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1933 : la CGTU et les lois anti-immigrés
Ces articles de la rubrique « Ailleurs sur le web » sont publiés à titre d'information et n'engagent pas la Tendance CLAIRE.
En 1933, dans une situation de crise, la bourgeoisie multiplie les mesures contre les immigrés, bien semblables à celles mises en place aujourd'hui par les gouvernements Sarkozy et Hollande.
La CGTU, le syndicat dirigé par les communistes, menait le combat pour l’unité de la classe ouvrière, l’égalité des droits et contre le racisme (on disait alors la xénophobie) et il n’est pas inutile de relire ces lignes, en particulier pour ce qui est de l’égalité des droits et de la libre circulation.
Le combat pour l’unité de la classe ouvrière, française ou immigrée, avec ou sans papiers, est un des fondements d’une activité syndicale de classe, et plus largement d’une orientation réellement anticapitaliste. A relire et à méditer, donc, face à Le Pen bien sûr, mais face aussi aux futures lois anti-immigrés de Macron…
Rapport d’activité au 7ème Congrès de la CGTU – 23 au 29 septembre 1933
Son Congrès de septembre 1933, définissait la nature et les exigences de ce combat (voir l’original ci-contre sur l'image, pages 28 et 29), combat qui ne faisait pas l’unanimité dans ses rangs et s’affrontait aux positions nationalistes et réactionnaires de la CGT réformiste.
Quand on parle de la MOI, il s’agit de la « main d’œuvre immigrée », (alors essentiellement européenne, espagnole, italienne, polonaise), et quand on parle de MOC il s’agit de la « main d’œuvre coloniale » (essentiellement nord-africaine).
« Les travailleurs immigrés et coloniaux »
"Malgré les efforts du Secrétariat central de la MOI et des Comités intersyndicaux de langues étrangères, les organisations syndicales intéressées n’ont pas abordé sérieusement l’application des tâches fixées par les congrès confédéraux.
La crise de chômage donne à la question de la MOI une importance sans précédent. Le capitalisme utilise adroitement cette situation pour la préparation idéologique de la guerre et pour servir son offensive contre les salaires et les conditions de travail.
Sa presse mène une vive campagne de démagogie sur la protection de la main d’œuvre française. Elle réclame le renvoi massif des immigrés, mais elle oriente toute son activité contre la partie la plus militante de l’immigration, celle qui entraîne la masse dans les luttes revendicatives aux côtés des ouvriers français.
Le patronat peut ainsi obliger les immigrés à accepter des conditions inférieures de salaires, il est aidé par les pouvoirs publics qui refusent les secours de chômage et imposent des contrats à des tarifs réduits.
Cette politique néfaste aux intérêts du prolétariat est soutenue par les manœuvres des chefs confédérés et SFIO qui ont réclamé le contingentement de la MOI permettant ainsi le plein effet de la campagne de xénophobie menée par la bourgeoisie. Autour de la limitation à 10%, prévue par la loi de 1932, se mènent les pires excitations chauvines. La CGTU, au contraire, en réclamant les mêmes salaires et les mêmes droits pour les immigrés, lutte pour supprimer l’antagonisme entre ouvriers de diverses nationalités.
Mais une telle lutte exige que l’ensemble des organisations unitaires combattent les courants chauvins et xénophobes, qu’elles appellent leurs membres et tous les travailleurs à la défense des revendications de la MOI, et ainsi se réalisera l’unité d’action, seule susceptible de battre en brèche les manœuvres du capitalisme.
Quelques résultats ont été obtenus (affaire Olzansky, Comités Miranda etc.), mais beaucoup de militants et de syndicats unitaires sont encore inactifs sur ce terrain. Ils doivent comprendre que l’unique moyen pour que la MOI ne soit pas un obstacle aux revendications, c’est la libre circulation des courants migratoires et les mêmes droits et salaires aux travailleurs de toutes nationalités existant sur le marché du travail.
Les mêmes tâches incombent aux organisations unitaires dans la lutte pour la défense et le groupement des ouvriers coloniaux en France. Ces travailleurs sont également infériorisés, soumis au régime de l’Indigénat, victimes d’une répression spéciale, astreints aux plus dures besognes pour des salaires de famine.
