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Débat dans Ensemble sur France insoumise
Ces articles de la rubrique « Ailleurs sur le web » sont publiés à titre d'information et n'engagent pas la Tendance CLAIRE.
Après l'appel de dirigeants d'Ensemble à rejoindre la France insoumise (http://tendanceclaire.org/breve.php?id=24520), d'autres textes circulent dans Ensemble sur cette question. Voici ci-dessous les contributions de Francis Sitel et Laurent Lévy.
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Texte de Francis Sitel
http://www.europe-solidaire.org/spip.php?article41514
Ensemble ! et la FI : De quelques inquiétudes et des moyens de les lever…
Les échanges, écrits et oraux, des derniers jours paraissent confirmer les raisons d’inquiétude qui existent pour Ensemble, mais aussi les possibilités de surmonter celles-ci…
1- Inquiétude que des choix de portée stratégique soient opérés en fonction de considérants tactiques.
Beaucoup d’arguments échangés dans le débat actuel sont de nature tactique (autour de la question de quels investissements militants ?...), d’autres sont d’ordre stratégique (dès lors qu’on évoque un « changement d’époque », ou qu’on juge obsolètes les questions de l’unité, ou de l’organisation sous forme de parti…).
Si le débat sur ces deux ordres de problèmes est utile, le danger est de prendre des décisions stratégiques au nom d’arguments tactiques. Rappelons ce sur quoi nous serons nécessairement d’accord. D’abord qu’une réflexion stratégique ne peut être bornée à un cadre purement français, il faut prendre en compte que nous sommes confrontés à plusieurs ondes de choc internationales : état du capitalisme, dérèglement climatique et plus généralement crise écologique, signification de l’élection de Trump, du Brexit pour l’Union européenne, la déstabilisation du Moyen-Orient avec ses effets (guerres, terrorisme, mouvements de population…). Ensuite que cette réflexion ne saurait être surdéterminée par les résultats d’une séquence électorale, certes fort importante, mais aussi très spécifique (du fait des logiques de type bonapartiste qui l’ont dominée…)
Tous considérants qui invitent à prendre le temps et à se donner les moyens d’approfondir nos analyses en prenant en compte ces données dans toute leur ampleur et complexité.
2- Inquiétude de voir que les appels à « rejoindre » France Insoumise ne s’accompagnent guère d’analyses un peu travaillées sur les raisons du succès de ce mouvement, et même de ce qu’est actuellement ce même mouvement, dans sa diversité, dans ses forces et ses faiblesses…
Ne faut-il pas prendre en considération ce qu’on pourrait pointer comme une « double nature de FI » ?
D’une part, FI a été le vecteur de la campagne de JL Mélenchon, et à ce titre a cristallisé une puissante mobilisation de gauche (permise par les axes sociaux et écologistes développés par le candidat), forte dans les villes populaires et dans la jeunesse, et a capté une part de la puissante volonté qui s’est manifestée au cours de cette campagne de rejet du PS et de renouvellement de tout le personnel politique ainsi que des formes du débat et d’engagement politique. D’où la force du vote en faveur de Mélenchon et la place prise par FI.
D’autre part, FI ne peut être totalement dissociée du projet politique au service duquel elle a été constituée. Ce projet est d’abord présidentialiste, construit depuis 2012 avec l’objectif de gagner l’élection présidentielle, par la conquête de l’hégémonie sur la gauche (de ce point de vue le « pari objectivement gagné », pour reprendre la formule d’Eric Coquerel, ce sont aussi les défaites et crises additionnées du PS, du PC, d’EELV, voire d’Ensemble…) Et cela en fonction d’une orientation prenant ses distances avec la référence à la gauche, pour développer un discours empreint de populisme, de nationalisme et d’autoritarisme.
Le paradoxe, permis par la prégnance des logiques bonapartistes lors de cette campagne, est que le succès électoral de Mélenchon, et à un moindre degré celui de FI lors des législatives, a été rendu possible par un audacieux équilibre entre mobilisation de la gauche (plutôt « anti-social-libérale » que « radicale ») et une orientation marquée de populisme (d’où l’invention dudit « populisme de gauche »)…
Au sortir de la séquence, un fait incontestable : FI représente un capital politique important, sur les plans militant, matériel et symbolique, mais cristallisé autour de la figure de Mélenchon. D’où une inconnue quant au devenir possible de FI en tant que mouvement politique. Des tensions sont prévisibles dès lors que FI est appelée à muter de mouvement ayant porté la campagne de Mélenchon à la présidentielle, puis sous le patronage de ce dernier celle des candidats pour les législatives, en mouvement politique pérenne appelé à se définir par rapport à la gauche.
