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    La permanence du combat pour le matérialisme

    Philosophie sciences

    Lien publiée le 21 juillet 2017

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    Ces articles de la rubrique « Ailleurs sur le web » sont publiés à titre d'information et n'engagent pas la Tendance CLAIRE.

    http://www.npa-dr.org/index.php?option=com_content&view=article&id=100:quand-la-bourgeoisie-a-peur-du-progres-ou-la-permanence-du-combat-pour-le-materialisme&catid=9:article-lettre

    Quand la bourgeoisie a peur du progrès ou la permanence du combat pour le matérialisme

    Le gouvernement d’Erdogan vient d’annoncer que la théorie de l’évolution des espèces de Charles Darwin ne serait plus enseignée dans les collèges et les lycées à partir de la prochaine rentrée en Turquie, au nom des « valeurs turques ». Aux Etats-Unis, la milliardaire Betsy DeVos, nommée par Trump ministre de l’éducation nationale veut favoriser l’enseignement privé religieux pour « faire avancer le royaume de Dieu ».

    Deux exemples inquiétants pour illustrer qu’au moment où toute la société s’enfonce dans une crise globale financière, économique, sociale, écologique, où le pouvoir des classes dominantes y perd en légitimité, on assiste à une offensive des idéologies les plus réactionnaires nationalistes, racistes, sexistes, religieuses… n'hésitant pas à nier les avancées de la connaissance scientifique ou à leur opposer une « post-vérité », des « faits alternatifs ».

    Cette offensive déstabilise, brouille les repères dans toute la société jusque dans les rangs de ceux qui combattent pour l'émancipation sociale. Le rejet des discours officiels mensongers qui justifient des politiques réactionnaires avec un pseudo-discours scientifique peut conduire à remettre en cause la science elle-même, comme si finalement ce n’était qu’une opinion, une construction sociale comme une autre. Ce relativisme ne peut que désarmer les consciences et ouvrir la voie à tous les errements idéologiques, plus rien n’étant rattaché à une réalité objective connaissable.

    Les classes dirigeantes ont toujours cherché à dominer les esprits et les consciences en s'appuyant sur des constructions idéologiques justifiant des morales archaïques, rétrogrades, celles qui en appellent au respect de Dieu, de l’ordre établi, du pouvoir des riches et des puissants.

    Ces idéologies peuvent prendre mille et un visages, se revendiquer directement de la religion ou prétendre s'appuyer sur la philosophie, des valeurs morales, et même se revendiquer d’un discours scientiste. Mais elles ont toute le même fond réactionnaire, elles s’appuient sur le manque de connaissances, de culture que bien souvent elles entretiennent… d’où ces attaques régulières contre l’éducation. Elles s’appuient aussi sur les inquiétudes et les craintes qui naissent d’un sentiment d’impuissance.

    Ces idéologies permettent aux classes dominantes de masquer la réalité sociale des rapports d’exploitation, d’enraciner dans les esprits le mensonge du caractère éternel, figé, incontestable de l’ordre établi.

    A l’opposé, la société a évolué, s’est transformée, a progressé en permanence grâce à la lutte contre les préjugés, grâce aux progrès de la science et, de façon plus générale de la pensée humaine émancipée de ses propres interprétations et délires pour comprendre la nature et les rapports sociaux démystifiés. Le matérialisme est à la base de cette connaissance objective, scientifique du monde, celle qui émancipe par la compréhension des lois naturelles qui gouvernent son évolution comme de celle des sociétés humaines, l’histoire.

    Il n'est pas une option philosophique, une théorie parmi d’autres qu'on pourrait choisir ou pas, mais bien la méthode sur laquelle repose toute démarche scientifique conséquente, c'est-à-dire qui ne fait pas qu'accumuler des faits sans liens entre eux mais vise à les intégrer dans une vision, en perpétuelle construction, globale et cohérente du monde.

    Le matérialisme postule que la matière est en premier, qu’il existe donc une réalité matérielle objective, indépendamment de la conscience que nous en avons. Cette réalité peut s'expliquer et être comprise par l’étude des lois qui existent et se développent en son sein, sans faire appel ni à un Dieu, ni à aucun principe abstrait, aucune transcendance, existant en-dehors du monde matériel. Les réponses aux grandes questions que les êtres humains peuvent se poser sur eux comme sur le monde qui les entoure sont à chercher dans la connaissance objective, scientifique, matérialiste de la réalité et non dans des spéculations abstraites.

    Le matérialisme s'est construit dans une lutte permanente et inachevée contre la religion. Il a contribué à émanciper, libérer les esprits de l'emprise des croyances religieuses et mystiques à des époques où ces croyances, justifications du pouvoir bien concret et matériel des Églises, des Rois et des classes dominantes, façonnaient toute la vie sociale. Le matérialisme est lié au développement du travail humain qui implique d’avoir prise sur le réel et donc repose sur la science et la technique. Au contraire, l’appropriation du travail humain par les classes dominantes a toujours eu besoin d’idéologies mystificatrices pour faire accepter leur domination en soumettant les cerveaux.

    Darwin et Marx ont tous les deux participé à la révolution du matérialisme au 19e siècle en permettant la compréhension de l'évolution de la vie et de l’histoire des sociétés humaines. Leurs idées se sont forgées à travers la Révolution industrielle, sur la base des progrès scientifiques et techniques produits du travail humain.

    Leurs idées ont provoqué autant l’enthousiasme de tous ceux qui étaient attachés au progrès des connaissances humaines que l’hostilité de la part de tous les défenseurs de l’ordre établi et de sa morale bien-pensante. C’est la même hostilité qui se manifeste aujourd’hui face au nouveau progrès du matérialisme, des connaissances scientifiques qui sont autant de points d'appui pour l'émancipation humaine.

