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Les ex-propriétaires de GM&S se sont enrichis à millions

Lien publiée le 22 juin 2017

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Ces articles de la rubrique « Ailleurs sur le web » sont publiés à titre d'information et n'engagent pas la Tendance CLAIRE.

(Mediapart) Ce vendredi 23 juin, l'entreprise de La Souterraine risque la liquidation. Mais entre 2009 et 2014, le sous-traitant automobile était détenu par Altia Industry. Un juge d'instruction enquête sur les méthodes des trois anciens dirigeants de ce groupe, qui ont multiplié les manières de faire remonter jusqu'à eux la trésorerie de l'entreprise. La justice soupçonne des faits d'abus de biens sociaux et d'escroquerie.

Vendredi 23 juin, les quelque 280 salariés du sous-traitant automobile GM&S, basés à La Souterraine (Creuse), sauront s’ils peuvent encore compter sur leur travail, ou si leur employeur mettra la clé sous la porte. C’est le tribunal de commerce de Poitiers qui tranchera, et la liquidation est très probable : aucun nouvel actionnaire potentiel n'a déposé d'offre de reprise. Il ne restera alors aux ouvriers et techniciens de l’usine qu'à se retourner sur l'histoire chaotique de leur entreprise, que Mediapart a détaillée ici. Ils s’arrêteront sur les mauvaises décisions stratégiques, la conjoncture difficile et les coups du sort. Mais nul doute qu’ils auront aussi en tête la gestion désastreuse de leur propriétaire précédent, Altia Industry. Et les choix de ses trois fondateurs, qui se sont enrichis à millions sur le dos des usines de leur groupe, avant de le mener dans le mur en 2014.

Les trois dirigeants d’Altia, Patrice Durand, Patrick Adolf et Nicole Cohen, sont aujourd’hui au cœur d’une enquête pour abus de biens sociaux et escroquerie, menée depuis l’été 2014 par le juge parisien Guillaume Daieff (nommé vice-procureur du tribunal de Nanterre, il est sur le départ). L’enquête avance certes lentement, et aucune mise en examen n’a été prononcée. Mais les éléments accumulés par les enquêteurs, dont Mediapart a pris connaissance, ainsi que les documents et témoignages que nous avons réunis, mettent très sérieusement en cause les pratiques des ex-dirigeants d’Altia. À tel point qu’il est curieux qu’aucun commentateur se penchant sur la santé de GM&S n’ait cru bon de rappeler certains faits.

Le 23 mai sur France Inter, le directeur de la rédaction des Échos, Dominique Seux, s’inquiétait par exemple du manque de « stratégie de long terme » et du « capitalisme désincarné » que représenterait l’entreprise. Mais il a oublié de mentionner la gestion très discutable des dirigeants. Comme il a négligé de dire que la Banque publique d’investissement (BPI), qui détenait 20 % du groupe Altia, a porté plainte contre « X » pour abus de bien sociaux. Car si l’usine de La Souterraine va mal, elle le doit en partie à ses anciens propriétaires, qui ont vidé les caisses. Et qui, pour deux d’entre eux, sont toujours les propriétaires des murs et du terrain de GM&S, et à ce titre perçoivent encore des loyers tous les mois ! Certains médias, comme L’Humanité (ici ou ici en 2014), ont raconté des pans du dossier. Mais le tableau d’ensemble, révélé aujourd’hui par Mediapart, est encore plus éclairant.

Devant l'usine GM&S, le 16 mai 2017. © D.I. Devant l'usine GM&S, le 16 mai 2017. © D.I.

Pour comprendre le dossier, il faut effectuer une rapide revue de l’histoire d’Altia. En 2009, Patrice Durant, Patrick Adolf et Nicole Cohen, anciens cadres de l’allemand Halberg, commencent à constituer un groupe industriel ambitieux. À l’été 2009, ils emportent à la barre du tribunal de commerce l’usine de La Souterraine, ainsi que trois autres usines d’emboutissage (la fabrication de pièces automobiles métalliques), à Bessines-sur-Gartempe (Haute-Vienne), Beaucourt (Territoire de Belfort) et Saint-Nicolas-d’Aliermont (Seine-Maritime), qui appartenaient au groupe Sonas. Le prix d’achat est de 750 000 euros.

