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Mélenchon s’est imposé comme le vote "utile" de gauche
Ces articles de la rubrique « Ailleurs sur le web » sont publiés à titre d'information et n'engagent pas la Tendance CLAIRE.
(Mediapart) Le candidat de La France insoumise est parvenu à se hisser parmi les prétendants au second tour. Il a construit un mouvement à même de porter son ambition indépendante du PS et hors parti.
Il y a deux façons de regarder le centre d’un cercle : un point d’où tout part, un point où tout converge. Les détracteurs de Jean-Luc Mélenchon optent pour le premier point de vue, quand le candidat de La France insoumise insiste sur le second, sans non plus renier le premier. Il l’a redit dimanche 16 avril à Toulouse, devant 70 000 personnes, se définissant comme le « porte-parole et artisan d’un rassemblement qu’on disait impossible ». Parti de zéro ou presque en février 2016, La France insoumise et son héraut jouent à présent dans la catégorie des « prétendants au second tour », profitant d’une dynamique croissante, en particulier ces dernières semaines. « On a fait une campagne de longue haleine et c’est ça qui porte ses fruits aujourd’hui », se félicite Manuel Bompard, directeur de campagne, à Toulouse.
Si bien qu'aujourd'hui, à trois jours du premier tour, La France insoumise est parvenue à se hisser dans le carré de tête des finalistes potentiels. Dans cette campagne trouble et insaisissable, où les frontières sont brouillées et les électeurs déboussolés, la carte d'un vote de gauche « utile » se trouve du côté de Jean-Luc Mélenchon, et non plus du côté de Benoît Hamon. Ce dernier, qui a pourtant pu se prévaloir d'un accord avec EELV, n'a pas imposé ses thèmes lors de sa courte campagne, voyant sa dynamique entravée par son propre parti. Quand le candidat de La France insoumise, débarrassé des contingences de cartel, traçait patiemment son sillon : écologie, VIe République et transformation profonde de l'Europe.
Cette évolution s’explique par son porte-parole donc, Jean-Luc Mélenchon, mais elle s’explique aussi par ce que Mélenchon a construit ces quatorze derniers mois : une série de cercles destinés à porter, relayer, assoir sa candidature, permettant de faire remonter les informations du terrain, tout comme de faire descendre les décisions. Le mouvement de La France insoumise se refuse à être un parti – il autorise d’ailleurs la double appartenance –, en particulier par volonté de ne pas reproduire les erreurs du Front de gauche en 2012. À l’époque, le cartel composé notamment par le Parti communiste français, le Parti de gauche et Ensemble avait contraint le candidat Mélenchon, faisant de lui le porte-parole d’un programme commun (L’humain d’abord) aux virgules âprement négociées, et divergeant souvent dans la conduite stratégique et financière de la campagne (financée alors en partie par le PCF), au point de provoquer des tensions qui ont nui à sa dynamique et à sa sérénité d'alors.
Depuis ce premier tour de chauffe conclu à 11,1%, Mélenchon a entrepris de construire une cohérence stratégique rendant incontournable une nouvelle candidature, mais à ses conditions. S'estimant « maltraité » par des alliés politiques ne lui reconnaissant pas une autorité qui lui paraissait légitime, il va « creuser le sillon tribunitien », ainsi qu’il le déclarait à Mediapart en février 2014. Dès septembre 2012, il a théorisé la nécessité d’une « opposition de gauche », puis d’une « ère du peuple » qui passerait hors les partis et au-dessus du clivage gauche/droite. Il y a trois ans, Mélenchon expliquait ainsi comment il voyait son chemin vers 2017 : « En ce moment, à gauche de Hollande, il y a ceux qui ont une stratégie et ceux qui n'en ont pas. » Lui a déroulé la sienne comme un tapis au départ solitaire, mais bien moins encombré que celui menant à une primaire des gauches, à la gauche de Valls et Hollande. Encore en 2014, Mélenchon expliquait déjà : « La démonstration est faite que ce rapprochement ne marche pas. On peut continuer à bavarder, à faire des goûters ou des colloques, il n'y a aucun débouché qui émerge. Tout le monde a un couteau sans lame et agite les bras en disant à Hollande : “Attention, on a un manche de couteau !” »
Lui a patiemment forgé son épée, mettant en scène son désaccord avec les communistes sur la nécessité d’une indépendance électorale totale du PS très tôt dans le quinquennat Hollande. Certes en donnant le sentiment de parier sur la défaite, Mélenchon réussit aujourd’hui car il a su anticiper la décomposition avancée de la gauche française, et du PS en particulier. Et pour lever son armée, le stratège Mélenchon estime qu’il lui faut constituer un mouvement qui mêlerait une direction resserrée composée de proches fidèles et une « auto-organisation » maximale à la base, le tout profitant d’une structuration s’appuyant le plus possible sur les ressources numériques d’internet. Pour se « faire la main », Mélenchon avait d’ailleurs lancé un éphémère mouvement de la VIe République (M6R), coup d’essai préfigurant La France insoumise.
