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La police se divise sur l’appel du syndicat Alliance contre le FN

Lien publiée le 1 mai 2017

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Ces articles de la rubrique « Ailleurs sur le web » sont publiés à titre d'information et n'engagent pas la Tendance CLAIRE.

(Mediapart) Comme en 2002, le syndicat policier Alliance, majoritaire chez les gardiens de la paix et gradés, a appelé à voter contre le Front national au second tour de l’élection présidentielle. Selon une enquête inédite du Cevipof, 65 % des 308 policiers et militaires interrogés fin mars avaient l’intention de voter Marine Le Pen au second tour, en cas de duel avec Emmanuel Macron.

Premier syndicat des gardiens de la paix et des gradés, Alliance police a appelé lundi à voter contre Marine Le Pen au second tour de l’élection présidentielle, le 7 mai 2017. « Aujourd’hui, si chaque policier est libre de son choix, Alliance Police nationale, syndicat majoritaire, invite à voter contre la candidate du Front national », indique le communiqué, sans citer le nom de son adversaire, Emmanuel Macron, le candidat d’En Marche!. L’organisation avait déjà appelé à faire barrage contre Jean-Marie Le Pen en 2002.

Mais quinze ans plus tard, l’appel du syndicat policier, généralement très marqué à droite, passe mal auprès de ses troupes. L’organisation a dû dépublier le communiqué sur sa page Facebook, à la suite de plus d’un millier de commentaires furieux d’internautes, manifestement policiers. Plusieurs, au nom du « devoir de neutralité syndical », menacent de rendre leur carte ou appellent à la démission de son secrétaire général, Jean-Claude Delage.

Certains commentaires sur la page Facebook d’Alliance sont ouvertement frontistes et souvent injurieux : « Mon vote m’appartient, je vais voter Marine Le Pen » ; « Bande de traîtres » ; « Est-ce que Macron est pour la présomption de légitime défense ? » « Il oublie de parler de Hollande au chevet de Théo [le jeune homme de 22 ans qui avait été grièvement blessé à l’anus par un policier à Aulnay-sous-Bois, en février 2017 – ndlr] » « Vous devriez avoir honte d’appeler à voter pour l’héritier du président qui a bafoué la présomption d’innocence de nos collègues en allant se rendre au chevet d’une crapule. »

Plus rares sont ceux qui saluent « ce rappel à l’identité républicaine de la police » ou soulignent que « le FN est pour la suppression des syndicats de la police et de la magistrature ». Plusieurs délégués régionaux et départementaux (notamment de l’Ouest, du Centre, des Hauts-de-Seine et de l’Essonne) se sont désolidarisés de cet appel, au nom de la neutralité syndicale, et regrettent de ne pas avoir été consultés. La séquence a été largement reprise par des sites relais de l’extrême droite comme Breizh Info.

Pour éteindre le feu, mardi 25 avril au matin, Jean-Claude Delage a évoqué sur BFMTV une « démocratie sociale » mise en danger par le FN, mais surtout l’intérêt bien compris des policiers eux-mêmes. Il a argué du fait qu’il aurait également appelé à voter contre Jean-Luc Mélenchon, qui « a dit clairement qu’il faut faire payer la police dans l’affaire Théo », si le candidat de la France insoumise avait été présent au second tour.

« Madame Le Pen a clairement critiqué les policiers d’un office chargé des enquêtes financières comme étant des policiers partiaux. Ça, c’est inacceptable, a déclaré le syndicaliste, major de police. On ne peut pas faire croire à la police qu’on la soutient, et dès qu’on est concerné par une enquête dire que les policiers qui mènent l’enquête sont partiaux, qu’ils ne sont pas loyaux. Il y a des valeurs avec lesquelles on ne peut pas transiger, ces valeurs républicaines qui font le syndicalisme. »

Au niveau de la confédération CFE-CGC, à laquelle appartient le syndicat policier et qui a refusé de donner une consigne de vote, un cadre voit surtout derrière cet « appel qui ne manque pas de panache » un « pari risqué sur l’avenir ». « Jean-Claude Delage fait le pari que Macron sera élu et qu’en ayant fait cet appel, il aura l’oreille du futur ministre de l’intérieur et pourra revenir vers ses troupes en disant : “Vous voyez, j’avais raison.” »

Si la plupart des confédérations ont appelé – dans le désordre – à faire barrage au FN, Alliance est le seul syndicat de police à s’élever contre le Front national. « Ça a provoqué un tsunami en interne chez Alliance, assure un ancien du syndicat, sous couvert d’anonymat. Historiquement, chez les gardiens de la paix, ça a toujours voté plutôt à gauche, mais le discours frontiste plaît de plus en plus. Marine Le Pen est la seule à parler de nos conditions de travail, la seule à dire qu’elle va régler les problèmes de laxisme de la justice, quand on retrouve des délinquants à peine arrêtés dans la rue. »

Les seules données concernant le vote policier proviennent de la vaste enquête électorale menée depuis 2015 auprès d'environ 23 000 personnes par le Cevipof, le laboratoire de Sciences Po. Des résultats publiés en janvier 2017 montrent que 52 % des policiers interrogés avaient alors l’intention de voter pour Marine Le Pen au premier tour de la présidentielle, et 44 % des militaires et gendarmes. Mais ces résultats sont à prendre avec précaution car ils portent sur 127 policiers et 234 militaires et gendarmes.