Les organisations unitaires doivent les aider à éditer et diffuser le matériel (pour les immigrés y compris) nécessaire à défendre leurs revendications devant le patronat, développer leur niveau politique, les organiser et les éduquer, afin qu’ils constituent, lors de leur retour au pays natal, des cadres sérieux pour le mouvement syndical."
« La main d’œuvre immigrée sur le marché du travail en France »
Dans la foulée (novembre 1933), le secrétaire de la CGTU à l’activité de la MOI, Maurin, publiait une brochure de 47 pages "La main d’œuvre immigrée sur le marché du travail en France", sous la forme d’un dialogue fictif entre un militant de la CGTU révolutionnaire (Pierre, « P ») et un militant de la CGT réformiste (Charles, « C »).
Nous en reproduisons quelques extraits trouvés ici et là. Si un(e) lecteur(trice) a l’original ou la copie (scan) de cette brochure, nous sommes très intéressés à la récupérer en intégralité.
C... — Tu m’apprends là des choses très intéressantes qui m'éclairent sur le but réel de la campagne contre la MOI. Cependant, il me semble malgré tout qu'un renvoi ou une imitation de l'emploi des travailleurs immigrés permettrait à de nombreux chômeurs français de trouver du travail.
P... — Tu te trompes, Charles. Je t'ai déjà expliqué que la bourgeoisie, le patronat, les organisations nationalistes, fascistes, réformistes et autres ne sont pas pour un refoulement ou une limitation massive de la MOI, sachant très bien que cela ne résoudrait pas le chômage. En Amérique où l'immigration est arrêtée depuis plusieurs années, il y a plus de dix-sept millions de chômeurs. En Angleterre où il n'existe presque pas d'ouvriers d'autres pays, deux millions et demi de travailleurs anglais sont en chômage. En Allemagne où l'immigration est à peu près nulle, il y a sept millions de sans-travail. En Italie, en Espagne, la situation est identique. Les ouvriers immigrés sont-ils la cause de chômage dans ces pays ? (...)
C... — Non. Mais si l'on consulte les journaux, on y trouve une diminution de chômeurs, cela grâce, disent-ils, au départ de ces ouvriers étrangers.
P... — Oui, la diminution seulement des chômeurs inscrits (car il n'est pas fait mention des centaines de mille qui, pour diverses raisons, ne sont pas secourus), diminution qui provient surtout du fait que, sous les motifs les plus variés, beaucoup de sans-travail ont été radiés des fonds de chômage.
C... — C'est vrai. Des radiations il y en pas mal, nombreux sont les chômeurs qui en sont victimes.
P... - Au 24 mars 1933, sur cent soixante-neuf mille chômeurs inscrits dans le département de la Seine, le préfet indiquait qu'il y avait vingt mille sept étrangers, soit 12 %. Les chômeurs immigrés, dont systématiquement radiés. Ajoute à cela un nombre important de sans-travail qui ont pu momentanément à cette époque trouver à s'occuper dans les travaux saisonniers à la campagne (moissons, battages, vendanges, etc.), et tu auras les raisons de la diminution du nombre de chômeurs indiquée par la presse. (...)
P... — Le point de vue de la CGTU est que la MOI et la MOC, (main-d’œuvre coloniale) sont parties intégrantes du prolétariat français. Au cours de la période de prospérité « pour la bourgeoisie », l'économie capitaliste a incorporé des centaines de milliers d'ouvriers immigrés, car elle en a eu besoin. Dans les travaux les plus durs, ils ont, par leur labeur, leur sueur, leur sang, contribué à remplir les coffres et augmenter les dividendes des exploiteurs. La CGTU défend tous les exploités. La question de « nationalité » ne joue aucun rôle dans les rapports de classe. Les exploités de races et de nationalités diverses ont des intérêts communs, ils ont un ennemi commun : le capitalisme. La MOI n'est pour rien dans l'accroissement du chômage, ni dans l'existence de la crise et de la misère existante. Nous sommes, nous, unitaires, contre le refoulement qui ne peut rien apporter de bon aux travailleurs français.
C... — Alors explique-moi donc cela.
P... — Tous les pays capitalistes traversent une crise profonde, crise de leur système économique. Suppose que la France, l'Italie, l'Espagne, la Belgique, la Suisse ne forment qu'un seul et unique Etat capitaliste. Est-ce que la crise n'y sévirait pas de la même façon ? Certainement, mais le refoulement des Italiens, Suisses, Espagnols, Belges ne se poserait pas, puisqu'ils seraient citoyens d'un même Etat.