On peut penser que FI est appelée à devenir une composante de la gauche en cours de redéfinition. Mais tant que cette décantation n’est pas réalisée il est trop rapide de décréter que FI a d’ores et déjà gagné l’hégémonie sur la gauche. Alors qu’on ne sait pas ce qu’est appelée à devenir cette gauche, qui restera nécessairement diverse, ni même si FI ambitionnera une telle hégémonie définie par rapport à la gauche…
Il serait raisonnable à cette étape de considérer que FI présente un grand intérêt et une importance décisive pour toute perspective de recomposition à gauche et pour tout projet de construction d’une force de transformation sociale, écologique et démocratique.
Un tel jugement, qui peut être largement partagé, suffit pour reconnaître l’importance de l’intervention des militants qui sont investis dans FI, et pour chercher à préciser de quelle manière Ensemble se doit d’intervenir positivement en direction de FI.
En revanche, moins raisonnable est l’agitation consistant à dire « Il faut qu’Ensemble intègre FI ! ». En effet un tel mot d’ordre peut renvoyer à des options fort différentes : la dissolution d’Ensemble dans FI ; le projet d’un investissement militant dans FI pour y constituer un « courant anticapitaliste » (sur le modèle d’Anticapitalistas au sein de Podemos), et ce sans préciser si l’on songe à une telle entrée comme négociée avec FI ou résultant de la somme d’insertions individuelles ; un investissement de type « entriste », avec la volonté de défendre au sein de FI des méthodes de fonctionnement démocratique et le pluralisme politique ; ou plus prudemment la volonté d’engager avec FI un débat sur ce que pourrait être un mouvement effectivement pluraliste et démocratique…
Le moyen de lever les inquiétudes ? Prendre le temps de clarifier entre ces diverses options, et de s’intéresser au devenir réel de FI.
3- Inquiétude quant à une possible inversion des normes de notre militantisme.
Soit on considère comme décisive l’existence d’Ensemble, comme mouvement politique, avec ses capacités, certes limitées mais non négligeables, d’élaboration, de débat et d’action, pour envisager quelles interventions possibles en direction de FI… Soit on inverse les termes du problème : en posant l’impératif d’intégrer FI, en fonction duquel on envisage à quoi peut éventuellement servir Ensemble et ce que pourrait être son devenir…
Il semble que cette seconde approche lorsqu’elle est défendue soit justifiée moins par les qualités de FI que par les défauts d’Ensemble. Certaines réflexions actuelles sont dominées par un dénigrement, voire un ressentiment à l’égard d’Ensemble. Cela renvoie aux difficultés auxquelles Ensemble a été confronté tout au long de sa courte existence. Mais aussi à un phénomène qu’il convient d’aborder de front : le sentiment qu’Ensemble aurait fait la démonstration de son « inutilité ».
Cette question demande à être débattue clairement et sérieusement. Elle résulte d’un état de fait au sortir de cette incroyable campagne électorale : Ensemble a soutenu la candidature Mélenchon, mais en a tiré moins de bénéfices que de divisions aggravées en son sein et des frustrations. Est-ce de la faute d’Ensemble, ou d’une partie d’Ensemble (celle qui aurait traîné des pieds, qui aurait manqué d’enthousiasme…) ? Certains camarades le pensent (*).
Pourtant, les désaccords très profonds qui existent au sein d’Ensemble à propos des positions défendues par Mélenchon n’ont pas empêché Ensemble en tant que mouvement de soutenir sa candidature, de proposer qu’un cadre pluraliste soit mis sur pied, qu’une campagne commune soit menée… Mélenchon ne voulait pas de cela. On peut penser qu’il a eu tort, mais on ne saurait relativiser ni la cohérence ni la détermination de ses choix : tout centrer sur lui et affirmer l’hégémonie de FI. Il est clair qu’au terme de sa campagne il ne s’interroge pas pour savoir où étaient les « 650 000 voix » qui pense-t-il lui ont fait défaut, mais considère que les 7 millions de voix obtenues confortent la validité du choix qu’il a fait.
Une explication honnête et sérieuse est également nécessaire quant à ce qu’a été l’expérience du Front de gauche et à propos du bilan d’Ensemble. Cela en vue de clarifier quelques questions, sans obligation de tomber d’accord au terme de l’échange :
° Quelles étaient les attentes des uns et des autres par rapport au Front de gauche et pour Ensemble ?