    La théorie de Darwin : une vision matérialiste et évolutionniste de la Nature

    La théorie de l'évolution à laquelle Darwin a donné une base scientifique dès 1859, année de la publication de L’Origine des espèces, est aujourd’hui reconnue comme le cadre fondamental pour comprendre le monde vivant. Dans ses grandes lignes cette évolution repose sur un mécanisme simple : la vie produit en permanence de la diversité parmi les populations d’êtres vivants, qui est mise à l'épreuve de l'environnement à travers le mécanisme de la sélection naturelle qui favorise certaines variations au détriment d’autres. Depuis 150 ans, tous les progrès sur le monde vivant sont venus enrichir, compléter et donc confirmer la réalité de l'évolution. Dans sa forme modernisée, la théorie de l’évolution intègre l’ensemble de ces nouvelles connaissances : la géologie moderne et l’étude des mouvements des plaques terrestres ; les découvertes de nouveaux fossiles notamment humains ; la biologie cellulaire et les mécanismes de l'hérédité ; l'étude des comportements animaux…

    C’est une théorie qui rend compte de l’état présent du monde vivant par son évolution. Elle explique à la fois sa très grande diversité, que les scientifiques n'ont toujours pas fini d'explorer, et sa profonde unité, qu'illustre l'universalité de l'ADN et du code génétique.

    Bien sûr, bien des points restent à éclaircir, mais les nouvelles découvertes se font aujourd’hui dans le cadre du développement de la théorie scientifique de l’évolution car, comme le résumait en une formule le biologiste américain Dobjansky, « Rien en biologie n’a de sens, si ce n’est à la lumière de l’évolution ».

    Une conception toujours remise en cause par les églises

    Malgré cette reconnaissance, la théorie de Darwin reste indigeste pour les Églises et leurs défenseurs, car elle sape les fondements de la croyance religieuse comme elle bouscule plus largement toutes les idéologies qui font de l’Homme un être à part, pour montrer qu’il n’est qu’une espèce particulière dans un monde vivant produit de l’évolution ! Ni chef-d’œuvre d'une création divine, ni même point d'orgue d'une évolution dont il serait l’aboutissement, il ne reste plus à l'Homme, conscient de sa pleine intégration au monde naturel, qu’à se donner les moyens de prendre en main sa propre histoire !

    L’Église a bien été obligée de s'adapter aux progrès de la science et a dû régulièrement mettre de l'eau dans son vin de messe. Ainsi a-t-elle fini par reconnaître que, aux 16e et 17e siècles, Copernic puis Galilée (officiellement réhabilité en… 1992 !) avaient bien eu raison de dire que la Terre tourne autour du Soleil alors que l'Église imposait le dogme, fidèle à la Bible, d’une Terre au centre de l'Univers. En 1996, le pape Jean-Paul II a déclaré que l’évolution ne devait plus être considérée comme « une simple hypothèse ». Mais il a aussitôt précisé que « les théories de l’évolution qui, en fonction des philosophies qui les inspirent, considèrent l’esprit comme émergeant des forces de la matière vivante (…) sont incompatibles avec la vérité de l’homme ». L’Église s’est adaptée mais pas sans résistance et surtout en cherchant toujours à préserver l'essentiel : le « mystère de la création » et la croyance en une âme humaine, seule justification de la morale religieuse. Tels sont les derniers camps retranchés des Eglises devant lesquels bien des raisonnements s’arrêtent et que la science, par son progrès, menace.

    L’offensive des classes dominantes permet aujourd’hui aux créationnistes et intégristes de tout ordre, chrétiens, juifs ou musulmans, de regagner du terrain dans leur combat contre le matérialisme.

    Des croisades créationnistes au dessein intelligent, une lutte politique

    Pour les créationnistes, les réponses aux secrets de l'univers sont seulement à chercher, selon les religions, dans la Bible, le Coran ou le Talmud, ces « livres "sacrés" poussiéreux, remplis des contes de fées philosophiques de l'enfance primitive  » selon l’expression de Trotsky.

    Aux États-Unis, principale puissance capitaliste mais aussi bastion mondial du créationnisme, leur combat n’a jamais vraiment cessé, témoignant de cette lutte toujours vivante des milieux réactionnaires contre l’idée même d’évolution. C’est avant tout une lutte politique qui combat le progrès des sciences, les classes travailleuses qui le portent, pour préserver les fondements de la morale et de l’ordre social.

    Dans les années 1920, dans plusieurs États réactionnaires du Sud, sous la pression de groupuscules protestants fondamentalistes, des lois furent votées interdisant l’enseignement de l’évolution dans les écoles publiques, comme contraire au récit de la Genèse et aux valeurs religieuses de la société américaine. Ces lois ne furent abolies que dans les années 60.

    Au début des années 80, des groupuscules fondamentalistes refirent une tentative dans 26 États pour contourner la laïcité et obtenir des lois pour l’enseignement de la Bible dans les écoles publiques. Fait nouveau, ils revendiquaient l’enseignement du créationnisme au même titre que l’évolution, comme deux hypothèses à considérer à égalité, et furent soutenus.

    Les créationnistes américains ont « modernisé » leurs discours en prétendant donner une coloration scientifique aux écrits bibliques. Ils ont créé des universités délivrant des doctorats, produisent une multitude de publications, de conférences, de musées pleins de jargon pseudo-scientifique… pour défendre le récit de la création divine en 6 jours. Ils exercent ainsi une pression sur les milieux scientifiques comme sur l’ensemble de la société.

    La victoire de Trump, qui n’hésite plus à grossièrement s’asseoir sur les faits scientifiques pour justifier sa politique, relance cette offensive contre le progrès et la science. Dans le gouvernement Trump, Mike Spence, le vice-président est un créationniste notoire de même que Ben Carson, ministre du logement mais pressenti un temps au poste de ministre de l’éducation nationale. Celui-ci défendait, il y a quelques années, la théorie d'une Terre jeune de 6000 ans, qualifiait la théorie de l'évolution de « satanique » et celle du Big bang de « conte de fées ».