Jean-Luc Mélenchon à Rome samedi 11 mars © CG
À la tête d’un édifice mêlant avant-gardisme et savoir-faire organisationnel, façon OCI des années 1970, et implication citoyenne façon Podemos qui réussirait (malgré certains désaccords passés, Pablo Iglesias vient d'ailleurs à Paris en soutien des Insoumis ce vendredi), Mélenchon peut compter autour de lui sur un noyau de très proches, souvent déjà là en 2012, mais cette fois-ci avec les mains libres pour décider de sa campagne.
Ce premier cercle se retrouve, tous les lundis matin, pour une réunion de cadrage. Autour de Jean-Luc Mélenchon, il y a Manuel Bompard, directeur de campagne, Bastien Lachaud, responsable des actions, Sophia Chikirou, directrice de la communication, Christian Marre, secrétaire général de la campagne, Juliette Prados, responsable presse, Marie-Pierre Oprandi, mandataire financière. Sophia Chikirou, qui était déjà directrice de la com’ en 2012, a fait son retour pendant la campagne, après quelques mois passés aux États-Unis, et en Espagne au contact des équipes de Bernie Sanders et de Pablo Iglesias. Manuel Bompard a pris, lui, du galon par rapport à 2012, remplaçant François Delapierre, le plus proche des mélenchonistes, décédé tragiquement en juin 2015. Celui qui avait déjà été directeur de campagne de Jean-Luc Mélenchon lors des européennes dans le Sud-Ouest anime également une seconde réunion le lundi après-midi, alternant une semaine avec les bénévoles de la campagne, une semaine avec les responsables de chaque secteur (groupes d’appui, communication numérique).
Jusqu’en janvier, un comité plus large, dit « comité opérationnel », se réunissait tous les 15 jours environ. Charlotte Girard, chargée du programme de La France insoumise : « On réunissait toutes les personnes qui jouent un rôle par rapport à la menée de la campagne, les porte-parole, le directeur de campagne, la directrice de com’, les community manager, au moins un responsable du développement informatique, ceux qui s’occupent des groupes d’appui, les responsables des législatives, notamment. »
« En France, l’espace qui pouvait émerger, comme Podemos en Espagne, il était de notre côté »
Pour transmettre le message du candidat, outre son porte-parole Alexis Corbière, proche de longue date de Jean-Luc Mélenchon, l’équipe a désigné des orateurs nationaux. Chargés d’animer des réunions publiques, ils peuvent également remplacer le candidat dans les médias. Et tous sont des personnes de confiance, s'entendant politiquement sur toute la ligne. Parmi eux, l'on trouve des figures du PG (comme Philippe Juraver, militant syndical et animateur de l’espace des luttes de La France insoumise, Martine Billard, membre du PG spécialisée dans les questions écologiques, ou Éric Coquerel, coordinateur national du PG) ou des proches de l'époque du PS (Gabriel Amard, ancien maire de Viry-Châtillon – et son gendre –, qui s’est chargé jusqu’en mars de collecter les parrainages d’élus, la conseillère de Paris Danielle Simonnet, ou Raquel Garrido).
On y trouve aussi des figures politiques ayant rompu ou pris des distances avec leurs organisations pour rejoindre Mélenchon dès son annonce de candidature (comme le socialiste Liêm Hoang-Ngoc, ou les communistes Christian Audoin ou Francis Parny, co-fondateurs du réseau Communistes insoumis, ou encore des membres d'Ensemble, comme Danielle Obono).
Ces orateurs ont permis d’occuper le terrain politique, au sens propre, en dehors de l’agenda des meetings de Jean-Luc Mélenchon. Une trentaine de ces réunions ont ainsi lieu chaque semaine. « L’objectif, explique Leila Chaibi, c’est de donner des armes, donner des arguments et donner du fond. » Chargée du volet logement du programme, Leila Chaibi a également animé vendredi dernier un « atelier des lois » sur le sujet. Un peu plus de 30 ateliers ont été programmés, mais tous n’ont pas encore eu lieu. Animés par six jeunes fraîchement diplômés de 24 à 29 ans, il s’agit d’« ateliers coopératifs de rédaction en textes de loi du programme ». « Il faut de l’application citoyenne à chaque niveau, on propose donc aux gens de s’impliquer », explique Leila Chaibi. Vendredi dernier, une trentaine de personnes ont donc planché sur le logement, réfléchissant par exemple au meilleur moyen de mettre en place l’encadrement des loyers.
