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Les médias et la fabrique de l’illusion: quelques mensonges rassurants

Lien publiée le 3 mai 2017

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Ces articles de la rubrique « Ailleurs sur le web » sont publiés à titre d'information et n'engagent pas la Tendance CLAIRE.

http://partage-le.com/2017/05/les-medias-et-la-fabrique-de-lillusion-a-propos-de-quelques-mensonges-rassurants/

Parce que les clichés ont la peau dure…

Certains d’entre vous ont sûrement remarqué comment quelques exemples de soi-disant réussites, de soi-disant « révolutions »« succès » et autre « progrès » — ayant été repris et republiés à tort et à travers sur internet en raison de la soif grandissante de bonnes nouvelles qui caractérise logiquement une période d’effondrement — sont régulièrement brandis comme des preuves d’une amélioration de la situation, des preuves de ce que la civilisation industrielle, moyennant X ou Y ajustement, pourrait être corrigée, socialement et/ou écologiquement. Dans cet article, nous nous proposons d’exposer pour ce qu’ils sont cinq d’entre eux : 1. Le déploiement des énergies soi-disant renouvelables au Costa Rica, érigé en modèle de soutenabilité écologique, 2. La soi-disant révolution en Islande, 3. Les gouvernements d’Amérique Latine soi-disant « socialistes » et respectueux de la « Pachamama », 4. Le soi-disant « modèle nordique », ou scandinave, et 5. Les soi-disant progrès de la ville de San Francisco en termes de recyclage (son image verte).

***

1. Le Costa Rica (et le Bhoutan) ou l’art de faire passer la destruction du monde naturel pour son sauvetage

« Au Costa Rica, 98,7 % de l’électricité produite est ‘verte’ » (Le Monde) ; « Le Costa Rica tourne à 100 % avec des énergies renouvelables » (Konbini) ; « En 2016, le Costa Rica a fonctionné à 98 % grâce aux énergies renouvelables » (Konbini) ; « Le Costa Rica champion de l’énergie verte » (Sciences et Avenir) ; on pourrait continuer ainsi indéfiniment, cette « information » est sans cesse publiée et republiée sur le web, machinalement, automatiquement, à la manière d’une résonance dans une chambre d’écho. Et pourtant, derrière ces titres enflammés, on retrouve un tissu de non-sens et de mensonges.

Tout d’abord, la confusion classique entre électricité et énergie. Les combustibles fossilesreprésentent près de 70 % de toute l’énergie consommée au Costa Rica. L’électricité ne représente que 30%, environ, de toute l’énergie que le pays consomme. De ces 30% d’électricité, près de 95/99 % sont produits par des sources d’énergies soi-disant « renouvelables » (80% d’hydroélectrique, 10% de géothermique, 5 % d’éolien, et le reste entre des centrales à biomasse et des centrales solaires).

Sachant que la consommation de combustibles fossiles au Costa Rica, qui a récemment explosé du fait de l’essor de la voiture individuelle, ne fait qu’augmenter. Avec 287 voitures pour 1000 habitants (dont moins de 2% de véhicules hybrides/électriques), sa moyenne dépasse celle du monde, et de l’Amérique Latine. La consommation d’essence y a augmenté de 11% en 2016, ainsi que l’explique un article récemment publié dans le Guardian.

Mais ce n’est pas le principal problème que pose le fait d’ériger le Costa Rica en modèle de vertu écologique.

En effet, la principale absurdité de cette fantaisie découle directement de l’arnaque sémantique que représentent les énergies dites « renouvelables ». Au Costa Rica, la grande majorité de la production d’énergie « renouvelable » provient des barrages hydroélectriques — ces infrastructures qui« transforment des puits de carbone en bombes de méthane ». Ce pays serait donc un idéal d’écologie parce qu’il a endigué beaucoup de ses principaux fleuves et de ses principales rivières. Plus c’est absurde, plus ça passe, n’est-ce pas. Il suffit que le tout soit enrobé dans une bonne dose de médiatisation et de spectaculaire.

Un des nombreux barrages du Costa Rica (on en dénombre environ 40), où plusieurs autres sont en cours de construction.

