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    Dans les quartiers nord de Marseille, la doctorante insoumise contre le FN

    Lien publiée le 2 juin 2017

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    Ces articles de la rubrique « Ailleurs sur le web » sont publiés à titre d'information et n'engagent pas la Tendance CLAIRE.

    (Mediapart) Dans la 3e circonscription des Bouches-du-Rhône, Sarah Soilihi, porte-parole de La France insoumise pendant la présidentielle et ayant en partie grandi dans ces quartiers nord, espère remobiliser leur électorat populaire pour être au second tour aux législatives face au sénateur FN Stéphane Ravier. Sa campagne draine un vrai renouvellement militant.

    Sarah Soilihi et Jean-Luc Mélenchon en campagne aux Rosiers, le 18 mai 2017. © LFSarah Soilihi et Jean-Luc Mélenchon en campagne aux Rosiers, le 18 mai 2017. © LF

    Dans la 3e circonscription des Bouches-du-Rhône, Sarah Soilihi, porte-parole de La France insoumise pendant la présidentielle et ayant en partie grandi dans ces quartiers nord, espère remobiliser leur électorat populaire pour être au second tour aux législatives face au sénateur FN Stéphane Ravier. Sa campagne draine un vrai renouvellement militant.

    Dans sa permanence, attenante aux locaux de la CGT dans la rue commerçante de La Rose (13e arrondissement), Sarah Soilihi enchaîne les interviews. Bastamag, France Ô, Le ParisienTéléramaLe Nouvel ObsLe Monde et, donc, Mediapart, tous veulent rencontrer cette candidate de 24 ans, enfant des quartiers nord de Marseille, doctorante en droit et championne mondiale de kick-boxing, choisie par La France insoumise pour combattre le sénateur FN Stéphane Ravier dans la 3e circonscription des Bouches-du-Rhône. Comme l’a dit Jean-Luc Mélenchon, « elle coche toutes les cases ».

    Sarah Soilihi et Jean-Luc Mélenchon en campagne aux Rosiers, le 18 mai 2017. © LF Sarah Soilihi et Jean-Luc Mélenchon en campagne aux Rosiers, le 18 mai 2017. © LF

    Ce 19 mai, juchée sur une palette aux côtés du chef de file de La France insoumise venu la soutenir, elle s’adresse aux habitants des Rosiers, une copropriété très dégradée du 13arrondissement, où pullulent les rats. « Aujourd’hui, je sais ce que c’est que de vivre dans la précarité, je sais ce que c’est que de vivre dans le trafic, je sais ce que c’est que la discrimination dans nos quartiers », lance la candidate, qui évoque ses nombreux amis « au chômage » ou « morts parce qu’ils ont été là au mauvais moment ».« Reprenez le pouvoir, chers citoyens. Vous êtes français comme les autres ! », conclut-elle. L'ambiance est à la fête de village, des gamins dansent sur une estrade, les réactions sont chaleureuses. « Sarah, Sarah », scandent les habitants.

    « Mes grands-parents me gardaient quand ma mère travaillait comme femme de ménage. J’ai grandi chez eux à Frais Vallon (13e arrondissement) et à La Castellane (16e), donc je connais les différentes problématiques des quartiers nord », explique Sarah Soilihi. Ses parents, d’origine comorienne et marocaine, ont un temps habité la cité Félix-Pyat (3e arrondissement), point de passage presque obligé pour les Comoriens arrivant à Marseille. Mais Sarah Soilihi a aussi de fortes attaches dans le 4earrondissement, le centre-ville de Marseille, où habite désormais sa mère. Elle y a longtemps milité au PS, avant de récemment rejoindre la section du 13e arrondissement. Elle y vote d'ailleurs toujours et s’y entraîne dans son club des Chartreux.

    Meeting pour les législatives de La France insoumise aux Rosiers, le 18 mai 2017. © LF Meeting pour les législatives de La France insoumise aux Rosiers, le 18 mai 2017. © LF

    Où vit-elle aujourd’hui ? « Je navigue entre les trois », répond-elle. Doctorante et chargée d’enseignement à la faculté de droit d’Aix-Marseille, sa fierté est d’avoir « la chance énorme de faire de la politique par conviction, sans être tenue par un emploi ». Sa thèse, dont elle a reporté l’écriture, portera sur la lutte contre la cybercontrefaçon des œuvres de l’esprit. Son suppléant, le militant écologiste Olivier Agullo, est lui aussi un habitué de l’université Aix-Marseille, comme enseignant-chercheur en physique des fluides.