Mathilde Panot, responsable des groupes d’appui, profite, elle, de ses réunions publiques pour faire de l’explication de texte sur le programme. Là encore, des ateliers thématiques sont proposés. L’objectif est l’appropriation par les Insoumis de tous les aspects des propositions du candidat. Mais pas seulement. Fin février, nous avons assisté à l’une de ces réunions dans le XVe arrondissement de Paris. Devant un public de gens déjà conquis, Mathilde Panot a répondu à des interrogations aussi diverses que la stratégie mise en place pour siphonner les votes Benoît Hamon, le manque de visibilité de La France insoumise par rapport à son candidat, ou encore l’influence des sondages.
L’atmosphère de ces réunions a évolué au cours de la campagne. L’inquiétude face à la rivalité incarnée par Benoît Hamon a perdu du terrain depuis la mi-mars et la réussite du rassemblement à la place de la République pour la VIe République et le premier débat sur TF1. « C’est marrant, dans les réunions maintenant, on dit “on va faire”, “on fera” alors qu’avant on parlait naturellement comme les organisations minoritaires : “il faudrait”, “ils doivent faire” », note Leila Chaibi. Pour Éric Coquerel, ces réunions intermédiaires sont un des plus de la campagne : « On n'avait pas ces cadres, en 2012, pour accueillir les militants, explique-t-il. Ils prennent des tracts et tout. » « Dans les réunions, on voit des gens qui n’avaient jamais fait de politique. En France, l’espace qui pouvait émerger, comme Podemos en Espagne, il était de notre côté. C’était notre pari en août à Toulouse. Ce pari se vérifie aujourd’hui », abonde Liêm Hoang-Ngoc.
La caravane de La France insoumise avenue Pablo-Picasso à Nanterre en juillet 2016 © CG
Déjà en juillet dernier, Mathilde Panot avait mis en place une caravane à vocation d’éducation populaire (lire notre reportage ici). De nouvelles caravanes ont été lancées récemment et sillonnent la France des quartiers populaires. Avec un double objectif : convaincre les gens de voter, et bien entendu voter France insoumise, mais aussi les informer de leurs droits. Il est également question d’éducation avec les universités populaires. Sept séances ont eu lieu autour des sept grands chapitres du programme L’Avenir en commun : la VIe République, l’urgence sociale, la planification écologique, l’Europe, la stratégie internationale, le progrès humain, et les frontières de l’humanité. Retransmises sur Youtube, les séances ont été accompagnées de jeux de questions-réponses durant leur diffusion.
Le programme lui-même a donné lieu à des auditions retransmises sur internet, en mai et juin dernier. Des experts dans leur domaine, des fonctionnaires, des syndicalistes ont été entendus. « On est allé les chercher, pour certains, d’autres sont venus d’eux-mêmes », explique Charlotte Girard, chargée, avec l’économiste Jacques Généreux, du programme. « Les rapporteurs sont souvent des gens très jeunes, parfois encore en formation. Certains d’entre eux gravitaient déjà autour du PG, d’autres, intéressés par la campagne, sont venus spontanément proposer leurs services. »
Il s’agissait de la seconde phase après la réception de plus de 3 000 contributions de citoyens via la plateforme de La France insoumise. L’avenir en commun a finalement été adopté lors de la convention nationale de La France insoumise à Lille, en octobre. Mais le processus s’est poursuivi avec la rédaction des livrets thématiques, développement et approfondissement de certains points clés.
Jean-Luc Mélenchon à Lille lors de la convention nationale de la France insoumise en octobre 2016 © CG
Conséquence de cette façon de travailler avec les experts et les associations : celles-ci jugent positivement le programme. C’est par exemple le cas de la Fondation Abbé-Pierre ou de la Confédération nationale du logement. C’est aussi le cas pour ActionAid, CCFD-Terre solitaire, Oxfam et le Secours catholique, qui ont comparé les programmes avec leurs 15 propositions pour une France solidaire. Celui de La France insoumise arrive largement en tête.
« La communauté grossit, grossit »
En élargissant encore le cercle insoumis, on trouve enfin les groupes d’appui, sorte de base spontanée et auto-organisée, revêtant un caractère activiste sans doute plus efficace que les discussions militantes interpartisanes des « assemblées citoyennes » du Front de gauche en 2012. Le mouvement revendique 3 500 de ces groupes d'appui, même si tous ne sont pas actifs. Il n’en reste pas moins qu’ils forment la base du mouvement. Les doutes, entendus encore en août lors de l’université d’été du Parti de gauche, sur la capacité de La France insoumise à fonctionner pour la campagne sans les traditionnelles structures intermédiaires des partis (à l’échelle départementale par exemple) se sont vite estompés. Le réseau de bénévoles ainsi constitué a été précieux tout au long de la campagne, notamment pour tracter, faire les marchés, organiser des points d’information, etc.