    Il n’y a pas qu’aux Etats-Unis que les créationnistes sont renforcés par l’offensive des classes dirigeantes. Accompagnant les reculs anti-démocratiques qu’Erdogan impose à la Turquie, le conseil de l’enseignement supérieur turc a décidé de retirer des manuels scolaires la théorie de l’évolution, jugée controversée et trop compliquée à comprendre pour les élèves, le vice-premier ministre déclarant que les travaux de Darwin était « vieux et mauvais ».

    A côté de cette offensive créationniste frontale et ouvertement hostile à la science, une autre remise en cause du matérialisme consiste à défendre le même vieux fatras mais en l’enrobant d’un discours évolutionniste, c’est le cas avec l’idéologie du dessein intelligent (Intelligent Design en anglais). Ses défenseurs ont fini par admettre l’évolution mais... en en faisant l’œuvre de Dieu. L’évolution serait orientée, guidée par une main invisible dont le seul but aurait été d'arriver à l'Homme.... Ils affirment que « certaines observations de l'univers et du monde du vivant seraient mieux expliquées par une cause intelligente que par des processus aléatoires tels que la sélection naturelle ». Cette nouvelle stratégie, développée par un cercle de réflexion conservateur chrétien américain, le Discovery Institute, ne cache pas ses objectifs : « vaincre le matérialisme scientifique et ses héritages moraux, culturels et scientifiques ; remplacer les explications matérialistes par la compréhension théistique que la nature et l’être humain sont créés par Dieu. ».

    Rien de nouveau donc, le dessein intelligent ne fait que resservir un vieil argument religieux contre l'évolution : le monde vivant a atteint un tel degré de perfection qu’il ne peut que résulter de l’intervention d’une force extérieure. De telles conceptions finalistes de la nature ont fleuri au 18e siècle sous le nom de « théologie naturelle », c’est-à-dire la croyance en un « grand horloger » nécessaire à la mise en œuvre d’une mécanique aussi parfaite que notre univers.

    La science a depuis longtemps réfuté cette illusion d'une prétendue perfection de la nature et de l'Univers en montrant que la diversité actuelle est le résultat d'un foisonnement d'innovations, de bricolages qui ont parfois permis des adaptations mais aussi entraîné des impasses évolutives et d'innombrables disparitions. L'évolution, par le mécanisme de la sélection naturelle, procède sans but prédéterminé.

    « Une évolution en quête de sens », disent les théoriciens finalistes mais c’est pour mieux nous ramener à l’existence d’une force supérieure qui domine l’Homme… pour le soumettre.

    L’Inconnaissable, le « Propre de l’Homme »… refuges de Dieu et des idéologies

    Darwin ruine cette vieille conception religieuse qui considère l’Homme comme un être créé par Dieu pour dominer une Nature qui lui a été donnée pour y régner en maître. Avec ou sans Dieu, cette conception perdure dans toute les idéologies… Quand Darwin, comme la science moderne, montre la continuité des êtres humains avec le monde animal, la religion, les idéologies opposent le préjugé d’une différence fondamentale entre eux. La conscience, la pensée abstraite, l’intelligence, la morale, bref tout ce que la religion résume dans le terme fourre-tout d’« âme », serait l’ultime trace du petit coup de pouce de Dieu. Là où certains voient un élément mystérieux et, dominés, inventent une force supérieure dont nous serions la création, les sciences biologiques et les sciences humaines progressent, pour comprendre et décrire l’histoire de cette espèce particulière. L’Homme est le produit d‘un processus prodigieux qui a conduit en quelque sorte la matière à devenir consciente d’elle-même. Et si la science n’arrive pas encore à expliquer tous les enchaînements qui y ont conduit, c’est seulement en s’inscrivant dans cette dimension matérialiste qu’elle progresse.

    Justement la science n’explique pas tout, nous dit-on…

    Certes, et elle n’a pas cette prétention, mais il est vrai que le dessein intelligent et autres théories finalistes se nourrissent de ce que la science n’explique pas encore, de la part d’ignorance qui ouvre la porte aux explications « surnaturelles », religieuses… Si on ne peut expliquer ce qui a précédé l’instant du Big Bang, si de nombreux points d’ombre demeurent dans la compréhension de l’évolution, ce serait parce qu’il existe une volonté créatrice du monde… Là où la connaissance trouve aujourd’hui ses limites, les idéalismes s’engouffrent dans la brèche.

    Et c'est bien d’ailleurs la différence fondamentale entre la religion et la science. La science progresse, se remet régulièrement en cause, remplace les vieilles explications dépassées par de nouvelles théories intégrant les nouvelles connaissances pour permettre une vision toujours plus précise de la réalité. La religion, comme toutes les idéologies ne cherchent qu'à remanier, recycler, récupérer la science pour maintenir les mêmes vieux dogmes, les mêmes illusions pour dominer les esprits.

    La quête de sens dont se revendiquent les partisans du dessein intelligent et les idéalistes répond à un besoin social. C'est bien d'ailleurs le fait de répondre à ce besoin de donner du sens à son existence qui explique la persistance de la religion sous toutes ses formes. Mais ce besoin peut lui-même se comprendre comme un fait d’évolution qui s’est développé avec l’émergence de la société humaine à partir de l’évolution du monde vivant. C’est la réponse matérialiste que la théorie de l’évolution de Darwin permet d’apporter à l’origine de ces grandes interrogations humaines, de ce grand mystère… qui se ramène surtout à une grande illusion !

    « La seconde révolution darwinienne » : Évolution et émergence des sociétés humaines

    La théorie de l’évolution de Darwin a profondément bouleversé la vision de la place de l’Homme dans la nature. Darwin était parfaitement conscient des implications de sa théorie. Il a attendu onze années avant de publier son livre La filiation de l’homme et la sélection sexuelle en 1871. Onze années employées à accumuler de nouveaux faits pour mettre l’émergence des sociétés humaines avec ses particularités, en perspective avec l’évolution du monde vivant. Conscient des remises en cause qu’impliquait son travail, il écrivait : « La principale conclusion à laquelle je suis parvenu dans cet ouvrage, à savoir que l’homme descend de quelque forme d’organisation inférieure, sera, je regrette de le penser, hautement déplaisante pour beaucoup ».