    La jeune femme n’a rien d’une novice en politique. Elle date le déclic de ses dix ans et du second tour Le Pen-Chirac en 2002. Huit ans plus tard, elle adhère au PS, au sein de l’aile gauche du parti, le courant de la sénatrice Marie-Noëlle Lienemann. Aux municipales de 2014, elle est candidate dans les 2e et 3e arrondissements de Marseille, en 18e position sur les listes de Patrick Mennucci. Les déconvenues commencent aux cantonales de mars 2015. Désignée par les militants socialistes comme aux côtés de Denis Rossi dans les quartiers nord, elle est arbitrairement évincée par son binôme masculin au profit d’une guériniste. Qu’importe, elle part dans le canton voisin sous l’étiquette divers gauche avec Samir Mezghiche, un agent de nettoyage de Frais Vallon, défier le candidat PS Christophe Masse. Le binôme fait 3,55 %.

    Son suppléant de l’époque, Hamza Abbasi, 27 ans, roule désormais pour son adversaire LR aux législatives, Richard Miron. Cet agent de sécurité, qui a créé à Frais Vallon une association s’occupant de l’insertion des jeunes, dit avoir été choqué que Sarah Soilihi se soit réclamée du quartier lorsqu'elle a invité le 9 mars Jean-Luc Mélenchon à rencontrer l’équipe féminine de son club de boxe, au gymnase de Frais Vallon. « À Frais Vallon, la plupart des gens ne la connaissaient pas, moi je ne l’avais jamais croisée avant 2015, cingle-t-il. Elle habitait aux Chartreux. Bien sûr qu’il faudrait plus de représentants des quartiers à l’Assemblée nationale. Mais elle ne représente vraiment pas le renouveau, elle a mangé à tous les râteliers. »

    Aux régionales de 2015, Sarah Soihili émarge 22e sur la liste du candidat socialiste Christophe Castaner. Depuis passé à La République en marche, le député de Forcalquier est alors déjà rapporteur de la loi Macron assouplissant le travail de nuit. Mais Sarah Soihili voulait « représenter cette aile gauche du PS qui était dans la rue contre la loi El Khomri » et pensait « qu’il y aurait une liste commune PS-Front de gauche-EELV ». Les « batailles d’égos pour des postes » finissent de la convaincre de s’engager « auprès de ceux avec qui j’avais manifesté ». Sarah Soilihi dit avoir croisé Jean-Luc Mélenchon au sortir d’un rendez-vous avec Sophia Chikirou, la directrice de communication de La France insoumise, qui lui propose de contribuer au programme sur le sport et les quartiers populaires. La voilà propulsée porte-parole du mouvement pour la campagne présidentielle.

    Sarah Soilihi devant son local de campagne, le 29 mai 2017. © LF Sarah Soilihi devant son local de campagne, le 29 mai 2017. © LF

    Elle ne partage pas pour autant toutes les positions du mouvement. Cette juriste n’est par exemple pas convaincue par la légalisation de l’usage du cannabis. « C’est une entreprise, à partir du moment où cette structure pyramidale existe, elle continuera à marcher que ce soit avec du cannabis, du trafic d’armes ou d’autres produits illégaux. »

    Quelques mois plus tard, le 9 avril, c’est elle qui ouvre le meeting du candidat sur le Vieux-Port devant des dizaines de milliers de Marseillais. Même pas peur. « J’étais habituée aux réunions publiques sur le programme devant des salles de 200 personnes avec Christian Troadec », dit-elle en souriant. Mais la candidate, qui prône le référendum révocatoire comme mesure phare, assure ne pas vouloir faire carrière en politique. « Il faut rester dans cette dynamique de mouvement citoyen. Si La France insoumise devient comme les autres partis, je partirai. »