Les trois repreneurs rachètent à tour de bras des entreprises en difficultés, qu’ils proposent de reprendre sans casse sociale. De quoi ravir les pouvoirs publics, qui se montrent peu regardants sur leur réelle capacité d’investissement. Altia met la main sur 23 sites en France, dont l’emblématique fabricant de chariots de supermarché Caddie. Un magnifique « sauvetage industriel » selon le ministre du redressement productif de l’époque, Arnaud Montebourg. L’État acquiert 20 % du capital en apportant 10 millions d’euros à l’entreprise, par le biais du Fonds de modernisation des équipementiers automobiles, puis par celui du Fonds stratégique d’investissement, devenu la BPI. À l’été 2014, la BPI accorde encore 8 millions d’euros d’avance sur trésorerie à l’entreprise.

Jusqu’à la fin 2013, les dirigeants d’Altia tiennent un discours volontariste, très optimiste sur les résultats financiers de leur groupe. Mais les mots masquent mal la réalité. L’entreprise, constituée de bric et de broc et dont seuls certains sites sont rentables, va mal. Elle s’effondre courant 2014. En avril, les usines d’emboutissage sont cédées… et déposent le bilan quelques jours plus tard. En juin, c’est au tour de Caddie. Fin juin 2014, les trois dirigeants sont poussés dehors par la BPI, et le 1er août 2014, le groupe entier est placé en redressement judiciaire.


Enquête pour abus de biens sociaux, faux et escroquerie

La justice n’a pas attendu pour se saisir du dossier. Dès mai 2014, le parquet de Paris avait ouvert une enquête préliminaire sur la gestion de l’entreprise. Il a notamment été alimenté par des documents qu’a fournis la CGT, qui soupçonne des fraudes. En juin 2014, la brigade financière effectue une descente remarquée à La Souterraine. « Ils sont restés toute une journée et sont repartis avec des piles et des piles de documents, dont des factures douteuses, pour un montant de plusieurs millions d’euros », rapporte un témoin de la scène à l’époque. À l’été 2014, une information judiciaire est ouverte et confiée au juge Daieff, et étendue par un supplétif en mars 2015. Selon les informations obtenues par Mediapart, l’enquête ratisse large. Elle vise notamment les chefs d’abus de biens sociaux, de faux et d’escroquerie.

En septembre 2014, la BPI porte plainte pour abus de biens sociaux, suivie, selon nos informations, par Natixis, une des principales banques d’Altia, en février 2015. Contactées par Mediapart, ni la BPI, ni Natixis n’ont voulu en dire plus. Quant à Patrice Durand, Patrick Adolf et Nicole Cohen, ils n’ont jamais répondu à nos sollicitations (voir notre Boîte noire).

Les éléments rassemblés par les enquêteurs posent, il est vrai, de très sérieuses questions. Ainsi, de novembre 2011 au 31 décembre 2014, en un peu plus de trois ans, les dirigeants d’Altia ont chacun touché plus de 1,3 million d’euros de rémunération nette, auxquels il faut ajouter 5,5 millions d’euros de dividendes, partagés entre eux trois sur la même période. La méthode pour amasser cet argent est simple. Selon un rapport daté de septembre 2012 établi par Syndex, le cabinet d’expertise comptable accompagnant les syndicats du groupe, et obtenu par Mediapart, Altia avait mis en place une politique de versement effréné de « management fees » (redevances de direction) et de dividendes. Les usines du groupe étaient tenues de faire remonter à toute vitesse d’énormes sommes d’argent vers les holdings de tête du groupe.

Ainsi, en 2011, « le prélèvement de management fees s’est stabilisé à 3,5 % du produit global » des usines, souligne Syndex. Soit presque 4 millions d’euros pour toutes les filiales françaises. Pour 2010 et 2011, la seule usine de La Souterraine aura versé à ce titre 2 millions d’euros.