Les barrages, qui tuent les fleuves et les rivières où ils sont installés, en empêchant la libre circulation des espèces aquatiques et des sédiments charriés par les cours d’eau (en hyperliens ici, trois études qui le démontrent clairement, et trois études qui insistent aussi sur le fait que ces conséquences sont bien trop peu étudiées et prises en compte, allez savoir pourquoi) ; les barrages qui dépendent, pour leur construction, de pratiques extractivistes (de l’industrie minière), et des infrastructures industrielles pour le transport ; les barrages dont les réservoirs produisent énormément de méthane, un puissant gaz à effet de serre qui participe lourdement au changement climatique ; les barrages qui détruisent également l’habitat des espèces terrestres (comme le jaguar au Costa Rica) et des oiseaux qui dépendent, eux, des cours d’eau pour se nourrir, en fragmentant des corridors riches en biodiversité, sont tout sauf respectueux du monde naturel.

Au Costa Rica, en Inde, au Bhoutan, et partout dans le monde, des populations luttent contre leur construction, qui ravage les communautés naturelles comme les communautés humaines qui en dépendent.

Dans un article intitulé « Le côté obscur de l’hydroélectricité au Bhoutan », publié sur le site de Globalvoices, un Bhoutanais explique que :

« La plupart de nos rivières, foisonnantes de vie, sont emprisonnées dans des barrages qui déplacent humains et animaux ainsi que des formes de vie aquatiques rares et même inconnues.

Certains barrages planifiés et en construction sont destinés à créer d’énormes retenues d’eau qui modifieront les conditions météorologiques et causeront des tremblements de terre, parce qu’ils sont situés dans des zones sismiquement actives.

Il y a un danger clair et présent qu’un désastre environnemental se produise à un moment ».

L’ONG « International Rivers » rappelle, dans un article en anglais intitulé « Les impacts environnementaux des barrages », les principales conséquences de leur construction (migration des poissons entravés, sédiments piégés, plantes et espèces invasives qui colonisent le réservoir, érosion des berges, etc.).

Pour plus de détails (sur la pollution au mercure induite par la construction de barrages, par exemple) nous vous conseillons de lire notre article intitulé « Les illusions vertes : le cas des barrages (& non, le Costa Rica n’est pas un paradis écologique) ».

Enfin, rappelons que l’électricité produite par les barrages sert à alimenter des appareils électro-informatiques tous plus toxiques les uns que les autres (iPhones, smartphones, ordinateurs portables, micro-ondes, téléviseurs, etc.), dont la production et la totalité du cycle de vie impliquent également de saccager le monde naturel à travers des pratiques extractivistes, d’innombrables pollutions et exploitations sociales.

Le Costa Rica est en réalité un petit pays de plus en plus souillé par les émissions de polluants liées aux transports, par les pollutions plastiques, par la bétonisation liée au tourisme de masse, et par les plantations de palmiers à huile, entre autres, et certainement pas un modèle d’écologie. S’il est promu comme tel, c’est uniquement parce qu’il est un modèle de réussite pour les multinationales et l’expansion de la civilisation industrielle.

Et pour aller plus loin, nous vous conseillons de lire cet article : L’écologie™ du spectacle et ses illusions vertes (espoir, “progrès” & énergies “renouvelables”).

***

2. L’Islande, sa pseudo-révolution et son économie particulièrement anti-écologique

Depuis 2008 et la soi-disant « révolution » islandaise tant vantée sur internet, il y a eu des nationalisations de banques, quelques banquiers ont fini en prison, mais globalement rien n’a changé. L’Islande (qui a refusé d’adhérer au protocole de Kyoto) est un très bon exemple d’un pays où la vie humaine au sein de la civilisation industrielle est particulièrement dépendante de processus profondément anti-écologiques.

L’Islande produit beaucoup d’aluminium (11ème nation du monde dans le domaine), dans des fonderies pour lesquelles elle a construit des barrages dans des zones sauvages auparavant relativement préservées (pour les impacts des barrages, remonter à la section précédente). La bauxite utilisée provient de Guinée ou d’Australie (là encore, au niveau du transport, on retrouve des processus manifestement anti-écologiques).

