 était « Place au peuple ». Depuis, Mélenchon a publié un livre intitulé L'Ère du peuple (Fayard, 2014). Le slogan de Marine Le Pen pour l'élection présidentielle de 2017 est « Au nom du peuple ». Une telle cohérence suffit à réveiller tous les antipopulistes professionnels, qui n'ont pas tardé à verser dans les amalgames les plus grotesques, quitte à oublier que par « peuple » le candidat de gauche entend « les classes populaires » – en se réfèrant aux théoriciens postmarxistes Ernesto Laclau et Chantal Mouffe – alors que la présidente du FN défend une vision identitaire de ce même peuple. Derrière cette dénonciation du populisme se cache avant tout une vision élitiste de la société et un mépris du bas de l'échelle sociale, vu comme xénophobe et guidé par des instincts et des peurs irrationnels – voire incapable de prendre les« décisions qui s'imposent ».

La crainte d'un second tour Mélenchon-Le Pen – que Jean-Marc Proust a au moins le mérite d'exprimer tout haut – est symptomatique d'une adhésion au libéralisme qui influe régulièrement sur la ligne éditoriale des médias mainstream. Les journalistes, issus principalement des classes « moyennes » et « supérieures », épousent bien trop souvent la vision de la société défendue par les élites, jusqu'à s'identifier aux intérêts de ces dernières. Par conséquent, en remettant en question la mondialisation libérale et en critiquant violemment les classes supérieures – coupables d'exploiter le peuple, et/ou d'avoir trahi la nation – les populistes attaquent frontalement les convictions de nombre de journalistes et d'éditorialistes. À critique violente, réaction démesurée : Mélenchon ou Le Pen ne doivent pas arriver au pouvoir, coûte que coûte.

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