    Aux « machos » qui osent lui reprocher de ne pas avoir été lui-même combattre le FN dans la 3e circonscription, Jean-Luc Mélenchon rétorque que Sarah Soilihi est la mieux placée pour « faire mordre la poussière » à Stéphane Ravier, car elle représente « ce qu’il y a de plus brillant dans ce pays et ce que le FN déteste le plus, une jeune femme d’origine comorienne qui a fait de brillantes études ». « C’est nous qui lui avons dit de ne pas venir, affirme Samy Johsua, élu Front de gauche à la mairie des 13e et 14e, et militant trotskiste historique de ces quartiers. Vous vous rendez compte le symbole pour les habitants de Mélenchon venant remplacer une jeune femme issue des quartiers ? Ce qui nous a fait perdre jusqu’ici, c’est que ce n’était jamais le tour des gens des cités. »

    Après la condamnation définitive, en décembre 2016, de la députée sortante Sylvie Andrieux (ex-PS) à quatre ans de prison dont trois avec sursis, 100 000 euros d’amende et cinq ans d’inéligibilité pour détournement de fonds publics, son siège est resté vacant. La circonscription, la plus vaste des Bouches-du-Rhône (74 000 électeurs), couvre le 13e arrondissement de Marseille, ainsi qu’une partie du 14e et quelques bureaux du 12e. Dite des quartiers nord, elle mêle en fait grands ensembles, noyaux villageois et résidences fermées récemment construites, sans aucune cohérence territoriale. Elle coupe en deux certaines cités, comme les Micocouliers, et prive la candidate des voix de certaines autres, comme la Busserine, où certains bureaux de vote ont placé Jean-Luc Mélenchon à plus de 40 % au premier tour de la présidentielle. « C’est une circonscription construite sous Sarkozy pour favoriser la droite », grince Samy Johsua.

    L’extrême droite se présente divisée dans cet ancien fief socialiste. Face à la candidature de Stéphane Ravier, sénateur FN et maire de secteur des 13e et 14e, se présentent deux dissidents, Antoine Maggio (sans étiquette) et Karine Harouche (Civitas), passés dans l’opposition sur fond de désaccord avec la gestion de celui qu’ils surnomment le « dictateur nord-phocéen ». Auxquels il faut ajouter une quatrième, la candidate de Debout la France.

    Marine Le Pen y est arrivée en tête au premier tour de la présidentielle avec 31 % des voix, devant La France insoumise (24,4 %). En 2012, Stéphane Ravier n'avait perdu que de 700 voix face à Sylvie Andrieux. Mais au vu du rassemblement derrière Macron au second tour (56,4 % et presque 9 % de bulletins blancs et nuls), les Insoumis jugent très peu probable qu'il l’emporte. Ils espèrent remobiliser les électeurs qui ont voté Mélenchon à la présidentielle pour être ceux qui « sortiront » le sénateur, lequel fait partie de la frange antirépublicaine la plus dure du Front national, fustigeant le « vivre ensemble » et les « déserteurs » partis résister à Londres avec de Gaulle en 1944. « Si nous sommes au second tour face à lui, ce sera gagné. Ce serait tellement fort comme symbole », lance, des étincelles dans les yeux, Djéna, militante proche de Sarah Soilihi.

    Pour cela, Sarah Soihili devra battre les deux candidates qui se réclament de la majorité présidentielle : la socialiste Anne di Marino, qui n’a jamais caché son amitié avec l’ex-députée sortante Sylvie Andrieux, et Alexandra Louis, une avocate marseillaise investie au dernier moment par LREM. Le socialiste Christophe Masse, rallié à Emmanuel Macron dès février et qui espérait ne pas avoir de candidature LREM face à lui, a jeté l’éponge, dépité, le 30 mai. 