    Tellement déplaisante qu’en réalité, autour de cette difficile question, se sont rapidement ouverts des débats où les préjugés sociaux ont remplacé l’étude scientifique, matérialiste, de la nature et de son évolution.

    La théorie de l’évolution dévoyée par des idéologues bourgeois pour justifier l’ordre social

    Les caricatures de la théorie de Darwin ne sont pas une simple incompréhension d’une nouvelle théorie scientifique. Elles font partie du combat d’idées qui a accompagné, au milieu du 19e siècle, la révolution industrielle et la montée en puissance d’une nouvelle classe dominante, la bourgeoisie. Il s’agissait de justifier les fondements du nouvel ordre social contre les anciennes classes attachées à leurs privilèges, mais aussi contre ceux qui dénonçaient le développement des inégalités sociales accompagnant l’industrialisation capitaliste. L’idéologie de cette nouvelle classe reposait sur un libéralisme total au sens de laisser faire les lois du marché, les lois de la libre concurrence, bref la loi du plus fort. D’où la remise en cause de la morale religieuse de la classe des grands propriétaires fonciers vivant de leur rente, mais d’où aussi le refus des mesures sociales visant à limiter la misère et donc l'hostilité aux luttes ouvrières naissantes.

    Herbert Spencer, un des défenseurs les plus radicaux de ce libéralisme, a voulu en donner un fondement philosophique reposant sur « une loi d’évolution », applicable pour lui de la matière jusqu’aux hommes et à la société. Et c’est sous la forme de cet évolutionnisme de Spencer théorisant la lutte individuelle, la survie du plus apte bientôt reformulée en « la survie du plus fort, du meilleur », que les milieux de la bourgeoisie ont accepté l’idée d’évolution. Peu importaient les approximations scientifiques et qu’une telle conception n’avait plus grand-chose à voir avec la théorie scientifique de Darwin. Pas plus aujourd’hui qu’à l’époque, la défense des intérêts de classe de la bourgeoisie ne s’embarrasse de rigueur scientifique, ni ne repose sur la patiente et méticuleuse étude objective des faits qui était la méthode de Darwin.

    Cette philosophie a très vite été surnommée « darwinisme social » alors que pour Darwin les généralisations à l’emporte-pièce de Spencer n’avaient « aucun usage strictement scientifique ». Spencer ne faisait que détourner, recycler une théorie scientifique pour donner un semblant de justification à l’idéologie libérale de la bourgeoise de son temps : « Les riches sont riches parce que ce sont les meilleurs et les plus forts… c’est une loi de la nature ! ».

    Sous diverses formes, de tels détournements de la théorie de l’évolution ont toujours accompagné les offensives des défenseurs du capitalisme. Dans les années 1980, des scientifiques américains ont élaboré une nouvelle théorie : la sociobiologie. Au départ, il s’agissait d’expliquer les comportements individuels d’insectes sociaux à partir d’une détermination génétique, héréditaire. Mais très vite certains, avec bien peu de rigueur scientifique, sont passés du comportement des fourmis à ceux des hommes en société, d’où la multiplication des découvertes fumeuses du gène de l’homosexualité, du gène de l’agressivité, du gène de l’intelligence… Ces « arguments scientifiques » arrivaient très à propos pour justifier l’offensive de l’État américain contre les classes populaires pour réduire de façon radicale l’aide publique de toute une série de programmes sociaux car si nos comportements sont déterminés par les gènes, ces lois de protections sociales ne servent à rien, puisqu’elles vont à l’encontre de l’évolution !

    C’est la même logique qui conduisait Galton, un cousin de Darwin, à remettre en cause toute forme de solidarité sociale au nom de la sélection naturelle. Il préconisait d’appliquer aux hommes une sélection artificielle pour rétablir les bienfaits biologiques de la sélection naturelle. Cet eugénisme de Galton exprimait avant tout la peur sociale d’un éminent représentant de la bourgeoisie anglaise face au développement de la misère et de la révolte accompagnant la révolution industrielle. Il voulait améliorer les lignées des grands hommes car il pensait que le « génie » et bien sûr en particulier celui de son milieu social, était héréditaire.

    Ces conceptions eugénistes ont conduit à bien des monstruosités. Dès le début du 20e siècle des programmes de stérilisation sont mis en place aux États-Unis et appliqués dans une trentaine d’états américains jusque dans les années 50, comme dans plusieurs pays européens. L’eugénisme a aussi servi de justification à la politique raciste du régime nazi en Allemagne comme aux lois de ségrégation aux États-Unis ou en Afrique du Sud.

    Le « darwinisme social » comme l’eugénisme n’ont rien à voir avec la théorie de Darwin, ni avec la science et montrent surtout l'infinie capacité des idéologues des classes dominantes à enrober leurs choix politiques de prétendus arguments scientifiques quitte à nier les avancées réelles des sciences.

    L’effet réversif : de l’évolution du monde vivant émerge la civilisation humaine

    Avec son livre de 1871, Darwin a répondu à ses soi-disant « défenseurs ». Il y a formulé une conception naturaliste, matérialiste de l’Homme, sans nier ses particularités mais en les comprenant en complète continuité avec l’évolution du monde naturel. C’est cet aspect de la théorie de l’évolution de Darwin, longtemps mal comprise, que Patrick Tort a remise en lumière, dans les années 1980, en la décrivant comme la seconde révolution darwinienne qu’il résume ainsi : « En termes simplifiés, la sélection naturelle sélectionne la civilisation qui s’oppose à la sélection naturelle », c'est ce qu'il appelle « l’effet réversif de l’évolution ».