Dans un article de courrier international, en date de 2011, on apprend que :

« En 2008, l’Islande a produit environ 870 000 tonnes d’aluminium, dont la quasi-totalité était destinée à l’étranger. Cette année-là, les exportations du métal ont dépassé celles des produits de la pêche pour la première fois dans l’histoire du pays. L’Islande ne produit pas de bauxite. Les métallurgistes importent le minerai d’aluminium des États-Unis, d’Irlande et d’Australie. Mais l’activité des hauts-fourneaux permet au pays, riche en rivières, chutes d’eau, sources chaudes et volcans, d’exploiter ses propres ressources naturelles en fournissant aux forges de l’énergie hydraulique ou géothermique à des prix compétitifs. […] Pour servir la plus grande fonderie, ouverte en 2007 dans l’est du pays, l’État a construit une série de barrages et un immense réservoir qui, redoutent les écologistes, accélérera l’érosion des terres et sera dommageable aux populations locales de cervidés et d’oies à bec court (Anser brachyrhynchus) [la mère de la chanteuse Björk, l’une des figures de proue de l’opposition contre l’industrie de l’aluminium, avait fait une grève de la faim pour tenter de bloquer le projet]. »

Des pollutions aux métaux lourds et au soufre sont observées aux environs des fonderies. Et, dans certaines zones industrielles du pays, les niveaux de pollutions estimés sont du même ordre que ceux des régions les plus polluées de l’Europe de l’Est.

Sur la banderole est écrit : “La fonderie d’aluminium engendre des malformations congénitales, des cancers et des déformations des os” / Straumsvík, Islande, 2007.

L’Islande importe la grande majorité de sa consommation de fruits et de légumes (près de 70%), un phénomène qui ne fait et qui ne va faire que croître, étant donné que la consommation de fruits et légumes par individu augmente, et que la population elle-même augmente.

Nous avons là un exemple parfait d’une économie particulièrement précaire, tout sauf résiliente, absolument dépendante du commerce mondialisé. Le « manger local », s’il a un jour été possible en Islande, à une époque où ses habitants se nourrissaient des produits de la mer, de l’élevage et des autres denrées adaptées au climat islandais, est devenu utopique. Maintenant que, comme dans beaucoup d’endroits, les Islandais se sont habitués aux produits d’importations tropicaux (fruits, cacao, sucre, etc.), leur alimentation repose en grande partie sur l’agrobusiness international.

L’Islande, ainsi dépendante de la machine industrielle mondiale (et des pollutions et des destructions qu’elle engendre, nécessairement), sera certainement un des derniers pays à pouvoir se passer des conforts et des luxes qu’offre la civilisation industrielle, et un des derniers pays où une « révolution »digne de ce nom – et donc écologique – pourrait avoir lieu.

***

3. L’Amérique Latine et son extractivisme socialiste (le buen vivir en paravent)

Tout d’abord, une longue citation tirée du dernier livre de Naomi Klein, « Tout peut changer » (dont les thèses sont par ailleurs très contestables, et duquel nous vous proposons une critique sur notre site) :

Parmi ces régimes de gauche ou de centre gauche, cependant, aucun n’a encore réussi à se débarrasser du modèle économique fondé sur l’exploitation intensive de ressources limitées. L’économie de l’Équateur, par exemple, dépend de plus en plus de ses exportations de pétrole, extrait en partie de réserves écologiques de l’Amazonie, tandis que celle de la Bolivie repose en grande partie sur l’industrie du gaz naturel. Le gouvernement argentin, pour sa part, persiste à encourager les mines à ciel ouvert et les « déserts verts » voués à la culture de soja et d’autres espèces génétiquement modifiées. Au Brésil, l’État continue d’investir dans d’immenses barrages très controversés et des projets à haut risque de forage pétrolier en mer, tandis qu’au Venezuela se perpétue une grande dépendance à l’exportation de pétrole. Force est de constater que ces nouveaux gouvernements progressistes, en général, n’ont guère réussi à diversifier leur économie et à tourner le dos à l’exportation de matières premières. De 2004 à 2011, en fait, la part de celles-ci dans l’ensemble des exportations nationales a grimpé dans tous les pays dont nous venons de faire mention, sauf en Argentine. (Notons cependant que cette augmentation a pu être causée en partie par la hausse du prix des matières premières.) L’accès facile au crédit offert par la Chine, qui demande parfois à être remboursée en barils de pétrole, n’a sûrement pas aidé.