Part des redevances versées aux dirigeants du groupe dans le chiffre d'affaires des usines. © Syndex Part des redevances versées aux dirigeants du groupe dans le chiffre d'affaires des usines. © Syndex

En 2011 toujours, les dividendes versés par toutes les filiales s’élèvent à 2,4 millions d’euros, dont la moitié assurée par La Souterraine. Dans le même temps, le groupe aura investi en tout et pour tout 4,2 millions d’euros dans ses usines en 2011, selon Syndex…

Les avis sur les méthodes de Patrice Durand, Patrick Adolf et Nicole Cohen se retrouvent dans nombre de témoignages recueillis par Mediapart. « C’était un pillage organisé », juge le directeur de l’une de leurs usines. « Un de nos clients, que je connaissais bien, m’avait dit : “Vos dirigeants ne sont pas des industriels, seul le cash les intéresse” », témoigne un haut cadre qui les a longuement fréquentés. « C’étaient des anti-industriels, ils étaient là pour s’enrichir », estime un autre.

Le coup de génie des SCI

Un autre moyen de s’enrichir reposait pour les dirigeants sur l’utilisation fort astucieuse des terrains et des bâtiments des usines reprises. Dès qu’Altia rachetait un groupe, ces actifs étaient placés dans une société civile immobilière (SCI), à qui les usines étaient tenues de payer des loyers. Cela a été par exemple le cas pour les usines d’emboutissage de La Souterraine, Bessines et Beaucourt, dont les terrains et les bâtiments ont été rassemblés dans la SCI Stamping (mot anglais signifiant « emboutissage »), créée le 26 novembre 2009 et détenue à 99 % par Altia group, la holding de tête appartenant exclusivement à Durand, Adolf et Cohen.

Selon l’enquête judiciaire, l’achat des locaux et des terrains a coûté à la SCI 550 000 euros. Une opération extrêmement rentable puisque; entre février 2010 et janvier 2014, elle a encaissé pour 5,6 millions d’euros de loyers ! « L’investissement a été rentabilisé en six mois ! », s’est étranglé un témoin entendu par les policiers. L’usine de La Souterraine a touché 250 000 euros pour céder ses actifs à la SCI Stamping. Elle lui a ensuite versé 2,8 millions d’euros en quatre ans… Évidemment bien au-dessus du prix du marché. « Pas mal pour des bâtiments construits dans les années 1960, grince un syndicaliste de l’époque que nous avons interrogé. Surtout quand on sait qu’Altia n’entretenait rien, ni les murs, ni la toiture… »

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Il y a encore mieux. Malgré la faillite, malgré l’enquête judiciaire, l’usine GM&S paie toujours des loyers à la SCI. Un récent rapport de Syndex signale que pour l’année 2015, l’usine a versé 254 000 euros de loyers à la SCI Stamping. Cette dernière a changé de nom fin 2015, pour devenir la SCI des Jalassières, et est désormais détenue à égalité par Patrice Durand et Patrick Adolf. « Aujourd’hui encore, ce loyer à payer est un problème pour trouver un repreneur pour GM&S, estime un élu local qui connaît bien le dossier. Si j’avais un projet de reprise, personnellement, je laisserais tomber cette usine et j’irais m’installer à côté. »

Particularité piquante, cette SCI est désormais placée sous séquestre judiciaire, par une décision du tribunal de grande instance d’Aix-en-Provence (elle ne peut plus être ni vendue, ni dissoute). La cause est extravagante : les dirigeants d’Altia ont négligé de payer à ses dirigeants l’achat de Stequal, une des entreprises qu’ils ont acquises en 2011. En 2015, les anciens propriétaires attendaient toujours de se voir verser 5 millions d’euros. Et un autre ex-propriétaire les a fait condamner pour les mêmes motifs en septembre 2013 par le tribunal de commerce de Paris.