D'ailleurs, il y eut un temps où, en Italie et en Allemagne, l’on pratiqua une politique presque identique à celle que l'on pratique aujourd'hui en France envers la MOI. Sur le mot d'ordre du « Retour à la terre », l'entrée des villes dans ces pays fut fermée aux ouvriers agricoles, ceux d'entre ces derniers qui y étaient déjà furent refoulés vers les campagnes. Cela résolut-il la situation des ouvriers industriels. Non, en aucune façon.
L'on peut pour un instant soulager la misère d'une partie de la classe ouvrière, mais cela n'est pas une solution pour les travailleurs. Mais je peux prendre des exemples encore plus concrets.
Dans les mines de fer et les usines sidérurgiques de l'Est, il y a un grand nombre d'ouvriers immigrés. Sur seize usines et mines du bassin de Briey, l'on comptait en 1929, sur vingt-cinq mille ouvriers occupés, 25 % de Polonais, 40 % d'Italiens, 20 % d'autres nationalités, 15 % seulement de Français ou coloniaux.
Refouler cet ensemble d'ouvriers immigrés ou appliquer une limitation de leur emploi, est-ce que cela donnerait du travail aux chômeurs français ? Est-ce praticable ? (...)
C... — Peut-être bien qu'un refoulement ou une limitation brutale et massive de la MOI n'arrangerait guère les choses, mais il y a le refoulement ou la limitation progressifs.
P... — Le refoulement ou la limitation progressifs ne donneraient pas de meilleurs résultats. Pour te le démontrer, je veux prendre quelques exemples :
a. Sur intervention de Vardelle (député SFIO de la Haute-Vienne, ancien secrétaire de la Fédération réformiste du Livre-Papier) près des ministères intéressés, la limitation de la MOI dans une fabrique de papier de Lancey-Brignoud (Isère) a donné les résultats suivants : soixante ouvriers espagnols ont été licenciés ainsi que de vieux ouvriers français.
A-t-on embauché soixante ouvriers français pour les remplacer ? Non. L'on a fait exécuter le même travail, avec des heures supplémentaires, par le personnel resté dans la production.
b. Un usinier de Domène (Isère) vient de mettre à la porte quarante ouvriers, en majorité immigrés, de sa succursale de Modane. Il ne les a pas remplacés par des Français, mais il fait venir de la pâte pour la fabrication de son papier de Norvège, car elle lui revient moins cher que d'embaucher du personnel pour la faire faire à Modane.
C... — Tu me cites des exemples dans une corporation qui n'est pas de la plus grande importance. Mais dans le bâtiment, ce n'est pas la même chose, en restreignant l'emploi de la MOI les chômeurs français de cette corporation pourraient prendre la place au boulot des étrangers renvoyés.
P... — Tu es tailleur de pierre, et je comprends que l’industrie du bâtiment t'intéresse au plus haut point. Aussi je veux prendre un exemple dans cette industrie.
Tu n'ignores pas que la Fédération réformiste du bâtiment a, depuis quelques mois, soumis au ministère du travail un projet de limitation d'emploi de la MOI dans les industries du bâtiment de la Seine et de la Seine-et-Oise. Ce projet a servi au ministère du travail à l'établissement d'un décret qui va limiter le pourcentage d'ouvriers immigrés de 10 à 25 % dans les différentes catégories du bâtiment et qui entrera sous peu en vigueur. Que va-t-il en résulter ?
C... — Cela va certainement laisser bien des places vacantes dans les chantiers que les chômeurs français pourront occuper
P... — Il te faudra bientôt déchanter. Ce refoulement partiel est sans contredit le plus dangereux de tous. Aidé par les pouvoirs publics, le patronat de la bâtisse va pouvoir se servir des milliers d'ouvriers immigrés comme masse de manœuvre. Ces immigrés refoulés, ballotés d'un département à l'autre — car tu penses bien qu'il n'y a pas que dans la région parisienne que des décrets de limitation de la MOI seront pris — seront une proie facile aux recruteurs patronaux.
C... — Evidemment. Mais nous, à Paris, on pourra travailler.