    Le tableau des actions de campagne. © LF Le tableau des actions de campagne. © LF

    Certains de ses anciens camarades socialistes voient dans le parcours de la jeune femme un pur storytelling. « C’est une opportuniste, taille Stéphane Mari, élu municipal PS dans les 13 et 14e arrondissements. C’est une femme, de la diversité, universitaire, sportive, jeune et jolie : des critères qui peuvent attirer n’importe qui voulant monter une liste. En termes de marketing politique, elle est bankable ! » « Ce n'est pas l'icône qu'on croit », glisse, sans vouloir en dire plus, un militant socialiste témoin de ses revirements à la primaire PS pour la mairie de 2013. Présenté comme son « mentor » en politique, le socialiste Daniel Bœuf, responsable à Marseille de la motion de Marie-Noëlle Lienemann, l'a mise en relation avec un proche de Jean-Luc Mélenchon à la suite de ses « déboires » avec le PS. « Ça s'est bien passé, elle a trouvé sa voie, se réjouit l'homme d'affaires de 68 ans. C'est quelqu’un d’intelligent, qui fait de la vraie politique. Elle n’est pas du tout communautariste et peut incarner la jeunesse. Mais quand il y a la volonté de ne rien lâcher, on ne renouvelle pas les cadres. On n’a pas su entendre cette voix qui disait qu’on allait dans le mur avec Valls. »

    « Je n'ai pas besoin de conseiller, je prends mes décisions seule », dit en riant Sarah Soilihi, qui préfère citer comme références Martin Luther King et Malcolm X – « deuxième partie, quand il a su se remettre en question », précise-t-elle. La candidate a d'ailleurs reçu le soutien du collectif marseillais des Rosas – nommé d'après Rosa Parks qui, en 1955, avait refusé de céder sa place dans le bus à un passager blanc à Montgomery en Alabama –, où elle milite contre la « négrophobie » avec des « femmes noires ou métisses de différentes origines, générations, religions, classes sociales et tendances politiques ». Le collectif a été créé à Marseille après les attaques racistes de l'automne 2013 contre l'ex-garde des Sceaux Christiane Taubira pour dénoncer l'absence de réaction de « la majorité bien-pensante, qui autorise les écarts de langage et les comparaisons animalières déniant à une partie de l’humanité sa condition humaine ».

    « Plus que d’avoir sur leur liste des personnes issues de la diversité, les élus en place ont peur de celles qui pourraient rassembler au-delà de leur étiquette, remarque Sarah Soilihi. C’est ce que je veux, être la porte-parole de toutes ces communautés qui nous enrichissent. On a la chance d’avoir des enfants français qui parlent plusieurs langues, ouverts sur toute la Méditerranée, c’est ça qu’il faut mettre en avant. »

    « Ce serait un début »

    Un après-midi dans son petit QG de campagne suffit à constater l’arrivée de nouvelles têtes, au-delà des réseaux militants traditionnels du Front de gauche. Portés par l’élan de la campagne de Mélenchon et s’identifiant à la candidate, plusieurs jeunes des quartiers populaires se sont engagés à ses côtés.

    Sarah Soilihi fait le point sur le phoning avec Yasmine, une militante le 29 mai 2017. © LF Sarah Soilihi fait le point sur le phoning avec Yasmine, une militante le 29 mai 2017. © LF

    « Elle est issue du même milieu social, elle est plus apte à comprendre ce qu’on vit », dit El Arbi, un lycéen de 16 ans, qui a rencontré la candidate au travers de son réseau amical. Le jeune homme – dont le nom signifie « l’Arabe en marocain » – est devenu référent du mouvement dans sa cité. Dans ces arrondissements marqués par les trafics de stupéfiants et les règlements de comptes, il aimerait le retour d’une police de proximité – « si Macron tient ses promesses et qu’un commissariat est ouvert dans le quartier, ça peut déjà changer des choses » –, ainsi que des activités périscolaires. « Quand j’étais petit, je voyais les enfants traîner avec les grands frères qui disent que ça ne sert à rien d’étudier pour finir concierge, que c’est plus facile de guetter et de gagner de l’argent. »

    D’autres comme Lina, lycéenne de 16 ans de La Rose, ont rencontré Sarah Soihili à l’entraînement de boxe. Dans son lycée, un gros établissement du 13e arrondissement, elle constate un désintérêt total pour la politique, car les élèves « ont complètement perdu espoir ». « À force de caser les gens dans des quartiers, les politiques ont créé des communautés qui se disent que ça ne sert à rien de faire des études, car à même bac + 5 les employeurs préféreront des personnes blanches. »

    Enseignant retraité et ancien dirigeant de la LCR puis au NPA, Samy Johsua voit « débarquer des jeunes politisés à 100 %, qui ont lu tout le programme de Mélenchon et qu’on n’avait jamais vus ». « À part pour l’organisation de la fête du Vivre ensemble (organisée dans un parc du secteur par un collectif d’associations en résistance au maire FN de secteur), c’est la première fois qu’il y a un vrai mélange entre militants blancs et militants des cités », se réjouit-il.