Les questions de remontées financières tenaient manifestement à cœur au trio, même quand les soucis d’argent se faisaient sentir. Ainsi, en 2013, l’entreprise subit de sérieux problèmes de trésorerie, et voit les banques débloquer des sommes au compte-gouttes. Mais selon un échange de mails consulté par Mediapart, lorsqu’un responsable financier annonce la « libération » de 470 000 euros le 30 mai, Patrick Adolf ne songe pas que cet argent sera utile pour payer les salaires des ouvriers ou les fournisseurs des usines. Non, il ne lui faut pas une heure pour répondre : « Merci d’utiliser une partie de ces déblocages pour les fees et les loyers. »

Même chose dans un échange des 10 et 11 septembre 2013, le dirigeant trouvant « inadmissible » que certaines usines n’aient pas fait remonter les loyers et les fees vers la holding de tête du groupe. « Le règlement doit se faire demain sans faute »« merci de me confirmer les remontées », insiste-t-il. À ce moment-là, pour la « semaine 36 » qui vient de s’écouler, les fees à payer par dix usines se montent en tout à 78 000 euros, dont 33 000 rien que pour La Souterraine. Et les loyers à verser par quatre usines équivalent à 123 000 euros, dont 47 000 pour La Souterraine.


Malgré les pertes, les dirigeants roulent en Porsche

Pourtant, à cette époque déjà, les dirigeants d’Altia savent que leur entreprise ne va pas bien. Selon plusieurs mails consultés par Mediapart, la santé financière du groupe est au cœur des inquiétudes de plusieurs de ses responsables financiers, toute la fin de l’année 2013. Dans un échange du 27 octobre, l’un d’eux indique que « le CA [chiffre d’affaires – ndlr] prévu globalement par les sites de la division, pour cette semaine dans leur trésorerie, ne permet pas de couvrir le montant des paies à sortir cette semaine ». Autrement dit, l’entreprise n’a pas les moyens de payer ses salariés, sauf à recourir à des acrobaties comptables.

Le 8 novembre, un autre message, du service comptabilité, avertit que « la situation est préoccupante », et que « l’actif réalisable est inférieur au passible exigible ». La société est donc techniquement en faillite. « Les gros sites tels que La Souterraine et Bessines, Beaucourt, perdent à eux seuls réellement au moins 500 K€ [500 000 euros] par mois », souligne son auteur. Le 26 novembre, un responsable financier de l’entreprise signale qu’il va falloir rejeter des traites d’un montant de 137 000 euros : « Nous ne trouverons pas les fonds, le jour des paies, pour payer lesdits effets. » Et le 18 décembre, un autre responsable écrit que « sans un geste TRÈS fort » de la banque, « nous ne passerons pas les paies sur les sites, c’est une certitude ». Selon l’enquête judiciaire, au 12 septembre 2014, le passif de la branche Stamping (emboutissage) était à lui seul de 34,3 millions d’euros.

Pas de quoi gêner le trio dirigeant dans sa gestion de la trésorerie de l’entreprise. Le 3 avril 2014, peu de temps avant d’être mis à l’écart à la demande de la BPI, ils tentent encore de s’octroyer un peu plus d’argent. Trois ordres de virement signés de la main de Patrice Durand sont envoyés à la banque Palatine, lui demandant de virer sur les comptes personnels de Patrick Adolf et Nicole Cohen la somme de 59 706,99 euros, et 51 706,99 euros sur le sien. Motif ? « Salaires ». Degré de priorité ? « TRÈS URGENT ». Les dirigeants n'hésitent pas non plus à louer des voitures de luxe au nom de leurs usines d’emboutissage. En juin et juillet 2014, la division Stamping se voit ainsi facturer 3 363 euros mensuels pour l’utilisation d’une Porsche Panamera 3.4 S, et 1 948 euros pour une Porsche Cayenne S Hybrid.