Le maintien d’une telle dépendance envers une industrie minière aussi polluante et hasardeuse est particulièrement décevant de la part des gouvernements d’Evo Morales, en Bolivie, et de Rafael Correa, en Équateur, qui ont tous deux proclamé, lors de leur premier mandat, l’avènement d’une nouvelle ère, affranchie du joug de l’extractivisme. Cette vision impliquait de reconnaître les droits des peuples autochtones qui, ayant survécu à des siècles de marginalisation et d’oppression, forment une portion importante de la population tant en Bolivie qu’en Équateur. Sous Morales et Correa, le concept autochtone de sumak kawsay ou buen vivir (le bien-vivre), qui prône l’instauration d’une société vivant en harmonie avec la nature (et axée sur la simple satisfaction des besoins de tous plutôt que sur la consommation effrénée), a été introduit dans la sphère politique, et même reconnu par la loi. Les nobles discours des présidents bolivien et équatorien, toutefois, n’ont pas résisté aux assauts de l’industrie minière. « Depuis 2007, le régime de Correa a été le plus extractiviste de l’histoire du pays, tant dans le secteur pétrolier que minier », affirme l’écologiste équatorienne Esperanza Martínez. Dans les milieux intellectuels latino-américains, on en est même venu à qualifier ce phénomène d’« extractivisme progressiste ».

[Extrait bonus :] En Grèce, par exemple, j’ai eu la surprise en mai 2013 de découvrir que le parti de gauche radicale Syriza – qui formait à l’époque l’opposition officielle et incarnait pour bon nombre d’Européens l’espoir d’un virage idéologique sur le continent – ne s’opposait pas aux projets de prospection pétrolière et gazière du gouvernement de coalition à la tête du pays. Syriza réclamait simplement que les recettes minières soient investies dans les caisses de retraite, et non dans le remboursement de la dette. Autrement dit, le parti ne remettait pas en question l’industrie extractiviste, mais demandait que ses bénéfices soient répartis autrement.

Pollution au pétrole, quelque part en Équateur.

Ainsi que Naomi Klein le souligne, les politiques des « nouveaux » gouvernements « socialistes »d’Amérique Latine, bien souvent présentés comme des modèles de vertu tant écologique que sociale par une partie de la gauche française, sont toujours aussi destructrices de l’environnement que celles de leurs prédécesseurs.

Tous ces gouvernements dits « socialistes » embrassent l’idéologie du « progrès », du « développement », l’industrialisme, aussi sûrement que n’importe quel autre gouvernement.

Dans un article intitulé « En Bolivie, la politique extractiviste d’Evo Morales suscite la contestation »publié en février 2016 sur Reporterre, on pouvait lire que :

« Dimanche 21 février, les Boliviens ont décidé par référendum que Evo Morales n’avait pas le droit de se présenter pour un quatrième mandat. Le soutien populaire au président bolivien s’est effrité, notamment à cause de sa politique extractiviste et de la désillusion des populations autochtones. […]

Au cœur de cette désillusion des populations autochtones, la question de l’exploitation des ressources naturelles présentes sur leurs territoires. Pays riche en matières premières (métaux, gaz, terres rares, forêt), l’économie bolivienne est depuis toujours extrêmement dépendante de l’extraction et de l’exportation de ses richesses. Les entreprises multinationales ont remplacé les conquistadors espagnols, mais le modèle économique productiviste et exportateur demeure.

Or, comme le rappelle Laurent Lacroix, « la Constitution de 2009 portait l’espoir d’un autre modèle de développement ». Un espoir incarné par la notion de vivir bien, la vision indigène d’une harmonie entre les êtres humains et la nature. À l’international, Evo Morales s’est ainsi posé comme pourfendeur d’un capitalisme destructeur et ardent défenseur de la Pachamama, la Terre-Mère.

Problème, d’après Victor Audubert, juriste et enseignant-chercheur à l’université Paris 13, « le vivir bien est aujourd’hui détourné ». La Bolivie exploite à tout va les richesses de son sous-sol, ouvre ses portes aux investisseurs étrangers, intensifie son agriculture. »

Ces gouvernements dits « progressistes » exposent concrètement en quoi l’idéologie du « progrès » — notamment technologique — est une nuisance, et en quoi elle est fondamentalement anti-écologique.