    Darwin a montré que cette continuité entre le monde animal et l’être humain s’applique tout autant aux caractéristiques physiques qu’aux facultés mentales, morales et sociales des hommes. Il a pour cela décrit tout le règne animal pour étudier la grande variété des comportements existants, des animaux les plus simples et aux comportements limités jusqu'aux êtres humains avec leur vie sociale élaborée car reposant sur la conscience. D’instinctifs, individuels et rudimentaires, ces comportements sont devenus, à travers l’évolution, des instincts sociaux entraînant des comportements plus élaborés, prémisses des comportements dits humains, jusqu’à l’émergence de la société des hommes reposant sur des comportements sociaux conscients.

    Il ne s’agissait pas pour lui de ramener les comportements humains à des instincts animaux pour justifier la loi du plus fort, comme le faisait Spencer, mais de comprendre une histoire naturelle, une évolution de l’espèce humaine.

    L’émergence de la conscience, de la morale, du libre arbitre : un fait d’évolution

    Dans cette recherche de l’origine des comportements humains, Darwin a complété sa théorie de la sélection naturelle en montrant qu’un autre type de sélection joue aussi un rôle : la sélection sexuelle.

    C’est elle qui est à l’origine de la différenciation chez les animaux entre mâle et femelle et qui explique la diversité des comportements sexuels, de ces parades nuptiales qui ne sont que rarement un avantage en termes d’adaptation immédiate. Mais Darwin y voyait l’origine de l’émergence de l’altruisme qui se manifeste d’abord par la reconnaissance de l’autre sexe, puis par celle des petits, et enfin celle du groupe plus large que constitue l’espèce.

    Cet altruisme est à la base d’instincts sociaux plus ou moins développés chez nombre d’espèces qui conduit à la formation de sociétés animales. L’évolution ne fait donc pas que sélectionner les individus les plus aptes mais aussi des comportements, des réponses collectives, sociales. Et Darwin insistait sur le fait que ces instincts sociaux, en constituant un avantage pour l’ensemble de l’espèce, sont plus durables que les instincts individualistes.

    L’organisation sociale qui existe sous des formes très variées chez les animaux est donc un produit de l’évolution. Mais la particularité de l’espèce humaine, c’est qu’avec elle ces instincts sociaux se sont accompagnés du développement des facultés intellectuelles, du langage, de la pensée abstraite, et ont ainsi pu devenir la base d’une conscience sociale et du sens moral qui se sont finalement codifiés sous formes de lois régissant les sociétés au nom d’un Dieu ou d’une Constitution. Ainsi la civilisation humaine a émergé de l’évolution du vivant.

    Elaborer l’histoire naturelle de la conscience humaine est encore aujourd’hui un vaste chantier scientifique, où les débats idéologiques et les préjugés sociaux ne résistent pas longtemps aux résultats obtenus patiemment par les chercheurs. A chaque fois que des scientifiques ont eu suffisamment d’indépendance d’esprit pour s’affranchir des préjugés ambiants et se sont attaqués à définir scientifiquement une caractéristique qui ne serait propre qu’à l’Homme, ils ont découvert qu’elle existait, sous une forme ou sous une autre, dans le monde animal. La fabrication d’outils, le rire, le mensonge, la politique, l’altruisme, la solidarité, la sexualité pour le plaisir… tout cela se rencontre dans le monde animal. C’est l’immense apport de l'étude des comportements animaux, l'éthologie, et de ce que les scientifiques appellent la cognition évolutive c’est-à-dire l’étude de comment au cours de l’évolution est apparue la capacité des animaux d’acquérir des connaissances, de les analyser et de s’en servir pour survivre dans leur environnement. La multitude d’études, d’observations, de connaissances nouvelles accumulées ces dernières décennies a définitivement fait tomber cette barrière illusoire que l'Homme a artificiellement construite entre lui et le reste du monde animal en confirmant ce que Darwin écrivait : « Si considérable qu'elle soit, la différence entre l'esprit des hommes et celui des animaux les plus élevés n'est certainement qu'une différence de degré, pas de nature ».

    Encore aujourd’hui, ces progrès de la science bousculent bien des préjugés. Ainsi dans une récente chronique publiée dans le Figaro, Luc Ferry, philosophe, ancien ministre de l’Education Nationale, s’inquiète et s’indigne des résultats des travaux des scientifiques sous « l’influence de la théorie de l’évolution comme des progrès de l’éthologie ». Il y décrit cette « double stratégie donc qui, animalisant l’homme et humanisant les bêtes, conduit à effacer la différence spécifique que les penseurs humanistes s’imaginaient mettre en évidence en évoquant la liberté, l’histoire culturelle ou politique. La science moderne remettrait ainsi philosophie et religion à leur place en déconstruisant leurs présupposés naïvement spiritualistes ». Ferry aurait-il peur que l’intelligence animale rende le philosophe bête ?

    La seconde révolution darwinienne qui repose sur ce que Patrick Tort appelle « l’effet réversif de l’évolution » permet d’expliquer ce qui n’est contradictoire qu’en apparence et seulement dans la vision dualiste d’un philosophe : la nature et la culture. La société humaine, produit de l’évolution du vivant, repose sur la solidarité, le travail collectif, la culture, et constitue un nouvel environnement pour l’Homme d’où ont émergé d’autres lois que celle de la sélection naturelle décrite par Darwin : les lois historiques découvertes par Marx.

    Darwin, Marx, une même conception matérialiste de l’évolution et de l’histoire

    En 1859, l’année de parution de L’Origine des espèces, Karl Marx publie Contribution à la critique de l’économie politique, une première étude qui annonce Le Capital dans lequel il décrit les mécanismes de l’économie capitaliste en en faisant la critique du point du vue du monde du travail. Dans l’avant-propos qu’il rédige à cette occasion, il présente sa méthode matérialiste appliquée à l’histoire humaine, fruit de ses longues recherches en philosophie, ethnologie, économie politique, histoire.