    Le tableau des actions de campagne. © LF Le tableau des actions de campagne. © LF

    Yasmine*, une militante de 26 ans, a fait la veille quatre heures de porte-à-porte dans la barre HLM des Lauriers (13e arrondissement). « C’était excellent, relate-t-elle, enthousiaste, à la candidate. Je n’ai pas eu besoin de parler de toi, tout le monde connaissait déjà par cœur ton CV. » Fraîchement diplômée de Sciences Po Aix, la jeune femme a rencontré Sarah Soilihi après la présidentielle, poussée par sa mère et une amie. Elle ne s’était jusqu’alors jamais engagée en politique « du fait du lourd passé de la gauche dans les 13e et 14e arrondissements avec Sylvie Andrieux qui a été condamnée à un an de prison qu’elle n’a jamais fait [la peine a été aménagée en port d'un bracelet électronique – ndlr] ».

    Une heure et demie d’entretien  en « one to one » dont elle est ressortie convaincue. « Dans l’imaginaire des gens, elle a le look des quartiers populaires où toutes les jeunes femmes seraient maghrébines ou noires !, remarque Yasmine. Mais Sarah ne joue pas de ses origines. Elle a joué cash et m’a dit : “Je suis avant tout française et républicaine.” »

    À part une séance de tractage expresse, calibrée pour une chaîne de télé et un photographe à la sortie du métro, Sarah Soihili rechigne à ce que nous la suivions dans ses rendez-vous avec ses référents de quartier « pas habitués à la presse » ou dans des centres sociaux « qui souhaitent garder la confidentialité ». Elle fait état de pressions du maire de secteur FN Stéphane Ravier sur l’un de ses clubs de boxe, qui se serait vu menacer d’être privé du gymnase de Frais Vallon Nord, ainsi que de son adversaire (LR) Richard Miron, par ailleurs adjoint à l’économie du maire de Marseille, pour interdire l’entrée de caméras dans son autre club à Saint-Jérôme.

    Tractage à la sortie du métro La Rose sous les objectifs de trois journalistes, le 29 mai 2017. © LF Tractage à la sortie du métro La Rose sous les objectifs de trois journalistes, le 29 mai 2017. © LF

    Faute de temps, les militants concentrent leur action sur les quartiers populaires, plutôt que de chercher à convaincre les électeurs du FN dans les zones pavillonnaires. « Mon premier adversaire est l’abstention, qui est majoritairement le fait de gens de gauche. Là où il y a eu un fort vote Mélenchon, il y a aussi eu une forte abstention », explique Sarah Soilihi. Mais la période de ramadan et de forte chaleur ne facilite pas le porte-à-porte. « Les gens sont assoupis », dit Djéna.

    À la permanence ce 24 mai, Dany, une militante de 66 ans, reprend son souffle après une altercation avec des habitantes de la cité du Clos la Rose alors qu’elle tractait. « Je viens de me faire jeter par des femmes, il y a une colère, une animosité », s’exclame-t-elle. « Il y a eu tellement de dégoût du politique que c’est dur de nous faire confiance », la réconforte Sarah Soilihi. « C’est pire que ça, celles qui m’ont répondu m’ont dit “On vote Le Pen”. Mais je comprends leur colère, je ne vais dans ces quartiers que quand il y a des élections », soupire Dany.

    Les militants croisés reconnaissent faire beaucoup d’éducation populaire, devoir constamment rappeler le rôle des députés « après des décennies de clientélisme »« Les gens me demandent : "Qu’est-ce que Sarah peut faire pour nous ?" », raconte Jean-Jacques, 62 ans, retraité de la SNCF. Le matin même, un homme lui a montré son pantalon. « Il m’a dit  “Regardez, ça c’est Christophe Masse [ex-patron de l’Office HLM du département – ndlr]”, ce qui signifiait  “J’ai eu un boulot par piston” », décrypte le militant. Un autre habitant lui a demandé de l’aide pour passer « d’un appartement T4 à un T2 ».