Mélenchon, en grand admirateur des Morales et des Correa, pose problème pour ces raisons mêmes. J’en ai discuté avec le journaliste Fausto Giudice, et lui ai demandé ce qui, selon lui, résumait le problème du développementisme des Correa, Morales, et autres Mélenchon, il m’a répondu que ceux-là « acceptent sans hésitation un postulat qui est erroné : que les richesses du sol, du sous-sol, sont là pour être exploitées. La seule différence, c’est qu’ils pensent — ou au moins disent — que cette exploitation doit “profiter à tous”. Bref, on peut appeler ça “productivisme à visage vert et humain”, ou “écocapitalisme social” ». Je lui ai ensuite demandé si, plus qu’un postulat, cela n’était pas en lien avec une certaine culture, une certaine idéologie, celle du « progrès ». Il m’a alors répondu que : « C’est même au-delà de la culture ou de l’idéologie, c’est une mentalité, une dimension anthropologique : une vision linéaire (et bien sûr ascendante), opposée à la vision cyclique des peuples premiers ».

La gauche développementiste, aussi infectée que la droite par le mythe du progrès, persuadée qu’il est possible d’allier industrialisme et écologie, est aussi problématique que tous les autres partis politique. La civilisation industrielle socialiste — si tant est qu’elle puisse l’être — reste la civilisation industrielle. Une organisation sociale et culturelle intrinsèquement nocive.

***

4. Le « modèle nordique » : conformisme, industrialisme, externalisation des coûts, et greenwashing

Pour toutes les raisons précédemment citées, il devrait être facile de comprendre pourquoi le soi-disant « modèle nordique » tant médiatisé est une illusion et une absurdité.

Le cas échéant, voici une brève explication :

Les pays scandinaves sont à la pointe du développement (industriel), ils ont embrassé l’oxymore du« développement durable » avant nous, et sont donc très utiles en termes de marketing. A l’aide d’omissions colossales et de distorsions des faits, les médias assurent aux spectateurs que leurs politiques environnementales et économiques sont vertueuses, exemplaires.

Exemple : Une mythologie médiatique a été fabriquée autour de la gestion des déchets des “pays nordiques”. Ce qui donne des articles comme “La Suède championne du monde du recyclage !”, ou “Grâce au recyclage la Suède n’a plus de déchets !”, ou encore “La Suède manque tellement de déchets… qu’elle en importe”. Il s’agit d’autant de mensonges.

La Suède exporte des tonnes de déchets illégaux. C’est ce qu’on peut apprendre en à peine quelques recherches sur le web, de la part de médias suédois. Lors d’une saisie par les douanes suédoises de 700 tonnes de déchets illégaux destinés à l’exportation, celles-ci ont expliqué qu’il ne s’agissait que de la “partie émergée de l’iceberg”.

Comme la plupart des pays dits “développés” (UE, Amérique du Nord, Japon, etc.), la Suède exporte une bonne partie de ses déchets les plus gênants (toxiques) vers les pays en voie de développement (les pays pauvres), en plus d’en brûler une bonne partie pour produire de l’électricité, ce qui, présenté comme une solution “écologique”, est un autre mensonge grotesque, puisque les usines à biomasseémettent plus de CO2 que les centrales à charbon. Cette incinération est considérée comme“neutre en carbone” au prétexte que la décomposition de cette biomasse, si elle n’avait pas été incinérée, aurait émis du carbone au fil des années. Dépendre de l’incinération de déchets pour produire de l’électricité pour alimenter un réseau électrique et des appareils électroniques eux-mêmes polluants, dont les productions sont énergivores, est une idée démente, un non-sens qui encourage un cycle sans fin de pollutions.

Extraction de minerai de fer dans une mine à ciel ouvert, opérée par la compagnie d’état LKAB, en Suède, à Svappavaara près de Kiruna. La Suède est de loin le premier producteur de fer d’Europe, et figure parmi les principaux producteurs de minerai et de métaux. Ces activités minières impliquent une déforestation massive. Exemplaire.

Mariel Vilella, directrice adjointe et chargée de la campagne climatique pour Zero Waste Europe le souligne : “Le dernier rapport sur le climat de Zero Waste Europe démontre que l’incinération contribue à aggraver le changement climatique plutôt qu’à le stopper”. Dans un article publié en mars 2015, elle explique qu’un “incinérateur moyen aux États-Unis émet 2,5 kg de dioxyde de carbone par MWh et 2,8 kg d’oxyde d’azote, deux gaz à effet de serre qui contribuent au réchauffement climatique”. Ce qui “signifie que les incinérateurs émettent plus de CO2 par mégawatt-heure que n’importe quelle autre énergie d’origine fossile, y compris les centrales à charbon”.