    Comme le résume Engels : « (…) de même que Darwin a découvert la loi du développement de la nature organique, de même Marx a découvert la loi du développement de l’histoire humaine (…) »

    Marx : une conception matérialiste de l’histoire des sociétés humaines

    Bien sûr, à la différence de l’évolution du monde vivant, personne n’a jamais remis en cause le fait que les sociétés humaines se transforment, que les anciennes ont disparu pour laisser la place à de nouvelles. Mais quelles sont les causes de ces bouleversements ? Quel est le moteur du développement historique ? Jusque-là et encore bien souvent aujourd’hui, les seules explications étaient l’intervention de causes extérieures liées à la volonté divine, au bon vouloir des « grands hommes », Rois ou Seigneurs, ou encore à la réalisation de grands principes, de grandes valeurs morales qui gouverneraient les hommes comme la Liberté, la Démocratie.

    Marx s’est appuyé sur les connaissances de son temps, dans le domaine de l’économie mais aussi de l’histoire, pour chercher dans les conditions matérielles d’existence des hommes, les causes de cette évolution…  Voici comment il résumait lui-même, en 1859, le résultat de ses recherches dans son Avant-propos à la Contribution à la critique de l’économie politique :

     « Dans la production sociale de leur existence, les hommes entrent en des rapports déterminés, nécessaires, indépendants de leur volonté, rapports de production qui correspondent à un degré de développement déterminé de leurs forces productives matérielles. L'ensemble de ces rapports de production constitue la structure économique de la société, la base concrète sur laquelle s'élève une superstructure juridique et politique et à laquelle correspondent des formes de conscience sociales déterminées. Le mode de production de la vie matérielle conditionne le processus de vie social, politique et intellectuel en général. Ce n'est pas la conscience des hommes qui détermine leur être ; c'est inversement leur être social qui détermine leur conscience. »

    A la base des sociétés humaines il n’y a ni grands hommes ni idéologies, mais tout simplement la façon dont les hommes produisent, répartissent et utilisent ce dont ils ont besoin pour vivre, c’est-à-dire l’économie. Les différentes classes, aux intérêts antagonistes, naissent des différentes fonctions que les uns et les autres occupent dans le processus même de la production des richesses : maîtres ou esclaves, seigneurs ou serfs, propriétaires capitalistes ou ouvriers. C’est la production des biens matériels qui détermine les relations sociales et politiques, et du coup c’est le développement des outils, de la technique que les hommes mettent en œuvre par leur travail, qui est la cause première, la force motrice de tout le développement historique.

     Et Marx poursuit :

     « À un certain stade de leur développement, les forces productives matérielles de la société entrent en contradiction avec les rapports de production existants, ou, ce qui n'en est que l'expression juridique, avec les rapports de propriété au sein desquels elles s'étaient mues jusqu'alors. De formes de développement des forces productives qu'ils étaient ces rapports en deviennent des entraves. Alors s'ouvre une époque de révolution sociale. Le changement dans la base économique bouleverse plus ou moins rapidement toute l'énorme superstructure. »

    Les progrès des sciences et des techniques en modifiant les conditions du travail, modifient les rapports entre les hommes et les classes, entraînant des luttes sociales et politiques à travers lesquelles les nouvelles classes disputent aux anciennes leur domination sociale. Marx montrait ainsi que la succession des sociétés humaines n’est pas le résultat d’événements aléatoires, mais le produit d’une lutte des classes qui se poursuit toujours avec la lutte de la classe ouvrière contre la bourgeoisie.

    Contrairement aux idéologues de la bourgeoisie qui cherchaient à prouver le caractère « naturel » ou « moral » de la société bourgeoise, Marx a inscrit le mode de production capitaliste dans le mouvement historique général, dont il n’est qu’une étape, qu’une forme temporaire. Marx donnait ainsi un fondement théorique, une base scientifique aux idées du socialisme et du communisme.

    Jusqu’alors, pour les militants ouvriers et révolutionnaires, le socialisme restait un idéal de société juste et parfaite. Marx a permis d’armer la lutte sociale et politique des classes exploitées de la conscience que le développement historique rendait possible et nécessaire une société libérée de l’exploitation, le socialisme.

    Nature et civilisation : continuité réversive et effet de rupture

    Ainsi deux conceptions scientifiques matérialistes, la théorie de l’évolution de Darwin et le marxisme, ont, à la même époque, profondément révolutionné les idées sur le monde vivant, la place de l’Homme en son sein, comme sur l’histoire des sociétés humaines. En 1860, Marx, qui vient de lire L’Origine des espèces, écrit dans une lettre à Engels : « (…) c’est dans ce livre que se trouve le fondement historico-naturel de notre conception. »

    Les théories de Marx et Darwin sont complémentaires et participent d’une même avancée du matérialisme parce qu’elles sont des produits de leur temps, s’appuyant sur les progrès de la science et des techniques impulsés par les transformations sociales et politiques liées à l’essor du capitalisme. Elles sont l’œuvre de penseurs révolutionnaires qui ont produit un travail de recherches systématique et minutieux, en ancrant leur théorie dans les faits contre les idées reçues ou la morale bien-pensante, en bousculant les « préjugés intéressés des classes dominantes » pour reprendre l’expression de Marx.

    Elles permettent de relier les deux bouts de la chaîne de l’histoire de l’humanité : d’un côté son ancrage dans l’évolution biologique du vivant et de l’autre l’émergence du fait culturel humain jusque dans ses développements les plus sophistiqués, comme la morale, la conscience sociale et les lois particulières de cette histoire liées à la dynamique de la lutte des classes.

    Le passage de la nature à la civilisation par la sélection de comportements sociaux n’est ni de l’ordre d’une rupture, ni de l’ordre d’une simple continuité. Il est tout aussi absurde de vouloir construire un mur infranchissable entre les êtres humains et le monde animal comme s’acharnent à le faire les religions et les philosophes que de penser que l’on peut expliquer les rapports sociaux, la lutte des classes comme une simple continuité des sociétés animales comme le suggèrent les tenants de la sociobiologie.

