[RSS] Twitter Youtube Page Facebook de la TC Articles traduits en castillan Articles traduits en anglais Articles traduits en allemand Articles traduits en portugais

Newsletter

Ailleurs sur le Web [RSS]

Lire plus...

Twitter

Les mutuelles vont-elles perdre leur âme ?

santé

Lien publiée le 20 juillet 2017

Tweeter Facebook

Ces articles de la rubrique « Ailleurs sur le web » sont publiés à titre d'information et n'engagent pas la Tendance CLAIRE.

https://www.anti-k.org/2017/07/20/les-mutuelles-vont-elles-perdre-leur-ame/

JED – Au cours de la dernière campagne présidentielle, on a vu les libéraux défendre le démantèlement de la Sécurité Sociale au profit des assurances privées, les antilibéraux de la France Insoumise proposer le remboursement des frais de santé à 100% vers l’étatisation de l’Assurance Maladie, notamment en la finançant par la CSG et non les seules cotisations sociales. Le programme de Philippe Poutou, favorable à la disparition de fait des complémentaires santé, ne tombait pas dans ces travers (voir page 11 : défendre et étendre la sécurité sociale) : Brochure campagne Poutou V2 – mars 2017

NPA Santé-Sécu-Social – Alternatives économiques – Mathias Thépot

Les mutuelles doivent faire face à la fois à la concurrence exacerbée des assureurs privés et au renforcement des règles prudentielles. Au risque de mettre à mal leurs valeurs mutualistes.

Les mutuelles sont-elles amenées à disparaître ? La question peut sembler incongrue, tant ces organisations, fers de lance de l’économie sociale et solidaire, occupent une place importante à la fois sur le marché des complémentaires santé et sur celui de l’assurance de biens. Et pourtant, elles sont aujourd’hui bousculées par les assureurs et les bancassureurs*, attirés par des marchés rentables. Cette évolution menace la survie, non pas tant des mutuelles elles-mêmes, que du modèle mutualiste.

Celui-ci associe en effet absence de sélection des clients (tout le monde peut bénéficier d’un contrat dans des conditions analogues grâce à la mutualisation des risques1), non-lucrativité (l’objectif n’est pas de faire des bénéfices pour rémunérer des actionnaires) et gouvernance démocratique, (les sociétaires ont leur mot à dire sur les orientations de la structure). Un modèle aujourd’hui mis à mal.

Chamboulées par la réglementation

Les mutuelles complémentaires de santé dites « 45 » (Harmonie mutuelle, MGEN, La Mutuelle générale, Eovi MCD mutuelle, etc.) doivent faire face à des évolutions réglementaires importantes. En 2013, le Conseil constitutionnel a interdit les clauses désignant un seul organisme assureur lors d’un accord de branche signé entre les partenaires sociaux dans les domaines de la complémentaire santé et de la prévoyance : un vrai chamboulement pour le secteur.

Et, depuis le 1er janvier 2015, la notion de « contrat responsable » qui s’applique aux contrats de complémentaires santé a été redéfinie : pour limiter la hausse des dépenses de santé, le remboursement des dépassements d’honoraires a été interdit au-delà d’un certain seuil. Ouvrant ainsi le champ aux assurances « surcomplémentaires » optionnelles, souscrites par les salariés, un segment très concurrentiel que les assureurs privés affectionnent.

Enfin, depuis le 1er janvier 2016, les entreprises sont dans l’obligation de proposer à leurs salariés une complémentaire santé d’entreprise. Cette décision favorise la couverture collective des salariés, qui pour certains s’assuraient par le biais de contrats individuels. Le hic, c’est que l’assurance santé individuelle est un marché où les mutuelles sont particulièrement présentes. Selon les premiers retours, les bénéficiaires de cette nouvelle obligation sont les assureurs, qui s’attaquent à un nouveau marché, et les institutions de prévoyance, des organismes paritaires acteurs traditionnels des contrats collectifs de complémentaire santé.