En plus de cela, la Suède et les autres pays nordiques sont parmi les plus consommateurs de produits high-tech électroniques, et donc d’importants producteurs de déchets électroniques (le suédois moyen produit 466 kg de déchets par an, le français moyen environ 370). On pourrait aussi rappeler que le suédois moyen consomme 13 208 kWh d’énergie par an, tandis que le français moyen en consomme 6749, ou qu’un suédois consomme en moyenne 5100 tep (tonne d’équivalent pétrole), contre 3800 pour un français. Sachant que la production énergétique suédoise dépend principalement de barrages, de centrales nucléaires, et de l’incinération de déchets. Trois catastrophes écologiques.

Quant au modèle éducatif, étant donné que là-bas, comme ailleurs, c’est l’État qui organise et qui élabore un programme scolaire de standardisation nationale, que l’école est obligatoire, qu’elle vise, comme partout, à fournir une main d’œuvre docile au marché du travail et à insérer la jeunesse dans une économie mondialisée particulièrement nuisible, qu’on n’y enseigne manifestement pas la contestation des dispositions politiques inégalitaires responsables des injustices croissantes qui caractérisent notre époque, ni des dogmes culturels toxiques que sont l’idéologie du développement, du progrès, etc., vous aurez compris qu’il ne diffère pas des autres. Qu’il est un outil de propagande et de contrôle autant que le modèle éducatif français.

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5. San Francisco, son pseudo-recyclage, et son insoutenabilité caractéristique des métropoles

Contrairement aux sottises colportées par le film “Demain” (de Mélanie Laurent et Cyril Dion), San Francisco ne recycle pas 80% de ses déchets, en vérité le chiffre serait plus proche de 60%, voire de 35% (selon la méthode de calcul utilisée). Cependant, à l’aide d’une astuce marketing et d’unemagouille de comptabilitéRecology, l’organisme chargé de collecter et de recycler les déchets de la ville, considère les déchets du BTP comme faisant partie des déchets ménagers, ce que les autres villes ne font pas, habituellement, et ce qui permet de sortir du chapeau ce chiffre fantaisiste de 80%. Mais le problème est bien plus profond et bien plus grave qu’une simple erreur de chiffre, puisqu’en réalité ce qu’ils appellent recycler n’a rien d’écologique. Le traitement des déchets se fait toujours loin hors de la ville, dans des usines énergivores (sauf pour le bois/papier qu’ils brûlent en usine de biomasse, en incinérateur). Dans le documentaire, on ne voit que la part des déchets qui est compostée. Tandis qu’une grande partie des déchets, uniquement triée, est exportée et disséminée à travers le globe,jusqu’en Chine, aux Philippines et au Vietnam ; la quantité de déchets recyclés (ou compostés) stagne voire régresse ces derniers temps, et la quantité totale de déchets que la ville génère augmente chaque année (780 000 tonnes de déchets en 1999, 2 200 000 tonnes en 2010) ; environ 1200 tonnesde déchets non-recyclables et non-compostables sont collectées et enfouies dans le sol chaque jour (cadeau pour le monde et pour le futur).

Prisonnière, à l’instar de beaucoup de métropoles, d’un schéma de croissance infinie, la ville de San Francisco est de plus en plus peuplée, requiert donc de plus en plus d’importations de ressources et d’énergie, et génère de plus en plus de déchets. Exemplaire, n’est-ce pas. Et tellement soutenable.

***

Conclusion

La culture dominante inculque à toutes celles et à tous ceux qu’elle conditionne que le salut de notre société relève de l’innovation technologique. Qu’il est possible et même inévitable que la marche (funèbre) du progrès se poursuive. Que la frénésie high-tech peut se prolonger, que nous pouvons continuer à bénéficier de technologies de plus en plus sophistiquées, de plus en plus puissantes, sans que cela nuise à la planète, puisque la science et le progrès, qu’elle présente comme tout-puissants, capables d’accomplir plus ou moins n’importe quoi, se chargeront de rendre écologique le développement hautement technologique.