    Il y a continuité, l’Homme reste un grand singe modifié, mais aussi rupture car avec l’histoire humaine la lutte des classes a pris le pas sur la sélection naturelle. Comme l’a souligné Patrick Tort, la seule issue pour dépasser l’opposition entre nature et culture est de penser ce passage comme une continuité réversive, c'est-à-dire une évolution continue qui a fini par aboutir à un effet de rupture, en faisant émerger une nouvelle réalité, différente, et qui suit ses propres lois.

    Pour sortir des oppositions rigides et paralysantes que la religion comme la philosophie et finalement toute les idéologies entretiennent, il suffit de se tourner vers la science, c'est-à-dire vers l’étude objective de la réalité comprise comme un processus historique, comme une réalité en devenir.

    Comprendre cette continuité réversive entre l’évolution biologique et l’histoire sociale permet de penser en termes matérialistes les contradictions qui traversent ce nouvel environnement que constitue la société notamment dans son rapport avec le reste du monde vivant.

    L’écologie, les sociétés humaines partie intégrante de la Nature

    En 1866, 7 ans après la publication de L’Origine des espèces, Ernst Haeckel, un biologiste allemand, ardent défenseur de l’évolution des espèces, athée et convaincu des progrès que la science pouvait apporter, baptise ce qui n’est encore qu’une science naissante : l’écologie. Il lui donne comme objet d’étude l’ensemble des relations que les êtres vivants établissent entre eux et avec leur environnement, en y incluant les activités humaines. L’entreprise est gigantesque et dépasse alors largement les possibilités techniques, scientifiques de l’époque mais c’est avant tout l’affirmation de la nécessité d’une science de synthèse s’inscrivant dans la continuité de la théorie de l’évolution de Darwin. Le monde vivant ne peut plus être considéré comme la simple juxtaposition d’espèces animales et végétales qu’il suffirait d’identifier et de classer.

    De la théorie de l’évolution de Darwin à une conception globale de l’évolution de la biosphère

    L'écologie, fille de la théorie de l’évolution, permet d'appréhender la biodiversité actuelle dans sa globalité comme le produit de l’histoire de l’ensemble de la Terre.

    En réalité, une telle étude n’a été rendue possible que depuis très peu de temps du fait des progrès des moyens techniques mis à la disposition des scientifiques, avec les réseaux de satellites, le développement de l'informatique. Elle a permis de repenser le vivant et son évolution à une échelle globale.

    Jusque-là les scientifiques avaient surtout étudié comment les êtres vivants s’adaptent aux conditions de leurs milieux. Ils étudient aussi désormais comment ils ont aussi modifié leur environnement et façonné la Terre pour en faire une planète unique dans un jeu complexe d’interactions.

    La biosphère repose sur un ensemble de cycles biochimiques, d’équilibres dynamiques qui se sont construits à travers une longue évolution. Ces équilibres ont été plusieurs fois modifiés, entraînant de grands bouleversements de la faune et de la flore, jusqu’à l’émergence de nouveaux équilibres plus ou moins stables.

    Cette étude reste encore inachevée du fait même de sa complexité.

    Les scientifiques continuent d’étudier à l’échelle de la planète et des temps géologiques comment la Terre est devenue un système intégré reposant sur des équilibres dans lesquels les sociétés humaines sont devenues un puissant facteur déstabilisant, notamment depuis la naissance et le développement du capitalisme.

    A l’heure de la mondialisation libérale et impérialiste, la prise de conscience de l’origine humaine du réchauffement climatique qui menace directement les conditions d’existence des humains fait de l’écologie une question centrale.

    L’écologie, construire une cohérence entre sciences de la nature et sciences sociales

    L’écologie, « la plus humaine des sciences de la nature », est surtout fille de la seconde révolution darwinienne. Car il s'agit bien d’intégrer dans cette étude les activités des sociétés humaines dont l’impact n’a fait que grandir au cours de l’histoire. L’écologie est ainsi le cadre où se construit aujourd’hui une cohérence entre l’étude de l’environnement terrestre et de son évolution et celle de la société humaine et de ses contradictions.

    L’Humanité est aujourd’hui devenue un « facteur géologique » déterminant mais on ne peut concevoir cette Humanité comme un tout homogène, en gommant sa particularité essentielle : son histoire sociale. Si l’origine humaine du réchauffement climatique est la découverte scientifique fondamentale de notre époque, cela implique qu’il trouve son origine dans les rapports sociaux de classes qui structurent la société capitaliste et qui sont le produit de son histoire.

    Cette interaction entre les sociétés humaines et leur environnement n’a pas commencé avec le capitalisme.

    L’un des premiers bouleversements importants induit par les civilisations humaines, c’est la révolution néolithique qui a transformé les hommes, jusque-là chasseurs cueilleurs, en éleveurs et agriculteurs. L’agriculture a entraîné l’apparition de nouvelles espèces de plantes modifiées par rapport aux espèces sauvages. Les cycles de matière et d’énergie dans un champ n’ont plus rien à voir avec ceux d’une prairie ou d’une forêt. Les hommes perturbent des cycles qu’ils doivent recréer par la mise en jachère ou l’utilisation d’engrais. Mais le développement du capitalisme a transformé l’ampleur de ces transformations.

    En l’espace de deux siècles, le capitalisme a rendu ce problème plus aigu que toute l’histoire de l’humanité ne l’avait fait auparavant. L’histoire du capitalisme s’accompagne de l’explosion de l’utilisation massive des énergies fossiles (charbon, pétrole, gaz). Avec la révolution industrielle en Angleterre au 19e siècle s’est généralisée l’utilisation de la machine à vapeur et donc du charbon. Cela répondait aux besoins non de l’ensemble de la société mais aux intérêts de classe de la bourgeoisie anglaise qui l’a ensuite imposée au reste du monde. Le charbon comme après lui le pétrole, capital fossile, sources d’énergies parfaitement adaptées aux besoins du capitalisme, sont devenus partie intégrante des cycles d’accumulation du capital dont la seule dynamique reste l’accumulation, la recherche du profit le plus immédiat.