La France insoumise compte plus de 425 000 soutiens enregistrés sur le site, en grande majorité, ou par courrier. Jean-Luc Mélenchon aime a répéter qu’il s’agit du « plus grand mouvement politique de France ». C’est vrai si l’on compare au nombre d’adhérents du PS ou de LR par exemple, même si ceux-ci ne paient pas de cotisation et que rien ne dit que tous ces insoumis participent à la campagne au quotidien (ce qui n'est pas forcément le cas de ce qu'il reste de militants au PS ou à LR).
Parallèlement à cette mobilisation sur le terrain, La France insoumise a également beaucoup investi sur internet. La chaîne Youtube du candidat est ainsi la première chaîne politique en France, avec plus de 300 000 abonnés. Tous les meetings sont diffusés en direct, l’équipe du candidat poste aussi chaque semaine une émission, « Revue de la semaine ». Twitter mais aussi Facebook sont des passages obligés. L’équipe du candidat a également mis en place un « observatoire insoumis » chargé de répondre, sur les réseaux sociaux, pendant certains directs – par exemple lors du débat du 4 avril, mais aussi lors des débats de la primaire de la droite.
« La communauté grossit, grossit », se félicite Sophia Chikirou, directrice de la communication. Et ce d’autant qu’une « équipe de campagne bis », selon son expression, est née sur les réseaux sociaux. Le groupe Discord Insoumis s’est constitué à partir du forum français « blabla 18-25 » du site JeuxVideo.com. Ce sont eux qui ont fait le site laec.fr (pour L’Avenir en commun), sur lequel ils ont purement et simplement piraté le programme du candidat, vendu sous forme de livre, pour le rendre disponible sur internet. Ce sont eux aussi qui sont à l’origine du jeu vidéo Fiscal Kombat, dans lequel Jean-Luc Mélenchon secoue Christine Lagarde ou Jérôme Cahuzac pour récupérer de l’argent. L’Avenir en commun a également été décliné en bande dessinée, toujours de façon autonome. Le site de la campagne a fini par le rendre disponible, « face à l’engouement ».
Un autre cercle est constitué par les partis politiques, proches ou moins proches. En charge de « l’espace politique » – c’est-à-dire le PG, Ensemble insoumis, la Nouvelle gauche socialiste (NGS) et Communistes insoumis –, Leila Chaibi explique : « L’idée c’est que, dans la France insoumise, les partis trouvent leur place, pour que chacun puisse apporter de la valeur ajoutée. » « On ne voulait pas, en même temps, retomber dans le cartel de partis qu’était le Front de gauche », ajoute-t-elle. Ensemble a fait le choix d’un soutien et d’une participation active à la campagne de La France insoumise, tandis que le PCF, s’il soutient bien Jean-Luc Mélenchon, fait une campagne autonome.
Ensemble a trouvé un accord sur les frais de campagne, selon sa porte-parole Clémentine Autain. Il n’y a en revanche aucun accord avec le parti communiste. « Le PCF a fait un choix, dès le début, celui d’une campagne autonome », explique Manuel Bompard. Qui poursuit : « Ce n’est pas forcément ce que, nous, nous aurions souhaité. » « Évidemment les militants et les responsables communistes sont les bienvenus », ajoute le directeur de campagne, mais « l’implication des militants communistes a eu lieu à des intensités variables ». Plus abrupt mais sous couvert d’anonymat, un autre membre de l’équipe de Jean-Luc Mélenchon tranche : « Le PCF a son propre agenda, parfois difficilement compatible avec la présidentielle. »
Pierre Laurent et Olivier Dartigolles, lors de la Fête de l'Humanité en septembre 2016 © CG
Le nœud du problème se trouve dans la campagne des législatives. Le PCF et La France insoumise n’ont pas trouvé, à ce stade, d’accord. La manière de désigner les candidats « insoumis », par le biais de réunions de circonscriptions chargées de faire remonter des propositions de candidats au niveau national, n’a pas facilité les choses. L’hésitation au sommet du PCF, qui semble avoir espéré possible jusqu’au dernier moment de soutenir un candidat socialiste – en novembre et décembre, Montebourg n’était par exemple pas encore certain de passer par la case primaire –, a contrarié localement. Des tensions ont eu lieu et ont encore lieu un peu partout sur le terrain. Les affiches de campagne pour les législatives sont ainsi recouvertes régulièrement par les uns et les autres.
Les scores de Benoît Hamon et Emmanuel Macron au soir du premier tour, comparés à celui de La France insoumise et à la réalité de sa dynamique, devraient sans doute débloquer bien des situations pour les législatives, sur fond d'une recomposition à gauche dont Mélenchon sera sans doute l'un des premiers rôles.