    Frais Vallon, le 31 mai 2017. La cité compte plus de 4000 habitants répartis dans 13 bâtiments. © LF Frais Vallon, le 31 mai 2017. La cité compte plus de 4000 habitants répartis dans 13 bâtiments. © LF

    À Frais Vallon, un ensemble HLM de 1 345 logements où habitent les grands-parents de Sarah Soilihi, quelque 79 % des habitants vivaient en 2013 sous le seuil de pauvreté (fixé à 60 % du revenu médian) selon l’INSEE. Malgré les interventions de la police, le trafic de stupéfiants continue à se dérouler au cœur de la cité. Un peu plus loin, une association propose, dans des cagettes à même le sol, des invendus alimentaires – pâtisseries, fruits, légumes, produits laitiers – d'une grande surface, vendus à prix cassés.

    Parmi les habitants et commerçants interrogés au hasard des allées de cet immense quartier, très peu connaissent la candidate, si ce n’est les « affiches » qu'ils ont vues. « Des Soilihi, c’est comme les Dupont, il y en a des dizaines ici », lance en souriant un homme. Beaucoup ne sont pas non plus au courant des législatives. « Elle veut être présidente, mais elle doit attendre cinq ans, car là c’est Macron », croit savoir une adolescente, qui travaille « sur ça au collège ». Chez l’épicier, on finit par croiser Wambala, un infirmier de 55 ans et ami de son père, qui se souvient d’elle « petite fille » à Frais-Vallon.

    Cet Insoumis enthousiaste, ancien militant socialiste déçu par les « voleurs et Sylvie Andrieux », a voté Mélenchon à la présidentielle avec toute sa famille – « Dix bulletins ! » – pour « mettre fin à l’entrepreunariat et au système capitaliste » et « sortir de l’Otan »« Que Mélenchon ait choisi Sarah Soilihi ici, ça double notre bonheur, dit-il. Pas à cause de ses origines comoriennes et marocaines – ça, ça fait une bonne bouillabaisse marseillaise –, mais de son âge, ses études et ses idées. »

    Aux Rosiers, le 18 mai 2017. © LF Aux Rosiers, le 18 mai 2017. © LF

    Mohammed*, ancien habitant du quartier qui y travaille dans le social depuis une dizaine d’années, a rencontré la candidate en mai lors de la fête du Vivre ensemble au parc voisin de Font Obscure. Cet électeur de Poutou (NPA) à la présidentielle s’identifie à elle, non à cause de leurs origines comoriennes communes, mais de « l’empathie qu’elle a envers les quartiers ». Lui a choisi de vivre dans le centre-ville de Marseille parce qu’il ne voulait pas que ses enfants soient scolarisés en ZEP comme il l'a été. « Je sais que quelqu’un qui a été ici au collège Jacques-Prévert ne partira pas avec les mêmes chances que quelqu’un du centre-ville pour intégrer le lycée Thiers [prestigieux lycée public – ndlr]. »

    Pour trouver un appartement dans le 4e arrondissement il y a trois ans, lui et sa compagne, « une vraie Stéphanie, blanche de chez blanche », ont dû « tricher » après une expérience de discrimination. « Ma compagne avait visité, montré ses fiches de paie, tout paraissait bon. L’agent immobilier l’appelait par son prénom. Je suis passé à l’agence pour apporter des documents qui manquaient et visiter aussi. D’un coup, on est revenus au vouvoiement, et c’était fini pour l’appartement. » Pour les visites suivantes, le frère de sa compagne s’est fait passer pour lui… « Sarah représente vraiment les personnes oubliées, dit Mohammed. La voir à l’Assemblée montrerait que c’est possible. On ne voit jamais de Noirs à la télé, à part dans la série Nos chers voisins. Elle ne changera pas tout. Il faudra plus de 200 ans et plusieurs générations pour que les mentalités changent. Mais ce serait un début. »