L’écologie grand public, ainsi conditionnée, devient une vitrine de promotion pour les éco-innovations des industriels (panneaux solaires, éoliennes, hydroliennes, éco-smartphones, fairphone, voitures hybrides, biocarburants, etc.). Aux problèmes environnementaux liés à tel ou tel objet, elle offre comme solution tel ou tel éco-objet, ou bio-objet, ou objet durable. Personne n’envisage de renoncer aux pratiques, aux objets, ou aux éléments qui s’avèrent nocifs. Tout le monde s’attend à ce qu’une alternative écologiquebio, ou équitable, soit proposée.

Ces alternatives se constituent en un nouveau marché pour les industriels et les multinationales, ravis de trouver un nouveau filon à exploiter. Cependant, ainsi que nous tentons de l’exposer sur notre site, à travers notre rubrique intitulée « Le mythe du développement durable », rien de tout ça n’est réellement écologique, et l’état du monde naturel ne cesse d’empirer.

Conscients de ce que nous nous enfonçons chaque jour un peu plus dans une impasse, les courants anti-développement, anti-industriel, ou anti-civilisation, n’échappent pas à cette question que l’on entend si souvent : « Mais alors, qu’est-ce que vous proposez ? Quelle est votre solution ? »

Le problème, c’est que bien souvent, celui qui la pose ne sait pas exactement pour quoi, ou à quoi, il cherche une solution ; ou qu’il se demande ce qui pourrait permettre de concilier à la fois le désir de continuer à bénéficier des luxes et des conforts que prodiguent les hautes-technologies et l’industrialisme en général, et le désir de faire en sorte de ne pas détruire la planète, de ne pas nuire à qui que ce soit.

En d’autres termes, beaucoup, par cette question, et en raison de leur attachement aux conforts industriels modernes, se demandent comment nous allons pouvoir continuer à profiter des téléphones portables, des réseaux électriques, des tablettes, des téléviseurs 4K, des voitures, d’internet, des avions, des fruits tropicaux toutes l’année, et ainsi de suite, mais de manière écologique, équitable etbio.

D’où la création, par les médias, de ces mythes qui permettent de rassurer les populations qu’une angoisse écologique risquerait de faire douter du bien-fondé de la modernité et du progrès. Dans un article intitulé « Pourquoi l’Islande n’est pas une utopie », récemment publié sur un site internet islandais, une journaliste anglaise, Joanna Smith, le formule ainsi :

Pourquoi les gens aiment-ils placer l’Islande [Ou le Costa Rica, ou la Suède, ou la Bolivie, etc., NdT] sur un tel piédestal ? La réponse est simple : parce que c’est rassurant. Parce qu’il est rassurant de pouvoir se dire, alors que l’actualité est une longue suite d’évènements désastreux, que quelque part, quelqu’un a une solution. Il est rassurant, lorsque vous avez l’impression que dans votre propre pays, on ne vous écoute pas, de se persuader qu’il y a un endroit où vous aimeriez être. Il est rassurant de croire que nos rêves d’une société parfaite sont réalisés et qu’ils sont possibles.

Mais cette ignorance n’est pas une bénédiction. En réalité, elle empêche les gens de prendre en main leur destin.

Les rêves d’une société industrielle ET écologique (ou high-tech ET verte), de masse ET démocratique, l’idée selon laquelle le développement durable ne détruit pas le monde naturel, sont autant de dangereux fantasmes. Malheureusement, à notre époque où la plupart des esprits demeurent hypnotisés par la pensée unique du discours des médias de masse, toute « solution » impliquant de renoncer aux conforts modernes, au mode de vie façonné par des décennies de soi-disant progrès, est écartée, jugée insatisfaisante, considérée comme un « retour en arrière », vers un passé perçu comme sombre et repoussant, que la culture dominante a tout fait pour diaboliser (ce qu’elle a largement réussi à accomplir, d’où ces expressions du « retour à la bougie », à un temps où « on s’habillait en peaux de bêtes », ou ce « on ne va pas retourner vivre dans des grottes »).

Et pourtant, la solution est bien là, dans ce retour à une vie en microsociétés, à taille humaine (et donc potentiellement démocratiques), culturellement diversifiées, ancrées dans un territoire écologique spécifique, qu’elles respectent, et aussi autonomes que possible.

Nicolas Casaux