° Quelles explications apportons-nous à l’échec du Front de gauche ? Ainsi qu’à propos des limites qui sont celles d’Ensemble ?
Des désaccords existent entre nous, mais il convient de les formuler, et non les laisser à l’état de non-dits, justifiant des faits accomplis et des choix non débattus.
Cette fois encore cette réflexion n’a pas à être surdéterminée par les seuls choix d’ordre électoral faits au cours de la dernière période.
Le projet fondateur d’Ensemble est d’une tout autre portée, en termes de défense de thèmes sociaux, démocratiques, écologistes, féministes, internationalistes. Ensemble a-t-il démérité de ce point vue ? Quant à la perspective de constitution d’une force politique nouvelle répondant aux intérêts des exploités et des dominés, elle a subi des échecs, les conditions de sa défense ont incontestablement changé, discutons-en ! En évitant les emballements pouvant conduire à une désagrégation non voulue du capital que porte Ensemble.
Francis Sitel (Paris 18)
(*) : On peut comprendre que des camarades qui s’enthousiasmaient pour la campagne Mélenchon aient été exaspérés par les critiques adressées à l’encontre de ce dernier. Inversement ces mêmes camarades devraient prendre la mesure de la gravité des désaccords qu’on peut avoir avec certaines de ses positions. Ce qui permettrait d’admettre que « tout lemonde y a mis du sien », et qu’il faut chercher les raisons des difficultés.
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Texte de Laurent Lévy
https://www.ensemble-fdg.org/content/sur-une-declaration
Un certain nombre de camarades ont informé le Collectif National d'Ensemble ! de leur décision de rejoindre France Insoumise dans une « déclaration » qui, si elle ne se présente pas explicitement comme une contribution aux débats du mouvement, appelle implicitement à la discussion puisqu'ils y précisent leur souhait « que notre mouvement prenne également cette décision lors de la consultation de septembre et d’octobre. »
La signification de leur décision – et de leur souhait – demande pourtant à être précisée. En effet, l'expression « rejoindre France Insoumise » n'est pas claire en elle-même dès lors qu'il ne s'agit pas seulement du choix individuel de membres d'Ensemble !, mais se présente comme une hypothèse de choix collectif. Les camarades disent : « nous constatons aujourd’hui que France insoumise est en situation de constituer une alternative globale au système ». Le verbe « constater » est discutable, mais c'est celui qui correspond à leur propos. Il n'est par ailleurs pas certain que la constitution d'une « alternative globale » soit à l'ordre du jour. Mais en toute hypothèse, la situation dominante acquise par France Insoumise parmi les forces politiques d'opposition pour une alternative de gauche est une réalité incontournable à l'heure de nos choix. Nombre d'entre nous ont d'ores et déjà choisi de participer à la vie des « groupes d'appui » mis en place par Jean-Luc Mélenchon à sa candidature à la présidentielle, puis à celles des candidat-e-s qu'il a investi-e-s aux législatives. Il n'y a rien d'anormal à cela.
Mais France Insoumise n'est pas seulement un regroupement plus ou moins informel de groupes locaux. C'est aussi une structure nationale particulière, dotée de ce que les camarades nomment une « équipe animatrice ». Et c'est là que s'y prennent les décisions d'orientation politiques. Notre dernier CN a décidé au terme de ses débats que « En cas de décision de FI de mise en œuvre d'un processus constituant, que nous souhaitons, […] en vue d'un nouveau mouvement démocratique, pluraliste, tourné vers l'action et pour la construction d'une véritable alternative, notre mouvement décidera de sa réponse. » Lorsque l'EAN a discuté de la mise en œuvre de cette résolution, et qu'a été évoquée la nécessité d'entrer en contact avec l'équipe animatrice de FI pour lui faire part de notre souhait que soit mis en place un tel processus constituant, un camarade a expliqué que cela n'était pas possible, et que l'on pouvait, au mieux, s'adresser à la direction du Parti de Gauche. Il en résulte un hiatus qu'il faudrait savoir dépasser.