Des adhérents vieillissants

Par ailleurs, les mutuelles de santé doivent faire face au vieillissement de leurs adhérents, auxquels il faut rembourser toujours plus de soins. Selon la Direction de la recherche, des études, de l’évaluation et des statistiques (Drees), les assurés des mutuelles sont en effet nettement plus âgés que ceux des sociétés d’assurances : 41 % ont plus de 60 ans, contre seulement 28 % pour les assureurs. Pour équilibrer leur modèle, les mutuelles auraient donc besoin de séduire des clients plus jeunes. Or, ceux-ci sont aussi la cible privilégiée des assureurs, qui peuvent se permettre d’être plus agressifs à leur égard dans leur politique tarifaire puisqu’ils ne mutualisent pas les risques (entre les jeunes, qui coûtent moins cher aux assureurs, et les aînés qui reçoivent plus de soins). Les mutuelles perdent ainsi des parts de marché au profit des assurances : alors que ces dernières ne détenaient que 19 % du marché de la complémentaire santé en 2001, elles géraient 29 % de ce marché de 34 milliards d’euros en 2015 (voir graphique).

« Il est fini le temps où tous les risques étaient homogènes » Roger Belot



Certes, les mutuelles restent encore prédominantes avec 53 % des cotisations de complémentaires santé collectées en 2015, selon la Drees, mais à terme leur survie est menacée. Elles doivent donc s’adapter à la concurrence. Leurs « pratiques tarifaires en individuel semblent se rapprocher, ces dernières années, de celles des sociétés d’assurances », constate la Drees. Par exemple les contrats dont le tarif est croissant en fonction des revenus de l’assuré ne représentaient plus que 29 % des personnes couvertes en 2013, contre 37 % en 2006. De même, en 2013, seulement 12 % des personnes couvertes par les contrats les plus souscrits des mutuelles payaient une cotisation ne dépendant pas de l’âge, contre 36 % en 2006 (voir graphique). Autant d’entailles au principe de non-segmentation du public, qui était constitutif des valeurs mutualistes.

Un engagement militant mis à mal

Du côté des mutuelles d’assurances de biens, l’autre grande famille de mutuelles, le processus de « démutualisation » s’est engagé plus tôt. Beaucoup de ces mutuelles étaient pourtant nées, elles aussi, d’un engagement militant pour un modèle économique plus solidaire. Mais force est de constater que sur le marché de l’assurance dommages (automobile, multirisque habitation, biens professionnels, etc.), qui pèse 58 milliards d’euros annuels, les pratiques des Groupama, GMF, Matmut et autre Maaf se distinguent désormais peu de celles des compagnies d’assurances.

« Les politiques de sélection des risques des mutuelles et des assureurs se rapprochent de plus en plus », constate Olivier Gayraud

Moins sujettes aux exigences de rentabilité à court terme que les assureurs du fait de leurs principes et de l’absence d’actionnariat, les mutuelles devraient théoriquement être prémunies contre les dérives du modèle low cost. Or, les plaintes recensées sur le site de l’UFC Que Choisir montrent que les pratiques des mutuelles suscitent quasiment autant l’opprobre que celles des assureurs classiques.

Le modèle mutualiste qui veut que les « bons » risques paient pour les « mauvais » est, là aussi, mis à mal par la concurrence des assureurs et des bancassureurs « qui ont segmenté au maximum leurs offres et les risques associés, ce qui leur permet d’avoir des tarifs attractifs sur les clients les plus rentables », explique Cyrille Chartier-Kastler, fondateur du cabinet Facts & Figures, spécialiste de l’assurance. « Il est fini le temps où tous les risques étaient homogènes », concède Roger Belot, ancien PDG de la Maif et président de la Chambre française de l’économie sociale et solidaire.

« Les politiques de sélection des risques des mutuelles et des assureurs se rapprochent de plus en plus », constate Olivier Gayraud, juriste à l’association de défense des consommateurs et des usagers CLCV (Consommation, logement et cadre de vie). De même, les ristournes appliquées autrefois par les mutuelles à leurs sociétaires à l’issue des années bénéficiaires ne sont plus à l’ordre du jour. Du fait des règles prudentielles européennes dite de Solvabilité 2, la priorité est à la mise en réserve de bénéfices pour constituer des fonds propres.