800 000 euros de prêt envolés

Ces deux éléments, une haute rémunération et des avantages en nature en béton armé pour les dirigeants, alors que l’entreprise va très mal, nourrissent naturellement les soupçons d’abus de biens sociaux, qui alimentent une partie de l’enquête judiciaire. Le dossier recèle d’autres bizarreries, comme la circulation très complexe des flux financiers d’une usine à l’autre, et des sites industriels vers les holdings les chapeautant. Le cabinet Syndex a établi la cartographie de ces flux pour l’ensemble du groupe durant l’année 2011, et il est peu de dire que le schéma est difficile à lire…

 © Syndex © Syndex

En revanche, la méthode peut être aisément résumée : « Quand un des sites du groupe touchait de l’argent, par un déblocage de fonds de banques ou par un prêt, la somme ne restait pas souvent dans cette usine. Elle était régulièrement utilisée pour éponger les dettes d’autres usines, ou pour alimenter les remontées d’argent vers les dirigeants », explique un ancien cadre. « Résultat, au lieu de s’intéresser à la productivité ou au développement de nos usines, on vivait en permanence des scénarios critiques, avec des clients livrés en retard parce que nous n’avions pas l’argent pour acheter la matière première nécessaire à la fabrication de leurs pièces, enrage encore un ancien dirigeant de site. Vous passez votre temps à régler des problèmes de trésorerie et de fournisseurs, en vous faisant en plus engueuler par vos clients que vous ne livrez pas. »

Dans la masse des mouvements de trésorerie, deux flux d’argent interrogent particulièrement. D’abord, un prêt de 800 000 euros versé à l’une des usines du groupe par Oséo, le bras armé de l’État en direction des PME (fusionné dans la BPI depuis). La somme, versée en un coup début janvier 2013, est importante. Mais un ordre de virement signé par Patrice Durand la rapatrie immédiatement vers une des holdings du groupe, Altia Technology. « L’argent n’est même pas resté deux heures sur le compte de l’usine et nous ne l’avons jamais revu, se remémore le directeur de l’usine en question. Mais nous avons tout de même dû commencer à rembourser le prêt à Oséo. »

Pendant la manifestation de soutien à GM&S, La Souterraine, 16 mai 2017. © D.I. Pendant la manifestation de soutien à GM&S, La Souterraine, 16 mai 2017. © D.I.

Autre interrogation autour de deux avenants au contrat sur la gestion des déchets métalliques, particulièrement importants dans des usines travaillant la découpe du métal. C’est la société Guy Dauphin environnement qui a emporté le droit de racheter et de traiter ces déchets, par un contrat signé le 6 juillet 2009, juste après que les nouveaux dirigeants ont mis la main sur les usines d’emboutissage. Normalement, GDE collecte les déchets métalliques et les paie une fois par mois aux usines dont ils proviennent. Mais par deux fois, le 30 novembre 2010 et le 1er juin 2011, l’entreprise accepte de verser un acompte, de 500 000 euros à chaque fois, directement à la holding de tête, Altia group. Les usines n’ont donc pas vu la couleur de l’argent qu’elles étaient censées toucher.


Factor et fausses factures

Si ces versements posent encore question, d’autres agissements des dirigeants d’Altia semblent en revanche être beaucoup plus limpides pour la justice. Selon nos informations, un « avis à victime » a été transmis à la banque Natixis par le juge d’instruction. Cela signifie que selon l’enquête, la banque a pâti des méthodes du groupe, qu’elle peut se porter partie civile dans un éventuel procès et demander des dommages et intérêts.

Les méthodes mises en cause reposent sur l’emploi de l’affacturage (ou factoring en anglais). Le factor, généralement une banque, ici Natixis, sert d’intermédiaire entre une entreprise et ses clients et fournit une avance de trésorerie : son rôle est de payer directement les factures émises par l’entreprise en direction de son client, sans le traditionnel délai de paiement, contre commission.

Les enquêteurs, tout comme plusieurs cadres que nous avons contactés, s’interrogent sur l’emploi possible de fausses factures, envoyées à Natixis factor pour qu’il les paie avant qu’il n’ait le temps de réaliser qu’elles concernent des pièces qui n’avaient en fait jamais été commandées par un client d’Altia, ou pas pour de tels montants. La banque a fini par sérieusement tiquer devant ces pratiques, selon les résultats de l’enquête judiciaire : devant un nombre de litiges grandissant, Natixis factor a décidé en mai 2013 de bloquer d’office 15 % des sommes réclamées par Altia. Au printemps 2014, au moment où elle finit par interdire ses services d’affacturage au groupe, la banque a fait grimper ces « garanties » jusqu’à… 70 % des sommes réclamées. Puis elle a porté plainte en février 2015.