La déclaration des camarades est suffisamment brève pour pouvoir être commentée et interrogée pas à pas. S'agissant des constats, on remarquera simplement – même si cela est accessoire – qu'en disant que « à l'occasion des élections présidentielles et législatives […] des centaines de milliers d’hommes et de femmes se sont mis en mouvement » ils forcent le trait. Pour ample qu'elle ait été, la mobilisation militante dans le cadre des campagnes électorales se chiffre plutôt en dizaines de milliers, ce qui est beaucoup, et il est inutile d'en décupler les chiffres pour faire les choix pertinents. De même, s'il est indiscutable que de nombreux-ses jeunes ont été mobilisé-e-s à cette occasion, on a pu voir que le rassemblement du 12 juillet Place de la République ne brillait pas particulièrement par sa jeunesse : dans son état actuel, la mobilisation de France Insoumise reste celle de secteurs militants assez traditionnels – mais bien sûr, cela ne saurait préjuger de l'avenir. D'une façon générale, il faut être prudent-e-s sur ce qui est durable ou définitif des nouveautés de la dernière séquence, en particulier en ce qui concerne les mobilisations militantes. Le champ politique n'a pas le moins du monde horreur du vide, et la disparition de ses cadres classiques n’entraîne pas automatiquement leur remplacement. Qu'une page soit tournée, comme le disent les camarades, me semble parfaitement exact : nous sommes entré-e-s dans le troisième âge de la 5e République. Que l'on puisse déjà lire la nouvelle page sur la seule base de ses premiers mots est moins évident, et des développements sont nécessaires si l'on veut prendre les décisions utiles. Cela dit, je partage sans réserve l'idée suivant laquelle il convient de « de préparer le plus tôt possible les conditions d’une alternative, les conditions d’une majorité politique. »
Mais le cœur de l'analyse des camarades est que cela supposerait un rassemblement « dans le cadre construit par France insoumise durant cette campagne. » Or, ce « cadre » est ambivalent et en mouvement permanent, en recherche, en travail. France Insoumise n'a d'ailleurs construit aucun cadre : elle est elle-même le cadre construit pour les besoins de la campagne électorale. La question de savoir ce qui sera fait de ce cadre, de la manière dont il se transformera, ou non, est donc décisive – au regard même des décisions que l'on nous demande de prendre. Bien sûr, il ne saurait être question de nous borner à regarder ce que les choses vont devenir, pour décider ensuite de nos choix : il est légitime – et c'est même en un sens la seule chose envisageable dans une logique d'engagement militant – de chercher à contribuer d'emblée aux processus constituants à venir que nous souhaitons. C'est ce que nous avons collectivement dit au CN. Mais cela suppose d'avoir d'une part une orientation – et donc notre propre cadre pour l'élaborer – et d'autre part des interlocuteurs et interlocutrices. Et sur ce point, la déclaration des camarades est trop elliptique pour juger des possibilités réelles qui sont ouvertes.
C'est encore selon moi à juste titre que la déclaration souligne que « aucune force pérenne ne saurait se construire ni s’enraciner sans agglomérer les expériences militantes syndicales, associatives, politiques dont le patrimoine et le capital vivant sont décisifs pour fortifier l’acquis et surmonter les pièges et les difficultés qui ne manqueront dans notre combat contre l’oligarchie capitaliste. » Et à plus juste titre encore qu'ils et elles précisent : « Nous avons besoin dans le pot commun du meilleur du socialisme, du communisme, de l’écologie politique, du syndicalisme, du féminisme, de l’altermondialisme, de l’anticapitalisme. » Mais force est de constater que cette idée juste – et qui correspond exactement aux raisons d'être d'Ensemble ! – n'est pas, à ce stade, une évidence dans le discours public des animateurs et animatrices de France Insoumise. Sans en avoir débattu publiquement, non seulement avec elles et eux, mais avec les militant-e-s de ce mouvement, cela risque fort de relever du vœu pieu.
Du « processus constituant » que nous souhaitons, les camarades disent, en cohérence avec le titre de leur déclaration, qu'il est « de la responsabilité de l’équipe animatrice de France insoumise ». A lire ce qu'en écrit Jean-Luc Mélenchon lui-même, cela n'est pas gagné. Mais en toute hypothèse, c'est une responsabilité qui devrait être partagée, et la même logique de l'engagement militant qui conduirait à entrer sans attendre dans France Insoumise devrait également conduire à ne pas attendre que le signal soit donné par d'autres. Et elle devrait être partagée non seulement avec cette « équipe animatrice », mais au-delà d'elle avec l'ensemble des militant-e-s qui le souhaitent – quels que soient leurs choix lors des élections passées, même si c'est en premier lieu avec celles et ceux qui ont fait les nôtres. Il n'entre sans doute dans les intentions de personne de se plier a priori à tels ou tels diktats qui pourraient être formulés ; il n'en est qu'au plus fort nécessaire de proposer un débat public sur les formes, conditions et modalités d'un tel processus constituant.