P... — Pas davantage. Tu sais mieux que moi, toi qui es de la partie, qu'aujourd'hui une grosse quantité de matériaux servant à l'édification des bâtiments se font en série, sur plans, que la construction est rationalisée, standardisée. Dans le bâtiment, il y a aussi les « pièces détachées ». Tiens, lis cette lettre qu'un de mes amis, tailleur de pierre, à Comblanchien (Côte-d Or), m'a envoyée :
« Ici, la misère est grande. A la carrière de la société Fèvre, les tailleurs de pierre gagnent deux à quatre francs de l’heure. »
Tu vois, Charles, aux environs de Dijon, un tailleur de pierre, métier qui, il y a quelques années, nourrissait son homme, gagne maintenant seize francs par jour. Et pour qui travaillent ces ouvriers ? Continuons la lecture de la lettre :
« Dernièrement, nous avons travaillé pour la mairie de Boulogne-Billancourt (Seine), et en ce moment, nous taillons de la pierre pour l'hôtel du journal Paris-Soir à Paris. »
C... — Alors si je comprends bien, le refoulement partiel ne changera rien à notre situation à nous, ouvriers du bâtiment de la région parisienne ?
P... — Non, car comme le dit si bien la lettre de l'ami ci-dessus, les travailleurs font sur place en province le travail des Parisiens, et cela n'est pas pour améliorer la situation de ces derniers. Tu te rends compte que la réglementation de l'emploi de la MOI par département est inopérante, cela ne résorbera pas le chômage, et le pire, vois-tu, cela facilitera les employeurs pour avoir en mains une main-d’œuvre à meilleur marché. Les tailleurs de pierre de Comblanchien et d'ailleurs, taillant la pierre à des salaires bien inférieurs à ceux de la région parisienne, le patronat du bâtiment fera venir les pierres toute taillées de la province. Les tailleurs de pierre de la région parisienne seront par conséquent en chômage. Ainsi, la limitation de l'emploi de la MOI n'aura rien résolu. (…)
C... — Mais pourquoi alors a-t-elle (la loi du 10 août 1932) été votée?
P... — J’y viens. La crise s'approfondit, le chômage augmente. Devant une telle situation, le mécontentement des travailleurs grandit, il se traduit et se traduira par des luttes de plus en plus larges contre le patronat et la bourgeoisie. De telles luttes sont susceptibles de nuire aux intérêts du capitalisme, lequel pour sortir de sa crise entend diminuer les salaires et renforcer son exploitation sur la classe ouvrière. Par tous les moyens, il lui faut empêcher de telles luttes. Pour cela il lui est nécessaire d'accentuer la division entre prolétaires pour tenter de maintenir ses privilèges. (...)
La loi du 10 août 1932, la campagne menée par ton organisation, ainsi que par celles à caractère fasciste, nationaliste et autres, ne visent qu'un seul et unique but. Ce but peut être ainsi défini :
• Masquer les responsabilités du capitalisme dans l'existence de la crise, du chômage et de leurs conséquences parmi la classe ouvrière, en créant parmi les travailleurs français l'illusion d'une issue à la crise et de la suppression du chômage par la réglementation et le renvoi de la MOI.
• Détruire l'unité de lutte entre travailleurs français et immigrés agissante contre les vrais responsables de la crise et du chômage : patronat, bourgeoisie, pouvoirs publics;
• Favoriser la soumission des travailleurs immigrés aux pires conditions d'esclavage que leur imposent le patronat, les offices et bureaux de placement des ministères du travail et de l'Agriculture.
• Obliger la MOI à jouer le rôle de concurrente de la main-d’œuvre française, ce qui a comme résultat de les faire entrer en lutte commune contre leurs exploiteurs.
• Créer les bases idéologiques d'un mouvement raciste-fasciste français identique à celui d'Allemagne à propos des travailleurs juifs.
• Préparer idéologiquement par des campagnes chauvines et xénophobes la classe ouvrière à la guerre impérialiste. Pendant que tes chefs et la bourgeoisie essaient de faire croire aux travailleurs français qu'il y a possibilité de résoudre le chômage en chassant les immigrés, ils orientent ainsi leur mécontentement dans une lutte contre les travailleurs immigrés, au lieu de s'unir avec ces derniers pour faire supporter le poids de la crise au patronat et à la bourgeoisie, seuls responsables.