Sur la dernière vague de l’enquête réalisée du 16 au 20 mars 2017 et pas encore publiée (lire le détail sous l’onglet Prolonger), 53 % des policiers interrogés avaient l’intention de voter pour Marine Le Pen au premier tour et 40,8 % des militaires et gendarmes. Au second tour, face à Emmanuel Macron, ces intentions de vote pour le FN s’élèvent à 66 % chez les policiers interrogés et 64 % chez les militaires et gendarmes. Cette fois, l’échantillon comporte 102 policiers et 206 militaires. « Les résultats pour ces deux sous-groupes sont indicatifs et pas nécessairement représentatifs, met en garde Luc Rouban, directeur de recherche au Cevipof. Cela étant, l’ensemble des autres variables (indice de libéralisme culturel ou identitaire, etc.) confirme ces résultats, qui, par ailleurs, s’inscrivent dans la longue durée. »

Une enquête, également réalisée par le Cevipof avant les régionales de 2015, documentait la progression de ce vote frontiste. 30 % des policiers et militaires alors interrogés déclaraient avoir voté FN en 2012, alors que pour les régionales de 2015, leurs intentions de vote bondissaient à 51,5 %.

Sur le vote militaire, contrairement au vote policier, il existe un cas qui « peut-être observé in vivo, celui des deux bureaux de vote de Versailles Satory où les électeurs inscrits sont quasiment tous des militaires, gendarmes mobiles pour l’essentiel, ou des civils de la défense »écrit Jean-Dominique Merchet, journaliste spécialisé dans la défense. Le plateau de Satory appartient au ministère de la défense et accueille notamment les gendarmes mobiles du groupement blindé de la gendarmerie nationale (GBGN), ainsi que le GIGN. Ses deux bureaux de vote, l'école Clément-Ader et l'école des Alizés, placent régulièrement le FN en tête. Dimanche 23 avril 2017, lors du premier tour de la présidentielle, Marine Le Pen y est une fois de plus arrivée en tête, recueillant dans les deux bureaux 48,27 % et 35,67 % des voix.

Côté police, les représentants régionaux d’Alliance interrogés assurent cependant que la consigne de vote fait grincer des dents chez leurs adhérents, plus par attachement à la neutralité syndicale que par adhésion au FN. « Honnêtement, les collègues qui ont protesté ne m’ont pas dit : “Vous attaquez ma candidate”, mais : “Un syndicat doit rester apolitiqueComment allez-vous faire en tant que syndicalistes si Le Pen passe ?” », affirme un secrétaire départemental du syndicat en région parisienne, sous couvert d’anonymat. « Il n’y a pas une vague majoritaire de gens pro FN chez nous », avance un autre dans le Sud-Est.

En meeting à Nantes en février 2017, la candidate du Front national, qui a refusé à deux reprises de se rendre à une convocation de la justice dans le cadre de l’enquête sur les assistants parlementaires du FN au Parlement européen, avait à mots couverts mis en garde les policiers et magistrats.« Je veux dire aux fonctionnaires, à qui un personnel politique aux abois demande d’utiliser les pouvoirs d’État pour surveiller les opposants, organiser à leur encontre des persécutions, des coups tordus ou des cabales d’État, de se garder de participer à de telles dérives. Dans quelques semaines, ce pouvoir politique aura été balayé par l’élection. Mais ces fonctionnaires, eux, devront assumer le poids de ces méthodes illégales, car elles sont totalement illégales. Ils mettent en jeu leur propre responsabilité. L’État que nous voulons sera patriote. »

À l’époque, la plupart des syndicats de police avaient dénoncé ces « propos menaçants » visant les enquêteurs de l’Office central contre la corruption. « Mais ce qui préoccupe nos collègues au quotidien, c’est plus les actes violents contre nous, le manque de matériel », explique le représentant d’Alliance en région parisienne déjà cité. « Le contexte avec 2002 a changé, estime un autre délégué départemental d’Alliance sur la Côte d’Azur. Ça fait deux ans que les policiers subissent des attentats. Un collègue est encore mort sur les Champs-Élysées la semaine dernière. »

Jamais policiers et gendarmes n’ont obtenu autant de moyens et d’effectifs que sous le gouvernement socialiste. Entre 2013 et fin 2017, 8 200 emplois temps plein (ETP) auront effectivement été créés dans la police et la gendarmerie. Mais ces moyens ont surtout servi à renforcer les services spécialisés antiterroristes et anti-immigration, plutôt que la police en tenue sur la voie publique, au sein de laquelle le mouvement de colère de l’automne 2016 gronde encore.

Prolonger

Voici ce que nous indique Luc Rouban, directeur de recherche au Cevipof :

Sur la dernière vague, vague 13 terrain réalisée du 16 au 20 mars, on a un effectif total de policiers et militaires de 308, avec des intentions de vote en suffrages exprimés pour le premier tour de :

– Mélenchon : 4,5 %

– Hamon : 2 %

– Macron : 14,3 %

– Fillon : 23 %

– Dupont-Aignan : 9,4 %

– Le Pen : 44,8 %

On peut distinguer à nouveau les militaires d’un côté et les policiers de l’autre, mais les effectifs sont réduits (206 militaires, 102 policiers) et donc les résultats à prendre avec précaution, même s’ils confirment toutes les analyses antérieures. Cela donne 40,8 % en faveur de Marine Le Pen chez les militaires et 53 % chez les policiers.

Pour les intentions de vote au second tour, on a globalement, chez tous les militaires et policiers, Emmanuel Macron à 35 % et Marine Le Pen à 65 %. Si l’on distingue les deux groupes, avec les mêmes précautions, on a, chez les militaires, Emmanuel Macron à 36 % et Marine Le Pen à 64 %, alors que, chez les policiers, Emmanuel Macron obtiendrait 34 % et Marine Le Pen 66 %.

Tous ces résultats confirment les analyses précédentes.