Des mails consultés par Mediapart, concernant une autre banque, montrent que la tentation de jongler avec les factures a, au minimum, effleuré certains responsables d’Altia. Le 31 mai 2012, le responsable financier de la division Stamping demande à une représentante de l’usine de Montoire de facturer des pièces à PSA, pour plus de 400 000 euros, puis d’adresser la facture à la banque Palatine, afin de lui faire débloquer la somme. Problème, l’usine en question produit des pièces de tracteurs et ne fabrique rien pour PSA… Face à cette demande inhabituelle, la destinataire du message fait part de ses doutes : « Nous n’avons pas de numéro de commande de la part du client, la facture ne pourra pas être enregistrée chez PSA et la banque risque de bloquer, répond-elle. Êtes-vous sûrs que PSA acceptera d’enregistrer Altia Montoire comme fournisseur et qu’il paiera la facture dans les délais ? »


L'ancien dirigeant présent dans la « cellule liquidative »

La liste des éléments sur lesquels la justice enquête et devra trancher est donc très longue. On peut y ajouter ce qui ressemble à une petite mesquinerie. Selon les témoignages que nous avons recueillis, plusieurs anciens cadres reprochent à Altia de les avoir trompés sur leur retraite supplémentaire : ils avaient décidé de faire des versements mensuels à l’assureur AG2R, pour se constituer un petit pécule de plus pour la retraite. C’est l’employeur qui est censé prélever les sommes directement sur les salaires, puis les confier à AG2R. Or, certains salariés ont constaté que dans leur cas, plusieurs milliers d’euros prélevés par Altia n’étaient en fait jamais arrivés à bon port chez l’assureur. L’un des anciens cadres a porté plainte sur ce point. Un autre a réussi à se faire inscrire en avril 2016 sur la liste officielle des créanciers de l’entreprise par le tribunal de commerce de Paris, pour ce motif.

Devant l’ampleur des griefs qui leur sont reprochés, on pourrait penser que les anciens dirigeants du groupe se font aujourd’hui très discrets. Il n’en est rien, au moins pour Patrice Durand. Ce dernier fait officiellement partie de la « cellule liquidative » chargée de recouvrir un maximum d’argent sur les anciens sites du groupe ou chez ses fournisseurs. Il est en effet l’unique associé de l’entreprise Audrand Capital, nommée en mai dernier par le liquidateur, Stéphane Gorrias, pour intervenir, en complément d’une autre société. Durand travaille aux côtés d’un ancien responsable financier du groupe, dont la visite récente dans une des usines qui appartenaient au groupe a déclenché la fureur des salariés.

Les travaux de cette cellule liquidative, qui ont cours actuellement et ne devraient pas durer plus de quelques mois, sont facturés la bagatelle de 67 500 euros par mois, pour un travail de quatre personnes « en moyenne ». Le contrat précise tout de même que « les anciens dirigeants d’Altia Industry et de ses filiales ne pourront prétendre à aucune rémunération avec cette mission spécifique ». Ce que confirme le liquidateur dans un communiqué adressé à Mediapart, assurant que « l’ancien dirigeant a été désigné pour animer gratuitement et sous contrôle la cellule liquidative ».

Les travaux de ladite cellule auraient « permis de recouvrer 7,5 millions d’euros, qui seront affectés en totalité au désintéressement des créanciers ». Le communiqué souligne que Patrice Durand « avait un intérêt majeur à faire diminuer l’insuffisance d’actifs, dans la mesure où il est poursuivi avec les autres dirigeants dans le cadre de la défaillance du groupe Altia ». Pas sûr que cette évidence saute aux yeux de ses anciens salariés, qui paient aujourd’hui encore les pots cassés d’une gestion pour le moins inadaptée.