Pour résister à la concurrence, les mutuelles santé ont pris le parti de se regrouper afin d’atteindre une taille critique et de dégager des économies d’échelle. Le récent rapprochement d’Harmonie mutuelle et de la MGEN, deux mastodontes du secteur, en est une des illustrations les plus frappantes. Un mouvement qui s’est accéléré ces dernières années du fait des nouvelles règles prudentielles européennes, dites « Solvabilité 2 », consécutives aux crises financières de 2001 et 2008. Elles exigent en effet des organismes assurantiels et mutualistes un niveau de fonds propres nettement plus élevé qu’auparavant, un niveau souvent inatteignable pour les petites et moyennes mutuelles. Ainsi, 58 % des mutuelles de santé ont disparu entre 2006 et 2015, selon l’Autorité de contrôle prudentiel et de résolution (ACPR). Elles sont à peine plus de 400 aujourd’hui et, à terme, « il ne restera qu’une douzaine d’acteurs tout au plus sur le marché des complémentaires santé », estime Cyrille Chartier-Kastler, fondateur du cabinet Facts & Figures.

Cette concentration remet en cause le lien traditionnellement fort entre assurés et mutuelle, qui reposait le plus souvent sur un métier ou une branche d’activité particulière. Et rend souvent encore plus théorique la gouvernance démocratique de ces mastodontes par les représentants des assurés.

Là aussi, le modèle de gouvernance démocratique des groupes mutualistes, souvent devenue déjà assez théorique, est mis à mal. Enserrées dans un contexte concurrentiel tendu, les mutuelles tendent progressivement à limiter la participation de leurs sociétaires, qui exige du temps, de l’énergie et de l’argent. Les mutuelles du groupe Covéa (MMA, MAAF et GMF) avaient en 2015 plus de 11 millions de clients : pas facile dans ces conditions d’envisager une vraie démocratie directe en interne et une proximité entre dirigeants et sociétaires !

Une bonne connaissance des sociétaires

Ce constat d’une banalisation mérite toutefois d’être nuancé. « Plus de la moitié des contrats en assurances dommages de particuliers reste détenue par des mutuelles d’assurances », tempère Cyrille Chartier-Kastler. Et malgré l’application de la loi dite Hamon de 2014 sur la consommation, qui facilite la résiliation des contrats, les clients des mutuelles leur restent en majorité fidèles. « Les mutuelles d’assurances savent résister », confirme Cyrille Chartier-Kastler. « Elles s’appuient sur une très bonne connaissance de leurs sociétaires et sur la qualité du service délivré », ajoute-t-il. « Tant que les mutuelles proposeront un service et une relation de qualité au juste prix, tout en réalisant un minimum d’excédents pour les stocker en fonds propres, il n’y aura pas de raison que leurs adhérents les quittent », confirme Roger Belot. Pour l’ancien PDG de la Maif, le monde mutualiste devrait même affirmer davantage ses valeurs, en « refusant la banalisation ». « Nous avons tout à gagner à cultiver la différence mutualiste ! », insiste-t-il. Et d’ajouter : « Il faut faire comprendre qu’il y a, d’un côté, les assureurs qui maximisent leurs profits pour mieux rémunérer les actionnaires et, de l’autre, les mutuelles avec une gouvernance démocratique qui cherchent à trouver des réponses aux besoins de tous. »

Mais, pour ne rien arranger, un nouveau risque se profile pour le mutualisme : les grandes entreprises du numérique possèdent un niveau d’information jamais vu sur les habitudes des consommateurs. « La digitalisation risque d’entraîner une segmentation hyperprécise des risques », craint Roger Belot. Si elles venaient à utiliser leurs données à des fins assurantielles, « les grandes entreprises du numérique pourraient profondément mettre à mal les principes du mutualisme », s’inquiète-il.