    L'Homme dans et face à la Nature

    Cette situation nouvelle, inédite dans la longue histoire de la vie, oblige l’Humanité à devenir un acteur conscient de sa propre histoire. Patrick Tort souligne l'importance de l'écologie, « ce problème central du matérialisme et de la science : celui de l'homme se trouvant à la fois, de par son histoire évolutive (…) dans la nature, et face à elle. »

    Avec le développement des sociétés humaines, l'Homme échappe à la pression sélective de son environnement pour au contraire agir et l'adapter à ses besoins mais au prix d'une rupture des grands équilibres naturels. Cette capacité à transformer l’environnement en s’émancipant des lois de l’évolution condamne l’Humanité à penser rationnellement, consciemment, sa propre organisation sociale, c’est-à-dire les conditions dans lesquelles elle produit et répartit tout ce dont elle a besoin pour exister, au risque de créer les conditions de sa propre extinction.

    La question écologique est devenue une question sociale et politique car, dans le cadre du développement capitaliste régi par les lois aveugles du marché, l’Humanité est incapable de maîtriser les conséquences à long terme de ses activités.

    Pour échapper à cette contradiction, l’Humanité doit construire l’organisation sociale permettant l’utilisation de toutes les connaissances scientifiques et techniques pour planifier démocratiquement et rationnellement la production et les échanges à l’échelle de la planète.

    L'unité du matérialisme et ses progrès, fruit du travail humain et de ses luttes contre le capital...

    Les progrès des connaissances humaines n’ont jamais cessé, ils sont le produit du travail de millions d’hommes et de femmes à travers le monde. La bourgeoisie cherche à se les approprier à son profit mais elle est en réalité dépassée pas ces progrès et les possibilités qu'ils ouvrent pour le développement humain, l'émancipation. Quand Erdogan interdit l’enseignement de la théorie de l’évolution en Turquie, quand Trump remet en cause l’origine humaine du réchauffement climatique, ils sont peut-être réellement convaincus de leurs inepties anti-scientifiques, mais ce sont avant tout des choix politiques, dictés par les intérêts sociaux des classes dominantes dont ils sont des représentants.

    Nous ne sommes pas les seuls à voir les dangers de la montée des idéologies réactionnaires remettant en cause les progrès des sciences. Ainsi dans une récente tribune L’Histoire Naturelle, un outil précieux contre l’obscurantisme, publiée dans Le Monde, un groupe de scientifiques défend l’importance de la science : « Par son action persévérante, elle produit une connaissance rationnelle et objective du monde réel. Elle nous apprend à nous appuyer sur des faits scientifiques collectivement validés et non sur des opinions ou des croyances. (…) Sans l’histoire naturelle, l’homme ne peut construire un futur durable et équilibré sur une planète aux ressources ­limitées et soumise aux aléas climatiques. Avec cette dernière, nous sommes, en tant qu’humains, enracinés dans le monde naturel, et incités à penser en son sein, avec lui, et non pas contre lui. »

    Nous ne pouvons qu’être solidaires de ce combat mené par des scientifiques mais en liant ses enjeux à une lutte d'ensemble pour la démocratie, le bien-être, c'est à dire la possibilité pour toutes et tous de jouir de ces progrès. En fait, les enjeux de la lutte des classes. Car derrière l’opposition entre la science, le matérialisme et la religion, les idéologies, il y a des intérêts sociaux bien réels, même si la plupart de ces scientifiques n’en ont pas conscience.

    Dans ce combat, les progrès des sciences, l’actualisation permanente du matérialisme permettent de s’approprier un marxisme qui ne soit ni une idéologie, ni un dogme enfermé dans le passé. Il n’y a pas de réponse toute faite, déjà écrite pour faire face aux enjeux de la situation de crise actuelle du capitalisme. Le penser serait finalement contraire à la méthode matérialiste, scientifique qui a été celle de Marx, et reviendrait à faire d’une méthode vivante et ouverte à tous les progrès des sciences, un dogme mort, replié sur lui, réduit à croire au pouvoir magique des mots d’ordres historiques.

    Nous ne sommes pas en mesure de prédire l'avenir de la société humaine comme s'il était mécaniquement déterminé, de prévoir l’issue du combat avant de l’avoir mené contrairement à la caricature du marxisme hérité du stalinisme. L’histoire est ouverte, mais le passé, le développement de la société conditionnent les évolutions possibles, indiquent le sens, la direction au combat à mener, en l’inscrivant comme une possibilité et une nécessité du développement historique pour dépasser les contradictions actuelles.

    Un matérialisme unifié, synthèse sans fin des nouvelles connaissances, intégrant à la fois le matérialisme naturaliste de Darwin et le matérialisme historique de Marx, est à construire sur la base des progrès des sciences dans une vision cohérente du monde, de l’évolution de l’Univers, de la Terre, du monde vivant, jusqu’à l’émergence des sociétés humaines et de leur développement historique.

    L'appropriation collective et individuelle de cette compréhension matérialiste à travers la lutte pour changer le monde est la condition même de notre autonomie et de notre liberté.

    Elle est indispensable pour ancrer notre compréhension globale du monde dans les faits en opposition à la morale et aux préjugés sociaux et en en formulant jusqu’au bout les conséquences : la possibilité et la nécessité d’en finir avec la propriété capitaliste pour permettre aux hommes de se réapproprier les fruits de leur travail, de sortir de la division de l’Humanité en classes et ainsi de construire une société reposant sur la coopération, une société socialiste, communiste, pleinement intégrée dans son environnement.

    Bruno Bajou

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